L’HÔPITAL SAINT-JACQUES à Nîmes

A LA FIN DU XVe SIÈCLE

par M. l'abbé Goiffon, 1896

 

Hôtel-Dieu début XX° siècle, sur l'emplacement de l'hôpital St Jacques

 

L'année 1482 fut particulièrement calamiteuse pour la ville de Nîmes : une peste s'était déclarée plus terrible que celles qui avaient déjà éprouvé les habitants. La violence du fléau fut telle, que, au dire de l'historien nîmois, les rues et les carrefours étaient couverts de pauvres qui mouraient dans le plus déplorable dénuement des secours spirituels et temporels. La terreur avait envahi toutes les âmes, tant la mortalité était extrême. La récolte de l'année fut presque nulle et une espèce de famine aggrava cette situation malheureuse. Beaucoup prirent la fuite pour éviter la contagion et les chanoines mêmes de Saint-Augustin crurent pouvoir abandonner le service de la cathédrale, ne laissant dans la ville que les prêtres absolument nécessaires pour l'administration des malades. Cette peste dura près d'un an.

 

Le Conseil de ville montra dans ces circonstances un zèle à la hauteur des maux qui accablaient la cité et fit tous ses efforts pour remédier à de si grands malheurs ; par ses soins, les pestiférés trouvèrent dans les divers hôpitaux un prêtre, un médecin, un chirurgien et des infirmiers.

 

Lorsque la peste eut cessé, le Consulat se préoccupa tout d'abord des moyens qui pourraient garantir la ville de nouvelles atteintes de cette terrible maladie, soit en fermant les portes aux personnes qui arrivaient des pays infectés, soit en prévoyant les mesures capables d'amoindrir les ravages du fléau, s'il reparaissait dans l'avenir.

 

A cette époque, si on en excepte l'hôpital des Chevaliers fondé, en 1313, par Raymond Ruffi, sous le nom d'Hôtel-Dieu (Domus Dei), et l'hôpital des Lépreux, situés tous les deux aux environs de la Porte-Couverte, aujourd'hui Porte-de-France, les autres hôpitaux, au nombre de six ou sept, étaient situés dans l'intérieur de la ville ; les malades avaient dû y être entassés dans des locaux trop étroits qui favorisaient la contagion. Aussi les épidémies se répandaient-elles avec une rapidité qui, jusqu'à ce jour, avait déconcerté toutes les précautions.

 

Il fallait avant tout empêcher pour l'avenir l'accumulation des malades dans l'intérieur de la ville. Déjà, pendant la peste, les Consuls avaient essayé de faire admettre les pestiférés dans l'hôpital de Ruffi et s'étaient même emparés de la maison. Mais Guillaume Dupont, propriétaire et administrateur de l'Hôtel-Dieu, en qualité d'héritier du fondateur, avait déclaré que, en vertu de l'acte de fondation, il n'était tenu qu'à fournir douze lits pour y recevoir des pauvres de son choix, mais nullement les pestiférés, ni même les malades envoyés par les consuls qui avaient à leur disposition les hôpitaux de l'intérieur.

 

Un procès fut entamé devant la cour du sénéchal de Beaucaire et de Nîmes. Pour l'arrêter et pour sauvegarder les habitants de toute contagion future, les Consuls conçurent le projet d'acheter l'Hôtel-Dieu et de l'agrandir en vendant aux enchères toutes les autres maisons de charité situées dans l'enceinte de la ville ; ce projet fut adopté, le 9 avril 1483, par un conseil extraordinaire tenu sous la présidence de Léonard de l’Euze, licencié ès-lois et commis à l'universalité des causes de la cour présidiale du sénéchal.

 

Dès le 23 du même mois, Guillaume Dupont et les Consuls traitèrent de la vente qui fut aussitôt conclue et bientôt après approuvée par l'évêque de Nîmes, Jacques de Caulers, et le sénéchal de Beaucaire, Antoine de Châteauneuf, seigneur du Lau. Ces deux personnages, après une enquête sommaire qui ne fit connaître aucune opposition aux projets de la ville, accordèrent aux consuls toute permission, soit pour vendre les divers hôpitaux, soit pour en transférer les pauvres à l'Hôtel-Dieu, en réservant pour les écoles publiques celui de Sainte-Croix situé près du château royal (dans la rue qui porte aujourd'hui le nom de l'Ecole-Vieille), et pour les femmes en couches, non pestiférées, celui de Saint-Marc qui était une propriété du Chapitre, situé à la Grand'Rue.

 

La vente des hôpitaux se fit rapidement dans le mois de février 1484 ; leur mobilier et leur lingerie vinrent grossir ceux de l'Hôtel-Dieu. Ménard nous a conservé le détail de ce que chacun put fournir.

 

L'empressement que le Conseil de ville avait mis à terminer cette affaire n'avait pas permis de remarquer que l'hôpital de Saint-Jacques appartenait à une confrérie spéciale et qu'on n'avait pu le vendre sans léser les droits des confrères. Aussi la ville se vit bientôt assignée devant la Cour présidiale de Nîmes et dut, pour éviter le procès, composer avec les administrateurs de la confrérie. L'acte qui renferme le concordat conclu en cette circonstance fait partie des archives des hôpitaux de Nîmes ; Ménard ne l'a pas connu ou l'a négligé ; il est écrit partie en latin de l'époque, partie en roman. Nous traduisons la partie latine et nous conservons la partie romane dont le texte prouve que notre langage populaire n'a pas subi de grands changements pendant les quatre siècles qui se sont écoulés depuis lors.

 

L'an du Seigneur 1484 et le 17 du mois d'août, régnant, etc.. Un litige s'étant élevé par devant la Cour présidiale de Nimes, litige qui pourrait devenir plus grand entre vénérables et discrets hommes Tristan Valette, Jean Rossignol bourgeois, Jean de Simon marchand, Jean Guiraud laboureur, consuls de cette année de la ville de Nimes d'une part, et honorables hommes Antoine Puget bourgeois, Gabriel Morier marchand, maître Laurent Dapchuel notaire, et maître François Flori, savetier de Nimes, prieurs et recteurs de la confrérie de l'hôpital Saint-Jacques de la présente ville de Nîmes d'autre part, à l'occasion du changement dudit hôpital Saint-Jacques et de ce qui est contenu au procès pendant devant la susdite Cour, les susdites parties, voulant éviter toute chicane judiciaire, ont passé certains pactes et conventions semblables à ceux qui sont contenus dans une cédule écrite, dit-on, de la main dudit Morier et qui a été maintenant exhibée et produite et que les parties, par devant moi notaire public et les témoins désignés plus bas, ont voulu que je lusse; ce qui a été fait de point en point. Voici la teneur de cette cédule : (1)

 

(1) Cette édition ne reproduit pas le texte en latin original.

 

Ce concordat ne reçut pas une exécution immédiate et près de six ans après, les pèlerins de Saint-Jacques ne trouvaient plus à Nimes l'hospitalité à laquelle ils avaient droit d'après les fondations faites en leur faveur. Afin de donner suite à la transaction du 17 août 1484 et pour mettre à exécution les conditions convenues du partage de l'hôpital des Chevaliers entre la ville et la confrérie et hôpital de Saint-Jacques, un nouvel acte notarié intervint entre les consuls et les prieurs, le 6 février 1490; en voici la traduction : l'original en latin fait également partie des archives des Hospices.

Instrument pour les prieurs de Saint-Jacques, au sujet de la partie qui leur est livrée de l'hôpital des Chevaliers.

 

Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Amen. Sachent tous et chacun des présents et des futurs qui verront, liront, et entendront la rédaction et la teneur de ce vrai, présent et public instrument, que, l'an du Seigneur 1484 et le 17e jour du mois d'août étant consuls vénérables et excellents hommes Tristan Valette, bachelier ès-lois, Jean Rossinhol, bourgeois, Jean de Simon, marchand et Jean Guiraud, laboureur, une question ayant été soulevée entre lesdits sieurs Consuls d'une part et honorables hommes Antoine Puget, bourgeois, Gabriel Morier, marchand, maître Laurent Dapchuel, notaire et maître François Flori, savetier de Nîmes, prieurs et recteurs de la confrérie de l'hôpital de Saint-Jacques de la présente ville de Nîmes, d'autre part, à cause du changement dudit hôpital St-Jacques et des oppositions dans le procès engagé sur ce point devant la cour Présidiale du magnifique et puissant Seigneur le Sénéchal de Beaucaire et de Nîmes ; sur ce procès les parties susnommées ayant convenu et concordé entre elles comme il est dit dans un acte public pris en note et reçu par discret homme maître Bertrand Deliquas, notaire public et royal, lors Clavaire de la maison commune de Nimes, l'an et le jour susdit, duquel acte ou note voici la teneur :

 

L'an du Seigneur 1484 et le etc.

 

Et comme les accords et conventions décrites dans cet acte n'avaient pas encore été remplies soit par la négligence des prieurs et recteurs de la dite confrérie de l'hôpital St-Jacques et de leurs successeurs les dits Puget, Gabriel Morier et autres susdits leurs compagnons, soit par quelque opposition des Consuls de la ville de Nimes, ce qui rendait le susdit acte inefficace, l'an de l’Incarnation 1490 et le 6 du mois de février, sérénissime prince, notre Seigneur, régnant Charles, roi des Français, dans la maison du Consulat de Nîmes, s'est rassemblé le Conseil ordinaire de ladite ville par devant excellents et honorables hommes Gabriel Délaie, professeur en droit civil et canonique, Jean Rossinhol, bourgeois, Pierre Avocat, et Jean Guiraud, consuls de la ville et du château des Arènes de Nîmes, requête verbale a été présentée auxdits Seigneurs Consuls et à leur conseil de la part des prieurs et recteurs dudit hôpital St-Jacques de Nîmes, contenant que jadis convention et concordat avait été fait entre les consuls prédécesseurs des présents et les prieurs ou recteurs du dit hôpital St-Jacques super mutatione facta de leur hôpital de St-Jacques alors existant dans la ville de Nîmes, près de la porte St Antoine, près de l'hôpital de la ville vulgairement dit l’hospital delz chevaliers, selon qu'il est contenu et décrit dans l'acte fait par maître Bertrand Deliquas, dont un double signé par ledit Deliquas est exhibé aux consuls et à leur conseil, et cette requête concluait qu'il plût aux consuls et à leur conseil, pour l'utilité de la communauté de ladite ville qu'ils exonèrent du service nécessaire à faire aux pèlerins et aux voyageurs de St-Jacques, selon la demande des mêmes prieurs et recteurs, honorable homme Antoine Puget, bourgeois, Pierre Bonhomme, prêtre, Antoine Plaisant et Pierre Saunier, boucher, recteurs et prieurs de cet hôpital, de tenir et d'accomplir les pactes et conventions contenues et décrites dans l'acte cité et d'être tenus à leur donner et livrer réellement une partie dudit hôpital désigné et confronté dans l'acte, offrant pour leur part de tenir et conserver de point en point tous les pactes et toutes les conventions contenues et décrites dans l'acte et ce faisant remplir leur devoir et exonérer la ville des dépenses à faire pour les pèlerins qui se rendaient à Saint-Jacques.

 

A cette requête des prieurs et recteurs, les consuls répondirent que la demande serait soumise au Conseil qui en délibérerait, ce qui fut fait et exécuté. A ce Conseil étaient présents vénérables et excellents hommes Jean Soleyrol, professeur de l'un et l'autre droit, Tristan Valette, bachelier ès-lois, maître Jean Furet, docteur en médecine, Jean Ponchut bourgeois, Jean Brisson marchand, maître Jacques d'Aurifeuille, maître Pierre Dalaie notaire, Pierre Genton, Pierre Malian, Guillaume Patice, Durand Bordin ; l'acte fut lu en entier et tous les susnommés conseillers d'accord et unanimement décidèrent que tous les pactes et conventions contenues et décrites dans l'acte reçu par maître Bertrand Deliquas devaient sortir à effet, que les consuls se transporteraient à l'hôpital de la ville et après avoir visité les lieux, avec l'acte en main, ils livreraient et délivreraient aux prieurs et recteurs en possession réelle et actuelle les parties désignées et confrontées dans ledit acte et accompliraient tous les pactes et toutes les conventions susdites.

 

Le 10 dudit mois de février, en présence de moi notaire public, clavaire de la maison commune de Nimes et des témoins soussignés, les susdits consuls Jean Rossinhol, Pierre Avocat et Jean Guiraud tant pour eux que pour leur collègue Gabriel Délaie lors absent de la ville, dans ledit hôpital dit dels Chevaliers et suivant la délibération dudit Conseil, livrèrent et assignèrent à perpétuité auxdits Antoine Puget, Antoine Plaisant quoique absents et auxdits Pierre Bonhomme prêtre et Pierre Saunier boucher, prieurs ou recteurs de la confrérie de St-Jacques, présents et recevant pour eux et leurs collègues absents et pour leurs successeurs dans la charge de prieurs ou recteurs de ladite confrérie, la moitié de long en long et de bas en haut de la grande salle dudit hôpital commun de la ville dit dels Chevaliers avec son entrée et sortie, savoir la moitié de ladite salle qui est du côté de la ville, avec sa ruelle située de long en long.

 

Cette moitié de grande salle confronte du Nord ladite ruelle située entre elle et la maison de Mangin Joli, carratier de Nîmes, avec le mas et le verger de Pierre Fontaine hôte des Deux-Faucons, du marin de long en long avec l'autre moitié de la même grande salle, du couchant la rue publique, pour faire, édifier, construire et réparer selon, qu'il est contenu et décrit dans ledit acte.

 

Les consuls voulurent en outre et consentirent que les autres pactes et conventions décrites et déclarées dans l'acte fussent tenus et observés, en conséquence, au nom de la Communauté de Nimes les consuls se dépouillèrent de la dite moitié de la grande salle de l'hôpital selon qu'elle a été confrontée et désignée et en investirent les prieurs ou recteurs de l'hôpital S^Jacques présents et stipulants par l'attouchement des mains ; selon la coutume, leur donnant licence et autorité d'édifier et de diviser ladite partie de la salle et leur promettant au nom de la Communauté de la ville de Nimes de tenir ce que dessus, de l'observer, de n'y jamais contrevenir par eux-mêmes ni par toute autre personne interposée, pour quelque raison que ce soit.

 

De même les prieurs ou recteurs promirent et convinrent pour eux et leurs successeurs les prieurs de la Confrérie de St-Jacques de tenir cet accord, de l'observer et de l'accomplir et cela en faveur des Consuls stipulant et recevant au nom de la Communauté, tous promettant de garder ces conventions de point en point et de n'y contrevenir ni par eux-mêmes ni par intermédiaire, ni directement ni per obliquum.

 

Pour toutes et chacune desquelles choses les parties susnommées et chacune d'elles ont mutuellement obligé et hypothéqué savoir : les Consuls tous les biens quelconques de ladite Communauté et lesdits prieurs et recteurs ceux de la Confrérie de Saint-Jacques, les soumettant à toutes les rigueurs de la cour spirituelle de révérendissime père en Dieu, Mgr l'évêque de Nîmes et de son officiai, de la cour extraordinaire des conventions royaux de Nîmes et de toute autre cour ecclésiastique ou séculière qui serait requise sur cette affaire. Les parties ont dit et affirmé n'avoir rien fait ni dit dans le passé et ne feront rien à l'avenir qui puisse amoindrir ce qui est stipulé dans le présent acte, et selon qu'elles l'ont promis, elles conserveront à perpétuité toute la force de cet acte et la main posée sur les Saints Evangiles de Dieu chacun a juré de renoncer, sous la foi du serment, à toute exception d'ignorance de droit ou de fait et à tous autres droits qui pourraient venir contre ces conventions ou quelqu'une d'entre elles. De tout quoi les parties susdites ont demandé qu'il fut fait et expédié un instrument public ou autant d'instruments publics qu'il serait nécessaire, par moi notaire public soussigné.

 

Fait dans l'hôpital de la Communauté de la ville de Nîmes, vulgairement dit dels Chevaliers et devant la porte principale de cet hôpital du côté de ladite grande salle ; étaient témoins honnêtes hommes : Claude Bagimon agriculteur, Durand Bordin jardinier, Louis Daman, marchand, habitants de Nîmes appelés et requis et moi Folquet Barnier, clerc et par l'autorité royale, notaire public de Nîmes, clavaire de la maison commune de Nîmes qui étais présent à tout ce qui précède pendant qu'on le faisait, de sorte que j'ai vu et entendu; requis d'en prendre note, j'en ai dressé le présent instrument public que j'ai fait écrire par alium mihi fidelem.

 

A cet acte était ici attaché le concordat de 1484.

 

Après la lecture de cette pièce, lesdites parties et chacune d'entre elles promirent de tenir, observer et garder les pactes susdits, décrits et déclarés ci-dessus, de les garder et accomplir de point en point et de ne pas y contrevenir sous l'obligation pour les consuls des biens de la Communauté et pour les prieurs et recteurs des biens de la Confrérie de St-Jacques qu'ils soumettent à l'autorité de la Cour ordinaire et des conventions royaux de Nimes, de celle de Mgr l'Evêque et de toute autre cour, etc., et ainsi ils ont promis et juré sur les Saintes Evangiles de Dieu, etc., renonçant à tous droits quelconques, etc.

 

De tout quoi acte a été dressé à Nimes, en la maison commune de cette ville, et dans la salle basse de cette maison en présence des témoins Jean Tutelle, Claude Fontaine, Eustache Freton, Baudile Rouverte garde des hypothèques, maître Antoine Reinaud, notaire, Antoine Roqueyrol, habitants de Nîmes, et moi B. Deliquas, notaire.

 

C'est en vertu de ces actes que jusqu'à une époque encore récente les pauvres voyageurs, par extension de l'accord qui ne regardait d'abord que les pèlerins de Saint-Jacques, étaient hospitalisés à l'Hôtel-Dieu.

 

 

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