LA TRADITION DU PAPEGAY A NIMES


Les Roys du Papegay à Nîmes
par Albin Michel, 1878.
Edition Clavel-Ballivet, 12 rue Pradier à Nîmes.

­
Au moment où, suivant l'exemple d'un grand nombre de villes de France, Nîmes vient de créer une Société de tir destinée à développer chez la jeune génération le goût des armes et des exercices d'adresse, l'attention de beaucoup de personnes s'est portée sur l'organisation de ces Sociétés qui ont trouvé de nombreux précédents dans les contrées voi­sines. Il ne faudrait pas croire cependant que la France soit sous ce rapport en retard sur les autres nations et que l'idée des Sociétés de tir soit nouvelle pour elle.

Si le lecteur quittant le terrain des documents modernes veut bien nous suivre dans les recherches que nous avons faites dans nos anciennes annales françaises et surtout dans nos archives locales, il verra que la ville de Nîmes a, de longue date, manifesté un goût très prononcé pour les jeux d'adresse et que le tir â l'arbalète d'abord, à l'arquebuse ensuite, fut pendant longtemps l'exercice favori de la jeunesse nîmoise.

Cet usage commun à presque toutes les villes de France était surtout en grande faveur en Provence et dans le Lan­guedoc. En effet, nous lisons dans Ménard que le 18 mai 1363 le prix du tir consista en une tasse d'argent pesant un marc d'argent et dont les Consuls firent la dépense. En 1505, ces magistrats offrirent deux douzaines d'écuelles d'étain aux archers et aux arbalétriers pour les engager â se perfec­tionner dans leurs exercices. En 1517, ils donnèrent deux livres tournois pour le même objet et en 1529 dix livres tournois (1).

(1) Voir Ménard, Preuves, titre XLV et LV.

Ce jeu avait pris un nom tout particulier, celui de Papegay.

Le mot Français Papegay ou Papegant, en Provençal Papegai ou Papapeguay, en Catalan Papagall, en Espagnol Papagayo, en Portugais Papagaio, en Italien Papagallo, en Arabe Babbaga est l'ancien nom qu'on donnait au Perroquet. Dans le principe, c'était l'oiseau de bois ou de carton qu'on mettait au bout d'une perche pour servir de but à ceux qui disputaient le prix du tir.

Ce jeu, devenu très-populaire, était régi par certains règlements qui, se perpétuant d'année en année, avaient fini par passer pour ainsi dire dans les moeurs et avaient même donné naissance â certains droits et privilèges spéciaux.

Voici en substance quel était le programme des fêtes aux­quelles ce jeu donnait lieu.

Le 1er mars de chaque année, celui qui lors de la fête pré­cédente avait gagné le prix de l'arquebuse et qui portait le titre de Roy du Papegay, faisait battre le tambourin par la ville afin que tous ceux qui voulaient tirer à l'oiseau se ren­dissent à sa demeure, se fissent inscrire, payassent un droit déterminé d'avance, et venant s'arranger sous sa bannière, se missent sous ses ordres.

Partant en cortège de la maison du Roy de l'année précé­dente et suivant la bannière ou enseigne de la compagnie, les jeunes gens inscrits se rendaient au lieu du tir. Là, après une revue passé par les dignitaires du Papegay et les Consuls, les exercices commençaient.
­
Après que l'oiseau avait été abattu, le Roy du Papegay proclamait à haute voix le nom du vainqueur qui était à son tour acclamé Roy pour un an. - Les jeunes gens inscrits prêtaient serment entre ses mains de l'accompagner le di­manche qui était destiné aux exercices ainsi qu'aux revues soit avant de planter l'oiseau soit après qu'il avait été abattu.*

Le Roy nouvellement élu choisissait ses officiers, savoir : un capitaine, un enseigne, quatre sergents et un contrôleur, et ceux-ci désignaient à leur tour les membres qui devaient composer le Conseil de l'ordre.

Le premier dimanche de mai, le Roy du Papegay et ses officiers offraient un banquet à la jeunesse inscrite sur les rôles et des réjouissances avaient lieu. Pendant tout ce temps, le Roy du Papegay devenait pour ainsi dire la pre­mière autorité de la ville, et il était exempt d'impôts pen­dant toute la durée de sa royauté éphémère.

Dans certaines villes (à Beaucaire par exemple, le vain­queur avait le privilège de vendre du vin et de faire cabaret durant l'année, sans payer le droit de souquet (qui était le sixième du prix du vin vendu).

En Bretagne, les anciens ducs avaient accordé certains privilèges analogues à celui dont nous parlons. On comptait trente-trois villes ou bourgades dans lesquelles le vainqueur au tir du Papegay, jouissait pendant un an de l'exemption du droit d'impôt et billot, jusqu'à concurrence de vingt tonneaux de vin. A Rennes, c'était de quinze ; dans d'autres endroits de vingt barriques. (Voir Denisart. Paris 1773, t. III, p. 498. Alex. Eyssette, Hist. de Beaucaire, t. II, p. 95).

On comprend que cette prérogative dût être défendue vive­ment par ceux qui pouvaient s'en prévaloir ; aussi voyons­nous que le 17 avril 1605 le Roy du Papegay ayant réclamé ses privilèges personnels, sur sa requête, le Conseil de ville délibéra qu'à l'avenir celui qui abattrait l'oiseau, serait exempt de toutes tailles et impositions publiques durant l'année de sa royauté, soit qu'il fut père et chef de maison , soit qu'il ne fût que fils de famille.

On sait que le titre de Roy se donnait à divers corps pour exprimer celui qui en était le supérieur : - "Il n'y a dignité temporelle en France, dit Pasquier, qui entre en compa­raison aveques celle de Roy, et néantmoins, il n'y a parolle en laquelle nos devanciers se soient tant licentieusement débordés qu'en cettecy en subjets, les uns plus ravalez, les autres plus relevez ; Roy des merciers, Roy des poëtes, Roy des arbalestiers, Roy d'armes, Roy des Ribaux, je vous laisse celui de la basoche, qui a lieu entre les clercs du Palais. Et serait très-malaisé, voire impossible de dire pourquoi on honora les Supérieurs de ces six ordres du nom de Roy au désavantage de tous les autres."

Pendant de longues années les choses durent se passer de la même manière car nous ne trouvons trace d'aucun évènement saillant dans notre histoire locale. Ce n'est que dans les derniers jours du 16e siècle et dans les premiers du 17e que les troubles qui ensanglantèrent toute la France durent appeler l'attention des autorités sur le port des armes.

On sait notamment qu'en 1601 Henri IV dût par des édits réglementer le droit de chasse et que par une déclaration précédente en date du 4 août 1598 il défendit le port des armes à feu sous peine d'amende et de confiscation pour la première fois et de la vie en cas de récidive. (1).

Le dimanche 5 mai 1602 , nous dit Ménarcl (2) , les jeunes gens qui s'étaient préparés au jeu du Papegay, soit à l'arquebuse soit à l'arbalète, allèrent sur les sept ou huit heures du matin à l'Hôtel de Ville où les consuls étaient assemblés pour se rendre au prêche au Temple de la Calade et leur demandèrent la permission de tirer au Papebay. Les consuls craignant que l'exhibition et le bruit des armes à feu, le son du tambourin et l'agitation forcée d'une multitude en armes ne fût une cause de trouble et d'émotion dans la Ville assez impressionnable dans ce moment, refusèrent cette autori­sation en disant que les édits en vigueur interdisaient le port des armes, que les magistrats seuls pouvaient donner cette autorisation et que c'était à eux qu'il fallait s'adresser.

­(1). Cette déclaration n'était que la reproduction des édits de Charles VIII, du 25 septembre 1487. - De François Ier, du 9 mai 1539 et du 16 juillet 1546, - de Henri II. du 25 novembre 1548, et du 28 novembre 1549, - de François II du 7 septembre 1558, 23 juillet et 17 décembre 1559 et 5 août 1560, - de Charles IX du 21 octobre 1561, - 30 août 1565 et 12 février 1566.
(2). Voir Ménard, Histoire de Nîmes, tome I

Après cette réponse, croyant avoir éludé la question en rejetant la responsabilité d'un refus sur les magistrats, les consuls revêtus de leur chaperon rouge se rendirent au prê­che, mais quel ne fut pas leur étonnement lorsqu'à la sortie du sermon ils entendirent tirer des coups d'arquebuse. Ils comprirent alors que leur autorité avait été méconnue et que la jeunesse nîmoise n'avait pas tenu compte de leurs observations. En conséquence, ils convoquèrent immédiate­ment le Conseil de ville ordinaire et celui-ci mis au courant de ce qui s'était passé, décida qu'il fallait envoyer une dépu­tation au lieutenant criminel et aux autres magistrats pour leur exposer que ce n'était ni de leur aveu ni par leur per­mission qu'on tirait au Papegay, pour les supplier d'inter­poser leur autorité et de remédier à une contravention si manifeste aux édits sur la défense du port d'armes.

Je n'ai pu trouver aucun document relatif à la suite de cette affaire qui dût probablement se terminer d'une manière toute pacifique. Ce qu'il y a de certain, c'est que la jeunesse nîmoise jalouse de ses prérogatives, fit des démarches nom­breuses pour être maintenue dans ses privilèges. Elle s'adres­sa directement au roi Henri IV qui lui délivra des lettres patentes datées de Fontainebleau , le 8 novembre 1604 et ainsi conçues :
« Henry par la grâce de Dieu, etc.. .
« Les consuls de la ville de Nismes en Languedoc au nom de la jeunesse de ladicte ville, nous ont faict remontrer que d'ancienne coustume et par plusieurs priviléges à eulx con­ceddez, ils ont eû droit de faire exercer leur dicte jeunesse chascun an, au moys de may, à tirer le Papegay, les ungs à l'harquebuse et les aultres à l'arbalestre au dedans de l'enclos de la ville, fossés ou faubourgs d'icelle, mais que sous prétexte des édits on s'est efforcé d'interdire lesdits exercices.
Nous , recongnoissant que ces exercices sont mesmes honnestes , proffitables et utiles au publicq et au bien de nostre service, à ces causes, désirant gratiffier les supplians, et notre dicte ville estre garnie de gens industriels pour la déffance d'icelle à l'encontre de nos ennemis, avons confirmant lesdicts privilèges, donné, octroyé et permis, comme par ces présentes, donnons, octroyons et permettons ores et pour l'advenir et à perpétuité à la jeunesse et habitans de ladicte ville de Nismes de continuer les dits exercices à arquebuze et arbalestre une fois l'an, comme ils ont accoustumé dans l'enclos, fossés et faubfourgs d'icelle, tambourins battants et avec leurs enseignes et en la forme et manière qu'ils ont accoustumés faire, en se comportant au reste modestement et sans excès, sans qu'il leur puisse estre donné aulcun trouble ny empeschement par nos lieutenants généraulx, Sénéchal de Beaucaire ou son lieutenant à Nismes, officier et autres.
Donné à Fontainebleau le VIIIe jour de novembre l'an p de grâce 1604 et de nostre règne la seizième."

Après la mort de Henri IV, son fils Louis XIII fut appelé à donner de nouvelles lettres patentes dont le texte nous a été conservé dans les archives de la ville et qui étaient conçues en ces termes :

A Dieu soit honneur et gloire, victoire et obéissance à nôtre souverain prince Louis XIII, Roy de France et de Navarre.
Loix et ordonnances de la Jeunesse de Nismes tirant le Papegay et le prix à l'arquebuse.
I - Aulcun ne sera receu a tirer qu'il ne jure d'observer les, présentes loix et ordonnances.
II - Qu'il ne promette aussy de ne jurer point le nom de DIEY et de n'uzer d'aulcun blâphème ou autre meschant seremant, voire mesmes de ne tenir aucun mauvais et vilain propos, en quoy faillant sera pour la première fois amandé de deux sols six deniers et pour la seconde de cinq sols quy seront mis en la bouette et continuant sera privé du droit de tirer.
III - Jurera en suitte d'estre bon et fidelle subject du Roy et de procurer en bon habitant le bien de la ville.
IV - Les susdicts sermant prestés, aucun ne pourra estre en­rollé et reçeu à tirer, qu'il naye suivy et accompaibné le Roy avec les autres chefs pandant qu'on fera la revue par la ville.
V - Incontinant que le Papebay sera abattu, celluy qui l'abat­tra et mettra en pièces sera faict et crié Roy des Arquebu­ziers de la ville pour toute l'année et sera tenu de jurer et prester le sérement acoustumé entre les mains du Roy pré­cédant de garder de point en point les ordonnances de l'art de l'arquebuze, sans favoriser en la compagnie l'un plus que l'autre.
VI - Le Roy ayant esté crié, il sera tenu de constituer ung lieutenant et ung garde bouete pour de l'argent qui sera mis en icelle pourvoir aux choses necessaires, sera aussy tenu de fere deux conseilhers avec lesquels et son dit lieutenant il jugera des queshons et débats quy se pourroient mouvoir entre les arquebusiers dont il aura cognoissance pour y mettre paix et bon accord.
VII - Lhors que tous les arquebusiers seront assemblés lun des jours du mois de may pour tirer le Papegay chacun sera tenu bailler la cuvette de son arquebuse au Roy ou à son lieutenant oubien à son trésorier, et seront les dits arque­busiers tous mis en. escript nom par nom et bailheront cinq sols pour homme ou autre somme telle que sera advizée et ce pour payer et subvenir aux frais du prix.
VIII - Le Roy pourra prendre une piece en lieu d'icelle vingt-cinq sols de l'argent bailhé par les arquebusiers et ce appres sera mis et appliqué aux prix.
IX - Le Roy est franc et quitte durant son année de tous dépens.
X - Sera à la volonté du Roy de fere banquer ou non.
XI - Durant tous les jours qu'on tirera au Papegay, chacun des arquebuziers sera tenu accompaigner le Roy par la ville et jusques en sa maison apeyne de cinq sols pour che­cun des diffaillants, les dites amandes applicables à la bouete.
XII - Quy ny se sera treuvé aulcungz du Papegay et venu tirer au prix ou joyes de la ville sera tenu de payer la somme qui auront payés ceux qui auront tiré au Papegay, autrement ne sera point reçu aux prix.
XIII - Pour empêcher que le prix ne soict emporté hors la ville par des estrangers, aulcun ne sera reçeu au Papegay ou au jeu du prix qu'il ne soict ou faict de la ville ou pour le moings habitant d'icelle.
XIV - Quand le prix se jouera et que checun sera advertif de l'heure assignée sera permis au Roy avec le nombre des présens de commancer a jouer et tirer au prix en attendant les autres.
XV - Despuis quon aura commencé a jouer au jeu duprix per­sonne ne tirera hors du blanc pour plaisir a peine de vingt sols applicables a la houete.
XVI - Venant le tour de quelcun pour tirer sy aulcun va devant ny voulant tirer et aussy quy ira sur le blanc voir le coup d'autruy autres due les depputtés pour adviser les dits coups seront amandés de cinq sols pour chacune fois à mettre à la bouette et ce pour esviter aux inconvenians quy sen pour­roient en suivre.
XVII - Si aulcun arquebuzier tire avec deux balles il sera privé de tirer, durant tout ce-jour et s'il avait goigné avec les dites deux balles le coup ne luy vaudroit rien ny aussy les autres qu'il paurroit avoir faictz et gaignés au paradvant sy aulcun est veriffié par le Roy et attesté par aulcun de la compagnie.
XVIII - Ne sera permis a aulcun mettre la meche sur la serpantine qu'il ne soict au lieu marqué que le Roy aura ordonné ny aussy de passer dans la trouppe la meche aussy couchée à peine de cinq solz a la boucte pour checune fois.
XIX - Celluy quy naura jamais joué au prix et donné au blanc sera tenu de donner à la Compagnie dix solz et prendre le seremant acoustumé.
XX - Checun des arquebusiers sera tenu se contenter des joyes que bon aura semblé au Roy avoir mis et posé sans que per­sonne se puisse plaindre de la qualité des dites joyes.
XXI - Quand on viendra à jouer le coup acoustumé checun se contentera de jouer avec celluy qui sera choisy sans alleguer fort ou foible.
XXII - Personne ne démantira, ne prendra question contre aulcun de la Compagnie a poine de cinq solz a la bouete.
XXIII - Aucun ne pourra tirer aux joyes sans avoir paye checun jour de dimanche le denier deub (dû) a la bouete des pouvres.
XIV - Le Roy sera toujiours advantagé a tous autres pour tirer le premier tant au Papegay qu'aux joyes et apprès luy ses officiers et sy aulcun y contrevient ét ne demande permis­sion au Roy payera deux solz six deniers a la bouete.
XXV - Le Roy vieux sera tenu de lire et publier a haute voix en la presence des arquebusiers les présentes loix et ordonnan­ces et checun d'eux levera la main promettant les observer de point en point et inviolablement (1).

(1) Archives de la commune de Nîmes. Registre A 5.

Comme on le voit par cette lecture, l'exercice du Papegay devait donner lieu à des fêtes (ou joyes) pendant lesquelles-le Roy en fonctions offrait certains prix qui, dans le principe étaient de peu de valeur, mais qui peu à peu prirent plus d'importance.

Le banquet qu'aux termes de l'article X de l'ordonnance sus énoncée le Roy avait la liberté d'offrir, mais que par amour-propre il donnait toujours, devint une occasion de dépenses toujours beaucoup trop fortes pour l'adroit tireur qui avait remporté le prix, aussi voyons-nous qu'en 1633 et le 30 mai, le conseil de l'ordre du Papegay, rappelant les décisions prises les années précédentes, et pour diminuer les frais à la charge du vainqueur, décida que les violons qu'on faisait venir de la ville de Tarascon seraient payés moitié par le Roy du Papegay, et l'autre moitié par le capi­taine et par l'Enseigne.

Les revues et promenades dans la ville devaient se faire avec une assez grande solennité et dans l'ordre suivant : La marche était ouverte par un peloton d'arquebusiers, - venaient ensuite les tambourins, - les sergents du Pa­pegay avec leurs hallebardes, - l'Enseigne portant l'éten­dard de la compagnie, - des conseillers portant le prix et le mannequin, - les violons et hautbois de Tarascon, - les officiers du Papegay revétus de leurs écharpes, - le capi­taine et le Roy du Papegay accompagnés des consuls de ville en exercice, - les conseillers de l'ordre, - le contrô­leur, enfin un peloton d'arquebusiers devaient fermer la marche.

C'est dans cet ordre que l'on parcourait les rues de la ville et des faubourgs avant de se rendre devant le château où se faisait le tir. On commençait alors à élever le mat au haut duquel le but était attaché, on mesurait la distance à laquelle devaient se placer les tireurs, le contrôleur perce­vait les droits dûs par tous ceux qui s'étaient fait inscrire et le sort ayant désigné l'ordre dans lequel chacun devait tirer après le roi de l'année précédente et ses officiers, l'exer­cice commençait.

On comprend que la foule qui était toujours considérable devait applaudir ou critiquer selon l'adresse du tireur et selon qu'étant de son parti ou du parti contraire, il avait ou non ses sympathies, il fallait donc exercer une grande sur­veillance autour des concurrents, soit pour éviter des acci­dents ou des tromperies, soit pour maintenir le bon ordre. Aussi en 1637 le Conseil décida que les sergents étant sans hallebardes aux revues qui se font dans la ville, il en serait acheté huit avec l'argent de la caisse, que ces hallebardes seraient déposées chez le Roy du Papegay et que celui-ci les remettrait l'année suivante au nouveau Roy élu qui en ferait la remise aux sergents et ainsi de suite.

Les officiers et enrôlés avaient-ils un costume spécial ou un signe distinctif ?

Rien ne nous l'indique d'une manière certaine pour les enrôlés, nous savons seulement que le Roy portait l'écharpe généralement bleue avec franges d'argent qui était la pre­mière récompense donnée au vainqueur. Quant au Capitaine­Enseigne, c'est lui qui avait l'honneur de porter le dra­peau de la corporation et il en était le dépositaire pendant toute l'année, les sergents ainsi que nous l'avons dit plus haut, portaient la hallebarde.

Il semble cependant qu'il devait exister un signe de rallie­ment quand ce ne serait que dans l'intérêt de la discipline, de la régularité dans les opérations du tir et dans la per­ception des droits et des charivaris. Ce qui rendrait la chose probable, c'est précisément la variété des éléments dont se composait la corporation dont les rangs étaient ouverts îî tout le monde puisqu'il suffisait de se faire inscrire chaque année et de payer les droits. Toutes les classes de la So­ciété étant ainsi mélangées, les uns ayant seuls le droit de porter habituellement l'épée, une exception sur ce point avait été probablement admise ce jour-là en faveur des simples bourgeois, puisque nous voyons dans la délibération du conseil de ville en date du 4 mai 1615 que ceux qui voulaient tirer devaient se présenter à trois heures devant l'Hôtel de Ville avec leurs arquebuses et épées et en bon équipage, il est donc probable qu'en sus de l'épée les simples arquebusiers devaient porter une cocarde ou des rubans de la couleur de l'écharpe des officiers et que c'était â ce signe qu'on les re­connaissait.

Le 18 septembre 1638 des réjouissances publiques devant avoir lieu à Nîmes, à l'occasion de la naissance du Dauphin qui fut plus tard Louis XIV, les officiers du Papegay et les Consuls mandatèrent un bon de 75 livres au sieur Guiran, marchand, pour un drapeau neuf, l'ancien étant usé, et pour des écharpes pour les officiers.

Les prix donnés avaient une certaine importance et étaient à peu près toujours les mêmes, leur achat faisait chaque année l'objet d'une délibération spéciale dont voici un exem­ple :
Le 13 janvier 1638 le Roy du Papegay, ses officiers et conseillers assemblés pour sçavoir quelles armes et libvrées sachcipteroient pour la sortie de l'oiseau qui se doibt fere la présent année, auroit suivant la proposition faite par Monsieur du Bois este arresté que pour le prix de l'oiseau serait acheipté un fuzil, une escharpe bleue avec des dentelles d'argent de la grandeur quy sera advisée par ceulx qui l'acheipteront, une espèce argentée à la mode, un baudrier à blouques d'argent ou en broderie au melheur mesnage quy pourra ; et pour le prix sera aussy acheipté deux chaines d'or, l'une pesant plus que l'autre, ce qui sera advizé : et pour ce quy est de l'oiseau et faguin sera comme ils trouveront bon. Fait au logis que tient l'Engevin le mercredi XIII janvier matin de l'année MVI.XXXVIII. - Couston Capitaine. - Du Bois Roy. - Soullière, capitaine-enseigne. - Terenain, enseigne. - Moulière, sergent. - E. Reynaud, conseiller. - Pizon. - Boschier. - Chalas, sergents. - Guiraud, conseiller. --- E. Tinellis, assesseur d'enseigne. - Dengarran, asseseur d'enseigne. - Benoit. - Rey. - Peiraube. - Lacoste, conterolleur et secretaire, signés.

En 1647 nous trouvons dans les archives de la ville du Nîmes le texte d'une délibération qui complète la précédente et explique ce qu'était le mannequin ou faguin dont nous avons parlé plus haut, la voici dans sa teneur complète :
Nous officiers du Papegay assemblés chès un cappitaine-enseigne pour desliberer sur le subject des achaipts des armes qu'il conviendra avoir pour la sortie du Papegay qui sera le premier dimanche du mois de mars prochain, a cet effect a este resollu premièrement qu'on ferait un Papegay â l'accoustumée avec une escharpe de colleur gris de linne avec dantelles or et argent et passement et petite dantelle autour, plus une espée avec sa garde argentée et dorée, la poignée argent fin avec son santuron et blouques d'or et argent, et ung fuzil valleur de trente livres ; et pour le prix on faira faire ung Vénus, laquelle sera couverte de thoille d'argent faux, avec un galant un genoux â terre, vestu, et pour l'assortiment du quel prix seront achaiptés deux fuzils de mesme valeur de dix escus. Et pour faire l'achaipt desdictes armes, avons prié le sieur Baudan Roy, le sieur Richard, Cappitaine-Enseigne, le sieur Dengarran sergent, le sieur Rouvière, recepveur, le sieur Turion, le sire Bonnissel et sieur Prades, conseiller du Roy qui aura soing d'en faire ung roolhé. Et se sesont signés le dit jour 4 febvrier 1647. Baudan Roy, Richard, Enseigne, Fontfroide, Turion, Peschier, Rouvière, Privat, Dengarran, André, Badouin, Rey, Roure, Prades, conseiller et secrétaire.

Enfin pour épuiser cet ordre d'idées, voici le duplicata de la quittance donnée par le peintre auteur du sujet allégorique imposé:
Je soussigné Pommeau, peintre de la présente ville de Nîmes, confesse avoir ci-devant reçu de M. Nouy Koy du Papegay de Messieurs ses officiers et des mains du sieur Fourrat recepteur du dit Papegay, la somme de quarante livres, et cest pour avoir fait une figure d'Hercule de relief de sept pans de hauteur, vestue d'une peau de lion, tenant sa massue de la main droicte et de la gauche portant trois couronnes, supporté d'un pied d'estail orné d'un balustre dont les panneaux sont enrichis de quelques histoires du dit Hercule, le tout sur un chariot triomphant ; Nîmes ce dix-sept avril mil six cent cinquante trois.
Pommeau, signé.

Maintenant que nous connaissons l'organisation intérieure, de la corporation du Papegay, nous allons voir quelles étaient les armes dont se servaient les membres actifs de l'ordre.

Les armes à feu en usage au commencement du XVIIe siècle étaient l'harquebute, l'arquebuse et le mousquet et voici leur description :

Le nom d'harquebute vient de l'allemand Hakenbüchse qui signifie canon à croc de Haken croc et Büchse canon d'arme à feu, et voici la définition que nous en trouvons dans le dictionnaire de Dupiney de Vorepierre.
Les premières armes à feu portatives qui parurent vers l'année 1380 furent appelées canons à main. Elles consistaient en un tube de fer de 12 à 15 kilogrammes, qu'on chargeait ordinairement avec des balles de plomb et qu'on appuyait sur un chevalet pour les tirer ; - on y mettait le feu avec une mèche allumée, comme naguère encore on le pratiquait pour l'artillerie. (Figure n° 1.)


Ces engins de guerre étaient extrêmement lourds et fort peu maniables, aussi on remédia bientôt à cet inconvénient en diminuant la longueur et le poids du tube et en adoptant à son centre de gravité, deux tourillons servant d'axe de rota­tion et reposant sur une fourchette appelée croc. De plus, le canon fut terminé par une poignée que l'on tenait de la main gauche, tandis que la main droite portait le feu à la lumière. - Ainsi perfectionnés, les canons â main reçurent, d'abord le nom d'harquebutes, puis celui d'arquebuses à croc. (Figure n° 2.)


Vers 1480 une nouvelle amélioration fut introduite dans la fabrication de ces armes. On en fit dont le canon était fixé à un fût de bois muni d'une crosse cintrée pour s'appuyer à l'épaule.

Ces nouvelles arquebuses avaient la lumière percée sur le côté et portaient une sorte de bassinet destiné à recevoir la poudre servant d'amorce. On y mettait le feu avec une mèche que tenait la main droite pendant que la main gauche appuyait le fût contre l'épaule. Néanmoins la plupart d'en­tre elles étant encore trop lourdes pour qu'on pût les mettre en joue sans point d'appui, on appuyait le bout du canon sur une béquille ou fourchette plantée en terre. Ces armes conser­vèrent le nom d'harquebutes, tandis que celles qui étaient assez légères pour qu'on pût les tirer à main libre, furent désignées sous celui d'arquebuses, des mots italiens, arco arc bugîo trou, arc-troué. (Voir la figure n° 2.)

Quoique les arquebuses eussent été rendues assez légères pour être tirées sans autre appui que l'épaule, elles étaient cependant d'un service incommode à cause de l'obligation où l'on se trouvait de viser en même temps qu'on mettait le feu. Ce fut pour remédier à cet inconvénient qu'on imagina la platine à mèche ou à serpentin et la platine à rouet.

La platine à serpentin prit naissance au commencement du XVIe siècle, mais on ignore dans quel pays. Elle consistait en une espèce de bascule appelée serpentin à cause de sa forme qu'un petit ressort tenait éloigné du bassinet et qu'on forçait à s'en rapprocher à l'aide d'un levier qu'on pressait avec le doigt. (Voir la figure n° 3).


Le serpentin tenait entre ses mâchoires un bout de mèche allumée qui communiquait le feu à l'amorce.

La platine à rouet parait avoir été inventée à Nuremberg en 1517. Une petite roue d'acier, cannelée à son pourtour, était fixée sous le bassinet au fond duquel elle pénétrait à travers une fente. Son axe était muni d'une chaînette dont l'extrémité opposée s'attachait à un ressort disposé â peu près comme celui d'une montre. Une pièce de fer recourbée, appelée chien, se trouvait fixée en arrière du bassinet. Ce chien tournait autour d'une vis par l'un de ses bouts, tandis que l'autre était muni de deux espèces de dents ou mâchoires entre lesquelles on plaçait un fragment d'alliage, d'antimoine et de fer.

Quand on voulait faire usage de l'arme on ouvrait le bas­sinet qui se fermait avec une coulisse, on abaissait le chien de manière que la composition métallique se trouvât on con­tact avec le rouet, puis, à l'aide d'une petite clé, on bandait le ressort de ce dernier, absolument comme on monte une montre. Une détente maintenait le ressort en place quand il était arrivé au bandé, mais aussitôt qu'on pressait sur cette détente, le rouet, obéissant à l'action du ressort, décrivait une demi-révolution sur son axe, et le frottement de ses can­nelures sur l'alliage produisait des étincelles qui enflam­maient l'amorce.

L'invention de ces deux mécanismes donna naissance à deux espèces d'armes à feu. Les arquebuses à rouet qui étaient relativement légères furent destinées à la cavalerie, tandis que les arquebuses à mèche qui étaient beaucoup plus lourdes, mais dont le mécanisme plus simple était moins sujet à se déranger, furent données, à l'infanterie. Ces der­nières se tiraient à l'aide d'une fourchette ; elles lançaient une balle de 32 à la livre et plus tard une balle de 24. (Voir la figure n° 3)

C'est vers le milieu du XVIe siècle que paraît avoir été imaginé le mousquet. Cette arme qui fut d'abord en usage en Espagne, différait des arquebuses par la forme de sa crosse qui était moins recourbée ou tout à fait droite et par son calibre qui était plus considérable.

Son nom lui vient, dit-on de moschetta, petite mouche, qui lui aurait sans doute été donné en manière de plaisan­terie, à cause de la grosseur de ses projectiles. En effet, ses balles étaient d'abord de 8 à la livre, plus tard, on descendit à l0 et même à l6.
II y avait des mousquets à mèche et des mousquets à rouet.

Suivant Brantôme, le mousquet fut introduit en France vers 1600 par Strozzi, et il devint bientôt d'un usage général ; au reste, â cette époque, il se produisit différentes variétés d'armes à feu portatives.

Vers 1545 on imagina pour la cavalerie des arquebuses à rouet de petite dimension montées sur un fut sans crosse et qui se tiraient à bras tendu ; on les appela pistoles d'où est dérivé le mot pistolet, non par ce qu'elles avaient été inven­tées à Pistoïa, comme on le dit communément, mais parce que leur canon avait le diamètre de la pièce de monnaie ainsi nommée.

On en fit également d'autres qui étaient de moyenne grandeur, soit à mèche soit à rouet auxquelles on appliqua la dénomination de poitrinal ou pétrinal, parce que pour les tirer, on appuyait leur crosse sur le milieu de la poitrine. Grâce à cette amélioration, le tireur ayant la liberté de ses deux mains, n'avait plus à se préoccuper au moment du tir de la manière dont il enflammerait la poudre, il pouvait parfaitement assujettir son arme et viser le but sans autre préoccupation. (Voir figure 4).


Voici du reste qu'elles étaient les diverses opérations et manoeuvres auxquelles il devait se livrer :

Il commençait par charger son arme en introduisant dans le canon et poussant avec la baguette la quantité de poudre et la balle que comportait le calibre de son arme, en ayant eu préalablement soin de fermer le bassinet pour que la poudre ne se répandît pas au-dehors. Une fois cela fait, tenant toujours la mèche allumée par les deux bouts entre le pouce et le deuxième doigt de la main gauche, il devait rap­procher la mèche de sa bouche et souffler dessus pour ra­viver la flamme, puis il pressait la mèche sur le serpentin en l'introduisant entre les mâchoires du serpentin, et la conso­lidait en serrant un petit vérin qui se trouvait dans la partie supérieure de cette pièce. Mettant alors deux doigts de la main gauche sur le bassinet préalablement ouvert, et cela afin d'empêcher les étincelles de la mèche de faire partir le coup, il prenait de sa main droite la petite poudrière ou pulvérin qui faisait partie de son fourniment, et remplissait de poudre le bassinet (voir la figure n° 3), il n'avait plus alors qu'à appliquer son arquebuse contre sa poitrine et non contre son épaule, et après avoir visé, il lâchait la détente et le coup partait.

J'ai tenu à donner tous ces détails pour faire comprendre au lecteur les difficultés qu'il fallait vaincre pour obtenir un bon résultat, et pour lui faire apprécier tous les progrès dont nous jouissons aujourd'hui.

Des explications qui précédent, rapprochées des termes employés dans l'ordonnance de Louis XIII dont copie a été donnée ci-devant, il ressort d'une manière certaine que l'arme employée par la jeunesse nîmoise pour tirer au Papegay était l'arquebuse à serpentin.

Il n'entre pas dans le plan de ce petit opuscule de rap­porter tous les événements plus ou moins intéressants qui se produisirent à Nîmes tant que le tir du Papegay fut en faveur, ce que nous tenons seulement à faire connaitre, c'est com­ment disparut une institution qui semblait devoir subsister éternellement.

En 1660, un habitant de Nîmes nommé Du Prix ayant abattu le Papegay et ayant par conséquent été déclaré Roy ou chef de la jeunesse, voulut s'arroger toute l'autorité de ce corps.

C'était, dit Ménard, un étourdi et un brouillon qui prenait querelle avec tout le monde et qui se trouvait chargé de duels, de meurtres et d'autres crimes capitaux. II prétendit faire tenir l'assemblée de la jeunesse dans sa maison. En effet, secondé de quelques autres mauvais garnements, il fit procéder à l'élection des officiers accoutumés qui furent tous choisis parmi des personnes à son gré (En effet, si nous jetons un coup d'oeil sur la liste des Roys et assesseurs de 1660, nous remarquons que cette année là on ne nomma pas d'assesseur au capitaine, au capitaine-enseigne, aux sergents, ni aux contrôleurs, et que sur 47 dignitaires il n'y avait que 5 avocats ou procureurs, 1 chirurgien, 1 notaire et 1 huissier, et que tous les autres officiers étaient des artisans).

Cette espèce de Compagnie ainsi formée, commit de fréquents désordres dans la ville. Elle se rassemblait tous les soirs et allait, au son des tambours dans toutes les rues pendant la nuit, former des attroupements qui faisaient toutes sortes de ravages et répandaient la crainte et l'effroi parmi les habitants.

Les Consuls voulant remédier à ces excès, allèrent en personne porter leurs plaintes aux officiers du Présidial, assemblés dans la Chambre du conseil. Ils leur exposèrent que les suites de la fête ou exercice du Papegay dégé­nnéraient en entreprises funestes ; qu'ils avaient délibéré d'en demander au Roy la suppression, que cependant ils étaient là pour les prier d'interposer leur autorité et de faire défense tant à Du Prix qu'aux autres officiers du Papegay, qui n'étaient que des perturbateurs du repos public, de faire aucunes revues et de s'attrouper.

Sur cette plainte, Du Prix fut décrété de prise de corps le 3 août 1660 avec cette clause particulière, qu'il serait pris mort ou vif.
n
Le 5 du même mois, le Présidial non moins zélé que les Consuls pour la sûreté et la tranquillité publique, manda ses Officiers municipaux et leur enjoignit de prêter mainforte à l'exécution du décret décerné contre Du Prix, et de se joindre au Prévôt des maréchaux, pour empêcher les attroupements de nuit, avec ordre d'opposer la force à la force à peine de désobéissance et de répondre des inconvénients.

C'était là le commencement d'un grand incendie et il ne fallut rien moins que l'intervention de l'autorité suprême pour l'arrêter dans sa naissance.

Le Roi Louis XIV donna donc une déclaration générale le 10 novembre 1660 qui enjoignit aux Consuls, Gouverneurs et Officiers de judicature des villes de Languedoc, d'empêcher qu'à l'avenir il fût fait aucune élection de chef de la jeunesse dans leurs villes, sous quelque prétexte que ce fût, avec défenses à toutes personnes d'en prendre le nom et la qualité, et d'en faire aucunes fonctions, sous peine d'être punis comme perturbateurs du repos public, ce qui fut encore renouvelé par un arrêt du Conseil d'État, donné à Fontainebleau le 19 septembre 1660.

Tel est l'historique donné par Ménard des causes qui ont déterminé la suppression du jeu du Papegay et des droits et privilèges dont la jeunesse de Nîmes jouissait depuis si longtemps. Il va sans dire que nous donnons ces motifs tels quels et sous toutes réserves des torts que pouvaient avoir les sieurs Du Prix et consorts, n'ayant pas à notre dispo­sition de documents contraires pour les contrôler; sur ce point, le champ des suppositions reste ouvert, mais connais­sant le caractère par trop partial de Ménard comme historien local, rapprochant cette appréciation toute personnelle de l'esprit des autorités d'alors, de l'empressement qu'elles mirent à solliciter elles-mêmes la suppression du jeu du Papegay et des privilèges de la jeunesse nîmoise, enfin de la sévérité des mesures prises contre Du Prix par les officiers du Présidial qui ordonnèrent de l'arrêter mort ou vif pour un simple délit de police municipale comme tapage nocturne, nous devons chercher un autre mobile d'une pareille décision.
­
Ce mobile, nous le trouvons, selon toutes probabilités dans la divergence d'opinion religieuse qui devait exister entre les autorités et les officiers du Papegay, car on était alors à l'époque la plus tourmentée des persécutions religieuses or­données par Louis XIV, et nous croyons pouvoir dire sans crainte de nous tromper que Du Prix et les autres officiers devaient tous être de la religion réformée.

Comme conséquence des interdictions ci-dessus, nous trouvons dans les archives de la ville de Nîmes un procès­-verbal dressé par les Consuls et conçu en ces termes :
« Du vendredy douzième jour du mois de may 1661, Mes­sieurs les Consuls ont remis dans la maison consulaire à l'enseigne de la compagnie du Papegay et les prix représentés par l'image de la Paix, portant d'une main la corne d'abondance et de l'autre un bouquet de fleurs, que leur n'auroient esté aujourdhuy remises par le sieur Jacques Richard, bourgeois, qui les avoit en son pouvoir à cause que le sieur Pierre Richard, son fils, avoit esté nommé Cappitaine-Enseigne du dit Papegay l'année 1660, et en même temps les dits Enseigne du Papegay et prix ont esté cloués et appandus dans la chambre du conseil de la mai­n son consulaire pour y estro conservés. - Et quant aux armes, auroient esté vendues au plus offrant et le prix d'icelle, ensemble cent cinq livres de l'argent provenant des charivaris a este remis en mains Jean Boisson et Gédéon Bastide second et troisième consuls, chacun par moitié pour l'employer au proffit de deux hopitaux, conformément à la délibération du Conseil du cinquième décembre 1660. Signés: Boisson et Bastide, consuls ».

En 1661 la jeunesse nîmoise chercha bien à rentrer en faveur et se faire rendre ses privilèges, mais ce fut en vain qu'elle réclama.

Un dernier document extrait des registres du conseil de ville nous prouve le bon vouloir des autorités municipales, bon vouloir qui n'était peut-être qu'une feinte, mais qui pour le moment semblait donner une espèce de satisfaction aux réclamants (1).

(1) Délibération du Conseil de ville. - Archives municipales.

Nous voyons, en effet, que « le sieur de Sauzette, premier » consul, tant en son nom que de ses collègues, expose au conseil que les officiers du Papegay le sont venus trouver pour lui faire cognoistre que n'ayant osé, le premier dimanche de ce mois, faire tirer l'oyseau ou Papegay sui­vant l'ancien privilège de la ville, à cause de la publica­tion de l'ordonnance de Sa Majesté portant défense aux chefs de la jeunesse de faire aucune fonction en ville et lieux de la Province sous les peynes y contenues, ils le suppliaient de prendre les expédians nécessaires pour, soubs le bon plaisir de Sa Majesté, faire restablir le dit privilège en cette ville, si bien que c'est à ce conseil de desliberer de quelle manière ils doibvent user pour y parvenir. - Le conseil pour voir l'estat de cest affaire et les moyens de continuer la ville en ce privilège par la per­mission de Sa Majesté a nommé et dépputé les sieurs de Gatigues, Claude Guiraud, Courbessac et Christol pour, sur leur rapport au prochain conseil, estre desliberé ce quy appartiendra.

C'était un moyen poli d'étouffer cette affaire et le conseil n'a jamais, que je sache, remis la question en délibération. Telle fut la fin d'une institution dont l'origine se perd dans la nuit des temps, qui a eu certainement ses beaux jours et qui a passionné la jeunesse nîmoise tout en lui donnant le goût des armes, mais qui a malheureusement fini par dégé­nérer en abus à une époque déjà trop tourmentée.

Cet hommage rendu à l'institution, nous devons cependant constater une lacune dans son organisation, car, malgré les recherches les plus minutieuses, je n'ai pu trouver dans aucune délibération du Conseil de l'ordre, ni dans aucun document contemporain, cet esprit de corps, de solidarité, de protection, de fraternité et de secours mutuel qui existait à cette époque dans toutes les autres corporations.

Quel était donc le mobile qui poussait la jeunesse à se réunir en phalange armée à une époque déterminée et à dé­fendre d'une manière si opiniâtre ses privilèges consacrés et reconnus par les Rois ? Etait-ce un but politique ? mais nous ne voyons nulle part que les officiers du Pepegay aient exercé une pression quelconque sur les autorités locales au point de vue de la direc­tion des affaires publiques. A l'époque où l'institution était à son apogée de développement, les questions religieuses étaient celles qui passionnaient le plus toutes les populations du Midi de la France, mais sur ce terrain encore, à part le choix des dignitaires de l'ordre qui pouvait varier suivant que le Roy du Papegay appartenant à telle ou telle confession choisissait ses officiers parmi ses amis, il n'existe aucun document qui prouve que la corporation ait pris fait et cause dans les luttes qui divisaient la ville.

Nous sommes donc amenés à penser que le plaisir seul était le mobile qui entrainait les jeunes gens à s'enrôler sous la bannière du Papegay. - Tout l'argent provenant des droits payés par tous les membres des résultants des chari­varis qu'on donnait aux veufs et veuves convolant en secon­des noces, était donc dépensé en achat des prix et en réjouis­sances.

Ce qui le prouve, c'est que lorsque l'ordonnance royale de suppression arriva en 1660, l'argent restant en caisse ne s'éleva qu'à 105 livres, somme bien peu importante quand on songe au long laps de temps pendant lequel avait vécu l'institution.

Malgré cela, le Roi Louis XIV avec ses instincts autori­taires devait saisir avec empressement l'occasion qui se pré­sentait à lui de détruire une corporation qui, s'adressant à ce que la France avait de plus ardent et de plus généreux, pouvait â un moment donné constituer une force et opposer une digue à son esprit tyrannique et dominateur. Jaloux de son autorité, courbant sous sa main do fer toute personnalité ou toute idée libérale qui pouvait lui faire ombrage, il ne pouvait pas, après avoir dit l'Etat c'est moi, tolérer au­-dessous de lui une autre royauté si éphémère qu'elle fut.

À partir de 1661 personne ne parla donc plus des Roys du Papegay, leur modeste histoire est restée enfouie dans nos archives, et il a fallu les circonstances actuelles et l'initiative de quelques personnes pour me donner le désir de faire con­naître à nos tireurs du Gard leur généalogie et leurs titres de noblesse.

Puissent-ils trouver dans ce rapide exposé dés enseigne­ments qui, tout en facilitant leur tâche, les mettent en garde contre les écueils qu'ils ne manqueront pas de trouver sur leur route.

En conclusion.

Telle fut dans ses détails les plus intimes, l'institution du Papegay, à Nîmes, et il nous faut franchir un espace de 215 ans pour nous retrouver en présence de la mise à exécution d'une même idée patronnée et appliquée par la jeunesse nîmoise.

C'est en effet, en mai 1875, qu'a été définitivement consti­tué la Société des Tireurs du Gard, et grâce à l'activité déployée par les membres organisateurs on a pû en mai 1877, inaugurer le Stand de Nîmes, par un concours des plus bril­lants, auquel les Sociétés de tir voisines sont venues s'asso­cier par leurs dons ou par l'envoi de leurs meilleurs tireurs.

-oOo-

Suppression du jeu de Papegaï à Nîmes
Histoire de la Ville de Nîmes
de Léon Ménard, 1760 - Livre vingt-troisième. page 141

XXIX - Suppression de l'exercice du papegai à Nîmes,1660.
On porta cette année les dernières atteintes à l'établissement du papegai de Nîmes, où l'on a vu que cet exercice se soutenait depuis longtemps.

Un particulier de cette ville, nommé du Prix (1), qui avait abattu le pape­gai,(2) ayant été déclaré par le roi ou chef de la jeunesse , voulut s'arroger toute l'autorité de ce corps. C'était un étourdi et un brouillon qui prenait que­relle avec tout le monde et qui se trouvait chargé de duels, de meurtres et d'autres crimes capitaux. Il prétendit faire tenir l'assemblée de la jeunesse dans sa maison. En effet. secondé de quelques autres mauvais garnements, il y fit procéder à l'élection des officiers accoutumés, qui furent tous choisis parmi des personnes à son gré. Cette espèce de compagnie ainsi formée, commit de fréquents désordres dans la ville. Elle se rassemblait tous les soirs, et allait au son des tambours dans toutes les rues, pendant la nuit former des attroupements qui faisaient toutes sortes de ravages et répan­daient la crainte et l'effroi parmi les habitants.

Les consuls voulant remédier à ces excès allèrent en personne porter leurs plaintes aux officiers du présidial, assemblés dans la chambre du con­seil. Ils leur exposèrent que les suites de la fête ou exercice du papegai dégénéraient en entreprises funestes, qu'ils avaient délibéré d'en demander au roi la suppression ; que cependant ils étaient là pour les prier d'interpo­ser leur autorité, et de faire défense tant à du Prix qu'aux autres officiers du papegai, qui n'étaient que des perturbateurs du repos public, de faire aucune revue et de s'attrouper. Sur cette plainte, du Prix fut décrété de prise de corps (3) le 3 d'août de cette année 1660, pour raison d'excès. de désordres de nuit et d'attroupements, avec cette clause particulière qu'il serait pris mort ou vif.

Le 5 du même mois, le présidial, non moins zélé que les consuls pour la sûreté et la tranquillité publique, manda ces officiers municipaux, et leur enjoignit de prêter main-forte à l'exécution du décret décerné contre du Prix, et de se joindre au prévôt des maréchaux, pour empêcher les attrou­pements de nuit, avec ordre d'opposer la force à la force, à peine de déso­béissance et de répondre des inconvénients.

C'était là le commencement d'un grand incendie. Il ne fallut rien moins que l'autorité suprême pour l'arrêter dans sa naissance. Le roi Louis XIV donna donc une déclaration générale (4), le 10 de novembre de la même année, qui enjoignit aux consuls, gouverneurs et officiers de judicature des villes de Languedoc, d'empêcher qu'à l'avenir il ne fût fait aucune élection de chef de la jeunesse dans leurs villes, sous quelque prétexte que ce fût, avec défense à toutes personnes d'en prendre le nom et la qualité et d'en faire aucune fonctions, sous peine d'être punis comme perturbateurs du repos public. Ce qui fut encore renouvelé par un arrêt du conseil d'état donné à Fontaine­bleau le 19 de septembre suivant.

(1) Archives de l'Hôtel-de-Ville de Nîmes, registre du XVIIe siècle, contenant les délibérations du conseil de ville.
(2)  Les joutes se pratiquent par éliminatoires. Lors de la finale, il ne restera que 8 arbalétriers qui auront triomphé. Chaque concurrent utilise l'arme de son choix - arbalète à cric, à pied de biche ou bien à moufle. Le jeu consistait à atteindre le Papegaï (coq en bois accroché en haut d'une perche). Pour rendre la chose plus difficile, ce dernier pivotait librement au grès du vent. Le gagnant était le premier qui, en frappant la cible avec sa flèche provoquait son envol. Le premier prix était, une exemption totale d'impôts pour l'année du règne, octroyé par le Premier Consul de Nîmes.
(3) Archives du présidial de Nîmes.
(4) Archive de l'Hôtel-de-Ville de Nîmes, registre du XVIIe siècle, conten. les défibérat, du conseil de ville.

-oOo-

> Version PDF, imprimable du Jeu du Papegay à Nîmes.