La Maison de la Miséricorde

extrait de

"HISTOIRE D’UN BATIMENT MUNICIPAL"

par M. Pierre Guérin, membre de l’Académie de Nîmes, 1917.

 

V


La croissance d'une grande ville. - Les chemins de fer. - Le projet d'édilité d'un ancien municipe romain. - Un grand maire. - L'hôtel Rivet bâtiment municipal. - Ses destinations multiples. - Comment malgré des votes contraires de la Commission des travaux publics et du Conseil municipal une volonté tenace et habile arrive à ses fins. - L'installation provisoire du couvent de la Miséricorde. - Un provisoire qui devient du définitif, temporaire. - Une supérieure de Saint-Vincent-de-Paul maîtresse femme - Les immeubles de la rue Dorée. - Prospérité de la Miséricorde. - L'établissement atteint sa plus grande extension.

 

 

L'immeuble qui avait paru si convenable à l'installation de la préfecture en 1821 devenait de plus en plus insuffisant; étriqué.

 

La création d'une gare au sud-est de la ville déplaçait l'aise de celle-ci et son centre d'attraction. Le projet d'une gare monumentale pour l'époque se complétait de celui d'une avenue large et spacieuse conduisant à la merveille de l'Esplanade.

 

Dans ce décor magnifique, l'emplacement d'un somptueux hôtel de la préfecture conçu, aménagé exclusivement pour cette destination, n'était-il pas tout indiqué pour rehausser l'éclat de la ville, pour ajouter à l'impérissable beauté de ses monuments antiques l'irrésistible attrait d'un cadre grandiose, d'une entrée triomphale ?

 

La préfecture et la maison Bézard à gauche, la fontaine de Pradier au centre, l'église Sainte-Perpétue et l'hôtel du Luxembourg à droite, le palais de justice au fond, et un peu en retrait sur celui-ci l'amphithéâtre romain, pouvait-on rêver un plus saisissant accueil pour le voyageur qui s'avancerait vers la vieille cité ? Aussi il est à supposer que des raisons esthétiques durent se joindre à d'autres plus utilitaires pour griser les initiateurs, visionnaires de ce splendide tableau, et les déterminer à la création d'un hôtel de la préfecture sur l'avenue Feuchères.

 

Dès ce moment, l'ancien hôtel Rivet semblait menacé d'abandon, près de déchoir de sa haute fortune. Mais ses destinées loin de péricliter allaient au contraire prendre un nouveau lustre. L'on dirait que, par un privilège spécial, l'ancien hôtel Rivet, demeure d'un particulier enrichi par le négoce, va rencontrer dans sa transformation en établissement public l'heureuse occasion d'exprimer tour à tour la significative évolution de notre pays au XIX° siècle. Hôtel de préfecture, il venait de symboliser la forte concentration administrative qui reste jusqu'à ce jour la caractéristique de notre génie latin. Maison de la Miséricorde, il allait synthétiser les oeuvres de prévoyance d'assistance et de bienfaisance qui préoccuperont à si juste titre, de plus en plus les hommes du monde religieux et ceux du monde politique, soucieux du relèvement social des classes laborieuses. Enfin, Lycée de jeunes filles, il devait servir de berceau et d'asile à l'enseignement féminin dont l'organisation prend une importance croissante en France et parait aux yeux de nos hommes d'Etat les plus graves un des problèmes les plus passionnants de l'heure présente.

 

Mais ces brillantes destinées ne se dessinèrent pas du premier coup avec netteté pour l'hôtel Rivet.

 

Le projet de la nouvelle préfecture à l'avenue Feuchères en fit pour un certain temps le palais de la Belle au Bois dormant qui se ressent déjà d'une désertion prochaine ou bien encore comme un beau domaine en déshérence qui sollicite à la dérobée, les désirs mal cachés d'aspirants héritiers sans autre titre qu'une violente envie de l'occuper et d'en jouir.

 

Au premier rang, parmi ces héritiers présomptifs plus ou moins accrédités se plaçait la Ville elle-même.

 

Nîmes possédait alors un maire qu'on a pu appeler sans exagération un grand maire : M. Duplan. Ce dernier avait une vision remarquable pour l'époque de l'organisation complexe que réclame l'édilité d'une noble cité appelée à développer sa prospérité commerciale et industrielle sans renier son passé illustre.

 

On peut dire de lui qu'il voyait à la fois beau et grand. Il eut voulu à la fois faire de Nîmes la cité des beaux-arts, héritière de Rome, et la cité des grandes institutions de bienfaisance, dignes des traditions communales qui mêlaient au souvenir de Fléchier celui d'industries célèbres occupant et nourrissant une nombreuse population ouvrière.

 

Comment un tel maire n'eut-il pas jeté son dévolu sur l'hôtel Rivet dont l'aliénation était imminente ?

 

La bibliothèque de la ville, confinée à l'étroit dans les dépendances du Lycée manquait d'air, encombrait les combles et empêchait le Lycée lui-même de respirer; l'Ecole de dessin étouffait dans un recoin du théâtre ; les collections lapidaires et d'histoire naturelle, faute de place, ne pouvaient s'enrichir et déménageaient au hasard des circonstances dans des asiles de fortune. Qui ne se souvient parmi les vieux Nîmois des serpents éventrés et des crocodiles moisis, suspendus le long de la cage d'escalier de la conciergerie de la Fontaine ?

 

La Maison Carrée si étroite servait de Musée omnibus où s'entassaient, côte à côte, tableaux, monnaies et trouvailles lapidaires.

 

Ne convenait-il pas de faire honneur à la cité en réunissant tous ces établissements scientifiques, littéraires, artistiques dans le même cadre architectural agrandi, au centre de la ville, pour le plus grand profit de la jeunesse, et d'un peuple chez qui l'instinct du beau éclot si spontanément dans l'ambiance d'un ciel et d'un sol complices ?

 

D'autre part, le couvent de la Miséricorde grouillait, si l'on peut dire, dans le pâté de maisons et de ruelles qu'occupe aujourd'hui l'emplacement des halles. Les services variés de la Miséricorde en faisaient un établissement de première importance et leur extension créait des difficultés de toutes sortes dans ce fouillis inextricable de venelles, de masures et d'échoppes. A chaque instant, des réclamations impérieuses faisaient sentir la nécessité ou de s'agrandir ou do chercher ailleurs une installation propice au développement d'une institution éminemment populaire.

 

M. Duplan avait donc de toutes façons l'emploi de l'hôtel de la préfecture au cas où la Ville en ferait l'acquisition.

 

Il songea d'abord à résoudre la question du couvent de la Miséricorde. Il donna la priorité à l'institution de bienfaisance et se fit comme le promoteur d'un avant projet favorable à l'installation de la Miséricorde dans  l'hôtel de la préfecture..

 

Mais dès le début le maire rencontra une opposition irrésistible et persistante dans la Commission des travaux publics. Il est vrai que cette Commission ayant pris plus tard à son compte le projet du maire se heurta à une hostilité du Conseil municipal aussi déterminée.

 

Ce fut dans une séance du Conseil municipal du 6 août 1857 que fut amorcée la question de la translation du couvent de la Miséricorde à l'ancienne préfecture, sous forme de simple projet soumis à l'étude du Conseil municipal.

 

La Commission des travaux publics fit à ce projet des objections basées sur l'inconvénient d'un pareil emplacement dans un quartier riche et de grande affluence, destiné à une école de jeunes filles et à l'assistance des pauvres honteux.

 

M. Duplan qui avait soutenu ce projet en proposant l'achat des maisons Brueys, Rogier et de Régis, je vis rejeté par une décision du Conseil municipal qui se prononçait pour le maintien de la Miséricorde dans son local et pour des réparations faites à celui ci.

 

Le 7 août 1857, le maire, qui ne perdait pas de vus l'aliénation prochaine de l'ancienne préfecture, signala alors l'insuffisance du local de la bibliothèque, l'exiguïté du Lycée dont la population ne cessait de s'accroître, l'obligation pour la Ville de refuser des dons de collections, faute d'espace, la dispersion fâcheuse ou l'absence regrettable d'établissements scientifiques et littéraires, tels que musée, bibliothèque, écoles dés beaux-arts et collections diverses. Il proposa au Conseil l'acquisition de l'hôtel de la préfecture pour y installer ces divers établissements. Il fit espérer qu'un avis favorable du préfet assurerait à la Ville la préférence au prix de 230000 francs qui avait été offert.

 

Le Conseil acquiesça à ce projet et dans la séance du 11 août, comme le préfet avait laissé entendre que le Département comptait sur un prix de vente de 250000 fr, le Conseil autorisa le maire à faire une offre de 240000 fr. pour l'acquisition de l'ancienne préfecture, appelée à devenir une sorte de palais des beaux-arts.

 

Mais dans l'intervalle des réclamations de plus en plus pressantes, des nécessités de plus en plus urgentes de réparations et d'agrandissements au couvent de la Miséricorde faisaient à la municipalité une obligation absolue de trouver une prompte solution pour l'aménagement suffisant et convenable de cet établissement de première importance.

 

La Miséricorde comptait de nombreux services très chargés, une crèche de 60 berceaux, une salle d'asile de 160 enfants, une école de jeunes filles de 150 élèves, une école d'adultes de 600 assistantes, une bibliothèque populaire, un noviciat de 8 à 10 novices et la communauté des religieuses.

 

Aussi dans la séance du 12 novembre 1857 le rapporteur de la Commission des travaux publics, peut-être de connivence avec le maire, affectait de rester fidèle au vote du 6 août en proposant d'aménager le couvent de la Miséricorde sur son emplacement même. Mais il apportait au premier projet des modifications et des extensions qui portaient les devis à près de 500000 francs et qui exigeaient pour leur exécution une certaine durée.

 

Le 15 décembre, le rapporteur de la Commission revenait sur ce projet mais le présentait agrandi. Il y englobait la rue Figuière et le devis s'élevait cette fois à 750 000 francs. C'est pourquoi, en vue d'éviter d'aussi grosses dépenses, la Commission, sans se déjuger, était d'avis de se ranger à la proposition d'affecter l'acquisition de l'ancienne préfecture aux services de la Miséricorde, si cette acquisition était consentie par le Département. Le service des écoles serait organisé à part et pourrait être effectué à côté et en dehors par location.

 

Cette proposition donna lieu de nouveau à une très vive discussion.

 

Les principales objections de la séance du 6 août furent reprises avec une très grande vivacité :

 

- Rencontre des jeunes filles de l'Ecole avec les élèves du Lycée aux mêmes heures de sortie ;

- Inconvénient de l'affluence et du tumulte de la Grand' Rue pour les pauvres honteux ;

 

Contraste choquant pour eux dans la proximité du marché où s'étalent les approvisionnements du luxe.

 

Par un nouveau vote, les conclusions de la Commission des travaux publics, qui avait pris à son actif et sous sa responsabilité l'ancien projet du maire, furent encore rejetées, et le Conseil revint à son projet d'aménager la Miséricorde le plus économiquement possible sur son ancien emplacement.

 

Cependant le 18 décembre 1857 l'administration préfectorale signifiait à la Ville l'acceptation de ses offres pour l'acquisition de l'hôtel de la préfecture, au prix de 240 000 francs, plus 14 520, fr. pour frais d'enregistrement.

 

Le 14 mai 1858, la Ville votait sur un emprunt l'affectation de 15 000 francs au paiement de ces frais.

 

Dès ce moment l'hôtel de la préfecture devenait donc municipal, mais sa destination tout en paraissant réservée aux institutions scientifiques, littéraires et artistiques, d'après le vote du 7 août 1857, restait en fait fort indécise pour deux raisons.

 

La première, c'est que l'idée de derrière la tète du maire était très probablement d'y installer la Miséricorde; la seconde, qui allait fournir le bon prétexte, c'est que les réparations et les transformations indispensables au bon fonctionnement du couvent de la Miséricorde s'imposaient avec une extrême urgence, rendaient nécessaire le transfert immédiat de ces services dans un local provisoire et que ce transfert n'était momentanément possible que dans l'hôtel de la préfecture nouvellement acquis.

 

Il fallait bien, malgré les votes du Conseil municipal ou plutôt sous apparence de donner suite à leur exécution, passer outre, aller au plus pressé et remettre à des temps plus heureux l'organisation de l'hôtel de la préfecture en une sorte d'institut groupant les écoles des beaux-arts, les collections et le musée.

 

Mais ce n'allait pas être sans des détours singuliers et compliqués.

 

Rien n'est intéressant comme la lecture de ces délibérations ou de ces rapports à travers lesquels on devine des intentions persistantes sous des fluctuations diverses, images de la vie et de ses compromis infinis.

 

Au moment où une résolution définitive paraît mettre fin à tout espoir de succès pour un projet, telle affaire nouvelle surgit qui en suspend les effets et par répercussion ouvre une issue favorable à des entreprises qu'on croyait avortées.

 

La séance municipale du 28 février 1859 est des plus suggestives en ce sens.

 

Une dépêche du Ministre de l'Instruction publique y provoqua l'examen par le Conseil municipal de la construction d'un nouveau Lycée.

 

L'agrandissement du Lycée par l'évacuation du local de la bibliothèque, décidée le 7 août 1857, devait être indéfiniment retardé si l'idée de l'installation provisoire de la Miséricorde à l'ancienne préfecture prenait corps. On prévoyait, en effet, un délai de quatre ou cinq ans au moins pour la reconstruction de la Miséricorde sur son ancien emplacement.

 

C'est pourquoi le Ministre de l'Instruction publique s'était mis d'accord avec le préfet pour soumettre à l'approbation du Conseil municipal la combinaison suivante :

 

1° Renoncer à la reconstruction de la Miséricorde ;

2° transférer celle-ci dans les bâtiments du Lycée ;

3° construire le Lycée sur un nouvel emplacement. Le prolongement de la rue dés Greffes jusqu'au boulevard et l'ouverture de magasins autour du Lycée devaient rendre l'opération avantageuse aux finances de la Ville. Quant à la création du nouveau Lycée, les fonds votés pour la Miséricorde, la valeur de l'emplacement du vieux couvent et la subvention de l'Etat devaient y suffire pleinement..

 

Ces sollicitations eurent pour tout résultat le renvoi de ces nouveaux projets à l'examen d'une Commission spéciale et celle-ci, le 2 mars 1859, sembla, recourir aux moyens dilatoires. Elle se prononçait pour une visite approfondie du Lycée en vue de s'assurer de son insuffisance et d'y remédier, soit en transférant une partie de l'enseignement à l'ancienne préfecture, soit en présentant un projet complet de construction..

 

Pendant. ce temps les achats d'immeubles se poursuivaient pour exécuter le projet d'alignement de la rue Guizot et pour compléter l'acquisition des maisons avoisinant le couvent de la Miséricorde,

 

Enfin, coupant court à toute tergiversation nouvelle, le 13 juillet 1859, le Conseil votait l'installation provisoire des sueurs de Saint-Vincent de Paul à l'hôtel de la préfecture. Les écoles des sœurs seraient provisoirement maintenues dans les locaux de la rue Guizot. Les aménagements de l'installation comprenaient :

 

1° la création d'un dortoir pour les religieuses au deuxième étage ;

2° celle d'un dortoir pour 60 orphelines, dans l'ancien emplacement des archives ;

3° l'établissement d'une chapelle au premier étage et la construction de bassins de lavage au rez-de-chaussée. La Commission des travaux, agréablement surprise du devis modéré de 12 739 francs, le proposait avec confiance à l'approbation du Conseil.

 

Celui-ci, dans la discussion, reconnut l'urgence de la translation et vota les fonds proposés. Certains membres firent même remarquer, non sans une secrète satisfaction peut-être, que les plans de reconstruction, rue Guizot, n'étaient pas encore revenus approuvés par l'Etat.

 

Malgré les assurances du maire qui déclarait l'approbation de ces plans imminente, on sentait très nettement que la reconstruction de la Miséricorde sur  son ancien emplacement était secrètement abandonnée: Déjà sous la pression répétée du Ministre de l'Instruction publique, il était question au Conseil d'un marché à la place de l'ancien couvent et du Lycée à l'hospice d'humanité. Ainsi étaient amorcés, dès ce moment, les deux projets importants qui aboutiront plus tard à la construction des halles actuelles et de notre Lycée national, boulevard Victor-Hugo.

 

En même temps, on laissait entrevoir l'établissement définitif des soeurs de Saint Vincent de Paul à l'ancienne préfecture.

 

Il est vraiment curieux de suivre pas à pas les détours captieux par lesquels on chercha à préparer un provisoire qui allait très vite devenir du définitif.

 

Encore, le 15 mai 1860 le Conseil, en votant 3571 francs pour le mobilier de la lingerie et de la pharmacie de la Miséricorde, exprima le vœu que le mobilier fut construit de façon à supporter une nouvelle appropriation, au cas d'un court séjour des sueurs dans l'immeuble !

 

Enfin Malherbe vint. C'est de la séance du 10 novembre 1860 que je veux parler.

 

M. le Maire annonça au Conseil que les Dames de la Miséricorde installées depuis la fin septembre dans leur nouvelle résidence, exprimaient à l'administration municipale leur très vive satisfaction et la priaient de donner un caractère définitif à leur installation en y apportant quelques améliorations complémentaires. Ces améliorations portaient sur le transfert de la chapelle, sur l'établissement d'une buanderie, sur la création d'un ouvroir et l'aménagement d'un dortoir. Le devis de tous ces travaux, à la grande satisfaction de tous, ne s'élevait qu'à la somme de 24125 francs.

 

A la suite d'un vote favorable à ces vœux, le Conseil fut tenu de revenir sur ses décisions du 7 août 1857, qui réservaient l'hôtel de la préfecture aux établissements scientifiques, littéraires, artistiques ; il se prononça pour l'affectation du Lycée à ces établissements dans un exposé assez poussé qui développait tous les avantages de cette double résolution.

 

La Miséricorde avait donc pris possession de l'ancienne préfecture telle que nous la connaissons par le dossier remis à la mairie le 21 décembre 1858.

 

Mais elle avait détaché de ses nombreux services celui de l'école de jeunes filles.

 

Ainsi, à peine installée, la communauté se trouvait à l'étroit pour l'ensemble de ses -oeuvres.

 

Il faut croire cependant que la possibilité d'une extension nouvelle du bâtiment avait été déjà étudiée sérieusement. Rappelons que M. Duplan, dans la séance du 6 août 1857, entrevoyait bien avant l'heure l'installation d'une école de jeunes filles dans un immeuble de la rue Dorée. D'autre part, des pourparlers très précis avaient dû être engagés dans le but de rapprocher l'école de la communauté. Dans sa séance du 10 novembre 1860, il est en effet question de l'acquisition de l'immeuble Martin (ancienne maison Pouzols) pour l'installation de l'école des filles, au prix de 21000 francs.

 

En tout cas, l'idée de percer sur la rue Dorée fait très vite son chemin et aboutit très rapidement.

 

Une volonté tenace, une direction maîtresse pour qui les obstacles sont promptement écartés ou tournés, fait sentir son intervention habile et efficace.

 

A n'en pas douter, la personnalité de la supérieure de la communauté de Saint Vincent de Paul n'a pas été étrangère au développement, aux transformations de notre bâtiment du côté de la rue Dorée. La soeur Pitra, par ses qualités personnelles, par l'autorité qui s'attachait à son nom, celui d'un prince de l'Eglise, son frère, grâce au concours de nombreuses notabilités catholiques, était de taille à mener rondement l'affaire. Elle voulait prés d'elle ses, religieuses affectées à l'enseignement et les écoles de Saint Vincent de Paul. Elle obtint satisfaction avec une rapidité qui tient du prodige pour qui connaît les lenteurs ordinaires de l'administration, c'est qu'elle connaissait l'art de s'y prendre pour emporter les adhésions et surtout le secret d'aider les bonnes volontés.

 

L'acquisition de la maison Martin, proposée le 10 novembre 1860 au Conseil municipal, n'était évidemment que le prélude et le gage d'une entente cordiale entre le maire et la supérieure. A défaut de rapport explicite vainement recherché dans les registres municipaux, à défaut de contrat de vente, perdu, peut-être, dans la poussière des archives municipales, à défaut de tout document fixant ou précisant les engagements verbaux des deux parties, deux faits précieux nous restent comme indices suggestifs de nos suppositions, le premier, c'est l'achat par la soeur Pitra, en 1861, de l'immeuble Brueys passé â un M. Teissier, et de celui-ci sans doute à quelque 'héritier nommé Gaussen (sur la matrice cadastrale, la mutation au nom de sœur Pitra est accompagnée de la double indication : Service public d'instruction ; à la commune en 1871), le second, c'est la délibération du 7 août 1861, par laquelle le Conseil municipal autorise l'achat et l'annexe au couvent des sœurs de Saint Vincent de Paul de deux maisons situées rue Dorée, les maisons Martin et Gaussen. Cette extension donnée à l'établissement de la Miséricorde avait pour objet de lui procurer à la fois une nouvelle entrée et la place nécessaire à l'installation des écoles que l'œuvre dirigeait.

 

Cette délibération donnait le détail des aménagements à exécuter dans ces deux maisons.

 

Trous les murs intérieurs à supprimer; l'escalier changer; la hauteur des étages à augmenter.

 

Dans la même séance, le rapporteur donnait communication d'une demande de la supérieure qui faisait appels à la générosité du Conseil pour obtenir un complément de travaux : création d'un dortoir supplémentaire pour les orphelines ; installation d'un étendage ou séchoir; mais elle se hâtait de prévenir l'assemblée qu'elle tenait à sa disposition, de la part d'une personne charitable dont le nom devait rester secret, une somme de 7000 francs pour concourir à l'exécution de ces travaux.

 

Comment ne pas croire en s'appuyant sur ces faits à un accord préalable entre le maire et la sœur Pitra, accord dont la date remontait peut-être à 1857. Pour que déjà, en août 1857, le maire se fut avancé jusqu'à signaler l'ouverture possible des écoles sur la rue- Dorée, il est plus que probable que les propriétaires des immeubles Gaussen et Martin avaient été pressentis et s'étaient déclarés vendeurs accessibles.

 

Lancée sur cette piste, la supérieure n'avait pu manquer de s'assurer le concours des bonnes volontés par des arguments irrésistibles.

 

La municipalité trouvait-elle l'acquisition de deux immeubles onéreuse et consentait-elle seulement à l'acquisition de l'immeuble Martin?

 

Qu'à cela ne tienne ! La supérieure se fait forte d'acquérir en son nom la maison Brueys et d'en faire une annexe.

 

Les transformations à opérer dans ces deux maisons réunies soulevaient elles des difficultés de propriété, de remise en état au cas possible d'un retour à l'ancien ordre des choses

 

La supérieure dissipe ces craintes en s'engageant à faire don de l'immeuble à la Ville, en autorisant de sa présence l'aménagement de fond en comble qui des deux maisons n'en fera plus qu'une.

 

Les demandes de construction sur les anciens bâtiments de la préfecture risquaient-elles d'enrayer le Conseil municipal par la, perspective de dépenses nouvelles et imprévues, s'ajoutant à un devis déjà respectable.

 

Une personne charitable et discrète se tient tout à côté dans~la coulisse pour offrir 7000 francs qui paieront la plus, grande partie de ces travaux.

 

Une assemblée pas plus qu'un maire bienveillant ne sauraient résister à des raisons aussi décisives et il est nature; que la question des écoles et des réparations ait été vite réglée sous la pression d'une 'volonté active qui trouvait réponse à tout.

 

Faute de documents qui confirment ces arrangements, on a toutes les raisons du monde de les supposer tels et l'on ne court, pas grand risque, j'imagine, de s'exposer à. de gravés démentis sur ce sujet.

 

L'initiative d'une extension nouvelle de l'ancienne préfecture revient donc à la supérieure autant qu'au maire et à la municipalité.

 

L'entrée des religieuses dans l'ancien hôtel Rivet a valu à celui-ci une trouée sur la rue Dorée par l'occupation totale des immeubles Pouzols et Brueys.

 

Désormais il semble que la prospérité de l'établissement principal, quelle que soit sa destination, soit en fonction de son développement dans les annexes de la rue Dorée, ainsi que le montrera la suite de notre étude.

 

La reconnaissance légale de la communauté des sœurs de Saint Vincent de Paul ne fut prononcée qu'après tous ces accords, le 2 décembre 1861.

 

Nous n'avons pas à faire ici l'historique du séjour des religieuses de Saint Vincent de Paul dans l'ancienne préfecture, pas plus que nous n'avons fait celui du séjour des préfets de la Restauration, de la Monarchie de juillet, de la deuxième République et de l'Empire dans l'ancien hôtel Rivet.

 

Les religieuses occupèrent la maison de fin septembre 1860 jusqu'en 1899, pour l'immeuble de la Grand'Rue (date de la création du collège), et jusqu'en janvier 1901 pour les annexes de la rue Dorée (date de la laïcisation du bureau de bienfaisance).

 

Ce ne fut pas sans des fluctuations inséparables de tout établissement qui, selon le mot du poète, vient tard et dure peu.

 

Il y eut d'abord la période de la pleine possession et même d'un léger agrandissement.

 

En 1868, par une délibération du 14 février, le Conseil municipal avait voté l'acquisition du petit magasin Rogier et de la petite maison de M. de Régis qui empiétaient sur la cour de la Miséricorde et faisaient face à la rue de la Prévôté. Toutefois la disparition de la fosse, d'aisance s'étendant sous cette maison était exigée comme condition expresse afin de ne pas créer de servitude gênante pour la Miséricorde.

 

Le prix de 12000 francs ayant paru élevé, M. de Bernis, l'un des membres du Bureau de bienfaisance, informa, le maire qu'il tenait à sa disposition de la part d'une personne charitable et discrète la somme de 8000 francs. Le Conseil, sensible, à cette généreuse offrande, n'en maintint pas moins sa condition et l'acquisition fut définitive le 14 août 1868.

 

Cette période de prospérité pour la maison de la Miséricorde devait se prolonger jusque vers novembre 1882.

 

A coup sûr, en cet espace de vingt deux ans, plus d'un remaniement de détail dût être apporté dans cette maison aux multiples services, au personnel nombreux.

 

L'ensemble n'en resta pas moins ce que l'avait fait la sœur Pitra

 

Un établissement très imposant, avec une affluence un peu criarde du côté de la rue du Chapitre réservé à l'assistance et à la crèche, avec un mouvement plutôt bruyant et tumultueux du côté de la rue Dorée affecté aux écoles et à l'orphelinat. L'entrée principale sur la Grand'Rue gardait l’aspect silencieux et réservé qui convient à l'accès d'une communauté religieuse

 

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