Alimentation en Eau Potable

de la ville de Nîmes

par le Docteur Delon

Extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1922-1923, pages de 115 à 129


Mise en service en 1913 de la nouvelle installation de pompage de Comps

Pendant des siècles, la ville de Nimes a été alimentée par la source de la Fontaine et surtout par ses puits. Durant cette longue période, la fièvre typhoïde a sévi d'une façon endémique. Aucun Nîmois n'y échappait, grave ou légère, tous la subissaient. Mes souvenirs d'enfance me retracent le tableau d'une époque pendant laquelle j'ai vu cette grave maladie frapper et désoler la plupart des familles de ma connaissance.  

Le sous-sol de notre ville est, en effet, contaminé par les déjections de toutes sortes que les générations successives y ont accumulées. Aussi, les eaux de nos puits, si fraîches, si limpides et si séduisantes qu'elles puissent être, contiennent toutes des traces de matières organiques, résultant de la décomposition des substances animales ou végétales qui imprègnent les diverses couches de terrains. Le colibacille s'y trouve en abondance. Cet être microscopique vît dans l'intestin de l'homme et des animaux. Aussi sa présence est-elle l'indice certain d'unie contamination fécale. Quelquefois, ce microbe devient virulent et dangereux, agent de graves infections. Il a aussi une inquiétante parenté avec le germe de la fièvre typhoïde.  

Par contre, la source de la Fontaine fournissait de l'eau plus pure, bien innocente de tous ces méfaits. Elle était infiniment préférable au point de vue sanitaire. Nous verrons dans la suite qu'elle est un peu déchue de sa primauté plusieurs fois séculaire, car la nouvelle captation nous abreuve d'une onde presque irréprochable et de pureté supérieure à celle de notre antique et chère Némausa.

 

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Première adduction d’eau du Rhône, 1868-1872

 

Une autre conséquence pénible de cet ancien état de choses, c'était la pénurie pendant la sécheresse de l'été. On allait laver le linge au Gardon ou à Beaucaire. Je me rappelle avoir vu, dans mon enfance, une pompe à vapeur installée auprès de la Fontaine y puiser, à grand effort, dans la profondeur du creux, toutes les disponibilités liquides.

La municipalité comprit la nécessité de procurer à la ville le bienfait de flots abondants et purs. C'était en .effet une nécessité primordiale pour le développement ultérieur de la cité, le bien-être de ses habitants et l'amélioration de la santé publique.

Ceux de nos édiles qui conçurent et exécutèrent cette première captation rendirent un grand service à leurs concitoyens et ils méritent toute notre reconnaissance. Cet important travail fut exécuté et terminé vers 1872. Il consista en ceci :

Creusement à 200 mètres du Rhône d'une longue galerie de six mètres de profondeur, placée parallèlement au fleuve. L'eau Rhodanienne, bourbeuse et tourmentée, traversait (pour se rendre dans cette puissante. tranchée), le sous-sol composée de sable et de gravier. Elle y arrivait purifiée, claire, paisible, domptée. Les pompes la prenaient alors pour la refouler vers Nimes.

Pendant de longues années, la ville fut alimentée abondamment, d'une façon non pas certes absolument irréprochable au point de vue de la stérilité bactérienne, mais cependant très satisfaisante : La situation sanitaire s'améliora beaucoup.

Mais un accident fréquent et toujours imprévu troublait les Nîmois dans la paisible jouissance de cette abondance liquide si longtemps souhaitée. C'étaient les ruptures de la conduite et les interruptions du service. M. Reinaud, maire de Nimes, fit établir une canalisation nouvelle en ciment armé qui amenait l'eau jusqu'à la ville par la pente naturelle, en suivant la route de Beaucaire. On abandonnait donc la route d'Avignon ; on évitait aussi la côte de Meynes et les fortes pressions (causes de rupture), nécessaires au refoulement dans le réservoir de Meynes.

La conception qui fut réalisée à cette époque était certes très heureuse, puisqu'elle a, pendant trente ans et plus, amplement satisfait à tous nos besoins.

 Mais, peu à peu, certains défauts du plan primitif s'accusèrent et devinrent gênants :

 1° La galerie de filtration aurait dû être établie parallèlement au cours principal du Rhône et non près d'une branche accessoire (d'une laune, comme on dit en langage local), qui pouvait un jour se colmater et même se déplacer.

2° La galerie aurait fourni plus abondamment si elle avait été creusée de trois mètres de plus. Elle aurait dû atteindre neuf mètres de profondeur au lieu de six.

 Les conséquences de ces erreurs, bien difficiles à prévoir au début, se manifestèrent pleinement à la longue. On s'aperçut que ce vaste collecteur ne recevait plus une quantité d'eau suffisante pendant les chaleurs de l'été, au moment où le Rhône est bas et où la consommation est fortement accrue.

 II faut remarquer que ce sont là des dépenses bienfaisantes, utiles à la santé publique. Elles augmentent fatalement par le progrès même de la civilisation.

 

Mise en service en 1913 de la nouvelle installation de pompage de Comps.

 

Il était donc nécessaire de chercher d'autres combinaisons, car la galerie se colmatait peu à peu.

 Les municipalités qui se succédèrent, toutes animées d'un réel souci du bien de la cité, commencèrent alors, suivant une vieille expression nîmoise, « à tirer des plans ».

 On sollicita le concours d'ingénieurs éminents ; divers projets furent présentés et discutés. Le Sud-Electrique proposa, en 1908, une conception intéressante élaborée par M. Bonfort et qui consistait dans le creusement, « à titre d'expérience et pour se rendre compte des réserves aqueuses du sous-sol », de trois puits tubulaires de quarante centimètres de diamètre. Le Conseil Municipal adopta cette idée, le 30 juillet 1908, mais il confia l'exécution du travail aux services techniques de la ville.
Les cylindres métalliques qu'il s'agissait d'enfoncer dans le sol sont constitués en tôle d'acier de six millimètres d'épaisseur ; ils ont un diamètre intérieur de 40 centimètres. Longs de dix mètres, complètement étanches dans leur partie supérieure, ils se trouvent au contraire perforés d'ouvertures nombreuses sur les trois derniers mètres au fond, de façon à ne recueillir que l'eau de la seconde couche aquifère, l'eau pure de la profondeur.

Ces puits ont été foncés en partant du radier de la galerie de filtration qui est à six mètres au-dessous de la surface du sol.

Ces expériences réussirent pleinement ; elles donnèrent un rendement de 40 litres à la seconde par puits, le double des prévisions primitives.

D'autre part, les analyses chimiques et bactériologiques démontrèrent l'excellente qualité de l'eau. Il n'en existe pas de meilleure.

Le projet du Sud-Electrique fut donc réalisé : il consistait dans le forage d'un certain nombre de puits filtrants de 40 centimètres de diamètre, atteignant chacun une profondeur de dix mètres et reliés les uns aux autres par un grand tuyau collecteur, servant de récipient général.

En même temps fut installée au-dessus même de la galerie de filtration une puissante usine électrique destinée à actionner les pompes.

Cette nouvelle installation entra en service, en 1913, et, depuis cette époque, elle n'a cessé de donner complète satisfaction à l'administration municipale et aux habitants.

La différence entre l'ancienne et la nouvelle captation peut se résumer ainsi ;

L'Ancienne distribuait l'eau superficielle, venue du fleuve à travers le gravier, eau de qualité moyenne mais non toujours irréprochable au point de vue bactériologique.

La Nouvelle puise, à 16 mètres au-dessous de la surface du sol, dans une nappe souterraine, des masses liquides toujours jaillissantes et renouvelées, parfaite comme composition chimique et pures de tout germe microbien pathogène.

 

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L'eau qui sert actuellement à l'alimentation de la ville de Nimes est elle à l'abri de toute contamination ?

 

Dans la galerie souterraine que nous connaissons, entre l'eau superficielle quelque fois impure et l'eau profonde parfaite, il y a simplement voisinage, mais point de mélange.

Le grand tuyau collecteur qui reçoit l'eau p'ure de la profondeur baigne dans un véritable lac venu du Rhône et collecté, comme par le passé, dans ce vaste réservoir, dont lequel nous puisions avant 1913, pour les besoins de la ville.

Malgré cette promiscuité, des dispositions sévères ont été prises pour qu'il n'y ait aucune fusion entre le flot admirablement pur que nous buvons et l'affluent venu du puissant fleuve voisin. On a placé des capots protecteurs qui empêchent toute infiltration. La séparation est complète et absolue ; elle est nécessaire, pour empêcher toute compromettante familiarité, parce que les niasses qui circulent presque à découvert sont facilement accessibles aux poussières et impuretés diverses.

Remarquons aussi que pour le cas improbable où la nappe profonde viendrait à tarir, il serait toujours possible de puiser dans la vieille galerie et d'alimenter la ville, comme elle l'a été pendant 30 ans, d'une façon, sinon parfaite, du moins très satisfaisante.

Tout mélange est donc impossible dans le souterrain de filtration. Mais on doit se demander s'il on est partout ainsi, s'il n'y a aucune communication, sur toute l’étendue du territoire circonvoisin, entre la masse profonde aqueuse qui étanche notre soif et la nappe superficielle exposée aux multiples souillures des fumiers, des habitants, des fosses fixes.

C'est là en effet le problème essentiel. Pour le résoudre, il importe surtout d'étudier les coupes du sous-sol. Nous trouvons dans le Bulletin Municipal (année 1908, 1er trimestre), 4 coupes géologiques différentes qui indiquent toutes une même succession de terrains superposés, c'est-à-dire, une couche d'humus à la surface et, au-dessous, des stratifications alternées de sable, de cailloux, de graviers jusqu'à 22 mètres de profondeur. Au-dessous on rencontre une forte assise de rochers calcaires.

Mais il faut remarquer dans ces 4 coupes, à cinq mètres au-dessous du radier de la galerie de filtration, soit à 12 mètres de la surface, une lame d'argile grise, très dure, compacte, absolument imperméable, ayant dix à douze centimètres d'épaisseur.

Cette paroi argileuse qui s'étend fort loin est une véritable cloison étanche qui sert de séparation absolue 'entre les eaux extérieures et celles de la nappe profonde.

Il y a, en effet, dans le sous-sol, de toute la région, deux plans liquides superposés, circulant dans le même sens et séparés par le diaphragme que nous avons signalé.

 

NAPPE PROFONDE

 

On la trouve entre 16 et mètres au-dessous de la superficie. Cette profondeur est une condition de sécurité très rassurante, car les hydrologistes contemporains recherchent surtout les réserves inépuisables accumulées dans l'intimité du sous-sol, à cause de leur qualité parfaite et de leur stérilité en bactéries pathogènes.

La plupart des grandes villes industrielles, dont la croissance en population a été très rapide, se sont posé avec anxiété le problème de l'alimentation en eau pure. Malgré de grandes facilités d'accès et de pompage, elles n'ont pas hésité à délaisser les sources superficielles, à cause de leur pollution fréquente. Dès lors, elles ont recherché des lacs ou courants souterrains profonds qui ont, en certains pays, l'inconvénient d'être riches en fer. On préfère recourir à des installations coûteuses pour obtenir la déferrisation que de puiser dans les zones supérieures plus accessibles.

L'eau la plus lointaine est donc tout particulièrement précieuse. Est-elle complètement indépendante des souillures possibles de la masse fluide extérieure, la plus voisine du sol et la moins bien protégée. L'existence entre 10 et 12 mètres d'une véritable assise d'argile très dure que nous avons déjà signalée, permet de l'affirmer. Cette sorte de carapace imperméable a été rencontrée lors du forage de tous les puits. Elle s'étend, donc au loin, en lame régulière et continue et elle s'oppose sûrement au mélange des eaux superposées.

Cette induction légitime a été confirmée par l'expérience de la fluorescéine relatée dans le rapport de M. Rieu (Bulletin municipal 1908, 1er trimestre).

L'emploi de ce puissant colorant injecté en grande quantité (soixante litres de la solution), à 12 mètres de profondeur, c'est-à-dire, dans la nappe profonde et au-dessous de la séparation argileuse préservatrice, a démontré :

1° Qu'il n'y a aucune communication entre ces deux régions souterraines, parce que le colorant injecté dans la plus profonde n'est jamais apparu dans l'eau de surface.

2° Que les effectifs liquides accumulés dans les profondeurs du sous-sol sont inépuisables et qu'ils présentent un courant large et puissant qui a dû entraîner la fluorescéine dans la direction du fleuve, puisqu'elle n'a pas été revue.

Il est donc possible qu'au-dessous du Rhône extérieur coulant à l'air libre, il y ait une sorte de large Rhône souterrain.

Une autre preuve de la non communication est fournie par l'expérience suivante :

Quand on pompe pendant plusieurs heures, dans les puits actuellement en usage, le niveau de l'eau baisse légèrement dans les puits mais ne baisse pas dans la galerie de filtration.

La sécurité semble donc complète. Mais on peut se demander si le village de Comps ne deviendra, pas, dans certaines circonstances exceptionnelles, la cause de la contamination du courant souterrain qui nous donne la joie de l'eau pure et salubre.

Remarquons d'abord la grande distance, 3 kilomètres 500 entre ce village et la prise d'eau.

 Si la couche aqueuse profonde était polluée par Comps, il est probable que les matières dangereuses ne parviendraient pas jusqu'aux pompes qui mous alimentent, d'abord à cause de l’éloignement, et aussi, à cause de la proximité du Rhône qui est à quelques mètres seulement de ce village ; car, en vertu d'un précepte général admis par les ingénieurs et les géologues, les fleuves exercent une sorte, de drainage et d’attraction sur toutes les eaux de leur bassin, superficielles ou non. Les courants souterrains vont dans le même sens et ont la même direction générale que les rivières, de la surface et que le fleuve même. Des réserves liquides extrêmement considérables, quelquefois colossales, circulent lentement dans le sous-sol, avant d'aboutir au flot large et majestueux, au grand collecteur central qui draine toute la contrée, en surface comme en profondeur.

C'est ce que l'on peut induire de l'expérience de la fluorescéine. Il est probable que la masse aqueuse souterraine présente un mouvement de progression puissant qui la conduit vers le Rhône souterrain ; la matière colorante s'y est perdue.

Donc, si la nappe inconnue, virginale et fraîche où nous puisons largement, était par accident, violée et souillée, il est sûr que les eaux impures suivraient leur pente naturelle. Elles se dirigeraient vers le fleuve tout proche, c'est-à-dire vers Ie grand collecteur de toutes les eaux intérieures, vers le centre d'attraction de tout le système hydrologique souterrain. Il serait difficile d'admettre la descente des impuretés vers le Sud et leur déviation vers l'Ouest, vers la prise d'eau de la ville qui est à 3 kilomètres 500 au sud du village et à 200 mètres à l'ouest du Rhône. Pour que cet effet imprévu put se produire, il faudrait supposer que ces impuretés remonteront le courant qui coule juste dans le sens opposé.

Donc la pollution par les habitants de Comps ne serait pas dangereuse.

Elle paraît même pratiquement impossible. Cherchons, en effet, dans quelles circonstances, elle pourrait se réaliser. Il n'y a qu'un fait à redouter, c'est le creusement d'un puits jusqu'à 12 ou 14 mètres de profondeur, ayant perforé le rempart d'argile imperméable et compacte. Il est bien certain qu'une communication de ce genre entre la surface si souvent contaminée et la mystérieuse retraite des eaux profondes rendrait ces dernières plus facilement vulnérables.

En réalité, il n'existe aucun puits semblable. Tous les habitants s'alimentent dans la couche supérieure. On la trouve à partir de trois mètres, plus élevée quand le fleuve est dans une période de crue, plus basse par les basses eaux, mais toujours inépuisable.

Elle s'étend de trois mètres jusqu'à 12 mètres en profondeur dans le sous-sol. Son abondance exclut toute recherche des eaux cachées, presque inaccessibles, qui vivent dans les entrailles de la terre, et même toute tentative d'exécution d'un travail techniquement difficile et très coûteux.

Si les puits de Comps ne peuvent forcer l'intimité de la nappe qui satisfait si amplement à nos besoins, il est certain à fortiori que les puisards absorbants, les fosses à purin non étanches, les déjections des lavoirs, et le ruissellement pluvial ne l'atteindront pas davantage.

La retraite de nos eaux sera donc inviolée.

Beaucaire nous inquiète encore moins.

Cette ville est située à trois kilomètres en aval, au Sud et à l'Est de l'usine. Elle ne peut salir par ses lavoirs, ses purins, que la nappe superficielle qui se déverse directement dans le fleuve tout voisin.

 

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Reste le danger d'une inondation.

L'expérience du passé l'a démontré ; la galerie de filtration elle-même n'a jamais été envahie par le flot bourbeux de la crue (1). La défense de cet immense récipient voûté et maçonné a jusqu'à présent été parfaite. Les eaux superficielles elles-mêmes sont à l'abri. Donc les eaux profondes, doublement protégées, continueront, même dans le cas d'unie inondation, leur vie tranquille et pure loin des agitations et des fanges de la surface.

 

(1) NOTA GM : En cette fin d’année 2003, cette phrase est cruellement démentie, la station de pompage de Comps sera submergée par une crue du Rhône, l’équipement sera endommagé et Nîmes manquera d’eau pendant plusieurs jours, toutefois cette  réserve d’eau pure ne sera pas polluée.

 

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Un mot maintenant de la nappe superficielle.

Cette dernière est exposée à bien des contaminations. Mais ce fait nous laisse indifférents, puisque la cloison étanche d'argile imperméable empêche tout mélange avec les eaux profondes.

Cette stratification argileuse, c'est la protection inerte des réservoirs mystérieux où nous puisons. C'est une défense fixe. La nappe superficielle, c'est la protection active et vivante, c'est la défense mobile. Elle reçoit en effet les impuretés venues du dehors, et elle joue le rôle d'un trottoir roulant qui les mobilise vers le Rhône, vers son courant à l'air libre, ou vers ses courants souterrains inconnus qui drainent toute la région.

Par suite de ce glissement général des eaux de surface vers le fleuve, une perforation même accidentelle de la cuirasse d'argile ne comporterait aucun danger, à moins de se trouver juste à proximité de la prise d'eau. Or, par une précaution judicieuse, les terrains voisins appartiennent à la ville de Nîmes et forment tout autour de l'usine un suffisant périmètre de protection.

Nous pouvons donc conclure :

1° Les eaux d'alimentation fournies à nos concitoyens sont parfaites comme composition chimique et pure de toute bactérie pathogène.

2° En vertu de dispositions sagement prises et surtout à cause de la couche argileuse interposée, elles se trouvent à l'abri de toute contamination.

Donc, à Comps, à l'émergence, le flot souterrain qui .nous abreuve est d'une pureté irréprochable et d'une salubrité exceptionnelle

II s'agit de savoir maintenant si le transport jusqu'à Nîmes ne va pas éclabousser quelque peu sa robe d'innocence. Les voyages sont périlleux et même corrupteurs. Il peut se faire que la canalisation qui passe à travers champs et qui traverse notre sous-sol depuis longtemps infecté, ne soit plus parfaitement étanche. Des infiltrations fâcheuses fit des mélanges dangereux pourraient en résulter.

Depuis longtemps, les analyses bactériologiques démontrent l'existence de certaines impuretés à l’arrivée. Des germes s'y sont introduits, s'y s'ont glissés subtilement, on ne sait pas comment. La perfection, on le sait, n'est pas de ce monde; Malgré ces ombres légères, l'eau qui coule à nos robinets est toujours de bonne qualité.

Pour apprécier la potabilité de cet aliment indispensable, on recherche d'abord la présence ou l'absence du colibacille, dont j'ai esquissé les méfaits dans les premières lignes de ce travail. Cet infiniment petit est très répandu dans la nature. Il est difficile de s'en garantir d'une façon absolue. Malgré son origine intestinale, on admet qu'une eau de bonne qualité peut renfermer dix à cinquante colibacilles par litre sans cesser d'être salubre. Si ce nombre s'élève de 50 à 100, la qualité est douteuse, la limite de nocivité étant toute voisine. Par contre, une teneur de 1 a 50 de ces germes non plus par litre mais par centimètre cube est un signe franchement défavorable, indice d'un danger réel. Car cette proportion équivaudrait à un chiffre de mille à cinquante mille colibacilles par litre. (1)

 

(1) NOTA GM : Ne pas prendre ces normes pour argent comptant, elles datent de 1922 !!!

 

Cet être multiforme, dont l'ubiquité est déconcertante, devient souvent, dans des circonstances mal connues, un agent très actif d'infections diverses. Il importe de l'éviter et d'exclure absolument aussi toute eau contenant le bacille de la fièvre typhoïde, qui a de nombreuses affinités avec le précédent.

En dehors de ces agents microscopiques qualifiés de pathogènes parce que producteurs éventuels de maladie, on rencontre toujours, dans les sources et dans les fleuves, des colonies banales d^ microbes inoffensifs qui pullulent, qui vivent intensivement dans une goutte d'eau et dont nous absorbons tous les jours de milliards sans danger aucun.

Néanmoins, l'excès en tout est un défaut. Si ces colonies dépassent largement le chiffre de 400 par centimètre cube, on voit l'hygiéniste froncer le sourcil et craindre un désastre. Trop de pullulations dans ce monde de la vie infime paraissent suspectes ; elles semblent indiquer le voisinage de foyers impurs et de fermentations anormales.

J'ai eu recours, pour l'analyse des- eaux de la ville, à la compétence d'un de mes jeunes confrères, le Docteur Arnaud, très expert en bactériologie.

Voici le résultat de s'es recherches :

L'eau venue de Comps, prise au robinet d'une maison de la ville ne contient pas un seul colibacille par litre.

Donc pas la moindre infiltration fécale : La canalisation a bravé l'injure du temps ; elle est restée parfaitement étanche et utilement préservatrice de toute pollution venue de .l'extérieur.

A ce premier résultat si satisfaisant, s'en joint un autre qui va tempérer un peu notre optimisme ; car les colonies microbiennes banales, non pathogènes sont assez nombreuses ; elles arrivent aux environs du chiffre de 400 colonies par centimètre cube, chiffre limite.

D'où viennent ces colonies inoffensives, certes, mais un peu trop nombreuses ?

Je pense qu'elles existaient dans l'ancienne canalisation qui a servi pendant longtemps, avant 1913, à -la circulation de l'eau du fleuve, quelquefois insuffisamment épurée.

En résumé, parfaite et merveilleuse au départ de Comps, elle est simplement bonne à l'arrivée à Nîmes.

Aussi la fièvre typhoïde a-t-elle disparue de notre ville. Les cas très rares que l'on y 'observe appartiennent à des personnes qui ont contracté la maladie ailleurs, (notamment par la consommation de coquillages crus) et qui viennent se soigner à Nîmes.

 

LES EAUX DE LA FONTAINE

 

Des constatations moins heureuses résultent de l'analyse bactériologique des eaux de notre antique Fontaine.

Ici le tableau s'assombrit :

 Par litre, on trouve 80 colibacilles.

Et par centimètre cube 520 colonies microbiennes.

Nous savons qu'au-dessus de 50 par litre, la proportion des colibacilles est excessive et que le nombre des diverses colonies microbiennes banales et pacifiques ne doit pas dépasser 400.

Ce résultat est décevant. L'eau de la Fontaine de Nîmes qui a attiré autour de son jaillissement et de sa fraîcheur, l'es peuplades primitives, qui lies a séduites 'et fixées, se trouve donc supplantée par une nouvelle venue, une vulgaire parvenue, par l'eau de Comps.

Notre Fontaine fait partie d'un groupe de sources que l'on appelle Vauclusiennes, par comparaison avec notre célèbre voisine. Malheureusement, cette dénomination poétique cache une défaveur certaine.

Dans leur bouillonnement abondant, les sources Vauclusiennes, fournissent des eaux de ruissellement qui sont toujours impures. Or, seules, les émergences liquides résultant d'une longue et lente filtration à travers d'épais ses couches de terrains non fissurés, peuvent amener au jour des 'eaux non suspectes et complètement dépourvues de germes dangereux.

Les sources ainsi dénommées, émergent générales ment au pied de plateaux dénudés et de' montagnes calcaires. Sous ces roches ravagées et fissurées, l'eau glisse, ruisselle, elle se perd dans des conduits souterrains, s'accumule dans des grottes profondes et elle réapparaît à la surface, quelques heures seulement après être tombée du ciel.

 Quand l'orage gronde et que la Fontaine grossit, les déjections accumulées sur le sol sont entraînées et elles surgissent mêlées au flot subit de la crue d'est alors tout simplement l’eau de lavage de nos garrigues qui nous est servie ; d'où l'explication de son impureté actuelle et l'aggravation évidente d!è cet état, après les pluies torrentielles.

Il m'est pénible de profaner ainsi notre vénérable Némausa.

L'Hygiène est vraiment une personne désagréable et revêche. Elle trouble notre quiétude et elle ternit la claire transparence de notre chère source si agréablement chantée par nos poètes nîmois.

Fille d'Esculape, la déesse Hygie est née pour le tourment des braves gens, elle les empêche de se livrer à la bonne loi naturelle et de goûter des joies innocentes, mais sensuelles. Intervenant avec un visage renfrogné, elle gourmande les amis qui, autour d'une table garnie de mets délicats, se livrent à la joie des banquets. Elle a même l'audace de condamner la dégustation trop fréquente et trop prolongée des meilleurs crus de nos coteaux. Cette dame acariâtre pénètre dans l'e nuage de fumée odorante produite par des cigares exquis et elle traite de tabagie cette réunion amicale.

Elle agace l'es propriétaires en leur demandant des réparations, les locataires en exigeant d'eux quelque élémentaire propreté. Aux gens bien portants, elle impose des vaccinations multiples et menue douloureuses.

Sous prétexte de prolonger notre vie, elle la rend intolérable.

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Série d'articles sur les projets de canaux et d'irrigation dans le Gard
> Projet de rendre le Vistre navigable en 1696
> Les eaux du Rhône à Nîmes projet de 1868 à 1871
> Le Projet Dumont en 1881
> Etude des projets des Canaux Dérivés du Rhône par Emile Jamais en 1883
> Les eaux du Rhône à Nîmes projet de 1913
> Les Canaux du Rhône, un rendez-vous manqué

 

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