L'Ardèche en 1842

avec M. Albert du Boys

 

 

Si l'on veut commencer le voyage du Vivarais par le nord, il faut descendre le Rhône et débarquer à Serrières. Il y avait le château de Payraud qui fut pris et repris dans le temps des premières guerres de religion...

 

De Serrière pour se rendre à Annonay prendre la route qui passe par Péaugres, en arrivant, on découvre le pont sur la Deôme. Au-dessus du bord de cette rivière et en face du château, s'élèvent les rochers de Saint-Germain, dont la masse noirâtres…

 

Après avoir traversé Annonay, en direction de Tournon on emprunte le pont de la Cance, en s'éloignant la ville apparaît assise en amphithéâtre sur ses deux collines, avec son clocher élancé de Trachi, et son château perché sur plusieurs étages de rues et de maisons... 

 

Sur la rive droite de la Canse, à trois quarts de lieue d'Annonay, dans un endroit où ce torrent est profondément encaissé, on voit s'élever, au-dessus de la surface de ses eaux, un rocher d'une configuration bizarre, la roche Péréandre...

 

A une heure d'Annonay, sur la route de Notre-Dame-d'Ay, on aperçoit un clocher d'une forme bizarre et originale : c'est le clocher de l'église de Quintenas, dont la fondation remonte, dit-on, au temps de Charlemagne...

 

Quand on arrive à Notre-Dame-d'Ay par Quintenas, à un détour de la route, on aperçoit à quelques distance, sur la gauche l'église moderne, avec son clocher crénelé, suspendu sur le roc au-dessus du torrent d'Ay, et, derrière l'église, les masses irrégulières et à demi ruinées de la vieille forteresse féodale...

( Notre-Dame-d'Ay est à deux lieux de Paysan, sud d'Annonay ; Quintenas se trouve sur la route et partage à peu près la distance.)

 

De Notre-Dame-d'Ay à La Louvesc il faut environ trois heures. Au treizième siècle, elle n'était qu'un rendez-vous de chasse au loup des sires de Roussillon. Constitué d'un petit manoir contre une tourelle primitive et de quelques cabanes qui s'abritaient sous la protection de créneaux. Maintenant le village  est trop petit  pour la multitude de pèlerins qui y abondent pendant six mois de l'année... 

 

A Tournon, l'objet qui se place au premier plan et qui absorbe presque entièrement l'attention, est le château gothique perché sur un rocher pittoresque. Des débris de vieilles fortifications qui en dépendent se dessinent au loin sur la montagne voisine...

 

Nous continuâmes à longer les beaux rivages du Rhône. La route passait aux pieds des riches vignobles de Cornas et de Saint-Péray. Nous aperçûmes toute une ville en ruines, avec ses fortifications, ses nombreuses maisons sans toit et sans porte, le tout surmonté d'un donjon qui semble ne faire qu'un avec la crête aiguë du rocher : c'était Crussol...

 

Soyons offre, dans son étymologie même, une sorte d'indication de sa position topographique. En ce lieu, près des bords du Rhône, un monastère avait été construit sous l'abri de la muraille colossale d'un rocher ; au-dessus de ce rocher, un château fort, dont nous avons reproduit les ruines, élevait dans les airs sa tour, qui s'incline aujourd'hui comme un vieillard penché sur sa tombe. Ce château s'appelait Yons ; le monastère et les chaumières qui se groupèrent tout à l'entour, s'appelèrent Sous-Yons ou Soyons...

 

A trois quarts de lieue au sud de Vernoux, en prenant, sur la droite de la route du Pape, un sentier à travers bois, on arrive à la vue d'un vieux castel, la Tourette,  qui se composait de deux donjons ou grandes tours, bâties sur deux rochers isolés l'un de l'autre par la nature, mais réunis sans doute autrefois par des remparts et des galeries. Le donjon le plus élevé, qui était aussi le plus considérable, a encore presque tous ses murs debout ; il est flanqué de tourelles et de bastions à cul-de-lampe et hérissé de consoles, de mâchicoulis, que devaient jadis surmonter des créneaux...

 

En quittant Chomérac, on passe par les gorges arides d'Alissas, et on arrive sur un plateau élevé d'où l'on commence à découvrir la ville de Privas ; on en est séparé par une gorge profonde où coule l'Ouvèze, qui forme des chutes d'eau assez remarquables. en voyant cette ligne de grandes et belles maisons qui couvrent l'esplanade, ce portique grec du palais de justice, qui se perd à moitié dans l'ombre, sur la droite ; ces villas et ces fabriques élégantes qui garnissent la colline inférieure...

 

Environ à trois quarts de lieue de Bays, Cruas frappe les regards du voyageur. Sur un coteau peu élevé, la vieille abbaye fortifiée étale ses hautes murailles : on admire les arceaux hardis qui y sont suspendus, et qui forment, autour des trois façades du donjon, de gigantesques mâchicoulis ; deux grandes tours en défendent l'entrée du côté de l'ouest, et semblent défier la montagne voisine qu'elles regardent en face...

 

En descendant le Rhône, de Valence à Avignon, on aperçoit Viviers  sur la droite, sur un roc isolé, un clocher qui a la forme élancée d'une tour mauresque, et, tout à côté, une vieille cathédrale, avec ses ogives noircies par le temps, et cette espèce de charpente extérieure en pierres qui caractérise les églises gothiques... 

 

Pour aller de Viviers à Villeneuve-de-Berg, on remonte le lit de graviers du torrent appelé l'Escoutaye, et on laisse sur la gauche la colline élancée de Saint-Thomé dont de vieilles maisons et un clocher antique couronnent les cimes. Saint-Thomé fut souvent le lieu de refuge des évêques de Viviers, quand les barbares s'emparèrent de la ville épiscopale. Après avoir suivi les sinuosités d'une gorge profonde, les montagnes s'ouvrent et laissent apercevoir une plaine vaste ; on montre là le lieu où était Alba ou Aps, l'importante capitale des Helviens, campos ubi Troja fuit... 

 

Près de Villeneuve, sur les pentes du Coiron, on va voir les rampes de Montbrul, si curieuses pour le naturaliste et si intéressante pour le peintre. Ces rampes sont tracées sur un sol couvert de laves et de pouzzolane ; elles s'élèvent, par cinq détours successifs, jusqu'aux flancs de la montagne volcanique qu'on appelle les Balmes de Montbrul. De la route, on aperçoit sur la gauche un rocher à pic où ont été creusées une multitude de grottes... 

 

Les environs du Bourg-Saint-Andéol sont d'une fertilité magnifique. La ville a deux parties distinctes : l'ancienne, qui est dans le haut et dont les rues sont mal percées, quoiqu'il y ait des maisons bien bâties ; et la nouvelle, qui se compose d'un joli quai aboutissant à un pont en fils de fer d'une architecture élégante... 

 

A environ trois cent pas, au midi du Bourg-Saint-Andéol, on remonte un ruisseau délicieux qui, dans le temps de l'abondance de ses eaux, forme, à peu de distance de la route, une large cascade qui rappelle, en petit, la chute du Rhin à Schaffouse. Au-dessus de cette cascade, on aperçoit un gros bloc de rocher, sous lequel une grotte est creusée ; ce bloc de rocher avait été la table naturelle où on avait sculpté un bas-relief et une grave inscription en l'honneur de Mithra, divinité orientale. Les monuments de ce culte sont, comme on sait, très-rares en France ; aussi, celui de la Fontaine de Tournes est fort célèbre et regardé comme fort précieux dans le monde des antiquaires érudits. 

 

Quand on quitte au Bourg-Saint-Andéol ou au Pont-Saint-Esprit pour s'enfoncer dans le Vivarais, il faut préférer, à toute autre voie, le cours même de l'Ardèche, que l'on remonte facilement en bateau pendant tout le printemps et une partie de l'été. C'est au village de Saint-Martin que l'on trouve des bateliers qui conduisent les voyageurs jusqu'au Pont d'arc et à Vallon... 

 

Salavas est au midi de Vallon, sa tour, qui commandait l'un des principaux passage de l'Ardèche, était vaillamment défendue par la garnison qui y était enfermée... 

 

En se rapprochant d'Aubenas, le château de Vogué, ruiné par la main des hommes et le marteau des révolutions, élève encore, entre un mur de rochers et la rive de l'Ardèche, ses quatre tours décapitées et ses vastes corps de logis, dont les murs, découpés et mutilés, portent l'empreinte des peintures et des arabesques qui les ornèrent autrefois... 

 

La ville de Joyeuse a été construite, comme toutes les villes d'origine féodale, sur la pente de la colline où était assis le château de Charlemagne, rebâti et agrandi dans les siècles suivants. Elle est comme entourée d'une ceinture de mûrier et d'oliviers, qui cachent, de leurs branches, quelques-unes de ses maisons inférieures. Environ à deux lieux de Joyeuse, le château et la forêt de Jalais furent le théâtre d'une confédération qui attira l'attention et qui excita les colères de l'assemblée constituante et de l'assemblée législative... 

 

De Jalais nous nous dirigeons vers Largentière, chef-lieu de l'arrondissement. En prenant cette direction, on aperçoit de très-loin la tour de Brison, située sur un colline qui domine la ville de Largentière. Cette dernière est située au fond d'une gorge étroite, resserrée entre deux montagnes : son château domine du côté nord ; on y arrive par une allée en pente douce qui remonte le long de la colline. C'est une masse importante qui présente divers styles d'architecture... 

 

En sortant de Largentière, on suit une route montueuse, le long de la gorge ; on laisse sur la droite de jolis villages ornés de clochers, qui élancent à travers les arbres leurs flèches aiguës. Arrivé, après deux heures de chemin, sur un col élevé, on est dominé, sur la gauche, par les hautes montagnes de la Lozère, et on aperçoit à une profondeur, d'un côté, Saint-Cyrgues, la Souche, et tout le vallon qui conduit à Pradelles, et de l'autre, Jaujac avec ses fabriques, ses maisons de campagne, et son cratère éteint, revêtu maintenant de forêts magnifiques... 

 

Nous sommes allés aboutir au pont de la Baume, où des colonnades de basalte s'élèvent au-dessus de la grande route elle-même. Ce site a encore plus d'intérêt et de grandeur quand on l'aborde par la route d'Aubenas. De ce côté, la vallée, après s'être considérablement élargie, se resserre tout à coup, comme encombrée par les débris accumulés de plusieurs volcans. La montagne rapide sur laquelle s'élève le clocher de Niaigle semble présenter au voyageur des colonnes d'Hercule. Tout à coup la route tourne et s'engage entre les pavés des géants ; un village est bâti à l'abri de ces boulevards formés par la nature : c'est  le pont de la Baune...

 

Thueyts est situé sur un plateau formé de laves et par les débris d'un volcan supérieur, dont les traces sont encore visibles. On descend du plateau basaltique du Thueyts dans le lit de l'Ardèche par une espèce de fissure ou de cheminée naturelle, pratiquée dans les parois du Pavé des Géants, qui a dans cet endroit plus de deux cent cinquante pieds de hauteur... Nous sommes revenus par le bas du Pavé des Géants, le plus beau et le plus grandiose qu'il y ait en Vivarais. Sa hauteur moyenne est au moins de soixante-cinq mètres... Il y a plus d'un quart de lieue du pied de l'Échelle du Roi jusqu'au bas du site célèbre connu sous le nom des Gueules d'Enfer... 

 

 Le château de Pourcheirolles, encore actuellement existant, fut fondé par le cardinal Pierre Flandin, né à Borée. Ce cardinal avait un neveu appelé Jean Flandin, qui fut chanoine de Viviers, archevêque d'Auch, et enfin cardinal à son tour... Il y avait alors schisme dans l'Église ; le vieux cardinal Flandin était de l'obédience du pape d'Avignon. Un jour, comme son neveu allait de Viviers à Borée, il lui donna la clef de son château de Pourcheirolles ; c'était disait-il, une étape où il trouverait à se loger commodément...

 

De Mazan nous avons passé à Saint-Cyrgues, village assez important ; nous avons traversé la Loire déjà grosse sur le pont de la Palisse, et nous nous sommes dirigés sur le lac d'Yssarlès par le Cros de Géorand. Le point par lequel nous sommes arrivés au-dessus de ce lac le domine entièrement, ainsi que tout le vallon qui s'étend jusqu'au village même d'Yssarlès... 

 

Nous avons escaladé le Gerbié de Jonc, bizarre pain de sucre, accessible seulement du côté des sources de la Loire. Son nom exprimait sans doute sa forme ancienne, mais cette forme a varié de siècle en siècle : au temps de Giraud-Soulavie, on pouvait monter à cheval jusqu'au quart de sa hauteur ; aujourd'hui, les éboulements successifs des laves lamelleuses qui composent cette montagne volcanique l'ont rendue escarpée dès sa base même : on ne peut la gravir, parmi les rocs nus ou les pierres mouvantes, qu'après des difficultés infinies... 

 

Nous redescendîmes ensuite sur Antraigues, en suivant la coulée de lave dont la trace est encore marquée des orientales du cratère jusqu'a la rivière de Volane. Antraigues est le bourg le plus pittoresque du Vivarais ; il est posé sur une table basaltique qui se détache comme une île entourée de noires et hautes colonnades. Si ce n'est pas une île, c'est au moins une péninsule baignée de presque tous les côtés par le ruisseau du Colet d'Ayzac, par la rivière de Volane, et par celles du Mas et de Bize. De la son nom d'Antraigues, réunion de deux mots languedociens qui veulent dire entre les eaux... 

 

Aubenas se présente, au voyageur qui arrive de Privas, sur le couronnement d'une haute colline toute plantée d'oliviers. Ses deux châteaux, d'âges très-différents et pourtant l'un et l'autre brunis par le temps et revêtus de lierre ; deux dômes assez hardis, celui de l'ancien couvent des bénédictines, et celui de l'église du collège ; enfin le clocher de l'église paroissiale, tels sont les principaux monuments... 

 

Boulogne est à deux lieues d'Aubenas, dans la direction de Privas. Les ruines du château de Boulogne sont au nombre des plus grandioses et des plus intéressantes du Vivarais ; elles occupent un mamelon situé au centre d'un défilé à l'entrée d'une vallée qui se prolonge jusqu'au col de l'Escrimet. On remarque parmi ces ruines une grande tour à mâchicoulis et à créneaux, qui est une des parties les mieux conservée du fort, et qui est en même temps, dit-on, la plus ancienne. 

 

 En trois heures nous arrivâmes à Desaignes, par l'ancienne route. Cette route, qui descend en serpentant le long de la croupe ondulée d'une montagne couverte de bois de pins, nous parut être une promenade charmante ; des points de vue variés, en offrant des sources toujours nouvelles de distractions, prévenaient en nous la lassitude, qui naît souvent de l'ennui autant que de l'épuisement des forces.

 

Desaignes a une physionomie étrange et indéfinissable ; ce n'est pas l'aspect treizième siècle de la Voulte, ce n'est pas non plus l'abandon profond de l'ancienne ville de Crussol, c'est un mélange de ces deux types divers. Du reste, l'antiquité moyen âge y touche à l'antiquité romaine; elles s'appuient l'une sur l'autre.

 

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