Histoire économique de la Ville de Nimes

Une culture, anciennes abandonnée, ou menacée de disparition :
L'Amandier-Pêcher
"Amigdalus Nemausensis"

Extrait des Mémoires de l'Académie de Nîmes, 1928 - 1929 -1930.
par M. G. Cabanès - Séance du 14 mars 1930.


Amygdalus nemausensis Cab - Amandier-Pêcher

Il a été question, fréquemment, au sein de notre Compagnie, d'industries nîmoises, prospères autrefois, qui ont eu ensuite leur période de déclin et sont aujourd'hui disparues. L'histoire de quelques-unes d'entre elles avait même fait l'objet de sujets de concours. C'est ainsi que nous avons présent à la mémoire le souvenir des industries de la teinturerie, des tapis, des châles, des lacets... Avant elles, au cours des siècles passés, d'autres avaient dû les précéder, qui ont eu le même sort.
M. le marquis de Valfons, dans sa récente étude si documentée sur le rôle et l'utilité des sociétés anonymes nous a indiqué une des principales causes de la ruine de ces vieilles industries de notre ville.
J'ai eu moi-même l'occasion, il y a quelques années, de retracer ici l'historique détaillé, avec tous échantillons à l'appui, de l'industrie si curieuse du tournesol spécialisée de temps immémorial dans la commune du Grand-Gallargues. Cette industrie fut extrêmement prospère et devint même à un moment donné une industrie-culture parce que le tournesol sauvage, seul exploité primitivement, fut cultivé en grand par la suite. On se souvient qu'elle disparut brusquement en 1874, faute de demandes de la part de l'acheteur ordinaire, l'acheteur hollandais.
Mais, à ma connaissance du moins, notre Compagnie ne s'est pas intéressée jusqu'ici à l'histoire de cultures anciennes, elles aussi, aujourd'hui ruinées à leur tour. Et pourtant, cette question ne parait pas moins digne d'intérêt que celle de nos vieilles industries locales ou régionales. II y aurait, vraisemblablement, bien des découvertes à faire, bien des faits intéressants à tirer de l'oubli sur cette autre question. Pourquoi donc cette différence de traitement ? C'est la terre, c'est l'agriculture qui nous nourrit ou qui nous fournit la plupart de nos matières premières : son histoire dans le passé devrait nous intéresser tout autant. Les cultures disparues de chez nous sont nombreuses, bien plus qu'on ne pourrait le penser a priori. Ces disparitions ont des causes multiples, économiques ou autres qu'il conviendrait de rechercher. C'est en encourageant les auteurs de monographies de communes, semble-t-il, qu'on pourrait atteindre le but.
Voici quelques exemples de ces cultures anciennes à peu près toutes abandonnées, tombées dans l'oubli et qui existaient encore il y a un siècle et même moins et remplacées pan d'autres, principalement par celle de la vigne : Le chanvre, qui a donné son nom aux « Candouillères » près de Poissac.
La garance. Tous les sols sablonneux du Gardon inférieur, des bords du Rhône, la plaine de Nîmes, la région d'Aigues-Mortes. Naturalisée depuis.
Le pois chiche (Lou cézé). Cultivé et même subspontané.
La lentille, le millet (Setaria italica P. B.) ; le mil ou millet commun (Panicum miliaceum Lin.) (Lou millas).
Les deux espèces de sarrasin (Lou mil négré) : Polygonum tataricum Lin. (Blé de Tartarie) et P. Fagopyrum (Blé noir.)
La gesse cultivée ou pois carré (La jaïssa) Lathyrus sativus Lin.
Sait-on aujourd'hui que dans quelques parties chaudes du département il a été fait des essais de culture de canne à sucre ? qui évidemment, n'ont pas réussi.
Le noyer, qui a donné son nom au village de Nozières. Le mûrier, si commun au siècle dernier, n'est-il pas en voie de disparition progressive par abandon de sa culture ?
L'olivier lui-même n'est-il pas destiné à subir le même sort ? On l'arrache dans les sols fertiles, on le délaisse dans les sols maigres de nos garrigues. Qui sait si dans un siècle, les événements économiques suivant leur cours, un de nos successeurs, ici même, n'aura pas à déplorer l'abandon complet de sa culture ou même la disparition de l'arbre ? (*)

(*) Nota 2010 - Ce commentaire s'avère exact pour les autres végétaux, mais erroné pour l'olivier. Ce dernier bénéficiant d'un engouement dû à l'évolution du mode alimentaire, avec le régime méditerranéen.
On cultivait aussi, au siècle dernier des plantes médicinales totalement oubliées aujourd'hui :
L'Aunée ou Enule campane (Inula Helenium L.). En patois "Luna campana", était cultivée à Aujargues, sous les oliviers, où je l'ai vue au début de mes études de botanique.
La Staphysaigre (Delphinium Staphysagria Lin.) La pésouièïra, en patois, l'herbe aux poux, naturalisée depuis, çà et là à Congénies, Junas, Aujargues, Bragassargues et ailleurs.
La question qui fait l'objet de la présente étude est restée jusqu'ici, je crois, tout à fait inédite. Il est à regretter que personne, à Nîmes, n'ait encore songé à la faire connaître. Le titre choisi indique suffisamment que cette étude présente le caractère d'une étude locale portant à la fois sur le passé économique et sur le présent de la commune de Nîmes. Et cela à propos de la culture d'un arbre fort curieux, constituant par lui-même une grande rareté végétale dont l'origine reste mystérieuse. Notre ville a toujours eu la propriété exclusive de sa culture en grand sur notre proche garrigue. Il s'agit de l'amandier-pêcher. Ce nom composé à double désignation ne laisse pas de surprendre peut-être un peu : un même arbre peut-il participer à la fois de la nature de deux autres, de celle de l'amandier et de celle du pêcher ? Il en est pourtant ainsi. Nous le verrons bientôt.
La renommée de l'arbre, malgré le double intérêt qu'il présente, n'a jamais fait grand bruit en ce monde. Elle n'a pas dépassé les limites de nos garrigues et de nos bourgades (faubourgs). Il n'a guère été connu que de ceux qui l'exploitaient et des herboristes en gros qui en achetaient et en achètent encore les produits. Arbre et culture sont des victimes du progrès : ils sont menacés de disparition prochaine et irrémédiable. C'est pourquoi il paraît nécessaire, avant que le fait ne soit accompli, de faire connaître le peu que nous savons de son passé par la tradition verbale à défaut de documents écrits, afin que plus tard grâce à « l'autorité de l'Académie de Nîmes » pour employer une expression heureuse de notre Président, il en reste au moins un souvenir.
La question touche en même temps à l'histoire du passé et du présent de l'agriculture nîmoise et aussi du commerce de l'herboristerie en gros dans notre Ville, si prospère et représenté, surtout autrefois, par de nombreuses et importantes maisons. Elle touche aussi, qui l'aurait cru ? au point de vue scientifique, au point de vue botanique, biologique, à la génétique, science nouvelle, ardue, transcendante, mais un peu téméraire peut-être, puisqu'elle a pour ambition de porter ses investigations jusqu'aux sources profondes et même jusqu'à l'origine de la vie, par l'étude des variations, naturelles ou provoquées, chez les êtres vivants : lois de l'hérédité et de l'atavisme, de l'hybridation, du métissage, de la sélection, etc.
Dans les siècles écoulés, la ville de Nîmes ne vivait pas seulement de son industrie et de son commerce. Elle possédait une assez nombreuse population agricole. Les fertiles terres de la plaine appartenaient à des propriétaires riches ou aisés. Les terrains de nos garrigues étaient cultivés par une classe de petits propriétaires exploitants, principalement celle des « rachos » ou « cébans » habitant les faubourgs, « li bourgado » comme on disait alors. Ce sont ces petits propriétaires terriens parlant la langue si expressive, si imagée, si colorée dont notre poète local Bigot a su tirer un parti si heureux dans ses fables, comprises encore aujourd'hui et qui ne le seront peut-être plus demain, qui ont introduit notre amandier-pêcher sur les terrains maigres de nos proches garrigues.
C'était une population de braves gens, peu lettrée sans doute, mais saine, honnête, intelligente. laborieuse, sobre, d'apparence mais non de réalité un peu rude peut-être, parlant ce dialecte nîmois qui, de nos jours, achève de mourir. Je te salue agonisant parler de mon pays qui n'est plus guère que celui des vieilles gens et que le parler de bien des félibres qui n'est pas, quoi qu'on en dise, le parler populaire provençal, cherche en vain à venir supplanter jusqu'au pied de la Tourmagne ! Mais le félibrige oublie que son sort est lié au tien, que vous êtes tous deux passagers sur le même navire naufragé : je veux dire que vous êtes appelés à succomber tôt ou tard l'un et l'autre sous les coups redoutables que vous porte depuis la loi de l'obligation et de la gratuité scolaire - plus d'un demi-siècle, - la diffusion de plus en plus grande de l'enseignement populaire et de son esprit positiviste. Vous disparaîtrez tous deux comme ont disparu déjà ou continuent à disparaître notre folklore, nos vieilles et naïves légendes, nos vieilles modes provinciales si jolies, si coquettes, si décentes, si caractéristiques des divers « Pays » de France, tuées à leur tour par les uniformes, inesthétiques, immodestes modes parisiennes on exotiques sous l'influence indiscutée de tyrans d'une nouvelle espèce.
Cette population ne sympathisait guère avec celle des citadins, « d'aquéli moussudo qué portoun lourgnoun, fan li faró, fan d'émbaras, fréquantoun la grand' coumédio, moustacho en cro, cano à la man, merlé qué hèco pa déou pas manja granyo, déforo troupèl dé fègnan ! »
Sézéto, dé la Placéto « qu'eró poulido et s'en crésié », constituait une exception dans ce milieu populaire

Vouyé pas travaya i tapis sus lou mestié
Ni tresso de Guérin, ni i lacet de Pallier

Son père était considéré comme un racho cossu. Songez donc :

Soun père èro un racho, osco ! et di madu
Maï pouyé scouta plooure ! Pèr lou ségu,
Avié dé bèn ou sourèl, d'argèn rescoundu,
Sa demouranço à la Placéto,
Un asé emb un carétoun blu !

Cette population, semi-agricole, semi-ouvrière, vivait à la fois du travail de l'agriculture et de celui de l'industrie, par exemple du métier à bras à domicile. Elle habitait les quartiers de la « Placéto », de l' « Aïro de' Dessaou », dé « La Glèïzeto », dou « plan de Bachalas », dou « Claou », et autres. Ce sont les rachos et leurs devanciers qui, dans la suite des générations, ont construit ces innombrables murs dont beaucoup ont plusieurs mètres d'épaisseur et constituent des « clapas » clôturant les héritages ; ainsi que cette multitude de « capitelles » (La « tino » en dialecte nîmois) refuges en cas de mauvais temps, destinées aussi à recevoir la récolte des olives et des raisins en attendant le transport en ville et abandonnées aujourd'hui, beaucoup tombant en ruines ou même démolies par malveillance, ainsi que nous le disait un jour M. de Loye.
La grande et la moyenne propriété d'exploitation agricole y étaient rares. Les terres labourables, généralement peu étendues, en raison de la nature géologique du terrain, ne contenaient guère que quelques dizaines d'ares. Comme grandes propriétés, peut-on citer bout au plus Vaquéirole, le Mas des Gardies, le Mas de Granon, les Mas de Calvas, de Vanel, Guiraudon, Mittau, dont quelques-unes sont redevenues en partie ou en totalité des bois d'Yeuses. Certains bois actuels sont constitués par un ensemble d'anciens clos autrefois livrés à la culture et dont on voit encore l'emplacement des murs.
La petite propriété comprenait des clos d'une ou quelques dizaines d'ares. Le racho y cultivait, le plus souvent à bras, l'olivier, la vigne d'origine française qui y croissait à merveille avec le minimum de soins, l'oïdium, le mildew, le phylloxera et autres « pestes » étant alors tout à fait inconnus. Certains petits propriétaires récoltaient 10 à 20, parfois 30, quelques-uns jusqu'à 50 hectolitres d'un vin de toute première qualité. Les moulins à huile fonctionnaient tout l'hiver. « Les saisons étaient alors plus régulières qu'aujourd'hui, » dit-on. En réalité les cultures étaient mieux entretenues, grâce au « béchard » au « bigot ». Et puis, le racho était dur à la peine.

Daou ! qu'on yé y'a d'espigno !
L'aoubo luzis, daou ! rachalan
La biasso ou col, l'asé davan
Caminèn vers la vigno

La suzou bagno nosto car
- Sèn pas d'omé dé croyo
Mais quan l'ouro vèn, ou cagnar
Esquichan noste anchoyo

On ajoutait à ces deux cultures principales celle du blé pour la provision familiale (certains clos produisaient de la belle tuzelle) ; celle, de plantes fourragères : luzerne, sainfoin, ce dernier appelé espous en dialecte nîmois ; celle de quelques arbres fruitiers : cerisier, abricotier, figuier et surtout celle de l'amandier dont la vente des amandes, amères ou douces. était facile,... et aussi celle de son frère siamois, l'amandier-pêcher. Le racho vivait de peu. Pour les travaux de culture ou pour la rentrée des récoltes, l'homme et l'âne, celui-ri tirant « lou carétaun » montaient « ou claou » ou à « la vigne » accompagnés du « chin loubet ou chien gardo-biasso ». Ils emportaient la trenco et lou béchar, ainsi que la « padèlo » et « lou flasqué ». A l'occasion ils y restaient, quelques jours, jusqu'au travail terminé.

« Picho, quan vas ou champ, oublidés pas toun flasdué ».

Le petit propriétaire nîmois, tout comme le Cévenol, tirait parti au maximum du moindre coin de terre et répartissait ses cultures selon la qualité du sol. L'amandier, très rustique et de rapport peu élevé par ce que de production irrégulière, incertaine, était traité de parent pauvre. Aussi était-il relégué en bordure des autres cultures, le long des murs et des clapas, des chemins, sur le haut des talus.
Toutefois, il n'était pas cultivé exclusivement pour ses fruits. Dans quelques quartiers, des propriétaires avisés lui avaient assigné un autre rôle : il servait de porte-greffe pour l'amandier-pêcher dont la production des fleurs était toujours assurée, ainsi que nous allons le voir. Celles-ci étaient vendues aux herboristes en gros de la ville. A l'heure actuelle, une des principales maisons d'herboristerie nîmoise est l'ancienne maison Cabanis, devenue ensuite la maison Ribard, puis la Société française d'herboristerie, 11 bis rue Massillon, dont M. Ribard, membre de la Chambre de Commerce, conserve la direction. Cette maison est donc entrée, au point de vue de l'organisation financière, dans les vues que nous exposait naguère, M. le marquis de Valfons. Souhaitons-lui une prospérité toujours grandissante, ainsi qu'à celles qui continuent la tradition commerciale.
Je ne parle que pour mémoire de deux maisons allemandes venues se fonder chez nous à la faveur de la bonne renommée de notre commerce local : la maison Hasslach, rue Saint-Rémy il y a une trentaine d'années et la maison Stump un peu avant la guerre, et dirigées toutes deux par leurs propriétaires. La grande tourmente (14-18) les a fait disparaître l'une et l'autre.
Nos grandes maisons nîmoises ont toujours eu leurs « ramasseurs » et surtout « ramasseuses » qui parcourent nos campagnes dont la flore riche, variée leur assure une récolte abondante de plantes médicinales sauvages. Les espèces cultivées, la menthe, l'hysope, la mélisse, et autres proviennent de Comps, Montfrin, Meynes, Tavel, Bagnols-sur-Cèze, etc. Les marchandises arrivent par charretées chez l'acheteur qui, le plus souvent, les fait sécher lui-même.
Les maisons ont aussi des fournisseurs dans notre Midi méditerranéen et ailleurs en France. Elles alimentent les grandes maisons de Paris, Lyon et de la France presque entière. Elles exportent dans bien des pays d'Europe et d'Outre-Mer. L'histoire complète de notre commerce d'herboristerie local mériterait d'être écrite un jour.
Les maisons de détail ont aussi été de tout temps très achalandées, très prospères : la maison Goudet, la plus ancienne, date de la première moitié du XIXe siècle. Son fondateur était venu du fond de la Provence, s'établir à Nîmes, 2 rue de l'Horloge. Son fils, le Dr Goudet„ décédé en 1998, se dénommait lui-même : « Herboriste thérapeute ». La maison Villeméjeanne, place Belle-Croix est ancienne aussi.
Le commerce nîmois de l'herboristerie en gros a eu son apogée, à l'époque ou les « simples » comme on appelait alors les plantes médicinales, étaient employées en nature et constituaient le fonds principal de la matière médicale. Les progrès de la chimie, à partir du deuxième tiers du siècle dernier (XIX), lui ont porté un coup sensible lorsqu'ils ont dirigé la médecine, la thérapeutique sur une autre voie. Les plantes ont été remplacées par leurs extraits et surtout par des produits de nature minérale, des produits chimiques employés sous leur vrai nom ou déguisés sous le couvert, l'étiquette de la « spécialité », remède secret, ce que le poète Henri Murger, qui a connu l'hôpital, appelait ironiquement, déjà, à tort ou à raison : « une infection brevetée ».
Plus peut-être que dans les autres régions françaises, le nîmois, surtout celui de la classe populaire, a toujours eu une grande prédilection pour l'emploi des simples en vue de guérir ses maux. De temps immémorial il a existé dans notre ville un petit commerce de plein vent des plantes médicinales. Il se tenait autrefois au Marché aux Herbes. Par la suite il s'est déplacé sur les trottoirs des rues environnant les Nouvelles Halles. Ramasseurs et surtout ramasseuses présentaient dans leurs paniers, leurs corbeilles, ou sur des sacs étendus à même le ciment les espèces médicinales de la plaine et de la garrigue : thé des champs, mauve, Millepertuis, faux arnica (Inula montana Lm) vendu pour du vrai qui est montagnard, marrube, salicaire, feuilles de noyer et de frêne, petite centaurée, petit chêne, saponaire, mélisse, verveine, fleurs de tilleul et de sureau, thym, bourrache, hysope et bien d'autres encore.
Mais ce petit commerce allait déjà en diminuant dans la première décade du siècle : il est bien réduit aujourd'hui. II a été remplacé par celui « dis ansaladéta dé champs, di pori di vigua, des escargots (coutard, mourguèta, missounièïra », et des champignons sauvages des Costières, ce dernier créé par moi-même. (G. Cabanès)
Le malade préfère aujourd'hui s'adresser au pharmacien, à l'herboriste, qui ont devanture avec étalage sur rue et peuvent, à l'occasion, donner un petit conseil gratuit. Mais le plus souvent il s'adresse au médecin, au « docteur » et s'en rapporte à son ordonnance, alors que nos anciens ne le faisaient appeler qu'à la dernière extrémité. Cataplasmes, purgatifs violents, végétaux trop actifs (mercuriale, herbe au pauvre homme, euphorbe épurge, globulaire turbith) sont en déclin continu, ont fait leur temps, heureusement ! Seules les plantes à infusion conservent toujours plus ou moins leur vogue, il n'y a guère lieu de le regretter.
Et maintenant, faisons connaissance avec notre amandier-pêcher dont les photographies nous donnent l'aspect, le port, le faciès.
Combien de Nimois, allant faire une promenade printanière dans le courant de mars, par exemple sur le plateau de Vaqueirole n'ont-ils pas eu le regard invinciblement attiré par de jolis arbres bien fleuris présentant l'aspect général de notre populaire amandier, mais aux fleurs d'un joli coloris rose tendre, rappelant celles du pêcher, abondamment groupées sur des rameaux flexibles et retombants, parfois développées à même les branches, comme chez l'arbre de Judée. Plus tard, au cours de la belle saison, ils ont vu ces mêmes arbres couverts de feuilles rappelant aussi celles du pêcher, mais plus grandes, plus denses. Ils se sont trouvés fort embarrassés pour leur donner un nom. Je ne parle pas des fruits : bien peu de ces promeneurs ont eu l'occasion de les observer, tant ils sont rares ! Ceux qui, par extraordinaire, ont eu l'occasion d'en observer ont été surpris par leurs caractères étranges, ne rappelant aucun fruit connu de notre pays : aspect d'amande à l'état jeune, de pêche à maturité, d'amande encore après la dessiccation de la pulpe. Essayant de mordre sur celle-ci, ils se sont aperçus que, bien que juteuse, rouge en dedans, séparée du noyau qu'elle colore, elle est dure, coriace, de saveur désagréable, décidément non comestible.
Dans un état plus avancé, cette pulpe se montre déhiscente, se fend et s'ouvre progressivement dans le sens de la longueur comme celle de l'amande, laissant voir deux lèvres charnues qui desséchées, mettent à découvert un noyau tout à fait amygdaliforme, mais présentant sur ses deux faces des anfractuosités, des sillons sinueux rappelant ceux du noyau de la pêche quoique parfois interrompus et moins profonds.
Évidemment cet arbre quasi stérile, à fruit sans valeur d'ailleurs, ne peut-être cultivé comme arbre fruitier. Ce sont les fleurs que ramasse le propriétaire. Bien des passants, assistant à cette cueillette d'un nouveau genre n'ont pas manqué de témoigner leur surprise. Dirai-je que quelques-uns sont allés plus loin, jusqu'à tourner en ridicule le ramasseur ! Il y a bien là un arbre paradoxal. Comment le classer botaniquement ? Quel nom lui donner ? Serait-ce bien un pêcher ? Ne serait-ce pas plutôt un amandier ? Ma surprise fut grande lorsque, jeune adepte de la science de Flore, je le vis pour la première fois ; ma déception aussi lorsque, la « Flore du Gard » de de Pouzolz en mains, je voulus le déterminer. Il n'était pas mentionné dans cet ouvrage, pourtant si exact, si consciencieux, pas plus que dans le « Synopsis analytique de la flore du Gard » de l'abbé Gareiso, ancien directeur du grand séminaire. J'ai voulu connaître son appellation nîmoise, et, s'il en avait une, son histoire et aussi son utilité. Je me suis adressé aux propriétaires eux-mêmes. Les renseignements que j'ai pu recueillir n'ont pas été nombreux, malgré trente ans de recherches assidues. La génération présente ignore tout de son passé. Les propriétaires exploitants sont loin de soupçonner sa nature vraie. Pour la plupart d'entre eux, c'est un pêcher « bastard », un pêcher dégénéré, s'étant produit on ne sait comment. Ils l'appellent : « péchéïra ». Pour d'autres, c'est un « alberger » sauvage. Ceux-ci l'appellent « aoubergèïra », et, par altération « bergèïra ». Tous ont observé qu'il se rapprocherait plus du pêcher que de l'amandier, aussi n'a-t-il reçu aucun nom rappelant ce dernier. Ils ne savent pas non plus à qui les herboristes en gros qui leur achètent les fleurs peuvent bien les revendre. Beaucoup ignorent l'usage qui est fait de celles-ci.
Toutefois, il paraîtrait que quelques propriétaires avaient reconnu à ces fleurs des propriétés laxatives et même superpurgatives et que certains d'entre eux en avaient fait l'expérience à leurs dépens par l'emploi de doses trop fortes.
Au début de juin 1924 s'est tenu à Montpellier un Congrès de l'Herboristerie française. Les congressistes, sur les conseils de mon ami M. le professeur Juillet, de la Faculté de pharmacie de cette ville, sont venus visiter les cultures de plantes médicinales et industrielles du Gard et n'ont pas manqué de s'arrêter à Nîmes. Nous leur avons présenté notre « péchèïra ou aoubergèïra ». Aucun de ces grands commerçants, des savants qui les accompagnaient n'en avait connaissance. Ce fut pour tous une révélation. C'est ainsi qu'ils apprirent que les plus belles fleurs dites « fleurs de pêcher » en herboristerie proviennent en réalité de notre arbre nîmois.
Nos érudits collègues, MM. Mazauric et Chobant, si bien placés par leurs fonctions pour faire des recherches dans nos archives locales et départementales n'ont pu découvrir aucun document qui fît mention de la culture de notre amandier-pêcher dans le lointain comme dans le proche passé.
L'herboristerie Cabanis, rue de Saint-Gilles et quelques autres avaient fait des essais de culture en Camargue, mais ces essais ne réussirent pas, ce qui aurait pu être prévu.
À l'heure actuelle, à ce que j'ai observé, c'est principalement sur la partie ouest de notre garrigue, sur le plateau s'étendant du quartier des Trois Piliers, de la montée de l'Alouette, de la Combe de la Grotte des Fées jusqu'à ceux de Vaqueirole et Pied-Vert, du Mas des Gardies, du Mas de Cournon, de Védélen, ainsi que sur les pentes méridionales, descendant jusqu'au hameau de Saint-Gésaire, notamment aux quartiers de Val de Gour et de Pissevin, que se trouvent les plus nombreux et les plus beaux spécimens qui existent encore des cultures d'autrefois ou de quelques cultures récentes. Il est rare ailleurs.
Tout près du four à chaux de Val de Gour, un propriétaire a fait un essai de culture ces dernières années. Mais la greffe ayant été faite trop bas, les branches, naturellement retombantes de l'arbre traînent jusqu'à terre, les labours sont devenus impraticables, les arbres sont actuellement abandonnés à eux-mêmes et dépérissent.
J'ai vu, dans mon enfance, à Gongénies, un bel exemplaire fleurissant quelquefois et appartenant à la famille Langlais qui cultivait les plantes médicinales. Il est mort il y a deux ou trois ans à peine. Il avait été fait, paraît-il, quelques essais de culture dans quelques communes entre Nîmes et la Gardonnenque. M. Ribard m'a déclaré qu'un propriétaire possédait, au début du siècle un certain nombre d'arbres dont il lui achetait les fleurs, mais que depuis cette époque il ne lui en a plus été offert. Je tiens également de M. Daveau, le regretté chef des cultures et conservateur des collections au Jardin des Plantes de Montpellier qu'il avait eu l'occasion de voir l'amandier-pêcher aux environs de Gignac (Hérault). Les auteurs de la « Flore de Montpellier ,» Loret et Barrandon, n'en font pas mention.
En somme, c'est la commune de Nîmes qui a toujours eu la spécialité de cette culture en grand.
Quel est donc l'état civil de l'amandier-pêcher ? C'est ici le cas de lui faire dire, par analogie, ce que le bon La Fontaine faisait dire à un personnage de ses fables : la chauve-souris :

Je suis oiseau, voyez mes ailes !
Je suis souris, vivent les rats !
Je suis pêcher, voyez mes fleurs !
Je suis amandier, voyez ma taille !
Je suis pêcher, voyez mes feuilles !
Je suis les deux, voyez mon fruit !

Tout montre que par sa nature, son essence même, la « péchèïra » porte en elle un mélange de deux sèves différentes. C'est donc un hybride sexuel, le produit illégitime de la fécondation, l'une par l'autre, de deux espèces distinctes représentées chacune non par le type pur de l'espèce, mais par l'une des nombreuses variétés horticoles existant dans les cultures. Mais quelles sont ces deux variétés ? On ne saurait donner une réponse précise à cette question. Toutefois d'après l'examen du fruit il est permis de penser que l'un des ascendants pourrait être un amandier à coque tendre ou demi-tendre, à amande douce ; l'autre un pêcher à fruit à chair molle se détachant du noyau. L'appellation locale de « péchèïra » paraît donc plus exacte que celle d' « aoubergèïra ».
Mais lequel des deux parents est le porte-pollen ? Lequel est le porte-ovule ? Rien ne nous autorise à avancer, scientifiquement une hypothèse, encore moins une affirmation. Toutefois, il paraît conforme à la réalité des choses de penser que l'amandier pourrait être le porte-graine et le pêcher le porte-pollen, que notre « péchèïra » est issue d'un semis d'amandes effectué en vue de l'obtention d'amandiers vrais dont les fruits, amers ou doux, se vendaient bien autrefois, plutôt que d'un semis de pêches.
Les amandiers-pêchers que quelques pépiniéristes de divers pays ont obtenus fortuitement étaient toujours obtenus de semis d'amandes. C'est ainsi que chez M. Beaumont, horticulteur à Blannaves (Allier), un hybride observé provenait d'une amande récoltée sur un amandier cultivé en haute tige le long d'un mur occupé par plus de 150 variétés de pêchers en espalier. Il est facile de comprendre que le nombre dle variétés des deux arbres répandues dans les cultures étant très grand, les caractères botaniques des produits de croisements qui ont été ou qui pourraient être obtenus doivent varier presque à l'infini. C'est pourquoi, pour distinguer l'hybride connu à Nîmes, je propose de dénommer le nôtre de la façon suivante :

Amygdalus nemausensis... (= A. communis Lin. varhort. Persica vulgaris Mill. var. hort.) laissant de côté toute discussion se rapportant aux questions de génétique relatives à sa qualité vraie ou supposée d'hybride bi-spécifique ou bi-générique et à d'autres questions encore qui ont d'ailleurs été exposées en séance. Inutile aussi d'examiner si Amygdalus nemausensis est un hybride de première génération, ou un hybride semi-artificiel résultant de plusieurs croisements du premier avec le pêcher par un praticien habile poursuivant un but économique déterminé : obtention de fleurs produites en plus grande quantité et de plus en plus marchandes.
De toutes façons j'ai toujours vu notre hybride nîmois toujours semblable à lui-même, botaniquement parlant, non polymorphe.
On peut donc admettre que tous nos arbres ont dû provenir d'un individu unique originel.

DESCRIPTION : Arbre à végétation exubérante, produisant beaucoup de bois, se développant amplement dans le sens horizontal (jusqu'à 7 mètres), surbaissé. Bourrelet de greffe plus ou moins apparent. Branches déjetées en tous sens, intriquées, coudées, plus au moins incurvées, infléchies, retombantes, sauf les supérieures. Aspect semi-pleureur. Très florifère ; fleurs paraissant avant les feuilles (mars), grandes, rose tendre, semblables à celles du pêcher. Ovaire atrophié. Feuilles grandes, luisantes, plus ou moins ondulées sur les bords, nombreuses, persistant jusqu'à l'arrière-saison, où elles prennent une belle teinte rougeâtre. À peu près infertile.



Fruits de la grosseur d'une petite pêche, tous semblables, rougeâtres-roussâtres à la véraison, peu et très courtement duveteux, charnus, juteux, saveur désagréable ; non comestibles. Sarcocarpe (chair) déhiscent à maturité, s'ouvrant en deux lèvres épaisses à tranche rougeâtre ; rouge purpurin à l'intérieur, non adhérent au noyau, à couleur déteignant ordinairement sur celui-ci ; se desséchant à maturité comme celui de l'amande. Dimensions moyennes : 11 centimètres de tour en largeur, 14 en longueur. Noyau à coque moyennement épaisse et dure, nettement amygdaliforme, graduellement atténué et terminé en pointe, sillonné comme celui de la pêche, à sillons moins nombreux, moins profonds, souvent interrompus : intervalles plats (non tranchants) portant quelques fossettes punctiformes peu profondes. Graine amère, souvent avortée dans sa coque.

Arbre extrêmement rustique, supportant les hivers les plus rigoureux (-15° en 1929) ; toujours sain, exempt de toutes les maladies (cloque, chlorose, gommose, etc.) et non attaqué par les insectes, pucerons et autres qui infestent les parents. Très mellifère.
N'est pas l'Amygdalo-Persica (amandier-pêcher) de Duhamel du Monceau, Traité des Arbres fruitiers (I768), t. IV, cité dans la Flore de France, de Grenier et Godron et de Rouy (I).

(1) Description et table IV communiquées par M. Emile Aptel, Château de Lamotte, près Saint-Gilles.

Nous ne savons pas si la « péchèïra » a pris naissance à Nîmes ou si elle y a été importée. Dans ce dernier cas, quelle aurait été son utilité dans son pays d'origine ? Vraisemblablement la même que chez nous. La fameuse « Ecole de Montpellier » a-t-elle découvert ou même crée la Péchèïra ? ou la lui a-t-on fait connaître de l'étranger ? et en aurait-elle par la suite recommandé la culture, de préférence à Nîmes, en raison de la grande renommée de son commerce d'herboristerie en gros, ou nous serait-elle parvenue par un de ses élèves, herboriste ou apothicaire nîmois ? Les auteurs qui ont écrit sur la flore de la Provence n'en font pas mention. Nous ne savons pas non plus de quelle époque date son introduction chez nous. M. Ribard croit qu'elle ne remonterait pas à plus d'un siècle et demi. Nous savons seulement que les premiers essais d'hybridation d'arbres fruitiers, d'amandier et de pécher notamment paraissent devoir être attribuées à l'hybrideur et sélectionneur anglais, André Knight et datent des premières années du XVIIIe siècle ; ce qui viendrait à l'appui des vues de M. Ribard. Mais il peut s'être produit des cas d'hybridation spontanés antérieurs à ces expériences réussies, comme il s'en est, d'ailleurs produit postérieurement : les vents et les insectes ont agi de tout temps pour effectuer eux-mêmes de ces mariages illégitimes.
Dans la deuxième moitié du siècle dernier, un propriétaire, M. Daleyrac, possédait de nombreux amandiers-pêchers au quartier de Védélen ; le Mas des Gardies en possédait également beaucoup, répartis sur toute l'étendue du domaine ; quelques gros récoltants faisaient ramasser les fleurs par des femmes, les faisaient sécher à domicile et se rendaient à Lyon porteurs d'échantillons où ils parvenaient à placer leur marchandise ; les petits les vendaient sur place toutes fraîches. Les propriétaires, lors des années d'avilissement des prix ont tenté de fonder un syndicat des producteurs ; pour des raisons diverses ces projets n'aboutirent pas.
Les prix pratiqués ont varié beaucoup selon les années. Ils étaient de 2 fr à 2,50 fr pour 1 kilog. de fleurs fraîches ces dernières années (2 fr. en 1929). M. Ribard paie 3 fr. en cette campagne de 1930. Dans le passé plus ou moins lointain, les prix ont subi parfois de grandes fluctuations. La moyenne était de 1,50 fr à 2 fr. Mais il s'est trouvé des années où ils se sont abaissés jusqu'à 0,50 fr et même 0,40 fr. et, paraît-il, mais tout à fait exceptionnellement, jusqu'à 0,20 fr, ce qui ne pouvait guère encourager au ramassage et encore moins à créer des cultures nouvelles. Je n'ai pu avoir connaissance des prix offerts pour la fleur desséchée, quoique rarement, à domicile.
Un des propriétaires actuels m'a déclaré que certains de ses arbres lui ont donné de 30 à 50 kg. de fleurs fraîches. En 1929 il aurait vendu pour 300 fr. environ, provenant de sept ou huit arbres. Une famille Cautarel récoltait autrefois pour plus de 400 fr. de fleurs ; la famille Ponge autant sinon davantage. Mais je ne crois pas qu'il y eût jusqu'à trois mille arbres au Mas des Gardies, ainsi que me l'a assuré un propriétaire du quartier, bien qu'ils fussent nombreux sur ce vaste domaine. La famille Lafont en vendait jusqu'à 600 fr. il y a seulement une cinquantaine d'années. La famille Lauze, les charcutiers de la place de la Maison Carrée récoltait jusqu'à 3000 kg de fleurs. La famille Bastide, les beaux-parents de M. Bonfils, le restaurateur bien connu de Castanet avait fait il y a une cinquantaine d'années ou davantage une plantation en lisière S.-E. du bois de Vaqueirole ; on peut y voir aujourd'hui un magnifique patriarche... Le nombre de propriétaires de moindre importance était assez élevé. La récolte totale atteignait certaines années jusqu'à neuf mille kg. Mais lorsque les prix baissaient elle descendait à douze cents.
Le produit de l'arbre formé, émondé tous les deux ou trois ans est à l'abri de tout aléa, toujours assuré et constant, le revenu presque net.
Les herboristes ont tenté l'achat des feuilles. Toutefois, les propriétaires se sont refusés à la vente parce que l'expérience leur a appris que l'enlèvement des feuilles nuisait aux arbres. Elles ne sont plus demandées aujourd'hui.
La multiplication de la « péchêïra » se faisait par la greffe et ne pouvait se faire autrement. Sa nature d'hybride le rend à peu près infertile, et les quelques noyaux obtenus germent fort rarement. C'est l'amandier commun qui a toujours servi de porte-greffe, il y avait des greffeurs professionnels qui travaillaient à la tâche, à prix fixé par greffon posé.
Les fleurs et feuilles sont laxatives à faible dose, purgatives à dose plus élevées, diurétiques, vermifuges. Le calice est la partie dans laquelle paraît résider plus particulièrement le principe actif. A haute dose, elles seraient toxiques, et ont causé des empoisonnements assez graves, non mortels.
De temps immémorial ces fleurs sont employées en pharmacie sous le nom de « fleurs de pêcher » pour préparer à dose faible, un sirop laxatif à l'usage des enfants jeunes et même des adultes. Son principe actif est un glucoside à acide cyanhydrique (acide prussique).
Je voudrais pouvoir terminer cette étude sur mie note d'espérance... Hélas ! ce n'est pas une note d'espoir que nous annonce le titre que j'ai choisi. C'est plutôt un glas funèbre, un De profundis qu'il nous faut prévoir ! Les hommes et les événements en sont la cause. Le « racho », le rude cultivateur d'autrefois n'est plus : il a fait place au « mazetier » d'aujourd'hui. La « capitèlo » ancienne a été supplantée par le « mazet » auquel est venue s'ajouter « la villa », vraie maison de plaisance autour de laquelle on entretient parterre de fleurs et bosquet d'arbustes d'ornement, et possédant bassins, citernes, et pour les propriétaires les plus proche de la ville, les eaux du Rhône.
On se rend au mazet où à la villa pour y passer le dimanche, à pied, à bicyclette, ou en automobile. Parfois même on y reste à peine quelques heures. Quelques privilégiés habitent leur villa l'été pour fuir les chaleurs accablantes de la ville. Mais d'une manière générale on se rend de moins en moins au « mazet », attiré, retenu ailleurs par le théâtre, le cinéma ; et pour les jeunes par le foot-ball, quand ce n'est pas le dancing. Les bonnes parties d'autrefois « où sé simavo un bon cô dé saliberno embé de fourmo bluvo », accompagnant « lou plat dé ca~aroulo » n'ont plus guère lieu. On n'entend plus les éclats bravants d'une jeunesse en liesse, les roulements de tambour. les sonneries ou les « couacs » discordants des clairons novices. Les anciennes - cultures sont oubliées, abandonnées. Celle de la « péchèïra » n'exigeait presque aucun effort : seulement quelques émondages tous les deux ou trois ans, l'arbre poussant beaucoup à bois et exigeant seulement cette opération sous peine de dépérir, mais donnant en échange profusion de fleurs et revenu net ou à peu près. On ne la conserve même plus comme arbre ornemental, et c'est grand dommage ! Beaucoup d'amandiers-pêchers en plein rapport il y a seulement un demi-siècle ont disparu ; très peu ont été remplacés. Beaucoup de ceux qui ont persisté ne reçoivent aucun soin : ils sont affaiblis, ils ont perdu nombre de leurs branches ; ils fleurissent tous les ans sur celles qui restent et qui se creusent à leur tour, faisant présager une fin prochaine. On ne greffe plus. Et pourtant, notre arbre est d'une robustesse exceptionnelle. Il ne veut pas mourir, il se cramponne à la vie, donnant encore des fleurs jusqu'à l'année même de sa mort, à son propriétaire oublieux et ingrat. Quelques coups de sécateur suffiraient à le maintenir en état de santé parfaite.
Beaucoup de clos éloignés ou même proches sont abandonnés à eux-mêmes ; la végétation spontanée les envahit. L'avoine folle, la fétuque rouge, le plantain des chiens, le psoralier bitumeux, le chêne kermès (l'avaou), l'yeuse, ou chêne vert (l'éouzé), la ronce montent à l'assaut des « péchèïra » agonisantes et des oliviers plusieurs fois séculaires et les étouffent. Les murs les plus épais s'écroulent, augmentant le nombre des « clapas », les capitelles sont en ruines. Les anciens terrains labourables sont devenus des champs de thym, de lavande, dont personne ne songe à tirer profit ; une petite et insidieuse graminée (Brachypodium ramosum), matelasse le sol et répand infailliblement au loin l'incendie dans les oliveraies et les bois. Lézards et couleuvres y sont chez eux, tandis qu'à la canicule la bruyante cigale y est reine.
La péchèïra se meurt ! On n'a jamais su apprécier comme il convient sa grande rusticité et sa haute valeur ornementale. Cet arbre magnifique fleurit précisément à une date on tous ceux qu'on cultive à grands frais sont éloignés de l'époque de leur floraison. Son feuillage lustré, touffu ne manque pas d'agrément à la belle saison. Son port semi-pleureur ses jolies fleurs au coloris rose tendre en font un arbre ornemental de premier mérite. Une telle rareté, une telle curiosité botanique dont le passé constitue une particularité locale des plus intéressantes ne devrait pas être menacée de disparition. Il importe de la conserver.
On crée aujourd'hui des parcs nationaux pour protéger les derniers représentants d'espèces animales en voie d'extinction, le bison, le castor, le flamant rose, etc. On interdit l'arrachage des plantes rares de nos montagnes, l'edelweiss, la Linnea borealis de nos Alpes, la Ramondia des Pyrénées et d'autres encore. Nous devrions, nous, Nîmois, à notre tour, de notre propre initiative, protéger une curiosité végétale qui ne se trouve que chez nous, lui fait place dans nos cultures et la recommander aux amateurs de belles plantes.
L'amandier-pêcher me paraît éminemment digne aussi de figurer honorablement dans les jardins botaniques, des universités, notamment au Jardin des Plantes de Montpellier, ainsi qu'à la Fontaine et dans quelques jardins publics de notre ville de Nîmes pour laquelle c'est vraiment un devoir ! ...


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Renouveau pour l'amandier-pêcher ?
Les hybrides amandier X pêcher connaissent un grand succès depuis quelques années, en raison de leur utilisation comme porte-greffes pour certains arbres fruitiers à noyau.
Onze hybrides naturels ont été repérés à ce jour dans les zones de culture et palmeraie du Sud marocain ; la plupart dans la région de Skoura. Des tests de bouturage herbacé, de bouturage ligneux, greffage et semis, ont été effectués.
Bien sûr il s'agit là d'une variété différente à ne pas confondre avec notre "Amygdalus Nemausensis" , qui est stérile et doit pour se reproduire, être greffé sur un porte-greffe d'amandier.
> Suite de l'article sur le porte greffe, "amandier-pêcher" d'origine marocaine
 
Les Masets, les Rachalans et la Flore de la Garrigues nîmoise
> Histoire de la Garrigue de Nîmes, ses Masets et ses Rachalans
>  Les murs en pierres sèches de la garrigue nîmoise
> La Flore de la garrigue nîmoise
> Une culture ancienne abandonnée, l'amandier-pêcher
 

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