JOYEUSE

Extrait de l'Album du Vivarais, Albert Dubois, 1842.

 

 

RUOMS. - ROSIÈRES. - JOYEUSE.

en 1842

 

Nous empruntons à une autre plume (1) une description fort exacte des merveilleuses bizarreries que présentent au naturaliste les environs de Ruoms.

 

Les environs de Ruoms présentent un assemblage de rochers et de pics qui sont dans le désordre le plus singulier. De tous côtés on ne voit que des masses énormes brises et isolées les unes des autres. On admire encore davantage les espèces d'auges creusées avec beaucoup de régularité dans le rocher qui porte toutes ces masses, ce sont des moules sphériques enfoncés de quatre, six et huit pieds dans le marbre, mais ce qui est encore plus singulier et plus admirable, ce sont les rochers cubiques du même canton.

 

Ici la régularité et l'ordre succèdent à la confusion qu'on remarque ailleurs, de toutes parts, on voit des blocs de marbre s'élever au- dessus du sol; on aperçoit des cubes d'une hauteur de vingt à trente pieds, d'autres de quatre à cinq, il y en a qui ont vingt pieds de diamètre.

 

La vue générale de tous ces cubes et le contraste entre leur masse régulière et toutes les irrégularités des objets- voisins offrent le tableau frappant d'une ville ruinée, incendiée ou renversée par des tremblements de terre, ce ne sont cependant que les ruines de la nature. L'étonnement augmente encore en voyant s'élever, entre ces masses, des chênes majestueux dont les racines s'y cramponnent en suivant les sillons creusés dans la pierre lorsqu'elles ne peuvent s'étendre de côté.

 

(1) Annuaire de 1839, pages 316 et 317

 

II y a en dessous de Ruoms un pont en fils de fer ; on en a jeté un grand nombre sur l'Ardèche, et, en vérité, il semble que ce genre d'industrie soit fait spécialement pour les torrents du Vivarais, qui, dans les orages du printemps et de l'été, roulent tout à coup, dans leurs lits débordés, de véritables montagnes d'eau et de graviers des arches en pierre résistent difficilement à ces irruptions subites et impétueuses.

 

A une lieue et demie du pont de Ruoms, en approchant de Joyeuse, on apercevait sur la gauche, il y a peu d'années, un clocher (1) qui élançait sa flèche hardie dans les airs. Ce clocher était celui de l'église de Rosières, village habité par les Sarrasins au temps de leur domination dans le midi de la France.

 

(1) Ce clocher s'est écroulé tout à coup le 6 novembre 1839, à quatre heures après-midi, sans écraser personne. On prétend que cet accident a eu lieu par suite de l'imprudence des habitants de Rosières, qui avaient creusé un sous-oeuvre dans un des piliers destinés à soutenir cette énorme masse.

 

On assure que le nom de Rosières vient d'une distillerie de roses que ces sectateurs de Mahomet y avaient établie et dont ils écoulaient sans cesse les produits dans les sérails de leurs princes. Le nom de Guilhen, qui voulait dire Rose en arabe, se trouve encore assez répandu dans le pays.

 

Peu de temps après la bataille, Charles Martel, s'il faut en croire la tradition populaire, vint chasser ces mécréants du Vivarais et joncher le sol de leurs cadavres; on a trouvé, en effet, une multitude d'ossements dans les champs de Rosières. Suivant cette même tradition, Charles Martel aurait fait élever dans ce lieu un monument funéraire à l'un de ses officiers les plus chers, tombé sous le fer des Sarrasins, et ce monument, de style gréco-byzantin, serait devenu l'église paroissiale du village, à laquelle on aurait ajouté un clocher au commencement du douzième siècle.

 

La ville de Joyeuse a rattaché son nom et son origine à la célèbre épée de Charlemagne. On prétend que ce prince, ayant perdu sa Joyeuse dans une bataille livrée en Vivarais, finit par la retrouver après quelques recherches, et qu'en mémoire de cet événement il fit bâtir, près du lieu où avait été cachée son épée, un château auquel il donna le même nom qu'à son arme favorite.

 

 

Joyeuse, l'épée de Charlemagne

NOTA GM : Joyeuse, l'épée de l'Empereur à la Barbe fleurie (qui était rasé, en vrai guerrier franc), dont l'éclat était tel qu'elle aveuglait ses ennemis, et dont le possesseur ne pouvait être empoisonné... Elle aurait contenu, dans son pommeau, un morceau de la sainte lance, celle qui avait percé le flanc du Christ agonisant sur la croix.

Les chroniqueurs de la fin du Moyen Âge en rajouteront et évoqueront en  termes poétiques et quelque peu curieux «l'empereur  à la barbe fleurie». En prêtant à l'empereur une barbe alors qu'il était vraisemblablement imberbe, ils veulent souligner son autorité virile. Quand au qualificatif de fleurie, il s'agit d'une mauvaise traduction de «flori», qui signifie blanc en vieux français.

 

La ville de Joyeuse a été construite, comme toutes les villes d'origine féodale, sur la pente de la colline où était assis le château de Charlemagne, rebâti et agrandi dans les siècles- suivants. Elle est comme entourée d'une ceinture de mûriers et d'oliviers, qui cachent, de leurs branches, quelques-unes de ses maisons inférieures. Du pont de la rivière de Beaume, qui est dans le bas, elle présente l'aspect d'un riant amphithéâtre, et naturellement, à la vue de ce paysage gai et gracieux, on cherche dans la situation même de la ville l'étymologie de son nom.

 

La famille des Châteauneuf-Randon, titre des sires de Joyeuse, remonte au onzième siècle, et dès cette époque elle s'allia aux Bermond d'Anduze et aux Polignac ; elle s'implanta en Vivarais en 1255, et elle acquit (1) à cette époque, par une alliance, la terre de Joyeuse, qui fut érigée en baronnie au quatorzième siècle.

 

Les sires de Joyeuse commencèrent leur illustration nationale sous Charles VII et sous François ler, aux batailles de Crévant et de Pavie; ils s'élevèrent encore plus haut sous Henri III (2) et sous Henri IV. Cette famille fournit au Vivarais trois maréchaux de France, trois lieutenants généraux et gouverneurs de province, un amiral et deux évêques, dont un fut élevé au cardinalat.

 

Ce fut aux Joyeuse qu'on dut l'extension de la ligue dans le Languedoc et dans le midi de la France trois d'entre eux périrent pour elle sur-le-champ de bataille. Ceux qui survécurent à la glorieuse mort de leurs frères ne déposèrent les armes qu'après l'abjuration de Henri IV.

 

Henriette Catherine, fille unique de Henri de Joyeuse, épousa en premières noces Henri de Bourbon, duc de Montpensier, et en eut une fille, Marie de Bourbon, qui épousa Gaston de France, duc d'Orléans, frère de Louis XIII; en secondes noces elle se maria avec Charles de Lorraine, duc de Guise. Unique rejeton des Joyeuse, elle en apporta tous lesbiens dans la famille de Lorraine ; tous ces biens furent vendus en 1787 par la veuve du comte Charles de Lorraine, qui était une Rohan-Soubise.

 

Le château de Joyeuse, confisqué pendant la révolution comme bien d'émigré, fut concédé à la ville pour des établissements publics; il était dans un grand état de délabrement, car, depuis longtemps, les Joyeuse et les Lorraine ne l'habitaient pas, à cause des grandes charges dont ils étaient pourvus. Les seigneurs de Joyeuse avaient accordé de grandes immunités aux hommes de leurs terres; les habitants de la ville même furent exemptés des droits de leude et de péage.

 

Il y a un siècle que la population de Joyeuse n'était que de douze cents âmes (3) ; aujourd'hui elle s'élève à plus de deux mille trois cents. Depuis plusieurs siècles, Joyeuse avait des foires et des marchés très-fréquentés ; mais leur importance s'est beaucoup accrue depuis vingt-cinq ans par la vente des soies: le marché de Joyeuse est devenu le plus considérable du Vivarais pour la vente en détail de ce produit du sol, qui est d'une qualité supérieure dans les environs de cette ville. Aussi, quoique éloignée des grandes voies de communication, Joyeuse semble avoir des chances indéfinies d'agrandissement et de progrès.

 

(1) La terre de Joyeuse ne fut érigée en baronnie que quand Louis ler du nom eut épousé Tiburge, dame de Saint-Didier et de la Mastre, unique héritière de sa maison, en 1319.

(2) Henri III érigea la terre de Joyeuse en duché-pairie en faveur d'Anne de joyeuse.

(3) Il y avait autrefois à Joyeuse un collège doté par la maison de Lorraine.

 

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