Les Masets nimois
extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1931-1932.
par Jules Igolen


Le maset du jardin de la fontaine - Nîmes

La Garrigue et les Masets - Raison d'être du Maset
La Garrigue est par excellence la région du maset qu'on trouve partout dans cette partie de notre terroir, aussi bien sur les sommets des collines, qu'au fond des ravins et due sur toutes les pentes.
Si Avignon est fière de ses « pavillons », qui couvrent les hauteurs de Bellevue, au milieu desquelles serpente la route de Nîmes ; si Marseille a ses « cabanons » ou « bastidons » échelonnés sur sa belle corniche ; si Sète a ses « baraquettes » dominant la mer bleue, et Béziers ses « grangettes », Nîmes a ses « masets » sans nombre, sans lesquels Nîmes ne serait plus Nîmes, tant ils sont la parure de notre Garrigue et font partie intégrante de la vie nimoise.
Rien de plus pittoresque que les masets nimois : leur disposition chaotique dans la garrigue, leur aspect, leurs formes variées, leurs dimensions parfois extravagantes, leur rusticité comme leur confort, tout contribue à former cet ensemble unique qu'offrent les environs de Nîmes. Vus de loin, des hauteurs de la Costière, par exemple, ils semblent former comme une auréole, une couronne de pierres, au-dessus de la ville. Plus l'on s'éloigne de Nîmes, plus ils sont rares et rustiques aussi ; certains même, simples capitelles ou ruines abandonnées sous quelque touffe d'arbustes, ou cachées à demi sous un pan de mur, rappellent les huttes antiques ; plus l'on se rapproche de la ville, plus ils sont nombreux et élégants aussi, car on a voulu conserver le nom de maset même aux plus belles villas qui ornent aujourd'hui nos collines et sont dotées de tout le confort moderne.
Pourquoi tant de masets ! Pourquoi ? parce que pour tout bon nîmois, le riche comme le pauvre, le bourgeois comme l'ouvrier, avoir un maset est le rêve de tous, et qu'aller au maset est la suprême des distractions.
On va au maset dès que l'on dispose de quelques loisirs ; on y va surtout les dimanches et les jours de fête, en famille, y passer de longues heures, sinon la journée entière.
Pourquoi cette passion, cet amour inné du maset ? parce que tout le monde aime le maset et l'aime à sa façon ; le riche y trouve un instant la vie simple et rustique dont il rêve parfois, le pauvre s'y trouve chez lui, dans son bien qu'il a créé lui-même au prix de longs efforts ; le bourgeois y oublie la monotonie de la vie citadine ; et l'ouvrier enfin, y trouve un délassement au labeur quotidien.
Pourquoi encore ? parce que le maset engendre la joie et le bonheur ; que l'on y vit loin des exigences de la vie sociale qu'on mène là-bas, en ville ; et qu'on y devient plus sociable en voisinant avec les masetiers des alentours, quels qu'ils soient ; parce qu'on aime à y inviter ses amis pour leur faire partager tout le plaisir qu'on y trouve soi-même ; parce qu'on y rit ; qu'on y chante ; et que, sous un ciel toujours pur, on y vit des heures tranquilles, agréables et heureuses.

L'étymologie du mot "Maset" - Les différents noms donnés aux Masets
Le mot « maset » est un diminutif du mot « mas », venu du bas latin : « Mazada, mansio, mansus », mots qui signifient « maison avec champ, maison rurale, métairie avec habitation ».
De « mansio, mansus » on a fait « mas », terme employé particulièrement en Provence et en Languedoc, pour désigner une maison rurale, une métairie - une ferme - comme on dit ailleurs.
Le maset est donc un petit mas, un petit champ avec une petite maison, et c'est ainsi qu'on le conçoit à Nîmes.
Nous ajouterons, pour compléter l'étymologie de ce mot, tel qu'on l'entend encore à Nîmes, que généralement le champ est enclos de pierres sèches, et que sous le nom de maset, on désigne aussi bien l'ensemble, champ et habitation, que l'habitation seule de l'enclos.
Le masetier, toujours fier de son maset, quel qu'il soit, aime à lui donner un nom symbolisant pour lui ce que représente, ce qu'est ce coin de garrigue où il aime à venir se délasser et à respirer le grand air.
L'étude des différents noms donnés à nos masets serait à faire, car elle décèlerait sans doute beaucoup de choses sur l'état d'âme du masetier ; on apprendrait ainsi ce qu'est le maset pour son propriétaire, le bien être qu'il y trouve, l'endroit où il est situé, la vue dont on y jouit et mille autres renseignements non dépourvus d'une certaine philosophie de bon aloi, affirmant une fois de plus l'utilité incontestable du maset nîmois.
Les noms donnés aux masets semblent se répartir en un certain nombre d’appellations de même origine parmi lesquelles nous citerons au hasard :
1° Noms rappelant le souvenir d'un être cher, et si ce nom est celui d'une femme ou d'une jeune fille, le maset est alors qualifié de villa, par exemple : Villa Marie-Louise, Villa Germaine, etc...
2° Nom d'un ou de plusieurs gros arbres ornant le maset, comme par exemple : Maset des Pins, Maset du Cyprès, du Cèdre, etc...
3° Noms d'arbustes dont le maset est pourvu, comme par exemple : Maset des Lilas, Maset du Rosier, Maset des Buis, etc...
4° Noms de fleurs, comme par exemple : Maset des Violettes, Maset des Iris, Villa des Roses, etc..
5° Noms indiquant la situation du maset, comme par exemple : Maset de Belle-Vue, Maset des Remparts Romains, Maset de Ventabèn, etc...
6° Noms des plus fantaisistes, et c'est parmi ces noms qu'on pourrait peut-être déceler le plus facilement l'état d'âme, la condition sociale du masetier. C'est ainsi qu'au hasard d'une promenade dans la Garrigue, on peut rencontrer :
Le maset de « Biscan-Pas », celui de quelque doux philosophe, sans doute, qui pense qu'au maset « on ne doit pas s'en faire ».
Le maset de « Sans Façoun », où tout doit être à la bonne franquette, où doit être bannie toute étiquette.
Le maset de « Mitau-Plage », tout près du Bois de Mitau, à quelque amoureux de la mer, mais qui, ne pouvant aller villégiaturer au bord de la mer bleue, se contente d'en rappeler le souvenir en dotant son maset de ce nom qui, au premier abord, semble si peu de circonstances.
Le maset de « Bello-Visto », d'où l'on peut contempler un bel horizon, ce qui n'est pas permis de bien des masets.
Le maset de « Peiroulaou », dont le nom indique qu'il est bâti au milieu des pierres, dans quelque vieille carrière, sans doute.
Le maset de « Ventabèn », où le vent se fait sentir dès que souffle le moindre zéphyr.
Le maset de « Samesuffi », qui ne peut appartenir qu'à un modeste, content de son maset, quel qu'il soit, et point jaloux de celui de son voisin, sans doute plus cossu.
La villa de « La Phagocytose », au nom savant, à quelque médecin probablement, car il faut être un idoine pour savoir que la Phagocytose est la fonction des Phagocytes et que ceux-ci sont les globules blancs qui détruisent les cellules microbiennes.
N'est-il pas malicieux celui qui a écrit sur la porte de son maset ces mots : « Pourtas...e.... Vénès ». Pourtas, c'est-à-dire « Apportez quelque chose en venant au maset, quelque chose de bon, cela s'entend. Et alors, n'hésitez pas, entrez dans le Maset et vous y serez le Bienvenu ! ».
Et cet autre qui a écrit sur son maset : « Ici ! sarès lou bèn vengu e... manjarès çe que aurès adu », n'est-il pas aussi un malicieux, mais dépourvu de cette bonne franquette, de ce bon accueil, qui est un peu l'apanage de tout bon masetier ?
Le maset « Ben Sala » a dû coûter bien des économies et des efforts à son propriétaire pour faire de ce coin de garrigue un endroit agréable...
Et le Maset « L'Armas de la Suzou » ? combien a-t-il fallu peiner pour transformer en maset convenable cet « Armas », couvert de pierres et rempli de broussailles !
Le maset « Ici Forçan pas » appartient, sans doute à quelque bon vivant, partisan du moindre effort et pour qui le maset est, par excellence, le paradis du délassement.
Ceux qui ont écrit sur leur maset « Eici I Boulo aven pas paou » sont des amoureux du Jeu de Boules, qu'ils doivent pratiquer bien souvent au maset et sans jamais se lasser.
L'énumération continuerait encore longtemps de ces noms plus ou moins fantaisistes ; pour terminer ce sujet, nous citerons toutefois encore : le maset « Li Ventoujet », le maset « Ma Vie-la », le maset « Le Buissonnet », le maset « Le Pin Blessé », dont un des plus beaux pins a eu sa branche principale arrachée un jour de Mistral ! et nous terminerons par cette inscription peu spirituelle qu'un masetier à gravée sur son maset : « Ce Maset a été fait ici ».

Les Huttes primitives et les Capitelles
Le maset est une habitation supplémentaire, peut-on dire, un pied-à-terre hors la ville, plus ou moins confortable, où le Minois aime aller se délasser et respirer au grand air.
Si rustique soit-il; il est encore préférable aux vieux habitats de nos lointains ancêtres, et, si l'évolution de l'habitation n'est pas un sujet à traiter ici, il nous semble que quelques mots sur les demeures primitives sont indispensables pour arriver à la conception de notre vieille « capitelle » qui a précédé dans la garrigue, le maset actuel.
L'homme primitif habita successivement dans des cavernes, dans des abris sous roche ou contre des parois rocheuses, dans des huttes enfouies sous terre, puis enfin dans des huttes en pierre, dont la toiture fut faite de menus branchages recouverts de terre damée.
Dans « Les Origines de Nîmes », de E. Climon, nous lisons :

«
Lorsque la civilisation venue des bords de la mer Egée, gagna nos régions, notre ancêtre n'échappa pas à son contact ; il évolua rapidement alors et il ne tarda pas à apporter un certain art dans la construction de son habitat, jusqu'alors primitif. Sa demeure, toutefois, continua à être en pierres sèches ; la forme en fut ronde et rarement carrée. La partie supérieure fut en voûte en encorbellement parabolique et non sphérique : fausse voûte dont les assises débordent les unes sur les autres et rétrécissent de plus en plus l'ouverture jusqu'à ce que cette dernière fut assez étroite pour être fermée par une simple pierre. La porte de la hutte fut d'abord constituée par deux grosses branches en angle aigu pour soutenir la masse de maçonnerie ; plus tard, on étaya les deux branches sur un madrier horizontal, vers le tiers supérieur de sa hauteur ; plus tard encore, on remplaça ces branches par des montants de pierre et le madrier par un linteau : on créa ainsi la porte trapézoïdale, surmontée d'une petite fenêtre triangulaire ; plus tard enfin, on supprima cette fenêtre ou bien on donna à ses côtés une inclinaison différente de celle du chambranle. »
Dans cette hutte néolithique, un peu modifiée dans ses détails et dans son confort aussi, on reconnait la vieille capitelle de nos Garrigues. Mais celle-ci, à son tour, s'est modifiée et a fait place au maset actuel, comme nous allons le voir.
Dans une petite brochure, écrite vers 1850, introuvable aujourd'hui, et intitulée « La Psychologie du Maset », nous lisons :
« La vieille capitelle s'en va, elle a fait son temps. Sa forme tumulaire, son entrée sans fermeture, l'inévitable cuve en pierre qui en occupe le fond, la rendent peu propre aux besoins d'une civilisation avancée. C'est plutôt un lieu de refuge qu'un maset. Semblable à ces êtres d'un autre âge pour lesquels les éléments de notre atmosphère ont été insuffisants, la capitelle ne tardera pas à disparaître de la surface de notre sol. II ne reste plus d'elle, comme du mastodonte et de l'ichtyosaure, que des fragments géologiques. »

La prophétie de M. Causse est une réalité aujourd'hui ; la vieille capitelle est presque introuvable, et celles que l'on rencontre encore par hasard, sont pour la plupart en ruines ou abandonnées, et le plus sauvent cachés dans quelque touffe de Chênes-verts ou bien a demi enfouies sous un vieux pan de mur ou quelque clapier.


Le Maset nîmois
L'industrie de la bonneterie, déjà installée à Nîmes au XIVe siècle, après diverses phases de prospérité et de décadence, prit m réel essor pendant la Restauration et atteignit son apogée de 1834 à 1847.
A cette époque, sur une population de 55.000 âmes, le travail industriel faisait vivre à Nîmes plus de 20.000 personnes, employées, en grande partie, aux divers travaux de la bonneterie, fabriquant des bas, des gants, des châles, des bonnets, des fichus, des mouchoirs etc., en soie, en laine ou en coton.
Cette population ouvrière, intéressante entre toute, se distinguait de celles de bien d'autres régions par deux caractéristiques particulières : l'exemple de la modération et de la prévoyance et l'observation rigoureuse du repos dominical.
L'économie, qui était alors vite vertu pratiquée à Nîmes dans toutes les classes de la Société, était particulièrement en honneur chez les ouvriers tisserands, « taffetassiers ou tafataire », comme on les appelait communément, et l'observance du repos le dimanche était enracinée comme un fait traditionnel dans les mœurs populaires. Une modeste économie, lentement réalisée, la libre disposition de toute une journée, le dimanche, le besoin de grand air, l'amour de la campagne, voilà ce qui incita alors l'ouvrier nîmois à acheter un coin de garrigue, à y bâtir un maset, à y créer, en un mot, un « home » bien a lui.
Ce besoin de fuir la ville les jours de liberté, cet exode vers la Garrigue, la création d'un petit patrimoine terrien, n'a pas échappé à M. Andigane quand, en 1854, il publia son étude sur « Les Populations Ouvrières de la France », et dans laquelle il a écrit sur Nîmes les lignes suivantes :
« Les ouvriers qui manient des métiers dans la ville, soit à domicile, soit en atelier, n'ont pas de goût pour une existence murée dans leur maison ; ils y échappent le plus qu'ils peuvent. On les voit durant la semaine prendre leurs repas en plein vent, et le soir, après le travail, errer quelque temps sur les promenades de la ville pour jouir d'un ciel presque toujours sans nuage. Leur penchant se manifeste bien plus encore le dimanche alors que tous les métiers ont cessé de battre. La population laborieuse émigre ce jour-là pour s'en aller sur les collines qui dominent la Cité et où un assez grand nombre de familles ont au pied-à-terre, une sorte de petite maison de campagne, qu'on appelle « maset ». Rarement prises en location, ces modestes villas sont en général un patrimoine héréditaire. Comme le terrain rocailleux des Garrigues, sauf en quelques rares cantons où la vigne vient assez bien, n'a presque aucune valeur, la possession d'un maset ne représente pas communément un capital de plus de 150 à 600 francs. Les ouvriers qui n'en possèdent point se réunissent à des parents ou à des voisins plus favorisés de la fortune.
Ces chalets languedociens n'étant jamais à plus d'un ou deux kilomètres de la cité, on peut facilement y porter les plus jeunes enfants, et on ne laisse personne derrière soi.
Chaque domaine se compose de quelques mètres de terre et d'un pavillon étroit, bâti à l'une des extrémités de l'enclos ; une table et quelques sièges grossiers forment à peu près tout l'ameublement de ces cases, qui n'ont pas besoin de cheminée. A force de peiner, on est parvenu à faire pousser sur un sol ingrat quelques oliviers ou amandiers, quelques ceps de vigne, quelques fleurs dont un soleil ardent a bientôt desséché la tige. Disposés en amphithéâtre au dessus de la ville, les masets prêtent un aspect animé à des lieux naturellement nus et tristes ».
C'est donc vers le commencement du XIXe siècle, et particulièrement à l'époque où la bonnetterie était toute prospère, que les masets, sous l'impulsion des taffetassiers, se multiplièrent dans la Garrigue et y remplacèrent peu à peu la vieille capitelle, à l'origine antique.

L'évolution du Maset et la transformation de la garrigue
L'évolution du maset. et la transformation de la Garrigue, lentes, mais continues, nous louvons les suivre en revivant par la pensée ce que fit le vieux taffetassier - et ce que fait encore aujourd'hui le masetier - dans son champ, à ses moments de loisir les jours de fête et de chômage.
Le coin de garrigue acquis, il le débarrassa tout d'abord des broussailles et des nombreuses pierres qui jonchaient le sol, et fit sauter à la pioche les « têtes de chèvres » qui affleuraient à sa surface ; il déposa les unes et les autres tout autour de son champ et commença, ainsi, à dessiner l'enclos qui limiterait sa propriété ; il nivela ensuite le sol, aménagea en petites terrasses les pentes pour y retenir le peu de terre végétale qu'elles contenaient ; puis, son champ préparé, il en entreprit l'exploitation agricole.

Proche Calvas aviè'n mazé
Ou mitan d'uno bèlo vigno
Trènto ans aviè lima si dé
Pèr lèva dé pèiro et d'espigno.

a écrit Bigot, dans :
lou bouné dé moun onncle Jaque.
De ce jour, ouvrier industriel la semaine, en ville, le taffetassier se transforma en ouvrier rural à ses moments de loisir, « formant ainsi un type social bien curieux, mi-tafataire, mi-rachalan, que la crise phylloxérique et la crise industrielle ont fait disparaître peu à peu », suivant Paul Marcelin dans : "Les champs clos de murs en pierre sèche des environs de Nîmes".
Et, alors, successivement, un petit jardin, quelques pieds de vigne, une olivette, des amandiers, quelques figuiers, etc., parurent sur ce sol aride par excellence ; en même temps qu'en un coin minutieusement choisi, s'élevait une petite construction rustique, une ou deux pièces exigües : le maset nîmois à son origine.
Le maset compléta l'enclos et ainsi le rêve de l'ouvrier fut réalisé : dès lors il fut vraiment propriétaire d'une petite maison de campagne, modeste, certes, mais suffisante à son bonheur. Dans la suite, l'enclos et le maset furent l'objet d'améliorations continuelles.
L'ameublement du maset, tout rustique d'abord, une table quelconque, quelques modestes chaises ou encore quelque vieux banc, fut peu à peu complété et rendu plus confortable les murs, blanchis à la chaux, furent ornés de naïves et gaies estampes de toutes sortes plantes d'agrément alternèrent dans l'enclos, en des coins choisis, avec les oliviers et les amandiers du début ; des arbustes pour donner de l'ombre, des lilas et des fleurs pour jeter une note agréable, entourèrent le maset ; une citerne fut construite en un endroit propice pour recueillir l'eau de pluie, devenue désormais indispensable pour les besoins du ménage et l'arrosage des plantes ; une tonnelle fut adossée au maset, soigneusement entourée de vigne vierge ou de multiples plantes grimpantes, pour qu'elle devint un abri bien à l'ombre les jours d'été et le coin favori de l'enclos ; un jeu de boules y fut aménagé enfin, quand ce fut possible, pour la plus grande des distractions au maset.
Quelquefois même, si le site le permit, une terrasse ou un belvédère quelconque fut élevé en un endroit favorablement choisi, pour y jouir d'une belle vue sur les environs ; avantage inestimable donnant au maset ainsi privilégié une supériorité incontestable sur ceux des alentours qui en étaient privés, et constituant pour le masetier la suprême des satisfactions.
Et ainsi, peu à peu, de jour en jour, d'année en année, le rnaset se transforma ; après l'indispensable du début, il fut doté de tout ce qui pouvait lui être utile, puis de tout ce qui pouvait être agréable et alors il constitua un tout complet.
Et ce que le vieux taffetassier fit jadis, l'ouvrier ou l'artisan d'aujourd'hui le fait encore, et le fera encore demain, car la tradition du maset est trop profondément enracinée dans l'âme du Nîmois, pour que disparaisse de nos Garrigues ce qui eu fait le charme, l'agrément et l'originalité.
Si de nos jours quelques masets sont délaissés ou tombent en ruine, si leur exploitation agricole n'est plus celle d'autrefois, combien d'autres continuent à surgir en un coin de la lande aride, œuvre de longue haleine comme jadis, ou bien bâti rapidement par un bourgeois ou quelque nouveau riche qui tient lui aussi à avoir son maset ; et si ce dernier n'a rien de celui d'autrefois, s'il est tout près de la aille, s'il est, mime doté de tout le confort moderne, il n'en est pas moins le maset où l'on va volontiers respirer et jouir du calme bienfaisant de la campagne.
On a écrit jadis que le chemin de fer avait eu une influence heureuse sur le maset, que sa vue, même lointaine, même oblique, en augmentait la valeur intrinsèque de plus d'un cinquième : cela a pu être vrai quand les premiers trains apparurent dans la campagne nîmoise et offrirent alors un spectacle imprévu et bien fait pour frapper l'imagination, mais nous ne pensons pas qu'il en soit ainsi aujourd'hui.
Par contre, l'influence du tramway sur le maset ne saurait être contestée. Le tramway, en effet, permet facilement l'accès du maset aux personnes âgées et aux enfants ; il facilite le transport des mille choses qu'on y porte ; s'il n'en abrège pas la distance, du moins permet-il de parcourir celle-ci plus rapidement, plus commodément et sans fatigue ; si le maset est loin, on hésite parfois à y aller, si un tramway en facilite l'accès, on part volontiers, et souvent alors, la peine ressentie pour s'y rendre se transforme en un vrai plaisir. À ce point de vue, il serait à souhaiter que l'extension du réseau actuel des tramways fut complétée et permit l'accès des masets lointains ; la ligne de l'artillerie, par exemple, devrait être poussée jusqu'à Massillan et desservir non seulement les nombreux masets de la route d'Uzès, mais encore faciliter l'accès du Camp et du Champ de Tir ; à l'autre extrémité, elle devrait être prolongée jusque sur le plateau du Mas des Gardies, et un embranchement pourrait être créé pour desservir la route d'Alès jusqu'au creux de l'Assemblée, sinon plus loin encore ; on verrait alors les masets se multiplier davantage, la Garrigue Nîmoise continuer à se transformer et le Nîmois à même de jouir d'un peu plus de grand air et de bien-être aussi.
L'automobile, elle aussi, facilite l'accès du maset, seulement, bien peu nombreux sont encore les privilégiés qui peuvent disposer d'un pareil moyen de locomotion ; l'automobilisme à ce point de vue, ne remplira son rôle social que le Jour, lointain hélas, où tout masetier aura son auto et où tous les chemins de la Garrigue seront accessibles à ce genre de véhicule. Reste à savoir encore si ce jour-là l'auto, au lieu de favoriser l'exode vers le maset, ne détournera pas notre citadin de notre Garrigue et ne sera pas une cause de désertion du maset, tout comme l'est aujourd'hui le cinéma.

L'influence du maset sur le caractère du Nîmois
Le Nîmois passe pour avoir un caractère volontaire, combattif, persévérant - « es réboussié » dit-on en langage populaire : peut-être trouverait-on l'origine de ce caractère particulier en étudiant attentivement le rôle du masetier dans cette évolution du maset ci cette transformation de la Garrigue que nous venons d'esquisser.
Cette évolution et cette transformation ne sont-elles. pas le résultat des efforts constants et soutenus du masetier contre tous les éléments ligués contre lui ? Est-ce que dans cette conquête de la Garrigue, terre ingrate et arride par excellence, le nîmois n'a-t-il pas eu d'abord à lutter contre la Nature elle-même, contre son sol si ingrat et si peu propice à toute culture ? ne doit-il pas lutter encore contre les orages qui ravinent son enclos et emportent au loin le peu d'humus qu'à grand-peine il arrive à incorporer à sa terre ? ne doit-il pas lutter en outre contre le vent, dont la violence brise souvent les quelques plantes qu'au prix des plus grands efforts il arrive à faire pousser dans son champ ? ne doit-il pas enfin luter chaque été et contre une sécheresse d'autant plus difficile à combattre que la Garrigue est sans eau, et contre un soleil ardent dont rien ne peut le garantir ?
Et, cependant, dans cette lutte sans merci, le masetier arrive toujours à vaincre les obstacles qui se dressent devant lui, et ce, grâce à une persévérance et à une ténacité dont il n'est peut-être pas exagéré de dire qu'elles sont l'origine de ce caractère volontaire, combatif et persévérant qu'on lui attribue, non sans quelque raison.

La journée au Maset
Pour apprécier le maset et connaître tout le plaisir et le charme qu'il procure, il faut parcourir la Garrigue un dimanche, ou, mieux encore, un jour de fête, le lundi de Pâques on de la Pentecôte, par exemple, et se mêler à la vie familiale qu'on y mène, car alors tout y est vivant, plein de bruit de jeux et de chansons.
Ces jours-là, on gagne la Garrigue de bonne heure, après avoir pensé toute la semaine à la joie qu'on y trouvera. Chacun y emporte son petit bagage, afin qu'on ne soit pas pris au dépourvu là-haut, où il faudra beaucoup de choses pour y passer gaiement la journée, d'abondantes victuailles surtout, pour apaiser, à l'heure des repas, un appétit toujours en éveil, excité par un air des plus vifs et l'idée d'un véritable gala gastronomique.
Dès l'arrivée, comme on est vraiment chez soi, loin des entraves de l'étiquette de la vie quotidienne, on commence par se mettre à l'aise, les hommes quittent la veste, les femmes se contentent d'aller en jupon, les enfants se débarrassent de tout ce qui pourrait les gêner dans les jeux qu'ils vont entreprendre.
Puis, en famille, on fait le tour de l'enclos sur lequel on s'extasie toujours, bien qu'on le connaisse dans tous ses moindres détails, car le masetier n'ignore rien de son maset ; il connaît le nombre exact des pieds d'olivier ou de vigne qu'il possède, il pourrait raconter une histoire sur la plupart de ses arbres fruitiers ; il sait même parfois le nombre de fruits que porte chacun d'eux ; rien n'échappe au regard des visiteurs, on s'arrête devant le petit jardin, devant chaque plate-bande, devant tous les pots de fleurs, etc., puis, après le tour du propriétaire, chacun s'occupe de son côté : les hommes se livrent au plaisir de la culture, taillent les arbres, réparent un coin du mur, etc. ; les femmes vaquent au soin du ménage, préparent le repas, chose de grande importance au maset ; les enfants vagabondent dans l'enclos, à la recherche d'un jeu nouveau.
A l'heure du déjeuner, tout le monde se trouve réuni autour de la grande table, soit à l'intérieur du maset, si l'air est trop vif, soit sous la tonnelle ou sur la terrasse, s'il fait bon ; tous font honneur au menu abondant et varié qu'on savoure lentement, en silence presque, mais, peu à peu, la conversation s'anime, et c'est alors autour de la table familiale, le meilleur moment de la journée celui où l'on se détend, où l’exubérance méridionale se donne libre cours, où l'esprit et la bonne humeur circulent à la ronde ; au dessert, la joie déborde avec les chansons qui se mettent de la partie, car elles sont le complément indispensable des réunions au maset ; avec elles se prolonge longtemps et se termine enfin, ce vrai repas dominical au grand air.
Après le déjeuner, c'est la causerie qui se prolonge, puis, tandis que les femmes remettent de l'ordre autour de la table en attendant l'heure de deviser sur les ragots de quartier, les hommes vont faire la traditionnelle partie aux boules, et les enfants reprennent leurs jeux avec plus d'entrain que jamais.
Insensiblement le soir arrive et, avec lui, l'heure du retour à la ville. L'été, il n'est pas rare qu'on « soupe » au maset et ce n'est que très tard alors qu'on rentre, mais toujours heureux d'une journée de plein air, passée loin des soucis et des ennuis de l'existence, auxquels il sera toujours temps de penser le lendemain, en reprenant la tâche quotidienne.

La chasse au Maset
La chasse est très en honneur à Nîmes et le masetier l'affectionne à tel point qu'il trouve le moyen de la pratiquer au maset, si exigu que soit son enclos. Si pour lui la chasse ne constitue pas un sport, si elle n'a pas l'attrait de la recherche ou de la poursuite du gibier, elle n'en est pas moins une grande distraction dans laquelle il trouve encore l'occasion d'exercer son adresse au tir. Le masetier pratique ordinairement deux genres de chasse : la chasse au poste et la chasse à la montée.
La chasse au poste consiste à se cacher en un coin du maset et à chasser tout oiseau qui vient se poser en un endroit quelconque de l'enclos et à portée du fusil. Pour pratiquer cette chasse, le masetier organise quelque part une petite cabane de branchages et place en haut d'un arbre une branche de bois mort, « Lin cimèu », dans le but d'y attirer les oiseaux passant aux alentours ; posté dans sa cabane, à l'abri des vues notre chasseur surveille tout, autour de lui, et guette tout oiseau qui vient se poser à portée de sou fusil.
La chasse à la montée se pratique en fin de journée, un peu avant la tombée de la nuit, au moment de « la montée » (la passée). C'est alors l'heure à laquelle les oiseaux, oisillons et tourdres principalement, qui ont quitté de grand matin la Garrigue, pour aller chercher leur nourriture dans la plaine, regagnent en bandes plus ou moins nombreuses, quelquefois isolément, les bois-taillis de la montagne pour y passer la nuit. Pour pratiquer cette chasse, le masetier se cache soit derrière un pari de mur, une touffe quelconque, etc., et là, l’œil aux aguets, il attend patiemment la montée des oiseaux.
Quand une bande d'oisillons, ou rarement un tourdre, passe à proximité, vite il se démasque et décharge son fusil, au petit bonheur, dans la bande affolée, ou sur la victime déjà choisie.
Si le temps est beau et calme, les oiseaux regagnent la Garrigue à tire d'ailes en volant très haut, où il est difficile de les atteindre ; si, au contraire, le temps est mauvais et si le Mistral souffle, les oiseaux s'en vont péniblement, volant le plus bas possible pour chercher un abri contre la violence du vent, alors il peut être facile de faire bonne chasse.
Les jours de très mauvais temps, de gros vent surtout, ce ne sont pas seulement les masetiers qui chassent à la montée, mais encore bon nombre de nîmois qui s'en vont dans la garrigue dans l'espoir d'en rapporter « une brochette ».
Certains masetiers dont l'enclos confine aux chasses réservées qu'on trouve sur tout notre terroir, savent faire de leur maset un lieu de chasse privilégié ; pour cela ils entretiennent dans leur enclos un petit coin de luzerne, vraie manne pour les lapins dans une garrigue aride, qui sont attirés vers celle-ci au moyen de trous habilement pratiqués dans les murs de clôture et disposés de telle sorte que si l'entrée du gibier est facilitée, sa sortie de l'enclos est des plus difficiles.
D'autres masetiers ne craignent pas de répandre du grain dans leur enclos, « d'engrener », pour y attirer les perdreaux du voisinage dont ils massacreront tout une couvée en un seul coup de fusil, alors qu'en rond ou rangée en une seule file, elle picore sans méfiance du piège qu'on lui a tendu.
Jadis quelques masetiers pratiquaient la chasse au filet, mais bien rares sont ceux qui aujourd'hui se livrent a cette distraction pour laquelle il faut un terrain propice et approprié, un outillage spécial, des « appelants », et des dispositions que tout le monde n'a pas.
La chasse aux petits oiseaux pratiquée au maset ne saurait être encouragée ; si elle procure une agréable distraction, elle prive l'agriculture de ses plus précieux auxiliaires pour la destruction des mille insectes nuisibles dont elle a tant à souffrir. Si l'attrait d'un petit rôti est bien tentant, il ne saurait prévaloir cependant contre le mal causé par la chasse aux oisillons, pratiquée sans répit dans nos garrigues, car un enclos est un lieu où tout semble permis, même la chasse en temps prohibé.

Le Rachalan
A l'époque où, sous l'impulsion particulière des tisserands, la Garrigue se transforma, de nombreux terrains, incultes jusqu'alors se couvrirent de vignes, d'olivettes, d'amandiers et d'une flore toute nouvelle. Pour mettre ces terrains en culture et les entretenir, terrains dont beaucoup aujourd'hui sont retournés à l'état d'inculte, Nîmes eut alors un type local, devenu introuvable de nos jours : le Rachalan.
Le Rachalan, en langage vulgaire lou racho ou travaiadou, était l'ouvrier agricole travaillant dans la Garrigue, cultivant un bout de champ à lui, soignant particulièrement ceux des autres et faisant les travaux de culture et d'entretien que ne pouvait faire le masetier lui-même, taffetassier, artisan ou bourgeois, occupé ailleurs.
A-dessus dou rache proprement dit, il y avait lou baile rachalan ou chef de colle, qui était un petit entrepreneur de travaux agricoles, ayant sous ses ordres trois ou quatre ouvriers, qu'il employait, concurremment avec lui, aux divers travaux de la Garrigue. La plupart des rachalans possédaient un âne, leur inséparable compagnon de travail :
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lou bechar sus l'espalo, la biasso au col, l'ase davan, lou rachalan camino ver la vigno ; ... a écrit Bigot.

Cet âne constituait un véritable capital pour le travaiadou ; il portait un bât auquel on suspendait de chaque côté une banaste, servant à transporter dans les champs les outils du rachalan, le fumier et tout ce qui était nécessaire aux cultures, et à descendre en ville les récoltes diverses de la Garrigue : olives, raisins amandes, etc.

Quelquefois, en plus de son âne, le rachalan avait un chien loubet, ce qui était un luxe et lui valait le surnom de rachalan di double.
... ait rachalan dé délai vivié dé soun traval et dé quaouqui soou, embé si fiyo, un ase et soun chin gardo-biasso-loubé qu'à l'oucasioun èro un paou chin de casso... (Bigot : l'Ase et lou Chin).
L'été, il n'était pas rare de voir, la journée ordinaire terminée, le baille rachalan envoyer un ou plusieurs de ses ouvriers faire une heure ou deux de travail supplémentaire dans un champ voisin de celui où ils avaient passé la journée ; on disait alors en parlant de l'ouvrier qui avait fait ainsi un travail supplémentaire, a fa un impériau.
En été, quand les travaux dans la Garrigue forçaient au chômage, le rachalan descendait dans la plaine participer aux travaux de la moisson. Celle-ci terminée, il était permis au rachalan d'aller avec son âne dans les champs rateler le sol et faire ainsi provision d'un peu de paille ; l'accès des terres où on avait récolté de l'avoine était seul autorisé pour ce genre de grapillage.
Après la moisson, quelques rachalans prenaient part aux travaux des aires. A cette époque, on foulait les gerbes en les plaçant debout serrées les unes contre les autres sur lesquelles on promenait de dix à quinze chevaux camarguais, rangés sur une file et ne traînant aucun rouleau derrière eux selon la méthode adoptée plus tard.
Le travail des aires terminé, le rachalan regagnait la Garrigue où bientôt Ie retenaient les vendanges, et, peu après, les olivades. La cueillette des olives terminée, le rachalan descendait au moulin à huile ses olives et celles de ses clients. Durant la période de la « presse » c'est-à-dire tout le temps que les moulins tournaient, il restait l'employé du moulin, durant quarante à cinqante jours, environ.

... lis ome qué fasien l'oli, Mesté Pountoun, Crouzet qué per esquinoun yé disien « la Favo », li frère Bergé, l'eina de Tagone, Peiroto lou grava, lou grand Bartèlo, ecétéra... erou touti dé racho « esco é di madu ». (L.. Méjean : Fables Patoises).

Le dimanche, le rachalan allait toujours passer la matinée dans la Garrigue où il travaillait jusque vers 10 ou 11 heures, faisant ce qu'on appelait uno battudo. L'après-midi, les jeunes allaient se promener en suivant les filles ; ceux d'âge mûr, se rendaient aux Arènes voir lutter les hommes et courir les taureaux ou fréquentaient le cabaret, à la cambrasso, où ils passaient le temps à jouer à la sixette, à boire du vin et à manger des fougassettes. Quelquefois le rachalan « soupait » au cabaret en compagnie de quelques amis ; dans cette intention chacun y apportait généralement un plat de son choix et le repas comprenait toujours un plat de cagaraules. En parlant de ce repas pris au cabaret, on disait a fa un recate.
On était rachalan de père en fils et, dans la famille, l'âne n'était pas quantité négligeable ; on cite à ce propos qu'un vieux rachalan sentant sa fin prochaine s'adressa ainsi à son fils : ...moun fil, tant qu'ai viscu, y'agu un ase dins l'oustaou, tant qué viouras taco qué n'i'ague encaro un.
Si les rachalans étaient nombreux dans la Garrigue les jours de travail, il en était de même des ânes... On connait bien la contagion qui se produit quand un âne se met à braire si, près de lui se trouve un de ses congénères ; on devine alors ce qu'on devait entendre à certains moments, quand un âne se mettant à braire tous ses voisins s'accordaient à l'unisson : c'était alors dans toute la Garrigue un concert d'un nouveau genre, qui avait valu au compagnon du rachalan le joli surnom de « Rossignol des Garrigues ».
Le rachalan portait un pantalon de velours appelé « futaine », une petite blouse de toile bleue et un chapeau à larges bords ; il portait aussi un bonnet de coton sous son chapeau qu'il quittait ordinairement en travaillant.

La veste dé futaine acoutado à soun bras,
Li brayo pétassade et li souyé dé couble,
Li mail dariès l'esquino : un rachalan di double.

a écrit Bigot dans : Lou ra de ville et lou ra di champ.

Le repas du rachalan dans la Garrigue était peu varié et se composait d'anchois et de fourmette, fromage de chèvre rond et plat. .... mal quan l'oure vèn, ou cagnar, lou rachan esquicho notre anchoyo... (Bigot).
Comme boisson, il buvait ordinairement du vin non mélangé d'eau ...du vin pur ...un litre tout au plus, même en été ; il portait son vin dans un flasque et il le buvait à la régalade, ce qui lui permettait de boire longtemps chaque fois, sans absorber pour cela beaucoup de liquide, tout en se désaltérant.
..... meste Pountoun, un rachalan di madu, que coche embé soun flasque et que mes dé ligneto en guiso de boutoun... (Bigot).
Dans une Étude sur Bigot et ses Fables Patoises, parue dans « Némausa », en 1883, M. Paulhan, analysant l’œuvre du poète, nous dépeint la psychologie de ses personnages et et nous parle longuement du rachalan. De cette Étude nous extrayons les lignes suivantes :
« Le rachalan passe aux champs une grande partie de ses journées, son travail est pénible, sa vie est monotone, la campagne qu'il travaille, la Garrigue, est rude et nue... Pas de mystère, pas d'ombrages, pas d'eau, partout le grand air, le ciel presque toujours bleu, le soleil ardent dont les rayons dorent les pierres, hâlent la peau et rendent l'esprit inactif. Rien dans ses occupations, rien dans son milieu ne porte l'esprit à la rêverie, ne tend à lui inspirer aucune idée, aucun sentiment qui l'écarte de la vie pratique et des besoins matériels ; sa vie est toujours la même, les jours s'y suivent et s'y ressemblent.
Le rachalan est pauvre, mais comme il a peu de besoins, il est assez indépendant, en somme. Voilà les principaux faits qui agissent sur lui et qui ont donné naissance aux tendances, qui sont le fond de sa nature. Son indépendance le rend orgueilleux, son orgueil le rend ombrageux et il se méfie de ce qu'il ne connait pas.
Il pratique l'honorabilité qu'il vante, il est juste et bon. Il est peu expansif avec ceux qui ne sont pas rachalans comme lui ; il ne se livre pas facilement, et même avec les siens il parle peu, ses affections sont cependant solides. Les mœurs du rachalan sont simples, honnêtes, graves aussi, ses plaisanteries sont faites avec un certain sérieux ; si parfois il est grossier il n'est jamais polisson.
II est sobre, et s'il aime le vin il ne va pas jusqu'à l'ivresse. Sa vie est simple et saine. Il se lève matin, travaille, à midi il dîne esquiche soun anchoyo et aux champs fait sa sieste à l'oumbre d'un bartas. Le soir, l'hiver surtout, il veille avec sa famille.

L'iver un fagu d'ouliviè
Nous caouf o et nous èsclairo.
Sara'autour dou fio, scoutan
L'aoure qué passo èn charpan.

Après avoir peiné toute la journée, arrivé au soir étourdi par le grand soleil, grisé par le grand air, le rachalan n'est pas porté à faire travailler son intelligence...., il pense surtout à manger et à dormir ; il dédaigne l'instruction sans bien savoir ce qu'elle vaut ; un livre pour lui est un objet étrange qui tombe rarement sous sa main, où il ne trouverait bien souvent que des choses incompréhensibles.
Et puis, à quoi servent la science et la littérature. ?

Yiou, ma scienço ès pa grando ;
Mai, ma fé : n'en save proun.
Rise en vésèn dé courdoun
Qué de donoun tan dé peno,
Qué se sécoun li poumoun
Pèr saoupre dé qué ?... lou noun
Dou maçoun
Qué bastigué lis Arèno...
Gaahas, èn fé dé savart,
Parlas-mé di rachalan.
N'autri, pétar dé sor ! escrivan sus la tèro
Embé nosti béchar, de famous caractèro,
Fasèn la grosse, ès vrai, mai noste plumo, oumèn
Donne dé pan pèr l'ome, et pèr l'ase dé brèn.
Crèse qu'ès pas bésoun d'agudre fa si classo.
Pèr fouire une oulivèdo et pèr manjia sa biasso.
Travayèn, faguèn, simèn quaouqui bouyoum,
Et piei, vosti savan soun... mé taise, gn'a proun.

En somme, le rachalan vit pauvre, ne désire pas beaucoup la richesse ; s'il a peu de besoins, il ne cherche pas à s'en créer d'autres ; il vit dignement, ni trop heureux, ni trop malheureux, il est plus à envier qu'à plaindre et l'on doit au moins l'estimer. »

-oOo-


LE VIEUX MAZET
Extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1864/65 
de Antoine Bigot pages 456 à 457.

Au nord de ma ville natale,
La garrigue, aux abords poudreux,
Dans sa verte maigreur s'étale.
En arrosant ce sol pierreux
De sa sueur, un prolétaire
Quatre murs blancs en fit surgir.
Du vieux mazet de mon grand-père
Je garde un bien doux souvenir.

Avec grand-père, à cette vigne,
J'allais presque tous les jeudis.
Dès l'aube éveillé, sur un signe,
Leste, j'enfourchais l'âne gris.
Tandis que je livrais bataille
Aux nids, aux lézards, aux grillons,
Grand-père élevait sa muraille
Et bêchait dru ses bruns sillons.

Le plat d'escargots, le dimanche,
Quand venaient les premiers raisins,
Fumait là, sur la nappe blanche,
Pour la famille et les voisins.
Le vin du crû par chaque verre
Excitait les cœurs à s'unir.
Du vieux mazet de mon grand-père
Je garde un bien doux souvenir.

Sous la treille courbée en voûte
Les douces chansons s'envolaient ;
Dans la poussière de la route
Vers le but les boules roulaient.
Les gais enfants à têtes blondes,
Aux pieds des blancs vieillards assis,
Suspendaient leurs joyeuses rondes
Pour écouter de vieux récits.

Jeux innocents, discours frivoles,
Longues promenades à deux,
Danses légères, valses folles,
Pour huit jours nous rendaient heureux,
Le long des bais à feuille amère,
Nous allions rêver et courir.
Du vieux mazet de mon grand-père
Je garde un bien doux souvenir.

La mort toujours moissonne ou glane :
Grand-père, hélas ! mourut un jour.
En d'autres mains passa son âne :
L'on vendit sa vigne à son tour ;
Et, depuis longtemps, à la place
Du mazet qu'on a démoli,
Le rail s'étend, le wagon passe,
Passe, rapide, avec l'oubli.

Enfant de mon siècle, j'admire
Les merveilles de la vapeur.
Qu'elle aille, étendant son empire ;
Aucun progrès ne me fait peur.
Mais, malgré moi, mon cœur se serre
Quand je vois les vignes fleurir ;
Du vieux mazet de mon grand-père
Je n'ai plus rien... qu'un souvenir !

-oOo-
 
Mon Mazet
Extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1893, pages 427 à 429
de R. Février

Mon mazet est sec et brülé ;
Ses plates-bandes sont fort maigres ;
Il est rasé, tondu, pelé,
En hiver, par les bises aigres.

Pour recueillir les eaux du ciel
J'ai fait construire une citerne ;
Mais il manque l'essentiel :
II pleut très peu... Cela consterne.

N'importe, mon mazet me plaît ;
Il est propre comme une assiette,
Et je l'adore tel qu'il qu'il est,
Aussi petit qu'une serviette.

Je le mesure avec vingt pas.
C'est là peut-être un avantage.
Oh ! je ne le changerais pas
Pour les pelouses d'un cottage.

Nous avons la lumière et l'air
A foison, à pleines brassées.
Sur le dehors vibrant et clair
S'ouvrent de légères croisées.

Si !e soleil est trop cuisant,
Contre ses feux incendiaires
J'ai le feuillage doux, luisant
De quatre oliviers centenaires.

Le paysage m'apparait
Précis sous une clarté crue :
Là-bas, au loin, une forêt,
Des bœufs tirant une charrue;

Ici des côteaux giboyeux
Où les genêts, marquant leur zone,
Font tache sur le roc crayeux,
Comme une lèpre d'un beau jaune.

Les montagnes, qui le croirait ?
Très nettement déterminées,
Sont en relief et l'on dirait
Qu'un burin les a dessinées.

Mais rien n'égale mon soleil
Flambant au zénith dans sa gloire ;
Le soir, il se couche, vermeil,
Dans des flots de pourpre et de moire.

Tout le jour son œil de cristal
Me regarde de sa lumière,
Et quand galope le mistral
Il ne cligne pas la paupière.

On peut le voir chaque matin
Poindre, neuf, au bord de la plaine,
Et monter superbe, hautain,
Dans un grand ciel de porcelaine.

Il me verse un fleuve de feu
Dont la chaleur m'est salutaire.
Je comprends qu'on en fasse un dieu,
Chez certains peuples de la. terre.

A la fin de notre printemps,
Lorsque sur la toiture il braque
Ses rayons qui brûlent. j'entends
Le bois de mon mazet qui craque.

C'est alors que le chant criard
De l'étourdissante cigale
Dans un langage babillard
Vibre d'une cadence égale,

Que la mouche dès son réveil.
Bourdonnant aux campagnes, joue
Avec un rayon de soleil
Et vient se poser sur ma joue.

Que l'abeille cherche son miel,
Et que les femmes matinales
Osent à la face du ciel
Sécher leurs lessives banales.

Les bords du chapeau rabattus,
En plein été, chaque dimanche,
Nous allons au mazet, vêtus
D'une veste de toile blanche.

On parle, on rit ; mainte chanson
Éloigne les propos sévères,
Et la soirée arrive, au son
Du choc étincelant des verres.

Ah ! certes mon mazet me plait ;
Il est propre comme une assiette,
Et je l'adore tel qu'il est
Aussi petit qu'une serviette.

-oOo-

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