La Cathédrale Romane de Nîmes
par M. G0URON
 
 
 
Un des problèmes les plus curieux que peut poser l'histoire de Nîmes est celui de l'occupation au haut moyen-âge des monuments antiques de cette ville, puisque l'utilisation de ces bâtiments par les autorités, vicomte, évêque, chevaliers des Arènes, assemble des habitants, après accords entre elles, en a sauvé plusieurs et leur a permis de parvenir jusqu'à nous.
 
La cathédrale de Nîmes a été élevée à l'emplacement d'un de ces grands édifices, par suite d'une occupation dont on ne sait rien. L'importance des ruines était telle, la facilité qu'il y avait à en utiliser les matériaux était si grande„ qu'on n'a pas songé à loger la cathédrale contre les remparts comme il est arrivé si souvent ; du reste elle n'était pas éloignée du mur romain, et du point qui en était le plus fort, la porte d'Arles.
 
Quel était ce bâtiment antique ?
 
Il n'y a à relever que des hypothèses. On a voulu y voir soit la fameuse basilique de Plotine, femme de Trajan (1), soit le temple d'Auguste (2)). Cette dernière solution était celle de Ménard qui se fondait sur l'existence de deux protomes de taureaux au-dessus de la porte septentrionale de la cathédrale. Pour Rulman c'était le temple de Diane ; quand on rebâtit l'église en 1609, on trouva, écrit-il (3),
 
« à deux pieds de la terre remuée, des sépultures antiques de pierre froide ronds et en quarré, et au-dedans des tête& de bélier et des cornes naturelles en leur entier au dedans. C'était sans douté le temple de Diane, car aux entrées en y fichoit des têtes et des cornes de boeufs. »
 
(1) Jean Poldo d'Albenas, Discours historial de l'antique et illustre cité de Nîmes, 67.
(2) Ménard, Histoire de Nismes, VII, 108.
(3) Bibliothèque municipale Nîmes : Ms. 107.
 
Ménard, mieux renseigné, voyait dans ces débris les gestes de tauroboles
 
« sortes de sacrifices solennels qu'on offrait à Cybèle, la mère des dieux, pour la santé des empereurs »
 
Mazauric, à son tour, a cru voir dans cet édifice le marché antique, en se fondant sur le nom de forum macelli donné à la place de la cathédrale au Moyen-Age (1) ; il plaçait du reste à cet emplacement le forum romain, s'appuyant également sur le terme de via recta donné à la rue de la Madeleine qui va d'est à ouest, qui aurait été le cardo maximus, tandis que le caminus, le « camen », nord-sud aurait fait avec la première le decamanus maximus, éléments essentiels de la topographie urbaine antique. Quand on voit la persistance au moyen âge des termes de carieres, meta, campus martius, porta ispana, porta arelatensis, on ne peut qu'être troublé par l'interprétation de Mazauric, sans qu'on puisse écarter non plus l'hypothèse d'un transfert d'appellations.
 
Diverses parties des fondations die ce temple ou de ce marché ont été dégagées. En 1610 d'abord on a découvert « des statues, des instruments de sacrifice, des morceaux de mosaïque,... la coupe d'un grand arc... quantité de têtes de béliers et de cornes de taureaux » (2). En 1839 (3) on a découvert dans la, rue Saint-Castor, entre l'escalier de la petite porte de la cathédrale et la maison qui fait le coin de la rue Arc-Dugras,... à 1m25 de profondeur, trois assises énormes, en pierre froide, taillées et appareillées avec soin, et une autre quelques pas plus loin.
 
(1) F, Mazauric. Les musées archéologiques de Nîmes, Recherches et acquisitions (1916-1917), 34.
(21 Ménard, op cit, VII, 109.
(3) E, Germer-Durand, Découverte. archéologiques (1870), 41.
 
Ces pierres sont posées à l'aplomb du soubassement du clocher », ce qui montre que le mur nord de l'église repose sur des fondations antiques en place ; Germer-Durand y voyait le mur latéral nord de l'édifice contigu. Les fouilles de 1920 dirigées par M. Espérandieu ont dégagé à une trentaine de mètres plus à l'est la prolongation de ce mur, ce qui tend à prouver que la place comme la cathédrale occupe l'emplacement du monument dont la destination reste inconnue.
 
Les origines de la cathédrale
 
On place vers le début ou le milieu du IVe siècle l'établissement du christianisme à Nîmes Un concile fut tenu en cette ville et 393 contre les ithaciens. On a supposé qu'à ce moment la seule église existante était celle de Saint-Julien hors les murs (1), près du monastère de Saint-Baudile, mais des inscriptions chrétiennes du Ille ou IVe siècle ont été exhumées, d'une nécropole qui entourait une autre église rurale, Sainte Perpétue. On ne voit pas ce qui peut faire écarter l'hypothèse d'une première cathédrale installée dans ce qui restait de l'ancienne basilique ou temple romain ; en 407 le martyr de saint Félix a pu coïncider avec la ruine de cet édifice.
 
(1) Deux évêques, jean et Saint Remessaire, y furent enterrés vers 526 et 640. Goiffon, Les Bénédictins à Nîmes, 13.
 
Dans la première moitié du VIIe siècle l'évêque saint Remessaire dotait la cathédrale d'importants domaines. M. Espérandieu paraît bien avoir retrouvé l'emplacement de celle-ci, il a découvert en effet, en 1920, le départ d'une abside tournée vers l'ouest sous la boulangerie Brain, en mettant à jour le bas d'une colonne antique servant à flanquer l'entrée d'une abside reconnaissable à un mur courbe dont la demie circonférence a 5 mètres de rayon. Il semble bien que dans ces fragments de construction on ait trouvé ce qui reste de la cathédrale de Saint-Rémessaire ; des traces d'incendie jusque dans les substructions indiquent le sort qui lui fut réservé.
 
Sur les fondations du mur du chevet, mais les débordant an nord et coupant l'abside, le même archéologue a dégagé une construction postérieure qu'il attribue au VII, siècle, sinon plus tard, sans expliquer son objet. La protection que Charlemagne consentit en 808, à la prière de l'évêque chrétien (1), la réunion des biens de l'abbaye de Saint-Baudile à ceux du chapitre, le nouveau diplôme de Louis le Débonnaire en 814 coïncident peut-être, ou bien ont suivi la construction d'une nouvelle église orientée cette fois à l'est (2), et précédée d'un atrium. Nous proposons de voir dans les fondations retrouvées d'un édifice rectangulaire ayant utilisé une partie d'un chevet mérovingien, justement cet atrium, de 21 mètres de large (chose intéressante ce sera la largeur de l'église des XIe - XIIe siècles). Achevons de parler des fouilles en rappelant que des sarcophages de pierre en grand nombre ont été trouvés, les uns rangés perpendiculairement au mur et contre lui, à l'intérieur, les autres allongés contre lui à l'extérieur.
 
L'existence d'un atrium est attestée par les chartes du chapitre au X, siècle, sorte de cour intérieure ou de cloître qui a été parfois conservé, comme à Saint-Ambroise de Milan, (3).
 
(1) En 812, Charlemagne fait construire la basilique de Maguelone pour laquelle il envoie chercher des marbres et des colonnes à Nîmes, Recueil des Historiens de France, III, 130.
(2) Ce n'est qu'à partir du VIIIe siècle que les absides. sont tournées vers l'orient.
(3) Enlart, Manuel d'archéologie française, I (1919), 130.
 
Un tombeau vénéré, celui du Saint Sauveur s'y trouvait, auprès duquel, le plus possible, on cherchait à se faire inhumer. Des niches ou en feux étaient aménagées dans les murs pour recevoir des. sarcophages. En 1824 on a dégagé une de ces niches où se trouvait encore en place un tombeau taillé dans une frise aulique ornée de deux sphinx ou griffons, et placés sur deux chapiteaux de basse époque romaine ; cet ensemble qui, reconstitué est placé dans la cour du musée lapidaire, pourrait être l'autel du Saint Sauveur (1), ou le tombeau d'un personnage important. Il est certain, d'après les documents, que les actes solennels se passaient entre 876 et 921 dans cet atrium, et que les serments des parties ou des témoins étaient prêtés sur l'autel du Saint Sauveur. Il n'en est plus question après 921, bien que l'usage se maintint de passer les actes publics devant la porte principale de la cathédrale ; c'est là, sous l'ormeau traditionnel, qu'en 1075 la vicomtesse Ermengarde, veuve de Raymond-Bernard, donna une métairie considérable. Sur les ruines de l'atrium on continue à enterrer ; on a ramassé dans les tombes des monnaies datées entre 1053 et 1194.
 
Passons à l'église carolingienne elle-même (2), ou plutôt aux églises, car il en existait trois dédiées à Notre-Dame, Saint-Etienne et Saint-Jean, groupe ternaire qui a existé à Paris, à Auxerre, à Gap, à Nantes, au Puy, à Avignon, et ailleurs. L'église Saint-Etienne au nord-ouest était dite « du Chemin », parce qu'elle flanquait la porte d'entrée de l'enclos de la petite ville épiscopale, sur le chemin, voie d'accès par excellence, le caminus qui deviendra la rue de la Lombarderie.
 
(1) On lit dans une charte de 876: predicti testes, venientes ad ecclesiam Sanote-Marie principatem, manus suas supra sacrum altare sancti Salvatoris imponentes. (Germer-Durand, Cartulaire du chapitre de l'Eglise Notre-Dame de Nîmes, 5. Dans une autre de 921 : venientes ad altario sancto Salvatore, qui est in atrium Sancte Marie, manus illorum positas super sacrosancto altario, Ibid„ 36. A Aix une chapelle très ancienne, voisine du baptistère Saint-Jean, avait reçu la dédicace au titre du Sauveur.
(2) Mentionnons la trouvaille d'une tête sculptée « de style barbare » dans une fouille du parvis.
 
L'église Saint-Jean était dite « de la Courtine », comme à Avignon parce qu'elle s'appuyait au mur d'enceinte du chapitre et le renforçait ; elle dut servir de baptistère à l'origine ; non loin d'elle, sur le côté sud de Notre Dame, se trouvait un clocher cité en 1009, et, répartis çà et là des bâtiments, un réfectoire, des chambres, un cloître, une infirmerie, une école, un four, des celliers, les torcularii ou pressoirs, ceux-ci donnant sur la place Garidel, aujourd'hui place Belle-Croix. Il fallait en effet subvenir aux nécessités du chapitre des chanoines. L'évêché y était joint, peut-être au nord de l'église ; au midi la Synagogue, sur l'emplacement de l'ancienne prévôté. A l'est, de l'autre côté de notre grand-rue, étaient les jardins, l'ortus bispalis, le prat, celui du chapitre, que continuait celui du vicomte (1). Au midi la rue du camp nau, supérieur, au nord significatif, l'actuelle rue du chapitre, suivait la courtine La porte d'Arles avec ses deux tours formait une forteresse de refuge, ainsi que la turris bispalis qui se trouvait contre le rempart, à quelques mètres au sud.
 
(1) Celui-ci occupait l'angle sud-est de l'ancienne enceinte romaine qui avait subsisté ; le palais du vicomte dont il subsiste quelques parties de murs dans l'hôtel de ville, et son jardin, étaient situés dans le prat au XIle siècle.
 
 
L'église des Xle - XIIe siècles
 
Pour une raison ignorée, incendie ou surcroissement de la Annulation, la cathédrale carolingienne dut être remplacée.
 
Voici les faits. Le recueil de la Gallia christiania avance que l'évêque de Nîmes, Pierre Ermengaud, qui siégea de 1080 à 1090, fut l'auteur de la reconstruction (1). II fut plutôt l'instigateur de cette oeuvre, d'après ce qui va suivre. Ce prélat présida à l'institution des chanoines réguliers, par conséquent toutes les constructions capitulaires, y comprise la cathédrale, étaient à reprendre, mais les bâtiments communs durent être bâtis d'abbord (2).
 
(1) Gallia Christiana, VI (1739), 438. Elle se réfère au tome IV des Anecdota Martennii, colonne 120.
(2) Un acte est passé le 14 juin 1378 par un clerc natif de Bologne, devant l'autel de Notre-Dame. Germer-Durand, Cartulaire, 251.
 
 
 
En 1096 le pape Urbain II qui venait de présider le concile de Clermont, fit son entrée à Nîmes, venant de Maguelone,. le 5 Juillet. Il rassembla le même jour un nouveau concile. Le lendemain il consacra la nouvelle cathédrale, en présence du comte de Toulouse. Raymond de Saint-Gilles. Le prince croisé, désireux d'aider la construction, épousa l'église en présence des prélats qui assistaient à la consécration, déposa son anneau sur l'autel, et apporta en dot le domaine de la Bastide et Font-Couverte situé à 5 kilomètres, sur le bord du Vistre, ainsi que des terres à Bellegarde. C'est depuis ce temps que le chapitre porta les armes du confite, la croix rouge, vidée, cléchée et pommetée, et appela Raymond de Saint-Gilles almus fundator hujus sancte sedis Nemausensis ecclesie (1).
 
(1) R. de Lasteyrie, Études sur la sculpture française, Fondation, E. Piot. 118
 
On ;ne saurait, on l'a souvent dit, tirer de la consécration pontificale et du mariage mystique du comte, la preuve que l'église fût terminée, ou même commencée, puisque le pape a pu ne bénir qu'un autel, dans un chantier, comme à Saint-Gilles, à Saint-Sernin de Toulouse, à Saint-André de Bordeaux. L'importance du reste reconnue à la fondation du comte met en évidence l'insuffisance du trésor du chapitre à ce moment.
 
Ménard a publié l'inscription funéraire de Pierre de Roucaute, diacre, gravée sur une colonne, qu'il date du XIe siècle, mais cette pierre peut avoir appartenu à l'édifice antérieur.
 
En 1141, voici qui est plus probant, l'évêque Guillaume II fut enterré dans la cathédrale auprès d'un de ses prédécesseur, Raymond-Guillaume, lui-même enseveli en 1111 ou 1112, mais cette sépulture peut avoir été transportée après coup. On sait que Saint-Gilles avait été commencé en 1115, Montmajour en 1117.
 
Le clocher Sainte-Eulalie, ainsi nommé parce qu'il abritait au premier étage la chapelle Sainte-Eulalie, est cité dans un acte non daté de Bernard Aton V (1), mais on peut placer son existence entre 1130 et 1159, dates extrêmes de ce vicomte ; c'est le clocher qui existe encore.
 
(1) Léonard, Catalogue des actes de Raymond V de Toulouse, 93.
 
En 1149 il est question de la janua rubea Beate Marie.
 
A cette date, le 21 mai, l'évêque Aldebert d'Uzès, Bernard Aton V et sa femme Guilelma donnent à Bernard Geoffroy et à ses fils Rostaing, Pons, Pierre et Etienne, en bénéfice, toutes les tables ou étaux qui seront faits devant la maison, qu'ils possèdent joignant la porte rouge de Notre-Dame, depuis la boutique de Guillaume-Pons jusqu'à la maison de Bernard Cervelle, moyennant une redevance de 12 deniers de cens et un paiement unique de 15 sous melgoriens (1).
 
En 1150, la veille du dimanche des Rameaux, la concession du monastère .de Saint-Baudile à l'abbaye de la Chaise-Dieu, qui allait libérer le chapitre de lourdes difficultés, fut passée dans l'église Sainte-Marie de la Sa (2).
 
(1) Teulet, Layettes du trésor des chartes, I, 64, Cette création de tables de marchand ne coïncide-t-elle pas justement avec l'achèvement du portail ?
(2) Ménard, or. cil., VIl, 681. En juin 1177 Bernard-Aton VI vend aux chanoines en alleu, pour 600 sous melgoriens le droit annuel de 2 sous de cens qu'il percevait jusqu'alors sur les tables de chaque côté en bordure de la rue allant « ab acua quae est superius cloquerium Sancte Eulalie usque ad viam quae discurrit ad pratum ». Teulet, Layettes, I, 113. L'acte est passé dans la chapelle Saint-Paul qui faisait partie de la cathédrale. En février 1186. Raymond, comte de Toulouse, concède 4 pièces de terre, honoris, au quartier des Carieres, devant la grande poste royale de la cathédrale. Ibid., 146. En 1215 Sancie d'Aragon confirme les privilèges des Nîmois « in foro Nemausi, ante regiam majorem ecclesie béate Marie ». Ménard, Histoire de Nîmes, I, preuves, 64,
 
Bref les donations faites en 1096 par Raymond de Saint-Gilles lui ont valu d'être appelé fondateur de l'église ; on peut en déduire qu'elles ont été le point de départ des constructions sur un chantier où le pape bénissait l'autel au même moment. Un évêque paraît avoir été enterré en 1112, ce qui suppose une édification déjà très avancée ; en 1149 il est question du clocher, de la porte rouge, de tables de marchands nouvelles devant cette porte. Or, ainsi qu'on peut encore le constater, les assises de pierres du clocher et de la façade coïncident jusqu'au niveau supérieur de l'ancien porche. L'établissement de cette date limite, le milieu du XIle siècle, ajoute quelque lumière à ure ancienne controverse qui partagea M. Marignan et Robert de Lasteyrie (1).
 
(1) Marignan. La sculpture en Provence, 50-51. Lasteyrie op. cit.
 
Sa description
 
Que savons-nous de cette église du XIle siècle ?
 
Elle était à peu près orientée, l'axe de l'abside un peu incliné par rapport à celui de la nef. La nef centrale était flanquée de dieux bas-côtés ; à l'extrémité de ceux-ci se trouvaient deux chapelles, Saint-Pierre (1) et Saint-Paul (2) ; sous chacune une crypte était aménagée ; celle de Saint-Pierre avait une chambre annexe ; dans les nombreuses armoires de cet étage souterrain on conservait le mobilier et les manuscrits du chapitre. Sous le choeur il est probable qu'il y avait une autre crypte réservée aux tombeaux des chanoines, le vas dels capellans. On doit retrouver ces cryptes dans les quatre chambres funéraires qui servent de caveau aux évêques de Nîmes (3). Pour en finir avec la chapelles, mentionnons celles du Saint-Esprit, de Saint-Gabriel, et dans le clocher celle de Sainte-Eulalie.
 
(1) La chapelle Saint-Pierre est citée dans l'inventaire du mobilier de 1218
(2) En juin 1117 le vicomte Bernard-Aton vend au chapitre un cens sur des tables, dans la chapelle Saint-Paul. Histoire Générale de Languedoc, VIII, 327. En mars 1190, Marie, fille de feu GuilIaume Maurel vent une maison à l'église de Clarensac « in crota sub capella Sancti-Pauli ». Archives départementales du Gard : G 324.
(3) Bruyère. Le caveau des évêques, Bull, Com. art chrétien de Nîmes, X, 630.
 
 
Un des deux bénitiers réalisés avec une coquille St-Jacques géante
 
La largeur totale était de 21 mètres, la longueur de 54 mètres (1). Si on pouvait prêter quelque crédit à la gravure de la ville de Nîmes donnée par Poldo d'Albenas, la nef aurait été divisée en cinq travées soutenues par des contreforts pleins à l'extérieur ; l'abside aurait été à pans coupés, ce qui exclut un déambulatoire et des chapelles absidiales ; il est question de colonnes entourant le choeur que les chanoines voulaient faire tomber en 1543, mais ne s'agissait-il pas de colonnes adossées ?
 
II a existé au nord deux, contreforts énormes, creux, mais sans ouverture apparente, sorte de tours ajoutées peut-être lors de la croisade des Albigeois ; il en reste une ornée d'une croix gravé à une certaine hauteur.
 
(1) « L'église cathédrale qui fut superbement bâtie des ruines des plus anciens édifices avait trois nefs de 28 toises de long à 11 de large. Le haut et la frise qui fut entée depuis dessus, et la moitié du clocher, et la tour lustrale étoit de l'antique, et les autres étoient modernes ». Ms. Rulman. Bibliothèque municipale de Nîmes : Ms. 107. Par « tour lustrale », Rulman voulait-il parler de l’église Saint-Jean de la Cortine.
 
Le pavage du choeur provoquait l'admiration des premiers archéologues :
 
« Le pourtraict est tel, écrit Poldo d'Albenas, que l'on y voit oiseaux, animaulx, arbres, et plusieurs autres figures... et tel estoit celuy que le feu Roy François... fit transporter de l’église Saint Gilles près Nismes, pour en décorer son palais magnific de Fontainebleau, environ l'an 1544; qu'encor pourtant je n'y ay veu employé. » (1) Poldo croyait cette mosaïque antique, c'était aussi l'opinion de Rulman
 
« Son pavé fait à la mosaïque étoit de marbres de diverses couleurs représentant les différentes figure.. Péladan en a deux pièces de deux pieds en quarré, chacune de marbre reluisant et damassé de noir, de blanc et de rouge. Les meilleurs peintres n'auroient sceu mieux faire au naturel dans le choeur de l'église les guilotis, les roses et les compartiments qui y étoient représentés ».
 
Il est très probable que ces mosaïques, qui se trouvaient juste dans le choeur de Notre-Dame de Nîmes, au baptistère d'Aix et dans la collégiale de Saint-Gilles, étaient des oeuvres du XII siècle
 
On a, encore des échantillons de l'oeuvre des mosaïstes provençaux de ce temps dans l'abside de Saint-Paul Trois Châteaux (2), et dans le choeur de Cruas (1098).
 
(1) Poldo d'Albenas, Discours historial, 59.
(2) F. Vernet, La cathédrale de Saint-Paul Trois Châteaux. 27-28
 
La Façade
 
Le chanoine Durand (1) a établi qu'une partie de la façade a été faite en utilisant des pierres de grand appareil prélevées au monument antique dont il a pété question, comme le prouvent les trous en queue d'aronde sur la face de ces pierres tournée à l'intérieur. Albenas signale qu'une partie de l'abside a été faite au moyen d'un pareil réemploi, ce qui indique que la construction de 1096-1119 a commencé à la fois par l'abside et par la façade.
 
(1) Fr. Durand, Les bases de la cathédrale de Nîmes sont-elles romaines ? Congrès archéologique de France (1899), 215.
 
Si mutilée .qu'elle soit, la façade offre des parties intéressantes, assez du moins pour poser des problèmes. Elle comprend un pignon large, terminé avant les extrémités du mur die façade ; il est nettement d'inspiration antique, soutenu par une corniche ornée de fines palmettes à tiges montantes arrondies et liées à mi hauteur ; celle-ci est supportée par des modillons décorés de feuilles d'acanthe entre lesquels figurent des rosaces (1) ; il n'y a plus d'anciens que deux corbeaux et une rosace. Le haut du mur lui-même est amorti par une corniche offrant des feuilles d'acanthe séparées, par des têtes de lion en saillie et d'expression variée. Au dessous se déroule une frise animée qui offre cette particularité que chaque scène, sculptée sur une seule pierre, est indépendante de la suivante.
 
(1) La corniche horizontale placée au-dessus du porche nord de Saint-Sernin de Toulouse offre également une tablette ornée de palmettes et de rosaces entre des corbeaux ; quoique ceux-ci soient plus riches qu'à Nîmes, il y a une parenté évidente qui suggère l'idée que les sculptures de Nîmes remontent à l'époque où le comte de Toulouse avait réuni la vicomté de Nîmes, soit à partir de 1185.
 
première scène de la frise, Adan et Eve
 
Les scènes représentées sont celles de la Genèse ; il en reste six d'exécution romane ; les douze scènes suivantes ont été refaites en 1643 sous la direction de l'architecte Laurent Leroy et sur les débris de l'ancienne. Il a été suffisamment parlé de ces morceaux de sculpture, notamment par le chanoine Fr. Durand (1), pour qu'il soit inutile de les décrire de nouveau.
 
Rappelons qu'elles sont en haut relief et assez grossières. L'arbre qui représente le Paradis offre dans sa partie inférieure une palmette, selon Lasteyrie (2), où M. Marignan voyait un crochet gothique. D'autre part M. Mâle voulant prouver l'imitation d'un modèle tiré d'un Octateuque byzantin du XIe siècle estima qu'Abel et Caïn portent leurs offrandes sur un voile. à l'orientale (3) ; ils le portent en réalité sur un pan relevé de leur manteau, fait ale deux pièces attachées aux épaules, et pareille remarque peut être faite sur le même sujet représenté au portail ouest de Modène. Les sculptures de Modère offrent d'ailleurs des ressemblances avec celles de N unes (4) et paraissent plus récentes.
 
(1) L'église Sainte-Marie ou Notre-Dame de Nîmes, Nîmes, 1906, 18-25
(2) Études sur la sculpture française, 117, n. 3.
(3) L'art religieux du XIIe siècle, 29, fig. 28.
(4) Haimann. Deutsche und Französische Kunst, 46.
 
Au-dessous, à peine séparée de la frise .par l'épaisseur d'une assise règne une arcature aveugle d'un assez faible relief qui à l'origine comprenait quinze ou seize arcs en plein cintre supportés par de longues colonnettes à demi engagées. Cette disposition rappelle celle de tant d'églises de l'ouest, où les arcades sont beaucoup plus saillantes et le plus souvent réparties sur plusieurs étages.
 
Dans le cours du XIIe siècle deux fenêtres furent percées à droite et à gauche de la façade, en même temps qu'un autre au premier, étage du clocher. Au siècle suivant, d'après une colonne, un chapiteau à trois faces, un tailloir mouluré et un départ d'arcature encore en place, il semble que trois fenêtres en tiers point furent aménagées dans la partie haute au centre de la façade.
 
La Frise d'Alexandre
 
Au dessus du portail se déroulait une frise horizontale, comportant trois scènes. Elle a été mutilée, coupée en son milieu par un fronton, à l'époque de la Restauration, au point qu'il faudrait interpréter les sujets qui y étaient figurés, si nous n'avions pas une description de Ménard et un dessin de Rulman. Ménard a bien reconnu de gauche à droite :
 
 
Dessin de Rulman du tympan détruit avant 1610
 
Porte d'entrée actuelle de la Cathédrale (vestiges du tympan)
 
1 - « Samson qui est comme monté sur un lion (1) qu’il saisit par la gueule dans laquelle il a mis son bras » (2).
 
2 - « Zacharie, père de saint Jean-Baptiste portant sur un autel une espèce de cassolette ou vase .d'encens (3). Au côté opposé de cet autel est l'ange qui lui apparut dans ce moment ».
 
3 - La troisième « est une grande pierre sculptée qui a autant de longueur que les deux premières ensemble., On voit sur celle-ci un prince vêtu d'une robe longue et singulière, ayant une espèce de couronne sur la tête. II a une grande barbe partagée en deux ; et est assis sur une sorte de trône ou de siège qui imite assez celui sur. lequel on voit la figure de nos rois dans les anciens sceaux.
Ce prince tient dans chacune de ses mains élevées à la hauteur de la poitrine une espèce de sceptre ou une verge qu'il appuie sur ses épaules et dont le haut se termine en feuilles (4) ; à peu près comme une tulipe épanouie. Dans les feuilles du sceptre de droite il y a une grenouille ; et dans celle du sceptre de la main gauche on voit un lapin assez bien taillé. Enfin à chaque côté du trône paraît un aigle essoré qui est tourné vers le prince. » (5).
 
(1) Ce lion a un cou de cheval ; le personnage ne monte pas sur la bête.
(2) En réalité il met quelque chose dans la gueule.
(3) C'est une coupe.
(4) On dirait plutôt d'après le dessin deux sortes de pelles rondes où sont attachés de petits animaux.
(5) Deux griffons ; celui de droite est encore visible.
 
Quant au sujet de cette dernière scène, Ménard refusait de suivre Rulman qui supposait que c'était le roi Alexandre, sous le prétexte que pour décorer les frontispices des églises on ne prenait que des sujets appartenant à l'histoire sacrée ou ecclésiastique.
 
Le bon Ménard se trompait. C'est bien Alexandre entouré de deux griffons ; le roi est assis sur un siège et lève deux hampes où sont attachées deux bêtes ; les griffons sont reliés au trône par une sorte de long tapis, et dans, leur effort pour saisir leur proie soulèvent la machine. On sait que cette histoire est un des épisodes de la chanson d'Alexandre, et qu'elle avait un sens moral, destinée à symboliser l'orgueil humain qui ne connaît d'autre limite que sa propre chute quand il a dépassé les bornes du possible.
 
Il n'est pas douteux que le motif de cette dernière sculpture est tout littéraire. Il ne nous appartient pas de tirer de ce fait toutes les conséquences utiles pour l'histoire de cette chanson de geste, ou de prendre parti en faveur de la vieille thèse d'Ampère pour qui un poème provençal d'Alexandre a pu précéder la chanson française (1) ; ou de faire des hypothèses sur le lien qui a pu exister entre les récits rapportés de la première croisade, à quoi avait pris part le « fondateur » de la cathédrale, le comte de Toulouse.
 
Rappelons qu'on trouve de même représenté l'élévation d'Alexandre sur un marbre grec du Xe siècle encastré dans une paroi extérieure de Saint-Marc de Venise (2), sur le pavement de la cathédrale d'Otrante (3), sur un émail musulman de 1148 (Conservé au Musée d'Innsbruck), à la façade de la cathédrale de Borgo San Donnino qui a tant de rapports avec les églises provençales (4) ; peut-être sur un chapiteau à droite de la porte sud de la cathédrale de Gênes, certainement sur un chapiteau intérieur de Saint-Vincent de Châlon (5).
 
(1) E, Talbot, Essai sur la légende d'Alexandre le Grand dans les romans français du XIIe siècle, 29. P. Meyer, Alexandre le Grand dans la littérature française (1886), 2 vol. Firster et Koschwitz, Altfranzösisches Urbungsbuch.
(2) Didron, Annales archéologiques XXV, 191.
(3) Bertaux. L'art dans l'ltalie du sud, 491, figure 214. E. Mâle, L'art religieux du Xlle siècle, 271-272.
(4) Hamann, Deustche und Franzdsische Kurtst im Mittetalter, 68.
(5) Supportant à droite l'arc triomphal. Renseignement donné par M. Claparède, professeur à Montpellier.
 
En dehors des liens mystiques contractés par le mariage symbolique de Raymond de Saint-Gilles lorsqu'il déposa son anneau sur l'autel de la cathédrale, avant son départ à la croisade, il ne faut pas oublier non plus pour expliquer le choix du thème oriental d'Alexandre, que Nîmes garda longtemps des contacts avec l'Orient par l'intermédiaire des juifs de Catalogne ou d'ailleurs ; la synagogue, nous l'avons dit, était à quelques mètres au sud de la cathédrale. Enfin la parenté entre les monuments de Lombardie et ceux de Provence, entre Borgo San Donnino, Modène, Plaisance et Beaucaire, Saint-Gilles, Arles (1), a déjà été plusieurs fois signalée; sil suffit d'y ajouter un chaînon de plus, et un des plus anciens, Nîmes alors plus riche en sculptures romaines qu'aujourd'hui. Cette ville a possédé une colonie italienne importante au XlIe siècle; formée notamment de Placentins, et dont les origines remontent vers le milieu du XIIe siècle. (2)
 
(1) Toulouse aussi.
(2) Archives Nationales : J. 335, enquête signalant des Italiens depuis 1138. Du même coup certaines lumières sont projetées sur les origines du consulat.
 
Revenons aux deux scènes de la frise qui précèdent celle d'Alexandre. Ménard les a assurément bien identifiées : Samson terrassant le lion, l'apparition de l'ange à Zacharie, d'autant mieux qu'il a relevé deux inscriptions « Gabriel » et « Zacharias ». Elles semblent aussi avoir été choisies, en fonction de la même chanson de geste, et en vertu d'une association, d'une préfiguration renversée, entre des passages de l'écriture et certaines aventures poétiques du roi. On peut y avoir l'association d'images religieuses ou laïques, selon les goûts des prédicateurs de ce temps. Notons sur le dessin de Rulman d'abord que Samson porte un petit bouclier triangulaire retenu par une courroie en bandoulière ; la bête maîtrisée a un long cou et une tête qui tient autant à celle du lion qu'à celle du cheval, enfin son maîtres met la main dans la gueule, ce qui peut 's'entendre qu'il lui met un mors. Or un des passages de la Chanson d'Alexandre rappelle que dans son enfonce, se promenant hors des ,murs d'Athènes, il entendit un cri épouvantable et vit paraître un animal monstrueux :
 
C'elst une fière beste, ains tele ne vit on
Feleneske et hydeuse, ceval l'apele on.
……………………………………………..
Le costes a baucans et fauve le crepon,
La ceue panouacée faite par devision,
Si a teste de buef et s'a iex de lion,
Et s'a cors de ceval, s'a Bucifal a non
 
Dès que Bucéphale a vu Alexandre il s'adoucit, s'humilie et le jeune prince lui passe à la bouche un frein d'émail et d'or.
 
Un pareil parallélisme paraît avoir joué pour la seconde scène. Alexandre ayant défait le roi Porus entre dans le palais de son ennemi et trouve dans la bouteillerie plus de quinze mille coupes d'argent ou d'or ; il en distingue une surtout à cause de sa grandeur et parce qu'elle porte l'image gravée d'un dieu. L'ange apparu est peut-être l'annonciateur de Zacharie, mais sur le dessin il montre bien la couple que tient à deux mains, son interlocuteur, c'est aussi un génie qui révèle le dieu inconnu au roi macédonien.
 
Le Porche
 
En dessous de la frise se trouvait la porte royale rouge de dimensions réduites. Elle comprenait toutefois une archivolte moulurée supportée par des piliers cannelés (comme à Saint-Restitut) et encadrant un tympan sculpté, lui même soutenu par un pilier ou colonne médiane. Mazauric a trouvé en 1911 (1), dans les fouilles faites à quelques mètres de la porte un claveau mouluré déposé aujourd'hui au musée épigraphique ; ses dimensions sont 0m80 de haut, 0m25 de largeur en haut et 0m120 en bas, plus grandes que celles des claveaux du portail central de Saint-Gilles. On y voit sculptés de l'extrados vers le bas une ligne de dents d'engrenage, des gorges, des oves alignés que séparent un listel, un talon et un cavet de deux boudins séparés par une gorge. Un cavet avec talon et un petit listel achève la série de ces moulures. II permet de reconstituer l'archivolte.
 
Le tympan détruit lors de la reconstruction de 1610 par l'architecte Ligier de Chartres, n'avait laissé aucune trace, et on ignorait le motif de sa décoration. Un état des pertes subies par le chapitre pendant les guerres religieuses, dressé en décembre 1621, dit que
 
« les habitants rebelles ... auroient abattu grande partie de l'ancienne muraille du frontispice (le fronton) et toutes les pierres, cornices et autres d'architecture très grandes, gravées, canellées et cizellées, pilliers quy estoient au devant la maistresse porte, l'image de Notre-Dame quy estoit au-dessus, et tous les chérubins... (2) auroient esté mis en pièces... qui ne sauroient estre remis en mesure estat pour 50.000 livres » (3).
 
(1) Mazauric, Recherches et acquisitions (année 1911), 24.
(2) Le Christ en majesté du portail sud de Notre Dame du Fort est aussi flanqué de deux anges, notons qu'on trouve dans cette oeuvre une influence provençale.
(3) Archives du Gard : G. 447, « articles des pertes, ruines; des églises, pillages », etc...
 
Albenas de son côté dit que dans la cathédrale (en 1557) :
 
«n’y voit de belles et magnifiques colonnes, bien grandes et qui ont les bases fort singulières (1), car l'on peult dire que ce sont pièces raportées et employées là des ruines d'autres superbes édifices. Davantage... l'on y voit au-dessus le grand portail, au frontispice là nativité de jésus Christ, entaillée en pierre, de, même antiquité et temps que le résidu de l'édifice. »
 
Le tympan de Notre-Dame de Nîmes portait donc l'image de da Vierge avec l'Enfant, encadré d'anges, thème fréquent de la décoration des portails du XIIe siècle, depuis qu'il avait été inauguré à Chartres, et qu'on retrouve en particulier au porche nord de Saint-Gilles, et à l'ancien portail de Beaucaire. Il ne reste de ce dernier que la Vierge datée par Lasteyries du milieu du XIle siècle environ (2).
 
Signalons qu'on possède un sceau du chapitre cathédral appendu à un acte de 1269 (3), mais d'un type plus; ancien que cette date, qui représente la Vierge avec l'Enfant ; la Vierge est assise tenant l'Enfant vu dé face, assis à gauche, comme à Beaucaire et à Saint-Gilles, tous deux nimbés, sans couronne.
 
Comme à Sainte-Marthe d'Avignon et à Saint-Trophime ce panneau sculpté était supporté par un pilier médian.
 
De part et d'autre du tympan étaient sculptés en relief deux têtes de taureaux représentés sur le dessin de Rulman (4).
 
(1) Ce qu'il dit là « des bases singulières » permet de rappeler que les quatre colonnes romaines qui encadraient le massif central des bains de la Fontaine offraient cette particularité unique dans le monde romain, d'avoir des bases recouvertes de feuilles d'acanthe admirablement sculptées.
(2) Études sur la sculpture romane, 127.
( 3) Archives nationales. : J 235, n° 2. Un acte de1293 porte le; mime sceau.
(4) « Pour preuve de son antiquité romaine, il y avait sur la porte de l'église deux testes de taureaux de marbre, qui étoient les enseignes de l'Empire, l'une desquelles y paroit encore toute martelée ; la nécessité de l'architecture les fit abattre lorsque Ligier de Chartres y bâtit une belle porte en rebâtissant l'église. Il y en a encore autres deux à l'entrée du logis, et de l'église, sur la petite porte du côté du septentrion, qui répondoit à celle du couchant ». M. de Rulman, 107, folio 78. En 1621 on donnait à toute la façade une valeur de 50.000 livres.
 
On a épilogué sur la signification de ce double ornement qu'on a rapproché des protomes de taureaux au dessus de la porte d'entrée des Arènes, et dont on a dit qu'il provenait d'un' ancien temple d'Auguste situé sur l'emplacement de la cathédrale. Le dessin suffit pour conclure qu'il ne s'agit pas d'un réemploi de sculptures romaines à cet endroit, d'autant qu'on retrouve, un porche de Saint-Restitut, un peu plus haut que la base du fronton, deux têtes de taureaux supportant chacune une tablette, manifestement du XIIe siècle (1).
 
Un ornement analogue se trouvait des deux côtés du tympan de la petite « rayole ». Rulman a fait un dessin de cette porte secondaire du côté nord de l'église (il y en avait une autre en face, au sud), où l'on,, voit un petit tympan garni d'une ornementation végétale. Cette porte, aujourd'hui murée, se trouve englobée dans la maison natale du mathématicien Gaston Darboux ; elle est , mutilée et Couverte de chaux, mais la grosseur des, deux protubérances de pierres informes qui subsistent, indique bien que ce sont ceux protomes de taureaux romains qui furent réemployés à cet endroit. Cet ornement aurait inspiré celui qui fut placé de part et d'autre de la grand-porte, et celui qui fut mis a Saint-Restitut.
 
(1) On peut supposer que les deux tablettes de Saint-Restitut étaient destinées à supporter deux statues, comme les deux colonnes placées de part et d'autre du porche de Borgo San Donnino. En était-il de même à Notre Dame de Nîmes parente de ces deux élises ? Les statues d'Urbain II et du comte de Toulouse ou bien celles des Saints Pierre et Paul auraient-elles été placées au-dessus de ces deux têtes?
 
La date des sculptures
 
On sait que le problème très important de la date des sculptures de la frise supérieure a opposé dans une controverse assez vive Lasteyrie et M. Marignan. Les textes d'une part la continuation des assises de pierres du clocher sur la base de la façade, permettent de dater celle-ci jusqu'à la première frise, de 1149 au plus tard. A partir de la frise, les assises ne coïncident plus avec celles du clocher ; une reprise paraît évidente. Dès lors quelle date attribuer à cette nouvelle campagne décorative ?
 
M. Louis qui a repris cette question (1) se réfère à l'opinion de M. Puig y Cadalfach suivant lequel « pendant la période du premier art roman, les figurations humaines sur les frises et sur les linteaux sont inexistantes, et ce n'est guère qu'à la fin du XIe siècle ou au commencement du XII, qu'on voit apparaître des frises animées.» Mais nous verrons, ajoute M. Louis, par la suite que « la frise de la cathédrale de Nîmes est encore trop rudimentaire, bien que témoignant déjà d'une certaine évolution, pour ne pas la classer tout à fait au début de la période qui a vu naître ce genre de décoration. »
 
(1) Louis, La façade de la cathédrale de Nîmes, Mémoire de l’Institut historique de Provence (1x35), 85.
 
Il est bien vrai que la sculpture de la frise supérieure est d'une grande rudesse, que chaque sujet occupe une seule pierre, une véritable métope, comme le dit Enlart, à la différence des frises de Saint-Gilles et d'Arles qui sont continues et qui témoignent d'un progrès. Si l'on tient à la dater de la première moitié du XIle siècle, il faut admettre que cette frise de couronnement a été remontée plus tard, comme l'atteste la finesse de sculpture de la corniche, des modillons et des rosaces intercalées que nous avons comparées à celles de Saint-Sernin de Toulouse.
 
Nous avons peut-être un indice de l'époque où se place cette deuxième campagne. En effet Pierre Brunus « artifex in opere ligineo et lapideo », travaillait en 1186 à la cathédrale, puis qu'à cette date il est témoin d'une reconnaissance passée par un habitant de Lédignan au prévôt du chapitre (1). Ce Pierre Brunus est l'auteur des grandes statues d'apôtres au porche de Saint-Gilles (2). On peut par suite attribuer à……
……1186 la reprise de la façade de Nîmes, sa fine arcature aux longues colonnettes, la remise en place d'une frise plus ancienne et la décoration d'un nouveau fronton. Si on note que le comte de Toulouse a réuni la vicomté de Nîmes en 1185, on s'explique mieux la parenté de certains détails de décoration avec Saint-Sernin.
 
(1) Archives du Gard : G. 353
(2) Un Pierre Brunus assiste au traité de 1171, entre Saint-Gilles et Gênes et signe un autre acte dans la même,ville en 1857. (Histoire Générale de Languedoc, V, 1213) - Gouron, Date des sculptures du portail de l'église de Saint-Gilles. (Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de Nîmes, n° 1, 1-7) - D'autre part, Mazauric déclare avoir trouvé Pierre Brunus à Nîmes en 1165. (Mazauric, Le château des Arènes)
 
On sait aussi que les maçons de Nîmes ont été mis à l'honneur par Raymond V, et; qu'il leur accorda des privilèges de juridiction en 1188 (1). L'idée enfin de traduire dans la pierre le rapprochement oratoire entre des scènes; de la vie de Samson, de Saint Jean-Baptiste et l'histoire poétique d'Alexandre ne saurait appartenir qu'à une époque assez tardive, celle de l’épanouissement de la sculpture provençale.
 
La tour du trésor
 
Détaché du mur latéral sud, en retrait de la façade, près de la maison des prêtres servants du chapitre et au milieu du grand cimetière, on avait élevé au Xlle siècle une tour carrée très soignée, en belle pierre de Barutel. Les anciens archéologues professaient une vive admiration à son endroit et l'appelaient tour du trésor tour de l'évêque; Rujman lui donne le nom de « tour lustrale » qui permet de croire qu'elle avait été construite au-dessus de l'ancien baptistère Saint-Jean de la Courtine. D'après la gravure d'Albenas elle parait plus étroite et plus haute que le clocher, Sur trois étages elle était percée sur chaque face de fenêtres jumelées ornées de « fenestrages à jour ». Les conjurés nîmois, qui, en 1210, résolurent de tuer les consuls, avaient décidé de l’occuper en passant par les fenêtres, et d'y placer quatre hommes d'armes comme dans la tour donjon (2). On l'estimait 60.000 livres en 1621. Voici ce que disait Rulman six ans plus tard : La tour épiscopale, appelée lustrale et la « Tour des trésors, étoit toute à jour. Elle étoit bâtie de pierre reluisante de Barutel qui est un demi marbre, tout à gros carreaux. Sa vis. quoique fort étroite étoit si bien compassée à la. façon de celle de Saint-Gilles (3), que, bien qu'elle n'eût que trois pieds de tour, on y pouvoit monter portant une demi pique en main sans la courber ». Cette description, en particulier l'expression de « toute à jour », permettrait de l'apparenter à « la tour fenestrelle » de la cathédrale d'Uzès, si celle-ci n'était pas de plan circulaire ; mais il faut relever que la tour fenestrelle se trouvait à un emplacement identique à celui de la tour du trésor, et on peut admettre qu'elle recouvre également un ancien baptistère, par imitation de ce qui s'était fait à Nîmes.
 
(1) A condition de l'accompagner dans ses expéditions punitives la démolition des châteaux rebelles. Durant, R. Bligier et R; de Vérargues sont nommés. Teulet, Layettes du Trésor des chartes, I, 148.
(2) Ménard, Histoire de Nîmes, I, 269 et preuves, 49.
(3) M. Fliche date la partie du choeur de Saint-Gilles qui contient la vis entre 1113 et 1175, Fliche, Aigues-Mortes et Saint-Gilles, 105.
 
Les dépendances de la cathédrale
 
Dans la courtine du chapitre avait continué à battre le coeur de la cité épiscopale, aux plus mauvais jours du haut moyen âge. Encore aujourd'hui le quartier de la cathédrale est malaisé à traverser, et le plan montre une résistance au percement des rues autres que la via recta, ou rue de la Madeleine et que le caminus, ou rue des Lombards.
 
Le plus ancien cloître se trouvait devant la façade de la cathédrale où il avait remplacé l'atrium ; les habitations des chanoines devaient donner sur ce cloître, ainsi que l'entrée de l'église Saint-Etienne du Chemin.
 
Dans la seconde moitié du Xle siècle, avant 1080, un cloître plus vaste fut construit au sud de l'église (1), sur la place dite de la poissonnerie, peut-être un peu plus à l'ouest ; il fut très vite encombré de tombes (2).
 
Le 11 janvier, 1080 Pierre Bernard donne un jardin entre la porte du jardin de l'évêque, l'église Saint-Jean et le « cloître neuf », jardin qu'il tenait en fief de l'évêque, pour y faire une aumônerie et alias officinas ad pauperes et ad ipsum cIaustrum (3). Un ruisseau dérivé du canal de l'Agau, appelé le « grun », apportait l'eau de la Fontaine au cloître régulier, sur lequel donnaient une salle capitulaire (4), un réfectoire, un dortoir, l'étalage au dessus des Latrines, bâtiment dominé par une tour signalée en 1350 qu’on voit encore sur le plan d'Albenas.
 
(1) Germer-Durand, Cartulaire, 253.
(2) Le comte Raymond V y fut enterré en 1194.
(3) Ménard, Histoire de Nîmes, 1, preuves, 172.
(4) En 1467 un acte est passé ante introhitum capituli regularis dominorum canonicorum in claustro. (Archives du Gard, E 817).
 
S'ouvraient encore plus ou moins directement sur le cloître « une crotte » où le chapitre se réunissait parfois, la maison du prévôt, celle du capiscol, l'infirmerie, la cordonnerie, etc… A l’est du grun, arrosé par lui, était le Prat de l’évêque où le comte Raymond VI permettait au chapitre en 1197 de bâtir un four (1). Diverses chapelles avaient été bâties parmi ces constructions ; l'une d'elles était la chapelle Saint-Honest, patron des laboureurs (2) ; dans celle qui se trouvait à gauche, en sortant de l'église, et qui sera rebâtie en 1511 aux frais de la ville par l'architecte Nicolas Michel, les magistrats recevaient les serments des officiers et des parties (3).
 
Du vieux cloître qui au Xe siècle était entouré de quelques maisons, de jardins, de vignes et de treilles, d'un masel et d'une prison (4), il ne restait que le petit cimetière devant l'église, où les tombes se mêlaient aux échoppes des cordonniers, des savetiers et aux étalages des marchands de légumes. Au début du XVe siècle on n'enterrait plus qu'à titre exceptionnel (5), de même que du côté nord de l'église, où Mazauric a trouvé des tombes mérovingiennes. Au siècle précédent l'enceinte claustrale subsistait de ce côté, on signalait dans un angle une colonne a « dite communément de Salomon » (6) dont le nom laisse perplexe. On peut voir soit un pilori vulgaire où les justiciables du chapitre condamnés au carcan étaient exposés, soit, et l'hypotèse est plus noble, une statue colonne servant de piédroit à la porte du cloître, et répondant à une statue de la reine de Saba, ainsi qu'on les voit à la porte du cloître de Montmajour qui ouvrait sur le réfectoire, jamais ce haut colloque qui symbolisait l'hommage rendu par la civilisation païenne à la sagesse du Christ n'aurait été aussi bien placé que dans l'enceinte de la Sed de Nîmes. Si Salomon et la reine de Saba ont manqué à ce rendez-vous de choix, ils ont en fout cas .été remplacés par un de ces prophètes que le moyen âge a  dégagé parmi les poètes et les rois de l'Antiquité, par Alexandre, héros des pèlerins et des trouvères depuis Otrante jusqu'à Nîmes.
 
G0URON, 1930.
 
(1) Archives du Gard : G. 131, pl. 4 v°. Le Prat du vicomte faisait suite à celui de l'évoque et occupait la partie sud-est et sud de l'enceinte.
(2) En 1515. la veuve du notaire Firmin Dupré exprime le désir d'être enterrée au cimetière de la Seds, entre la chapelle Saint-Honest et le tombeau des barons, (Archives du Gard : E 761).
(3) Histoire Générale de Languedoc, IV. part, I, 273.
(4) Mazauric, Recherches et Acquisitions (1916 et 1917), 35.
(5) En 1429, un prêtre, Pierre Lévêque, craignant de ne pas être autorisé à reposer dans le petit cimetière, demande à être mis dans la crypte des chanoine; dite Io vas fiels capellans.
Arch. Gard : G. 139.
(6) Archives du Gard : G. 142.
 
 
Photo de la frise de la Cathédrale, ADSL recommandé
> Photo de la frise
La Cathédrale St Castor de Nîmes - En savoir plus sur NEMAUSENSIS
> La consécration de la Cathédrale de Nîmes par Eyssette, 1853
> Restauration de la Cathédrale de Nîmes par Adolphe Pieyre, 1887
> La Cathédrale par François Durand, 1912 avec tous les détails sur la frise
> La place aux herbes, par Félix Mazauric 1916
> La Cathédrale Romane de Nîmes par Gouron, 1930

> Article MIDI LIBRE du 16 octobre 2005.
 
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