L'Hôtel de la Préfecture

extrait de

"HISTOIRE D’UN BATIMENT MUNICIPAL"

par M. Pierre Guérin, membre de l’Académie de Nîmes, 1917.


IV

 

Les progrès et les besoins de l'organisation administrative. - Histoire mêlée d'un évêché et d'une préfecture. - Négociations diplomatiques pour l'acquisition d'un immeuble public. - Cas intéressant du concours d'un budget de ville au budget du département. - Influence de l'autorité préfectorale sur des relations de voisinage.

 

L'immeuble Rivet est à peu près constitué.

 

Ses dimensions considérables pour l'époque, sa situation dans la partie de la ville la plus fréquentée, sa façade monumentale devaient naturellement attirer l'attention des administrations publiques en quête d'installations plus commodes affectées à des services plus compliqués.

 

L'âge d'or de la Renaissance où la conception artistique n'avait presque pas à compter avec une surface mesurée et des crédits limités, où l'artiste travaillait librement à une création d'art originale, neuve, sans oppression tyrannique du passé, avait disparu, l'âge plus merveilleux encore des emprunts énormes et des édifices conformes aux lois de l'hygiène et du confort moderne était à peine à son aube première.

 

Sous la pression des nécessités nombreuses et urgentes, on cherchait à s'accommoder d'immeubles déjà construits qu'il s'agissait d'approprier intérieurement à des besoins nouveaux.

 

On recourait plus volontiers au commissaire priseur et à l'expert qu'à l'architecte. Ce dernier n'avait guère à montrer ses talents que dans des aménagements intérieurs où la brique et le plâtre jouaient le principal rôle. L'acquisition d'un bâtiment se réduisait à une question de devis et les administrations ne craignaient pas même de ruser avec le propriétaire vendeur, de l'intimider par une menace de « laissé pour compte ».

 

Dans ces conditions l'hôtel Rivet était tout indiqué pour solliciter les convoitises d'une administration d'Etat et pour passer au domaine public.

 

La raison ou le prétexte furent fournis par l'incommodité absolue de la résidence de l'évêque de Nîmes, qui contraignait le prélat à une cohabitation gênante avec des collocataires habitant le même immeuble. (L'évêque de Nîmes occupait alors une partie de l'immeuble qui fait le coin de la rue des Lombards et du boulevard Gambetta, et qu'habitait récemment encore le comte de Balincourt, notre regretté confrère.)

 

Dans sa session de 1821, sur les ordres venus du Ministère de l'Intérieur, le Conseil général vota une somme de 120000 francs consacrée au paiement des frais de premier établissement de l'évêché de Nîmes et chargea trois de ses membres de concourir avec le préfet pour l'acquisition de l'édifice qui devait être affecté à l'évêché.

 

Mais le Conseil général, à l'unanimité, reconnaissait en même temps que toutes les convenances se réunissaient pour commander la restitution de l'ancien palais épiscopal au nouveau prélat. Aussi proposait il l'achat de l'hôtel Rivet pour la Préfecture qui occupait ce palais et qui dans cette nouvelle installation trouverait des dispositions mieux appropriées. Le vote de 120000 francs n'avait été inspiré au Conseil général que par l'intention de réduire les prétentions élevées des héritiers Rivet. En vue de mieux marquer son dessein, le Conseil ajouta à sa délibération que l'édifice devait être affecté à l'évêché ou à la préfecture.

 

A la suite d'explications quelque peu pointilleuses entre le préfet et le ministère de l'intérieur, du 7 décembre 1821 au 15 janvier 1822, le préfet fut autorisé, à cette dernière date, à poursuivre l'acquisition de la maison Rivet pour servir d'hôtel de préfecture, en échange de l'ancien évêché présentement occupé par lui et ses bureaux et qui serait rendu à sa destination primitive.

 

Le ministère réclamait la transmission des pièces nécessaires : délibération du Conseil général, délibération du Conseil municipal de Nîmes, estimation de la maison Rivet, arrêté nommant les experts, projet d'acte de vente et avis du préfet en forme d'arrêté : celui-ci parut le 25 janvier 1822. Le 11 mai suivant, l'acte de vente fut dressé par les notaires Gide et Darlhac. La vente était consentie au département du Gard que représentait M. Paul Etienne de Villiers du Terrage, préfet, acceptant, par les sieurs Jean Maigre, domicilié à Paris, et Jacques Pieyre, domicilié ordinairement à Lassalle et présentement à Paris, assistant et autorisant leurs épouses. La vente était faite au prix de 130000 francs. Le 30 mai 1822, l'avoué Bardin faisait au greffe du tribunal le dépôt de l'acte de vente.

 

Le paiement devait s'effectuer en plusieurs échéances, échelonnées sur les années 1822, 1823 et 1824.

 

Dés le mois de février et surtout au cours du mois de mars le préfet s'occupa de s'assurer la libre disposition de l'immeuble pour le 29 septembre, en obtenant des locataires, MM. de Seyne et Jalaguier, une promesse formelle de désistement et d'évacuation des lieux pour cette date.

 

Le. 12 avril 1824, le préfet réclama par l'office de Me Gide, notaire, auprès des anciens propriétaires Pieyre et Maigre la remise des titres et le plan de l'hôtel.

 

La ville de Nîmes avait voté la somme de 15000 francs pour l'érection de l'évêché.

 

Cette somme fut appliquée à l'acquisition du nouvel hôtel de la préfecture, par suite de l'installation de l'évêque dans l'ancien palais épiscopal. Elle fut payée en trois mandats de 5000 francs chacun, le dernier à la date du 2 mars 1824, au receveur général des finances, sous le maire Cavalier.

 

Les quittances des divers paiements effectués datent du 3 octobre 1822 pour la somme de 36436 francs, du 3 janvier 1823 pour la somme de 30700 francs, du 20 août 1823 pour la somme de 28247 francs, du 12 août 1826 pour la somme de 44316 francs.

 

Les frais d'enregistrement s'élevèrent à la somme de 8563 francs.

 

L'hôtel Rivet, élevé à la dignité d'hôtel de la préfecture, allait désormais avoir des tuteurs et des protecteurs tout puissants dont l'autorité devait singulièrement adoucir les rapports de mitoyenneté avec les voisins.

 

Ainsi le 3 avril 1825 l'architecte du département, M. Durant, relate à M, le Préfet qu'il a fait part à M. de Cabrières et à M. de Régis des ordres formels transmis à lui le 30 mars et relatifs aux ouvertures pratiquées indûment sur le jardin de la préfecture. Les intimés ont remis une déclaration signée portant l'obligation de se conformer à ce qui est prescrit par le Code civil, sur le premier avis qui leur sera donné au nom de M. le Préfet, marquis de La Valette.

 

Le 27 septembre 1826, M. de Régis prie M. le Préfet de vouloir bien faire estimer la valeur de la mitoyenneté du mur qui lui appartient et sur lequel appuie le nouveau bâtiment construit dans le jardin de la préfecture. Il demande également une indemnité pour l'exhaussement de la construction et s'en rapporte parfaitement à l'estimation impartiale qu'en fera M. Durant, architecte du département.

 

Le 12 octobre 1826, M. de Régis accuse réception dé la part de M. Carra, entrepreneur de la construction des bureaux de la préfecture, d'une somme de 159,95 fr, pour le droit de mitoyenneté et de surcharge, d'après le compte dressé par M. Durant.

 

Le bâtiment désigné sous le nom de bureaux de la préfecture n'est autre que celui qui sert aujourd'hui en partie d'internat, donne sur la cour du Lycée et s'appuie en effet au couchant sur la maison de M. de Régis.

 

Du 13 juin 1848 au 25 août de la même année, un litige est soulevé par M. Rogier fils, marchand épicier, occupant un magasin qui fait face à la descente du Chapitre.

 

Il s'agit ici d'une partie de la petite maison occupée jadis par la veuve Guérin et située à 1"angle nord-ouest de la cour. Les Rivet et les de Cabrières s'étaient entendus pour construire à frais communs un mur mitoyen allant en oblique de la rue du Chapitre au couvert des Cabrières. L'architecte départemental avait adossé à ce mur mitoyen un second mur sur lequel prenait un escalier conduisant aux bureaux de la préfecture. Peut-être à côté avait on établi des cabinets d'aisance ? M. Rogier fils attribuant au mauvais état du mur de la préfecture l'humidité qui dépréciait sa maison et la rendait inhabitable, réclamait de promptes réparations.

 

La vérification des lieux démontra que les eaux du toit de Rogier étaient cause en partie de l'humidité; que, d'autre part, le mur de la préfecture était insuffisant et devait être reconstruit dans de meilleures conditions. Rogier fut prévenu du résultat de l'examen de l'architecte et, tout en réservant ses droits, se déclara prêt à faire acte de bon voisinage et à. se mettre 4 la disposition de la loi. Nous verrons plus loin que la Ville devait faire bien plus tard l'acquisition de l'immeuble Rogier et de la petite maison de Cabrières (n° 106, plan cadastral). Remarquons que les confronts du midi, si redoutables pour les Rivet, ne soulèvent aucun conflit contre l'hôtel de la préfecture.

 

En dehors de ces incidents insignifiants, l'histoire du nouvel hôtel présente donc la tranquillité et le calme des forts dont la sécurité repose sur la crainte et le respect, de tous. Malheureusement, s'il, n'avait pas à redouter les taquineries et les procès de voisins entreprenants, il n'était pas à l'abri du plus mortel ennemi des établissements publics en général, l'extension des services.

 

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Histoire d'un bâtiment municipal... SUITE
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