Étude sur les origines de Noël, fête chrétienne
par M. Ariste Viguié
Extrait des Mémoires de l'Académie du Gard
1867-1868 - pages 191 à 216
.
Deuxième partie, texte du Pasteur Viguié.

Toutes les origines sont obscures et indécises. L'ombre lointaine et vaporeuse, d'où elles émergent insensiblement et où elles baignent encore, nous encore, nous défend de les saisir et de les préciser avec, netteté et correction. C'est une tentation incessante de notre esprit de vouloir toujours, à cet endroit, être plus analytiques et plus affirmatifs que la réalité des choses ne le comporte et ne l'autorise. La discrétion et la réserve nous devraient être cependant bien enseignées et imposées par la loi générale qui se dégage de la contemplation du monde. Cette loi nous apprend en effet que le mystère couvre les commencements de tout ce qui apparaît sur le théâtre de l'histoire.


Depuis les plus grandes choses jusqu'aux plus petites, on peut constater comme une progression ascendante de l'obscurité vers la lumière ; de l'obscurité, dans laquelle plongent les origines, vers la lumière, dans laquelle se montrent les développements. Dieu n'agit pas autrement dans la nature et dans l'histoire. Toute œuvre de sa puissance et de son amour, toute création matérielle ou morale, sort de l'ombre incertaine pour venir au jour éclatant. Dans l'histoire en particulier, les institutions et les faits plongent leurs racines dans un passé lointain et ne se laissent contempler à la lumière qu'après un mystérieux développement.

Il faut donc savoir accepter, dans les recherches historiques, la loi de progression des idées et des institutions, et se résigner à une ignorance relative, quand on remonte jusqu'aux commencements premiers et qu'on se trouve en présence de l'ombre providentielle et féconde qui les enveloppe. Cette sage réserve vous semble plus facile et plus imposée dans les choses de la nature extérieure : ici, en effet, le germe d'où doit sortir la plante est caché à nos Investigations ; ce travail de décomposition et de recomposition s'opère dans le sol loin du regard, loin de la lumière, jusqu'à ce que, sortant de l'ombre, de l'éclosion, le frêle arbuste monte au jour. Forcément, il faut bien se résigner à ne pas voir, contempler et expliquer le pourquoi et le comment de cet engendrement mystérieux. Nous sommes moins résignés, quand il s'agit de la naissance d'une institution historique. Et cependant combien une pareille création a de racines profondes et difficiles à découvrir dans la conscience des temps antérieurs ! Sans doute, il est aisé de dire le Jour où, officiellement, elle s'affirme au-dehors. Mais elle apparait alors, elle est au jour ; ce moment où elle se laisse saisir à la lumière n'est pas le vrai commencement : le germe existait auparavant dans les idées et les sentiments qui l'ont fait naître ; ce germe a été fécondé dans la nuit du passé. Et que sera-ce quand cette institution est une institution religieuse, c'est-à-dire l'expression matérielle de ce qu'il y a de plus intime et de plus délicat au fond de nos âmes ? On peut, il est vrai, noter chronologiquement le moment où cette institution est universellement reconnue et acceptée. Mais cette date n'en est pas l'origine vraie, elle est un point de son développement progressif. Avant cette date, qui pourra saisir avec netteté les sentiments, les élans, les prières, les besoins de cœur, les hésitations et les transports qui en ont fécondé le germe et en ont favorisé la naissance ? C'est ici surtout que nous ne savons pas être discrets : brutalement, avec des textes, avec des chiffres, nous maltraitons cette première éclosion, fraîche et tendre, d'un sentiment, parfois d'une naïveté ravissante; nous sommes impatients de tout scruter, nous voulons tout noter, tout étiqueter, tout analyser ; nous voulons prouver à nous-mêmes et aux autres, par les rapports mécaniques de cause à effet, que la chose est ainsi par les raisons logiques que nous mettons au dossier de l'affaire ; nous n'avons pas assez de respect pour cette ombre, encore indécise, où s'agitent les sentiments confus d'où, plus tard, doit naître l'institution. En vérité, nos procédés en critique sont encore grossiers, et nous en agissons parfois, avec ces manifestations tendres, charmantes et austères du sentiment religieux, comme ces paysans malappris qui, pour vous en faire apprécier la belle structure, saisissent brutalement et froissent dans leurs mains rugueuses l'aile d'un papillon.

Cette réserve, cette discrétion, cette intuition historiques, je voudrais m'en pénétrer d'une façon toute spéciale, au moment d'aborder un des problèmes les plus difficiles et les plus délicats : l'origine de la fête de Noël. Ces principes sont ici particulièrement de saison.

Noël (dies natalis, italien natal, espagnol nadal, français Noël), Noêl, la fête de la naissance de Jésus-Christ, est comptée avec juste raison parmi les solennités chrétiennes les plus considérables, et célébrée avec empressement et avec joie, à la date du 25 décembre, par toutes les fractions de la chrétienté. Depuis l'établissement définitif de la fête, il n'y a pas une époque, il n'y a pas une Église pour qui ce jour n'ait été un jour d'émotion et de reconnaissance. Cette universelle sympathie montre à quel point Noël s'est aussitôt emparée, et pour toujours, de la conscience et du cœur de la chrétienté. Comment donc et à quelle époque fut instituée cette fête religieuse ? Quand et de quelle façon est-elle sortie des entrailles mêmes du peuple chrétien ? C'est ce que je veux essayer de dire, en demandant la permission de procéder de la manière suivante. Je vais d'abord exposer, comme je l'entends et je le saisis, après mes recherches, l'origine et le développement de cette institution : les détails, les citations, les preuves, qui seraient dans ce tableau des impedimenta, je les réserve pour plus tard, je ne m'en débarrasse d'abord que pour les reprendre ensuite ; en d'autres termes, je donne d'abord mon affirmation scientifique et intuitive, plus tard j'essayerai de la justifier : je pose, en premier lieu, ma synthèse historique, je ne donne l'analyse qu'en second lieu.

Noël est la plus jeune des fêtes chrétiennes. Pâques et Pentecôte existaient longtemps avant qu'on songeât à instituer une fête de la naissance. Noël ne se montre dans l'histoire sous une forme quelque peu régulière - et générale que vers le milieu du IVe siècle. Cette apparition tardive ne doit point nous surprendre. La conscience chrétienne s'attacha tout d'abord à l'essentiel, c'est-à-dire au ministère rédempteur de Jésus-Christ. La naissance, l'enfance et la jeunesse de Jésus occupèrent, dans les méditations religieuses des premiers siècles, une place secondaire, une place intéressante sans doute, mais non capitale, comme dans le Nouveau Testament, dont s'inspira l’Église, et où se trouvent quelques traits seulement, et rapides, des premières années du Sauveur. L'écrivain sacré semble se hâter d'arriver à la chose nécessaire, c'est-à-dire à la vie publique et à la mort de Jésus. Aussi, alors que les souffrances et la résurrection du Christ étaient le constant objet des méditations des croyants, alors que les discussions sur la Pâque passionnaient et troublaient les premiers siècles, alors que la première entente sut, cet important débat entre les Églises d'Asie et celles d'Europe (151-158) marque comme une date de haute valeur, et est, par plusieurs, considérée comme un point de départ et de repère dans l'histoire ecclésiastique, il n'était pas encore question d'instituer une fête de la naissance, et le silence le plus absolu règne a ce sujet chez les écrivains chrétiens. De plus, il n'y avait pas de fête analogue dans l'Ancienne Alliance. Pâques et Pentecôte étaient des fêtes juives ; d'une façon toute naturelle, elles prirent place dans l'économie de la Nouvelle Alliance, transformées, transfigurées par l'esprit chrétien. Mais une solennité similaire de Noël, un anniversaire de naissance proprement dit, il n'en existait pas à la fondation de l’Église ; il fallait créer cette solennité de toutes pièces, et fond et forme. Peut-être aussi enfin y avait-il, dans cette réserve originelle de l’Église, le sentiment que le manque de renseignements positifs sur le jour de la naissance de Jésus était comme une invitation à s'abstenir de rechercher curieusement ce que Dieu avait voulu laisser caché. Pour Pâques, pour Pentecôte, les dates étaient précises, le fait célébré était un réel anniversaire ; mais pour la naissance, toute indication manquait, toute recherche était en ce point superflue, et l'opinion générale était bien celle qu'exprimait, même au vite siècle, l'évêque syrien Jacques d'Edesse, « que personne ne pouvait savoir le jour de la naissance de Jésus, et que, d'après le récit de Luc, il était sûr seulement qu'il était né la nuit » (1).

(1) Assemani bibliotheca orientalis, tome II, page 1636.

Cette triple raison, l'ignorance du jour de la naissance du Sauveur, le manque de fête similaire dans le judaïsme et le sentiment qu'il fallait, avant tout, s'attacher à la vie et à la mort du Christ, plutôt qu'à sa jeunesse et à son enfance, expliquent amplement le retard apporté par les chrétiens à instituer une fête commémorative de la naissance de Jésus-Christ.

Et cependant, un besoin profond et légitime dut s'emparer de la conscience et du cœur surtout de l’Église. Rien n'est respectable, rien n'est doux comme de se reporter vers les origines de ceux qui, à des titres divers, ont droit a notre reconnaissance et à notre affection. Plus ils se sont emparés de nos âmes, plus ils nous ont fait de bien, plus le souvenir de leur naissance nous est cher et précieux. Sans doute nous les aimons tous les jours ; mais en ce jour plus particulièrement, qui rappelle leur entrée dans ce monde, il semble que notre sympathie se renouvelle et devienne plus ardente. À la rigueur, le cœur qui aime pourrait se passer de ces anniversaires, de ces occasions nouvelles de retremper sa gratitude et de faire éclater sa joie ; mais pourtant il lui est bon, il lui est salutaire, il lui plaît de pouvoir, en ce jour extraordinaire, dire aussi d'une manière extraordinaire son amour. Ce sentiment sérieux et tendre, Église l'a certainement ressenti à l'égard de son divin chef. Plus elle faisait l'expérience de l’Évangile, plus elle éprouvait à quel point Jésus était la vérité et le salut ; plus il lui était cher, plus sa gratitude et son affection pour lui grandissaient. Sans doute elle les exprimait tous les jours ; sans doute aussi, à certaines époques mémorables, elle proclamait solennellement sa douleur en face de la mort de Jésus, ses émotions et ses admirations en face de son triomphe : oui, mais elle veut encore autre chose, elle veut exprimer un sentiment moins sévère et plus joyeux, moins austère et plus tendre. Eh quoi ! déjà elle célèbre la mort et la naissance de ceux qui se sont dévoués à la vérité et qui se sont sacrifiés à la cause sainte : ces apôtres, ces martyrs, ces pieux docteurs, elle leur consacre un anniversaire. Et pour celui devant lequel pâlissent les noms les plus éclatants, pour celui dont l'entrée dans le monde a renouvelé le monde, pour celui qui est le principe de sa vie et l'objet de son amour et de son culte, pour celui-là, le jour de sa naissance, l’Église resterait muette ! Non,il faut qu'elle parle, il faut qu'elle proclame devant tous sa joie et sa reconnaissance, il faut qu'elle éclate en chants d'allégresse.
Ces mouvements, ces besoins du cœur , cet ardent désir, ces pieux transports. l’Église les a certainement ressentis. Ce jour de la naissance de son maître, de son bienfaiteur, de son sauveur, elle le réclame, il le lui faut.
Mais ce jour est ignoré ; cette date est inconnue ; on peut calculer l'année de la naissance, mais le jour demeurera pour nous à jamais caché. Quand tout renseignement fait défaut, il serait insensé de vouloir préciser chronologiquement : l'idée d'une découverte pareille est une chimère, une telle recherche est un soin superflu, comme le disait déjà Clément d'Alexandrie (1).

(1l) Stromates, lib. I, p. 155, édit. oberth.

L’Église se trouve donc ainsi devant un obstacle insurmontable et invincible, chronologiquement parlant. Cet obstacle, la foi le surmonte, le renverse et passe outre, en triomphant par une sainte audace. Ce jour de la naissance, la piété de l’Église en a besoin. Eh bien ! c'est la piété, qui le créera. Ce jour sortira donc du cœur des fidèles, il sera fait de leur tendresse et de leur adoration, il sera aussi réel en un sens, aussi sacré que le jour matériel ; il sera un signe, un symbole ; il dira à tous la foi, l'amour, les transports des croyants, il proclamera toute la piété des rachetés et toute la gloire du Rédempteur.

Regrette qui voudra une date matérielle, une indication vulgaire, le quantième d'un mois où régnait tel César. J'avoue que je m'en console aisément, en présence de la date spirituelle. Il s'agit ici d'autre chose que de chronologie et de statistique. Il s'agit de foi, d'impérissable amour. Ce jour est mieux qu'un chiffre, il est une pensée, il est une exaltation.

C'est l'Église d'Orient la première qui le donnera, l’Église d'Orient avec son sens profond et mystique, avec sa tendance idéale et large, avec son symbolisme ardent et riche de pensées. Le jour de la naissance de Jésus sera donc un symbole, mais le plus vaste et le plus grand qui fut jamais. Jésus est le créateur de l'humanité nouvelle, régénérée par son esprit, il est le second Adam, pour parler avec S. Paul. Ce que le premier Adam avait fait pour la perte de l'humanité, le second Adam, Jésus, est venu le faire pour le salut de cette humanité. Entre le premier et le second Adam entre la perdition et la restauration, le parallélisme est donc complet. Or, Adam a été créé le sixième jour de la première semaine du monde. Le second Adam, Jésus, est donc aussi venu sur cette terre le sixième jour de la première semaine : donc, suivant le calendrier romain alors en usage dans tout l'empire, le sixième jour du premier mois de l'année, le 6 janvier. Ce jour-là, le second Adam se montre, le Soleil de justice se lève, le Verbe éternel apparaît. L’Épiphanie, la fête du 6 janvier, sera donc, dans tout l'Orient, la fête de l'apparition, de la venue au monde de Jésus-Christ.

Il ne faut pas se méprendre sur ce sens originel de l’Épiphanie. C'est la Noël de l’Église d'Orient, c'est l'apparition de Dieu en Jésus-Christ. Toutes les apparitions de Dieu et toutes les apparitions d'anges dans l'Ancien Testament sont des épiphanies ou des théophanies ; c'est l'acte par lequel Dieu se montre au monde. L’Épiphanie, comme fête, c'est la traduction par une solennité de cette parole de S. Jean, I, 14 :
« La parole a été faite chair » et de cette parole de S. Paul : « La grâce de Dieu est apparue, bienveillante à tous les hommes ». Tite, II, 11.

Plus tard, d'autres idées vinrent s'ajouter à l'idée primitive de l'Épiphanie ; d'abord, le souvenir du baptême de Jean, non sans discussion, mais cependant avec une raison plausible, c'est que ce fut au baptême que Jésus entra vraiment dans son ministère, et apparut à tous comme revêtu de sa charge divine ; puis le souvenir de l'adoration des Mages, ce Symbole, ces prémices du salut des païens, des Mages que l'interprétation mystique du psaume LXXII, 10, transforma en trois rois : « Les rois de Tarsis et des iles lui présenteront des dons, les rois de Sceba et de Séba lui apporteront des présents ». Enfin se joignit aussi à l’Épiphanie le souvenir du premier miracle de Jésus à Cana: « Dies natalis virtutum Domini ». On le voit, ces idées accessoires ne sont que la confirmation de l'idée mère : le baptême de Jean disant l'apparition spéciale de Jésus comme Messie, l'adoration des Rois exprimant sa puissance de salut pour tous les Gentils, et le miracle de Cana manifestant ses vertus divines. Il reste donc que l’Épiphanie est l’Épiphanie, c'est-à-dire l'apparition de Jésus comme verbe de Dieu.

Mais l’Église d'Orient, en célébrant cette fête, lui imprima naturellement le sceau de son caractère et de son génie particulier. L’Église d'Orient fut par excellence idéaliste, mystique, portée vers la haute spéculation et le monde transcendant. Avant tout, elle insiste sur le côté invisible et céleste des choses, et quand elle parle de Jésus-Christ, c'est l'élément divin qu'elle relève d'une manière toute particulière. Aussi la naissance de Jésus, c'est son apparition, c'est Dieu qui se montre ; l'élément terrestre et humain de l'entrée dans ce monde du Sauveur est au second plan, insensiblement il disparaît presque. Le nom lui-même d’Épiphanie est plus grand, plus majestueux et moins touchant que celui de naissance. L'accent est mis sur la divinité avec une force telle que l'humanité se perd et s'évanouit. La fête orientale dit bien la manifestation éclatante du Fils de Dieu ; elle ne dit pas assez l'humble origine du Fils de l'homme.

Et c'est là justement ce que voudrait exprimer d'une manière plus particulière l’Église d'Occident. Plus pratique, plus réaliste, elle veut s'attacher aux vérités célestes sans doute, mais en tant qu'elles se hâtent vers l'application ; l'élément divin la préoccupe sans doute, mais en tant qu'il veut pénétrer l'humanité ; le côté idéal du Christ ne peut lui faire oublier son côté terrestre ; elle a en suspicion, elle a en horreur tous ceux qui, sous prétexte de spiritualiser le Maître, laissent son humanité se perdre dans un docétisme fantastique; et la première, et grande hérésie qu'elle a condamnée en la personne des gnostiques, c'est précisément la négation de l'humanité de Jésus. Le Fils de Dieu lui est nécessaire, mais le fils de l'homme lui est cher. Et voilà pourquoi l’Épiphanie, avec son caractère par trop idéaliste, ne peut suffire aux besoins de son cœur. Elle dira, elle aussi, le jour de la naissance ; elle célèbrera cet anniversaire, mais à un point de vu plus touchant, plus terrestre, plus humain ; elle aussi elle créera son jour de joie et de reconnaissance, et sa date religieuse, elle la prendra non dans les grandioses conceptions de ces deux pôles de l'humanité, la chute et le salut, Adam et Christ, mais bien d'une manière plus précise, plus juive, plus régulière dans les indications mêmes des anciens livres sacrés. Un prophète (1) a prédit cette date ; il a dit que, le vingt-quatrième jour au soir du neuvième mois, serait fondé le temple éternel, l'édifice où se viendraient abriter les peuples.

(1) Aggée, II, 18.

Et Israël, en effet, a bien célébré, à cette date, une fête de la joie en souvenir du temple restauré. Mais le vrai temple, le temple spirituel, le temple éternel ; c'est Jésus lui-même ; et, à cette date aussi, il faut célébrer la fondation, la création, l'origine, la naissance de celui qui abolit le temple comme la loi, en l'accomplissant, en le transfigurant. C'est donc le vingt-quatrième jour du neuvième mois, soit, en traduisant en notre calendrier ordinaire, le vingt cinquième jour de décembre, que sera, dans l’Église d'Occident, célébrée la fête de la naissance du Sauveur.

Ainsi il y avait, au IVe siècle, deux fêtes de la naissance de Jésus, et ces deux fêtes sont l'expression naturelle et authentique de deux esprits, chrétiens au même titre, de deux grandes conceptions de l’Évangile, de deux éternelles vérités. La fête de l'Orient, l’Épiphanie, par son nom, par son origine, par son symbolisme, dit plus particulièrement la gloire, la divinité de Jésus apparaissant au monde ; elle met l'accent sur le côté céleste et idéal. La fête d'Occident, la Noël, s'attache plus spécialement à l'élément humain, fraternel de Jésus naissant ; elle met l'accent sur le côté céleste et historique. Les deux Églises expriment le même sentiment chrétien, seulement elles l'expriment à leur manière. Les deux Églises créent une institution qui répond aux mêmes besoins de l'âme, seulement cette institution est naturellement frappée au coin de leur génie particulier. C'est toujours la naissance de Jésus qui provoque la joie et la gratitude. Seulement, le 6 janvier, c'est surtout Jésus fils de Dieu, et le 25 décembre, c'est surtout Jésus fils de l'homme.

Le sens et l'intérêt de cette étude sont précisément dans le grand fait historique que j'ai essayé de dégager : l'institution de la fête, sortant des besoins de l'âme chrétienne et répondant au génie propre de l'Orient et de l'Occident. Sans doute, l’Épiphanie, avant le IVe siècle, était connue et célébrée en Orient; sans doute, la fête de la naissance matérielle était aussi célébrée en Occident; mais ces fêtes n'étaient pas encore pleinement acceptées, régulières, uniformément célébrées. Il en est tout autrement à partir de cette époque. Les deux fêtes se mêlent, se pénètrent comme les deux esprits dont elles sont l'expression, mais Noël de plus en plus l'emporte sur l’Épiphanie, et par son caractère plus réel et plus touchant, et par la puissance du nombre des Églises qui la célèbrent, et par l'autorité croissante du siège de Rome qui la pratique et la recommande. Le mouvement et la marche des deux fêtes sont des plus intéressants à étudier : l'une, l’Épiphanie, va de l'Orient à l'Occident ; l'autre, la Noël, proprement dite, va de l'Occident à l'Orient. S. Jean Chrysostome est ici le principal témoin, c'est le plus rapproché des faits et le plus abondant en détails. En Orient, au IVe siècle, l’Épiphanie était déjà une fête considérable (1).

(1) « Chez nous, la première fête est l’Épiphanie ». Homél. I, sur la Pentecôte.

Cette fête, née en Orient, s'achemine vers l'Occident ; elle n'y est pas reçue sans opposition, cependant elle y prend pied ; et la première mention qui soit faite de l'installation de cette solennité en Occident nous reporte vers 360. Ammien Marcellin, lib, XXI, c. 2, raconte que l'empereur Julien, se trouvant à Vienne, célébra la fête de l’Épiphanie dans l’Église chrétienne. Cette fête pénétra dans ces contrées plus tôt que dans tout autre pays de l'Occident ; car les rapports étaient très fréquents entre l'Orient et les villes de commerce du midi de la Gaule.

La Noël du 25 décembre était, au IVe siècle, célébrée avec grand empressement en Occident. Un passage de S. Ambroise est très significatif à cet égard ; il raconte que, sous le pape Libère, au milieu du IVe siècle, sa sœur Marcella fut sacrée nonne le 25 décembre, et que l'évêque romain lui dit à cette occasion : « Vides quantus ad natalem sponsi tui populus convenerit». Ambros., De Virgin., t. III, c. 1. La Noël, née en Occident, s'achemina vers l'Orient. Chrysostome, dans un sermon prêche à Antioche, en 386, le 25 décembre, dit positivement que cette fête n'est connue que depuis dix ans en Orient. « Il y a dix ans que ce jour nous est connu ». Il s'agit du jour , c'est-à-dire de la fête, sous sa forme occidentale. Du reste, le grand orateur parle avec chaleur de cette solennité, et paraît mettre beaucoup d'intérêt à ce qu’elle s'introduise en Orient. Déjà il l'appelle, dans un sermon qui fut prêché le 20 décembre de cette même année, la mère de toutes les autres, car toutes partent d'elles pour ainsi dire. Le 25 décembre suivant, dans sa prédication, il dit que cette fête, bien que récente, a pris rang parmi les plus considérables, preuve en soit l'affluence des fidèles qui viennent la célébrer. Il est vrai qu'elle n'a pas été acceptée sans opposition. Les uns la rejettent comme une nouveauté, d'autres au contraire, pour l'appuyer fortement, insistent sur sa haute antiquité, sur sa presque universalité ; ils disent, et Chrysostome rapporte leur dire sans le prendre à sa charge, que cette fête est connue dès longtemps et célébrée depuis la Thrace jusqu'à Cadix. La Noël d'Occident gagna du terrain en Orient, tandis que l’Épiphanie pénétrait a son tour dans l'Occident. Dans quelques pays on confondit les deux fêtes ; dans d'autres, elles subsistèrent indépendantes, et l’Épiphanie alors conserva plutôt ses éléments accessoires, le souvenir des Mages et du baptême de Jean. Dans les Églises où les deux fêtes n'étaient pas encore célébrées, la Noël eut la prépondérance, l'événement spécial de la naissance étant considéré comme le plus important. Quoi qu'il en soit, un grand fait se dégage de l'histoire, c'est l'institution sous une double forme, orientale et occidentale, de la fête de la naissance de Jésus. Les deux formes se pénètrent réciproquement ; mais la forme occidentale, la Noël, le 25 décembre, finit par dominer et devient, dans la chrétienté tout entière, la solennité religieuse exprimant la gratitude et la joie des cœurs fidèles à l'occasion de la naissance du Sauveur.
Une dernière tache s'impose : c'est l'explication du 25 décembre. Car on peut distinguer ici deux choses : la fête elle-même et la date. Quant à la fête elle-même, je crois en avoir montré la cause profonde et religieuse dans le sentiment chrétien et dans le développement interne de la vie évangélique. Cette institution est le produit de la piété, heureuse de commémorer la naissance de son Maître et de son Roi. La forme qu'elle a revêtue en Occident et qui a prévalu, c'est le produit du besoin de l'âme chrétienne, désireuse d'appuyer plus spécialement sur le côte de la naissance historique et terrestre du Sauveur. Quant à la date du 25 décembre, je n'ai fait qu'indiquer le symbolisme biblique de son origine. C'est ici qu'il est nécessaire de s'arrêter et d'entrer dans quelques détails historiques, pour essayer de résoudre un problème qui n'est pas sans difficultés.

Il demeure bien entendu que cette date du 25 décembre, au point de vue de la chronologie pure, est ou symbolique ou arbitraire. Le jour réel, matériel, historique de la naissance de Jésus est impossible à trouver, les renseignements font défaut, aucun des écrivains anciens n'a essayé de le découvrir, et on ne peut pas regarder comme des tentatives sérieuses certains calculs fantaisistes d'auteurs relativement récents. Quelle est donc l'origine du 25 décembre ?
Les uns la placent dans le paganisme, d'autres dans les hérésies chrétiennes, d'autres enfin dans le judaïsme .
Il faut avouer que ceux qui placent l'origine du 25 décembre dans le paganisme ont pour eux le nombre et l'autorité des textes. Précisément, à cette époque de l'année, se célébraient parmi les païens des fêtes de réjouissance, qui pouvaient être facilement transformées en fêtes chrétiennes. Les antiques saturnales rappelaient l'âge d'or, proclamaient, au moins pour un temps, l'égalité, la fraternité humaine, laissaient un moment s'effacer la distance entre le maître et l'esclave. L'apparition de Jésus aussi a ramené l'âge d'or spirituel ; pour toujours elle a rendu la liberté aux esclaves et fondé le principe de la commune misère et du commun relèvement. Les sigillaria, les fêtes des enfants (Macrobe, Saturnal. lib. I, c. 2), pendant lesquelles on les comblait de cadeaux, les strenœ, les étrennes, les dons d'amitié que l'on se faisait à cette époque et dont Tertulticn blâme déjà l'usage chez les chrétiens, les accusant ainsi de participer aux mœurs païennes, toutes ces démonstrations populaires pouvaient aisément s'appliquer à la Noël. Et surtout, à ce moment même, le 24 et le 25 décembre se célébrait la fête du soleil : « Dies natalis invicti solis », qui fut plus tard transformée peut-être en fête de l'Empereur. C'était la fête du jour le plus court, c'était l'apparition du soleil nouveau et désormais plus puissant, la fête du solstice d'hiver. Le manichéen Faustus reproche aux chrétiens de célébrer quelques fêtes païennes : « Solemnes gentium dies cum ipsis celebratis, ut Kalendas et solstitia ». (Augustin. XX, 4, cont. Faustum). L'évêque de Rome, Léon le Grand, se plaint de ce que des chrétiens ont adopté certaines conceptions et habitudes païennes, précisément à l'occasion de cette fête. « Habentes ergo tantæ spei fiduciam, in fide qua fundati estis stabiles permanete, ne idem ille tentator, cujus jam a vobis dominationem Christus exclusit, aliquibus vos iterum seducat insidiis, et ista præsentis diei gaudia suæ fallaciæ arte corrumpat, illudens simplicioribus animis, de quorumdam persuasione pestifera, quibus hæc dies solennitatis nostræ, non tam de nativitate Christi, quam de novi, ut dicunt, solis ortu honorabilis videatur ». (Sermon sur la Nativ., II, c. 5, édit. Paris, 1641, p. 14).
La pente était glissante, l'allégorie facile a pénétrer et à séduire. Jésus est bien aussi le soleil du monde moral ; il vient aussi quand les jours sont les plus sombres, quand l'obscurité de l'idolâtrie enveloppe le monde. Et, de fait, les allusions les plus directes se rencontrent, non seulement dans les mouvements aratoires des prédicateurs, mais aussi dans les chants eux-mêmes, qui semblent plus particulièrement l'expression de la foi de l’Église. Ainsi,. dans Prudence, hymn. 11 :

Quid est, quod arctum circulum
Sol jarn recurrens descrit ?
Christusne terris nascitur,
Qui Iucis auget tranlitem ?

et dans Paulin de Nole (Carm, XVII, p. 538) :

Nanz post solstitium, quo Christus corpare natus,
Sole novo, gelidæ niutavit tempora brumæ,
Atque salutiferum præstans mortalibus ortum,
Procedente die, secum decrescere noctes
Jussit...........................................................

En présence de pareils rapprochements, disent les défenseurs de l'opinion que j'expose, n'est-il pas naturel de penser que la fête païenne s'est insensiblement transformée en fête chrétienne, et que, dans cette vieille forme, qui y prêtait d'ailleurs, on a mis les pensées nouvelles et évangéliques ? De cette façon, la Noël aurait été substituée en même temps qu'opposée aux fêtes païennes, d'un côté pour empêcher le peuple chrétien de participer à ces fêtes païennes, de l'autre pour faire passer insensiblement le peuple païen à la conception et à la célébration de la fête chrétienne.

C'était là, me semble-t-il, et n'en déplaise aux défenseurs de cette opinion, un jeu bien dangereux. Le peuple chrétien pouvait facilement être entraîné dans une confusion très funeste. Une pareille tactique ou un pareil laisser-faire est absolument contre les données de l'histoire. Il suffisait, dans les trois premiers siècles, qu'un usage fût païen pour qu'il fût rejeté avec horreur. L'antagonisme était complet dans les idées et dans les mœurs. Irénée nous dit que la marque première des hérétiques et des adversaires, c'est qu'ils pactisent avec certains usages païens (Adv. hœr., lib. I. c. 6). Le manichéen Faustus, en accusant les chrétiens de célébrer les solstitia, ne dit pas qu'ils aient transformé cette fête en fête chrétienne ; ce qu'il n'aurait pas manqué de dire, si le fait eut été réel. Léon le Grand, dans le passage cité plus haut, proteste contre ces conceptions païennes que les chrétiens portent encore dans la fête de Noël, et il nous apprend, dans un autre endroit, dans son septième, sermon, que, bien loin de transformer les fêtes païennes en fêtes chrétiennes, les fidèles au contraire, et c'est là, dit-il , une antique tradition, passent ce jour dans le jeûne et la repentance, pour protester contre ces usages idolâtriques et s'humilier devant Dieu. Ii est vrai que, après le IVe siècle, les rapports entre le paganisme et le christianisme changent sensiblement, qu'il y a entre les deux une pénétration quant aux mœurs et aux usages ; mais comme Noël a des racines dans les siècles antérieurs, où l'opposition entre les deux cultes est formidable, il est difficile de penser que le 25 décembre ait été fourni par les fêtes du paganisme.

La pensée de faire dériver le 25 décembre des diverses hérésies chrétiennes a été soutenue sous une double forme et on peut dire à des points de vue opposés. D'un côté, on prétend que les hérétiques ont, les premiers, établi cette fête et que l’Église a suivi leur exemple. Clément d'Alexandrie (Stromates, lib. I, p. 340) raconte que la secte gnostique des Basilidiens célébrait à Alexandrie la fête de l’Épiphanie. De la secte des Basilidiens, dit-on, elle aurait pénétré dans l’Église entière. Ceci est tout à fait improbable et on peut dire impossible. Comment une secte aussi isolée, aussi honnie que la secte des basilidiens, aurait-elle pu servir de modèle et de règle à l’Église entière ? Une telle influence de la part des hérétiques, une telle condescendance de la part de l’Église serait sans exemple dans l'histoire. Bien au contraire, les doctrines et les institutions ont été provoquées dans l’Église comme antithèse aux doctrines et aux institutions hérétiques. Et c'est là, précisément , ce qui sert d'appui â l'opinion qui veut, elle aussi, à son point de vue, faire dériver le 25 décembre de l'hérésie chrétienne.

En effet, d'un autre côté, on estime que c'est par opposition à l'hérésie que la fête de Noël a été établie. C'est une antithèse, une contre-affirmation nécessaire de l’Église, en face des conceptions et des cérémonies hérétiques. Les Manichéens, en général, n'aimaient pas les fêtes chrétiennes ni les idées qu'elles exprimaient : quand ils les célébraient, c'était une tepidissima celebratio, comme dit Augustin. Quant à la fête de la Naissance , ils ne lui accordaient aucune importance et en rejetaient volontiers la pensée (Augustin. cont. Faustum , lib. XX, c. 2).

Les Donatistes rejetaient la fête de l’Épiphanie, c'est-à-dire, en Afrique, la fête de la Naissance. (Augustin en témoigne, Serm. 202, c. II, p. 917.) « Merito istum diem nunquam nobiscum hæretici Donatistæ celebrare voluerunt, quia nec unitatem amant, nec Orientali Ecclesiæ, ubi apparuit illa stella, communicant ».

Quant aux Priscillianites, ils en agissaient comme les Manichéens ; ils rejetaient la fête de la Naissance, parce qu'ils rejetaient l'idée de l'Incarnation, et, ce jour-là, ils jeunaient au lieu de s'associer à la joie commune. « Quod natalern Christi... non vere honorant, sed honorare simulent : Jejunantes eodem die... » (Leonis Magni Epistol. ad Turribium, ep. 93, c. IV.) Ainsi, dit-on, dans la période qui s'étend du troisième siècle à la fin du quatrième, on voit cette concomitance : d'un côté les partis principaux de l'hérésie niant l'idée et l'institution de la Naissance ; de l'autre, l’Église affirmant cette idée et cette institution : ne serait-ce pas là la genèse de cette fête de Noël ?

L'idée est ingénieuse et heureuse de chercher dans l'affirmation énergique de l’Église en face de l'hérésie, l'origine d'une confession de foi ou d'une institution. L'histoire confirme d'une façon générale une pareille conception. En particulier, on sait que le Symbole des Apôtres, cette confession vénérable des premiers siècles de l’Église, fut élaboré progressivement, pendant quatre siècles, pour protester par une doctrine positive contre toute doctrine étrangère, que professaient le gnosticisme et d'autres partis hérétiques. À mesure que ces partis accusaient leurs prétentions, l’Église se sentait obligée, par des dogmes ou des institutions, de proclamer la foi véritable. Mais, dans la question qui nous occupe, le lien n'est nullement visible ; il n'y a guère concordance de temps, il y a absence de témoignages positifs : donc, il est impossible de fonder historiquement l'origine de la Noël sur l'antithèse de l’Église à l'hérésie.

Enfin, et c'est l'opinion à laquelle on peut plus aisément se rattacher, ce me semble, plusieurs trouvent dans le judaïsme l'origine du 25 décembre.
D'abord) il y a, en faveur de cette opinion, le grand fait que toutes les fêtes chrétiennes dérivent du judaïsme ; Pâques et Pentecôte étaient célébrées en Israël,
avant de l'être dans la chrétienté. La forme est demeurée, l'esprit nouveau l'a transformée. C'est une présomption des plus fortes que, puisque les fêtes chrétiennes, en général, viennent du judaïsme, la fête de Noël doit en venir aussi. De plus, un tel procédé est conforme à l'esprit de l’Église occidentale ; elle aimait à se rattacher à quelque texte positif et à quelque tradition lointaine ; elle avait un très vif attachement pour la prophétie et une grande foi en l'accomplissement littéral des divers oracles ; et, quand il y avait une lacune dans le Nouveau-Testament, elle la comblait par la prophétie, prétendant que ce qui avait été prédit, nécessairement était arrivé, alors même qu'il ne serait pas fait mention de l'événement. Enfin, l'origine juive donne une date précise, en même temps qu'une frappante analogie dans la célébration des deux fêtes juive et chrétienne. Le prophète Aggée, II, 18, prédit, pour le vingt-quatrième Jour du neuvième mois, la purification du temple. La consécration du temple en ce jour fut une grande fête juive. Le temple fut reconstruit à diverses reprises. Toujours, sous Zorobabel, plus tard, sous les Macchabées, c'est le vingt-quatrième jour du neuvième mois qu'avait lieu la fête de la fondation. Elle était célébrée avec une grande joie, le soir et la nuit du vingt-quatrième jour du neuvième mois, c'est-à-dire du mois de Kislew, soit le vingt-cinquième jour d'après la façon de compter juive, le soir appartenant au jour suivant. Des réjouissances, des illuminations générales et particulières attestaient l'allégresse publique, c'était la fête de la nuit sacrée, la Kanuka. Aussi la Kanuka, au rapport de Josèphe, était appelée la fête des lumières (Josèphe, Antiquités judaïques, Iib. XII) ; et nous en trouvons l'institution au livre des Macchabées (1 Macchabées, IV et II, Macchabées, X). Partout où les Juifs étaient répandus, cette solennité occupait une importante place. Enfin, pour les Juifs de l'empire romain, Nisan et Avril se correspondant , la Kanuka tombait au 24 décembre au soir, soit au 25 décembre. Plus de doute pour les chrétiens attachés à l'Ancien-Testament et ayant une foi absolue en l'accomplissement littéral de la prophétie. Jésus, celui qui devait abolir, en le transfigurant, le temple du passé ; Jésus, le temple éternel, qui devait couvrir et abriter l'humanité rachetée, était venu au monde le 25 décembre, et cette date, la date de la fondation du temple matériel, sera celle de la fondation du temple spirituel, de la naissance de Jésus-Christ.

Je ne me dissimule pas la gravité de la double et sérieuse considération qu'on peut faire valoir contre cette origine. D'abord l'institution est bien tardive. Si le 25 décembre vient du judaïsme, pourquoi, pendant des siècles, n'entend-on pas parler de cette transformation d'une fête juive en une fête chrétienne ?

Pâques et Pentecôte sont aussitôt en honneur. Cela est vrai ; mais on peut dire que le besoin de célébrer la naissance, et par conséquent le besoin de transformer la date, ne vint que postérieurement. Les méditations de l’Église étaient, comme nous l'avons dit, tout d'abord concentrées et absorbées dans les grands faits essentiels du ministère rédempteur de Jésus. Ensuite on peut invoquer, contre l'origine juive, l'absence de déclarations formelles des grands docteurs des premiers siècles. Cela est vrai encore ; cependant, il n'y a pas défaut absolu à cet égard ; on cite quelques passages, un entre autres de Clément d'Alexandrie. Pour tout dire, aucun ne me parait très direct et concluant, non plus d'ailleurs qu'en faveur des autres opinions. Oui, on voudrait plus de preuves, on serait heureux de pouvoir arriver d'une façon plus logique à un résultat incontestable, on est impatient et on s'irrite contre ce manque de pièces au dossier et ce vague qui enveloppe ces commencements. C'est ici ou jamais le cas de mettre en pratique les principes que je rappelais en commençant. Il faut être discret en présence de ces manifestations religieuses. La Noël est l'éclosion fraîche et pure d'un sentiment profond de l'âme chrétienne ; cela ne s'analyse guère, on le voit d'intuition, on le pressent plutôt qu'on ne le prouve : il y a, en ces matières délicates, comme une sorte de divination. Une réserve naturelle s'impose donc ici à l'historien; et, bien que ma conclusion soit en faveur de l'origine juive du 25 décembre, je ne prétends pas dire que les autres considérations que l'on a invoquées pour expliquer cette date n'aient point de valeur. Il y a eu là certainement des causes complexes. Sans contredit, tous les écrivains et tous les orateurs du IVe et du Ve siècle aiment à se représenter la naissance de Jésus sous l'emblème du soleil, à partir de ce jour reconquérant dans la nature une plus large place. Sans contredit, l’Église, en insistant sur la fête de la naissance, a été heureuse d'affirmer la foi en l'humanité réelle de Jésus, en présence des hérésies qui, sous prétexte de l'idéaliser, n'en faisaient plus qu'un fantôme. Mais l'origine juive me parait plus naturelle, plus en rapport avec le développement interne de l’Église occidentale, et voilà pourquoi elle me parait la cause prépondérante.

Aussi bien cette époque, sinon ce jour était indiquée et forcée. Il y avait trois époques de fêtes dans le monde juif, Pâques, Pentecôte et la fête des Tabernacles, toute rapprochée de la Kanuka. En acceptant Pâques et Pentecôte, l’Église, était naturellement invitée par le parallélisme à placer la fête chrétienne, qui formait une nouvelle série, à ce moment même de l'année qu'elle occupe encore. Non seulement le parallélisme, mais la convenance et presque la nécessité l'y contraignaient ; car, puisque la date chronologique faisait défaut et laissait toute latitude, il 'était bien de placer la fête nouvelle à une distance suffisante des deux autres et de diviser ainsi l'année ecclésiastique en trois cycles solennels, selon l'exemple que fournissait le monde juif. Et pour dire toute ma pensée sur la fixation précise de la date du 25 décembre, peut-être l’Église attachait-elle à ce quantième une moins grande importance que nous n'en mettons à le découvrir. Autant elle tenait à l'esprit, au sens de la fête, autant elle mettait son âme entière dans cet anniversaire, autant elle prenait peu d'intérêt à une question de chronologie. Il se présente ici ce qui apparaît parfois dans ces grands mouvements chrétiens des premiers siècles, ce que j'appellerai le suprême dédain de la date ; et peut-être est-ce ici, de par l'histoire, une invitation à nous souvenir que l'esprit seul donne la vie, que le domaine de l'invisible est le meilleur, que la matière et la lettre n'ont de valeur que comme ferme et auxiliaire de la pensée et du sentiment, et qu'à cet égard les chrétiens qui créèrent cette fête furent bien les disciples du Maître qui avait dit : « la chair ne profite de rien, les paroles que je vous dis sont esprit et vie ».

C'est donc à l'esprit, au sens religieux de cette fête chrétienne qu'il faut s'attacher. Toute institution historique est l'enveloppe, le support et la manifestation d'une pensée , comme tout corps est le support, l'enveloppe et la manifestation d'une âme. Le puissant attrait et l'austère et haute vertu de l'histoire, c'est précisément de nous faire pénétrer à travers la forme extérieure jusqu'à l'âme, à l'esprit dont cette forme est la révélation. Or, il me semble que l'histoire a dégagé ici l'âme et l'esprit de la fête qui est l'objet de notre étude. Noël, dans la synthèse de sa double forme orientale et occidentale, veut dire l'apparition sur notre terre émue et reconnaissante de celui en qui le peuple chrétien reconnaît son maître et son frère ; elle est, à travers les âges, la proclamation sans cesse renouvelée de cette vérité éternelle qu'en Jésus l'élément divin et l'élément humain se sont pénétrés et unis pour l'universelle rédemption.

Ariste Viguié Pasteur, 1868

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Le Pasteur Ariste Viguié, président du Consistoire de Nîmes sera reçu à l'Académie du Gard le 12 novembre 1859, il en sera membre résident jusqu'en 1880. Il sera élu Vice-Président  pour l'année 1868 et Président l'année suivante.
Ci-dessous, une petite biographie "Le Pasteur Viguié par Philippe Vassaux."

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Jean-Ariste Viguié (1827-1890)

Un buste, solidement planté sur son socle, don d'anciens catéchumènes reconnaissants, nous rappelle, à l'entrée de la salle haute, le ministère à l'Oratoire de 1882 à 1890 du pasteur Jean- Ariste VIGUIÉ. Né en 1827 à Négrepelisse dans le Tarn-et-Garonne, Jean- Ariste VIGUIÉ fait des études de théologie à Montauban, Berlin, Bonn et Strasbourg. En 1850 il soutient une thèse de licence "De la nature de l'autorité du Nouveau Testament" et en 1858 une thèse de doctorat sur l'Histoire de l'apologétique réformée.
Nommé suffragant à Montauban en 1851, pasteur à Nîmes en 1853, il devient président du Consistoire de Nîmes en 1866, membre et président de l'Académie de Nîmes. Professeur à la Faculté de Théologie de Paris en 1879, il est nommé en même temps à l'Oratoire en 1882, lors de la division de l'Église Réformée de Paris en plusieurs paroisses. Décédé subitement à 63 ans, Jean- Ariste VIGUIÉ a manifesté une étonnante curiosité intellectuelle qui l'a conduit à traiter les sujets les plus divers : les principes de la Réformation, le panthéisme et les sciences exactes, le symbole des apôtres, le positivisme et le matérialisme, Constantin et son temps, Noël, la légende de Guillaume Tell, les théories politiques libérales au XVIe, la musique religieuse, Calvin à Strasbourg, la misère dans la législation d'Israël. Prédicateur de renom, il publie trois recueils de sermons et est appelé à prendre la parole dans de très nombreuses manifestations d'Église : dédicace des temples de Montpelier, Négrepelisse, Toulon, Saint-Affrique, consécrations pastorales, fêtes d'Église.
Le pasteur VIGUIÉ a été l'un des chefs de file parmi les plus indiscutés du mouvement libéral. Le très orthodoxe J. PEDEZERT l'a reconnu lui-même dans ses " Cinquante ans de souvenirs religieux ". Les contemporains du pasteur de l'Oratoire ont souligné la largeur et l'audace d'esprit de cet homme chaleureux, qui a su à la fois instruire et édifier. Frank PUAUX a dit de lui : "Jamais son cœur n'était plus ému de joie et de reconnaissance que lorsqu'il avait le privilège de proclamer au nom de Jésus-Christ, les saintes réalités, de la vie éternelle ".  Philippe VASSAUX



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