Antraigues

Extrait de l'Album du Vivarais, Albert Dubois, 1842.

 

 

BURZET - LA BASTIDE - ANTRAIGUES - VALS

 

Burzet, situé dans une vallée profonde, sur les bords de la rivière du même nom, est maintenant une ville de plus de trois mille âmes, qui ne manque ni de commerce, ni d'industrie, quoiqu'elle soit en dehors des grandes voies de communication. Autrefois, c'était un village qui descendait des puissants comtes de Peyre, dont le castel en ruine s'aperçoit encore sur le coteau voisin; il y avait aussi, à Burzet, un couvent de moines, à qui l'on attribue la principale part (1) dans la fondation de l'église. Cette église, qui est fort remarquable, a un clocher ou beffroi au- dessus de son portail d'entrée; c'est un de ces beffrois, assez multipliés dans le Vivarais, qui forment une pyramide triangulaire : celui-là, dans les deux premiers étages, a quatre fenêtres en ogive, et dans le haut une seule. Enfin, le clocher de Burzet a cela de remarquable, qu'il éprouve deux mouvements lorsqu'on sonne les cloches, l'un de frémissement et l'autre de déplacement, selon les allées et venues des cloches.

 

L'église elle-même est un fort beau vaisseau à trois nefs, achevé dans un temps où le style gothique commençait à décliner. On trouve, sur l'un des piliers, l'inscription suivante en caractères gothiques (2) :

 

Anno Domini 1400, fuit incepta prœsens ecclesia per Petrum Octembonis, et continuata per Bartholomœum Jnnungat et Claudium Aymati.

 

On regrette que cette église soit défigurée par un affreux badigeon.

 

La vallée de Burzet a aussi ses richesses volcaniques provenant des laves qu'a vomies jadis la montagne du Cros-de-Pélissier, mais on voit, à deux lieues plus loin, des accidents encore plus curieux dans la commune de la Bastide. La plaine de la Bastide, dont le niveau est inférieur de plus de cinq cents mètres au cratère éteint du Pic-de-l'Etoile, n'est elle-même qu'une immense table de laves-basaltes qui se sont précipitées du haut du volcan en cascades de feu presque perpendiculaires.

 

Le château de la Bastide, placé sur une croupe entourée de ruisseaux et de cirques basaltiques d'une grande beauté, appartenait, en 1780, à M. le comte d'Antraigues, ami éclairé des arts et des sciences. Le château n'offre plus maintenant qu'un, monceau de ruines: il a été brûlé en 1792. Le volcan des révolutions ne s'éteint pas dans un éternel repos, comme ceux du Vivarais; ses feux couvent toujours au fond des sociétés humaines, et les menacent d'éruptions sans cesse renaissantes.

 

Au-dessous du château, on passe, pour aller à Antraigues, sur un pont sans parapet, au-dessous duquel gronde un torrent de cent cinquante pieds de profondeur; ce torrent qui coule sur la lave noirâtre semble se frayer un chemin aux enfers.

 

(1) Nous disons la principale part, car il parait que la paroisse et les seigneurs du voisinage y contribuèrent également.

(2) En voici le fac-similé :

Ainno bni m° cccc° fuit ince-­

pta prre ecca p Petru

Occtebonie et qtinuata p

Oartholomeu Dnnungat

et Claubium Aymati.

 

L'extrémité de la table basaltique qui est sur la droite du ruisseau de la Bastide s'appelle le Mortier, sans doute parce que c'est le lieu où vinrent s'amortir les laves du volcan.

 

En allant à Antraigues, nous voulûmes voir la coupe d'Ayzac. Ce volcan est fort élevé, mais son cratère nous parut avoir des dimensions inférieures à ceux que nous avions vus les jours précédents : le fond de ce cratère renfermait jadis un lac d'eau stagnante; mais un éboulement considérable du côté d'Ayzac fraya un passage aux eaux, et détruisit ainsi, par une brèche, la régularité du cône primitif. Aujourd'hui cet ancien bassin est ombragé par des châtaigniers séculaires.

 

Nous redescendîmes ensuite sur Antraigues, en suivant la coulée de lave dont la trace est encore marquée des cimes orientales du cratère jusqu'à la rivière de Volane.

 

Antraigues est le bourg le plus pittoresque du Vivarais; il est posé sur une table basaltique qui se détache comme une île entourée de noires et hautes colonnades. Si ce n'est pas une île, c'est au moins une péninsule baignée de presque tous les côtés par le ruisseau du Colet d'Ayzac, par la rivière de Volane, et par celles du Mas et de Bize. De là, son nom Antraigues, réunion de deux mots languedociens qui veulent dire entre les eaux. Le comte d'Antraigues avait là un château qui a été vendu nationalement et en partie démoli, il en restait une tour que le curé du lieu a eu la bonne idée de sauver de la destruction en la convertissant en clocher. On voit de fort loin cette tour, qui domine encore les maisons d'Antraigues, déjà perchées si haut au-dessus d'un pavé des géants qui a, dans plusieurs endroits, plus de cent vingt pieds de hauteur. II y a de curieux débris du donjon primitif d'Antraigues au-dessus du confluent de la rivière de Bize avec la Volane; c'est là surtout qu'on distingue bien les deux couches de lave dont se composent les basaltes d'Antraigues. La couche supérieure vient d'Ayzac; la couche inférieure a été formée par le volcan de Crau (1), qui est du côté du nord.

 

D'Antraigues (2) à Vals, il y a trois petites lieues par un chemin magnifique. Nulle part, en Vivarais, on ne remarque des accidents basaltiques plus curieux et plus multipliés que le long de ce chemin. On y voit une foule de petites grottes formées par des basaltes carrés, heptagones et pentagones. Nous signalons en particulier à l'attention des naturalistes les colonnades basaltiques du Rigaudel et du pont de Bridon. Jusqu'auprès de Vals, la Volane forme une multitude de chutes d'eau et de cascades, dont la blanche écume contraste fortement avec les cristallisations noirâtres de ses rivages si singulièrement accidentés.

 

(1) La forme d u volcan de Crau, à vue d'oiseau, représente un cône dont le sommet finit en sphère... Ce volcan est dépourvu de cratère : Le sommet ne présente qu'une petite plaine circulaire d'environ deux mille pieds de diamètre; elle est convertie, en partie, en champ labourable, et le reste ne présente qu'une immense roche de basalte formée de plusieurs blocs informes. Ce volcan a trois cents toises d'élévation. Sur ce sommet se trouve le beau château de M. de Fabriques, qui passe l'été sur ces lieux élevés. Nous exhortons MM. les académiciens et les naturalistes qui se proposent de venir considérer la nature dans cette province, de visiter la montagne et le château ; ils seront très-satisfaits et de la beauté des lieux, et de l'honnêteté du seigneur, qui aime les arts et les cultive. (Giraud- Soulavie, histoire naturelle de la France méridionale, tom. Il, pag. 809, 210 et 211.)

(2) Antraigues est chef-lieu de canton ; sa population est de deux mille âmes environ.

Vals était dominé par un château dont les ruines s'aperçoivent encore, et qui fut démoli à la suite du siège qu'en fit le duc de Montmorency, en 1627.

 

C'est aujourd'hui une jolie bourgade, enrichie par des fabriques de papier et de soie, et par ses eaux minérales qui sont fort connues et qui mériteraient de l'être plus encore. Ces eaux se boivent et ne se prennent pas en bains. Sur six sources principales (1) qui sourdent presque toutes du sein du roc vif, il y en a une, la Marquise, qui a des propriétés semblables et supérieures à celles des eaux de Vichy. Les établissements sont propres et bien tenus, mais ils n'offrent pas les mêmes avantages que ceux de Vichy ou de Bagnères ; aussi le nombre des preneurs d'eaux est infiniment moins grand. Et cependant, indépendamment du mérite intrinsèque de ses eaux minérales, Vals a l'avantage d'être situé dans un vallon délicieux, au centre de ce qu'il y a de plus pittoresque et de plus curieux dans le Vivarais. Si une fois la mode, cette puissante fée, transportait dans ce lieu, par son talisman magique, le monde élégant de Paris, on verrait de brillantes amazones galoper sur ces pavés des géants; de gaies caravanes, s'enfoncer dans les cratères ombragés des volcans éteints, des touristes sans nombre, sillonner en tous sens ces contrées, depuis le pont d'Arc jusqu'au Ray-Pie et au Mézenc. Des chalets confortables s'établiraient au sommet des montagnes, d'excellentes auberges s'ouvriraient dans les bourgades et les villages, de jolis bateaux flotteraient sur le lac d'Yssarlès, et la vieille Helvie n'aurait plus rien à envier aux Pyrénées ni à la Suisse.

 

(1) Ces six sources, qui sont acidulées et ferrugineuses, sont la Marie, la Marquise, la Camuse, l'Espérance, la Dominique, la Saint-Jean.

 

Analyse de la Marquise, faite par M. Berthier, pour un litre d'eau :

 

Bi-carbonate de soude

Chlorure de sodium

Sulfate de soude

Carbonate de chaux

Carbonate de magnésie

Silice

Oxyde de fer

7 157

0 160

0 053

0 180

0 125

0 116

0 015

7 806

 

Les sept sources de Vichy, dont la composition est identique sont ainsi composées :

 

Bi-carbonate de soude

Carbonate de chaux

Carbonate de magnésie

Chlorure de sodium

Sulfate de soude

Silice

Peroxyde de fer

3 813

0 285

0 045

0 558

0 279

0 045

0 006

5 031

 

Le bi-carbonate de soude est ce qui donne le plus d'efficacité à cette espèce d'eaux minérales ; il y en a à peu près quatre grammes de plus dans les eaux de Vals que dans celles de Vichy.

 

Les autres sources des eaux de Vals ont un goût piquant et aigrelet, et possèdent des propriétés énergiques; elles sont fondantes et apéritives. Elles sont très-efficaces dans les maladies des voies digestives ainsi que dans les obstructions au foie et dans les affections calculeuses des reins et de la vessie.

 

Ce sont les eaux de la Marie qui ont tant de réputation pour les maladies des femmes, et qui détruisent, dit-on, les causes qui engendrent la stérilité.

 

Les eaux de la Dominique contiennent beaucoup d'acide hydro-sulfurique et ont une action vomitive si marquée, qu'on peut les employer comme émétique.

 

Trois médecins d'Aubenas du plus grand mérite, ont été tour à tour inspecteurs des eaux minérales de Vals. Depuis quelques années. M. Ruelle (*) exerce avec talent ces fonctions importantes.

 

(*) Le prédécesseur de M. Ruelle, à Vals, était M. Tailhan.

 

Mais, pour attirer les voyageurs et les preneurs d'eaux à Vals, il faudrait faire quelques frais de plus qu'on n'en a fait jusqu'ici; on devrait faciliter l'accès des sources minérales, tracer, pour y arriver, des allées propres et commodes, et construire un pont élégant sur la Volane : l'entrée de l'hôtel pourrait avoir plus de grandeur, l'intérieur, plus de confortable; enfin, il serait nécessaire d'ouvrir un cercle et un salon près de cet hôtel, pour y réunir les plaisirs qu'on est accoutumé de trouver aux eaux. Il faut absolument se mettre au niveau de Vichy et de Bagnères, si l'on veut rivaliser avec ces établissements.

 

Pour notre compte, nous nous estimerions bien heureux si nous avions pu contribuer à faire connaître Vals (4) et les sites admirables qui l'environnent.

 

(1) Vals est un bourg de deux mille huit cents âmes.

 

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