Recherches Archéologiques sur
L'Amphithéâtre de Nismes.
par Auguste Pellet, 1838.
 
 
Depuis Poldo d'Albénas on a tant écrit sur nos antiquités romaines, qu'il semble aujourd'hui superflu de vous entretenir encore d'un sujet sur lequel tout doit avoir été dit, cependant les monumens de Nismes, dont une partie est encore encombrée, offrent, tous les jours, une nouvelle pâture aux recherches de l'antiquaire, et souvent, comme le dit un archéologue célèbre (M. le ch.r Alex Lenoir), « le même intérêt que celui que nous allons chercher bien loin dans les ruines des villes que le temps ou les bouleversemens de la nature ont ensevelies pendant un grand nombre de siècles. »
 
Vous avez vu, Messieurs, par le dernier rapport que j'eus l'honneur de vous faire, nos ateliers de secours disculper l'architecte romain des reproches qui lui étaient journellement adressés par les visiteurs de notre Amphithéâtre, sur la pente trop rapide des paliers nouvellement restaurés, et la commission des monumens antiques décider que ces paliers devaient être reconstruits conformément à ceux que nos fouilles venaient de mettre a dé-couvert. L'effet de cette décision a été un peu tardif, à la vérité , mais elle s'exécute en ce moment, et nous fait espérer de voir bientôt aussi le déblaiement de la Porte d'Auguste ordonné dans la même séance, ainsi que l'établissement d'une grille autour du Temple de Diane.
 
Les derniers travaux que les fonds destinés aux ateliers de secours permirent d'exécuter, furent dirigés sur une partie de notre Amphithéâtre, qui n'avait point encore été décrite, et qu'il me parut intéressant de faire déblayer ; ce sont deux espèces de chambres situées au rez-de-chaussée, vers les extrémités du grand axe intérieur, l'une à gauche si l'on entre par la porte du couchant, et l'autre à droite si c'est par celle du levant qu'on pénètre dans l'arène. Elles sont semblables entre elles, et n'ont aucun rapport avec les parties correspondantes des côtés opposés, également semblables entre elles, mais sur lesquelles les fouilles opérées jusqu'à ce jour ne permettent pas d'émettre une opinion probable relative à l'objet de leur destination ; celle que je me suis formée a besoin d'être corroborée par de nouvelles investigations ; ce n'est donc que des premières, Messieurs, dont je vais vous entretenir.
 
Les différences qui existent entre les diverses parties de l'amphithéâtre d'Arles et leurs parties correspondantes dans celui de Nismes, sont plutôt motivées sur leur emplacement respectif et l'époque de leur construction, que sur le plan même de ces édifices ; il est probable, toutefois, que ces différences ont donné lieu à des exercices de nature diverse.
 
Le rapprochement que j'ai pu faire de ces deux monumens , dans l'intention d'assigner un motif à leur dissemblance, m'a conduit à remarquer que , sur la ligne horizontale qui, dans l'amphithéâtre d'Arles, répondrait au sol intérieur de celui de Nismes, il y avait, dans le premier, deux petites portes placées sous le podium, dans l'arène, immédiatement à droite et à gauche des grandes entrées, tandis qu'elles n'avaient point été indiquées à l'amphithéâtre de Nismes par les architectes qui en ont donné une restauration générale.
 
Ce fut sur ces points là que j'établis de préférence les ateliers dont la direction m'était con-fiée ; leurs travaux eurent pour résultat l'entier déblaiement des deux pièces dont je vais vous faire la description en soumettant à votre critique les inductions peut-être erronées, mais consciencieuses, auxquelles j'ai été conduit.
 
Ces chambres A , d'environ 16 mètres de surface, sont à peu près carrées ; elles sont voûtées pour supporter les gradins de la seconde précinction ; du côté de l'arène, elles ont un passage B de 2 mètres de large, actuellement fermé en D par un mur moderne ; ce passage est couvert d'une voûte rampante servant d'appui aux gradins de la première précinction, qui, sur tous les autres points de la circonférence, sont établis sur un massif de blocage. Dans le mur qui fait face à ce passage, il existe au point K une niche de 80 centimètres de large, simplement indiquée par la construction dans !a chambre du levant, tandis que, dans celle du couchant, cette niche renferme un puits de construction romaine : c'est là la seule différence qu'on remarque dans les diverses parties de ces deux pièces. Leur mur, au midi, est percé de deux portes E et F, d'un mètre de largeur ; la première communiquait aux grandes entrées, et s'ouvrait en dedans, ce qui est indiqué par les feuillures de ses pieds droits et le scellement des gonds ; la seconde F, qui n'a jamais eu de fermeture, communiquait à un petit ciel-ouvert G, n'ayant pas un mètre de large sur 225 de longueur, qu'on serait tenté de prendre pour la cage d'un petit escalier , si les murs, au lieu d'être parfaitement unis, présentaient quelques traces d'arrachement de marches : ces murs s'élèvent perpendiculairement jusqu'au dessus des gradins de la seconde précinction, qu'ils terminaient du côté des grandes entrées. Enfin, au quatrième mur de ces chambres, on remarque, entièrement ouvert, le grand aqueduc H qui servait déroulement aux eaux pluviales des gradins ; le sol de cet aqueduc était à 50 centimètres au dessous de celui de la pièce ou il se trouvait, et sa voûte s'élevait à plus d'un mètre au dessus.
 
Cette description était nécessaire au développement de mon opinion, car tout avait un but d'utilité dans les monumens des anciens, et vouloir indiquer l'objet auquel avait été destinée celle portion de notre Amphithéâtre, était aussi s'imposer l'obligation d'assigner un usage à toutes les parties qui entrent dans sa construction.
 
J'ai déjà dit qu'à l'Amphithéâtre d'Arles il y avait, à l'enceinte intérieure, immédiatement à côté des grandes entrées, deux petites portes. Si une semblable distribution eût existé dans l'Amphithéâtre de Nismes, il serait bien évident que ces portes auraient servi de communication entre l'arène et les chambres qui font l'objet de ma recherche. Eh bien ! je crois qu'il en était ainsi, et voici sur quoi je fonde cette opinion.
 
Si l'on considère que le dessous des gradins de la première précinction est partout entièrement massif, que , sur toute la circonférence , les quatre gradins qui la composent en sont établis sur des voûtes, qu'aux endroits qui aboutiraient à ces portes, remplacées aujourd'hui par un mur moderne D, on pensera déjà que le passage BD que couvraient ces voûtes, ne pouvait avoir d'utilité qu'au-tant qu'il y avait à l'enceinte intérieure une ouverture par laquelle on arrivait directement de l'arène à ces chambres, dont le sol était d'ailleurs au même niveau. Si l'on remarque encore que le mur du podium est parfaitement conservé partout, excepté aux endroits où devraient se trouver ces portes qui existent à l'Amphithéâtre d'Alès, on sera forcé de convenir qu'il est au moins très-probable que, sous ce rapport, les deux monumens étaient encore semblables, et la dégradation qui existe à l'Amphithéâtre de Nismes s'explique naturellement par le peu de résistance que présentait au temps ou aux hommes la construction d'une porte comparée à celle d'un mur en blocage de 3 mètres d'épaisseur.
 
On s'est beaucoup occupé de l'objet auquel les Amphithéâtres étaient destinés chez les Romains ; quelques documens anciens nous font bien connaître une partie des exercices qui avaient lieu dans leur enceinte, mais tous les jours des découvertes nouvelles nous prouvent que nous sommes loin de les connaître tous ; une affiche trouvée naguère sur les murs de Pompéï annonce, pour le XII des calendes de mai, un spectacle à l'Amphithéâtre, la tente sera placée et le mât.
 
N. POPIDI
RVFI. FAM. GLAD. IV K. NOV POMPEIS
VENATIONE. ET. XII. K. MAI
MALA. ET. VELA. ERVNT
OPROCVRATOR. FELICITAS.
 
Quel était ce jeu du mât ? En quoi consistaient ces chasses, ces jeux nautiques qui avaient lieu dans le même local ? Nous l'ignorons, et il en est probablement de même d'une infinité d'autres exercices qui occupaient les loisirs d'un peuple qui ne demandait que panem et circenses.
 
Or, si les spectacles qui avaient lieu dans les Amphithéâtres nous sont à peu près inconnus, il doit en être de même des dépendances de ces monumens, qui avaient une destination particulière, relative à ces mêmes exercices. Aussi sommes-nous embarrassés pour répondre à ces simples questions qui nous sont adressées tous les jours : où tenait-on les animaux ? quelle était la place des gladiateurs avant et après le combat ? où mettait-on les attraits de navigation lorsque les jeux nautiques cessaient ? et cette immense tente pendant la mauvaise saison, etc. etc. Sur toutes ces choses, les auteurs anciens ne nous ont rien appris , parce qu'ils ne se doutaient pas qu'on ignorerait un jour ce que de leur temps tout le monde savait.
 
Les écrivains qui nous ont donné des descriptions du Colisée et de l'Amphithéâtre de Capoue, signalent vingt portes communiquant de l'arène au dessous du podium. Nous ne pouvons vérifier l'exactitude de cette assertion, mais nous sommes certain que l'Amphithéâtre de Nismes ne pouvait en avoir que huit, en y comprenant les quatre entrées principales qui, dans tous ces édifices, sont situées aux extrémités des deux axes.
 
Le chanoine Mazzocchi, dans la description de l'Amphithéâtre de Capoue, s'exprime ainsi (livre VI) :
 
« Sotto il podio vi esistevano motte picciole porte destinate a différend usi, una d'elle quale era detta libilinensis et l'altra sandapilaria o piu corrottamente sanavivaria. Si comprende volentieri, che la porta libitinensis fosse destinata ad accogliere i gladiatori gia morti sull'arena che avevano combattuto. Per la porta sandapilaria poi entendevasi quella per dove uschivano i gladiatori vivi che pur combattuto avevano. »
 
Voilà donc l'usage de deux de ces petites portes parfaitement indiqué : il en est encore fait mention dans les actes des martyres des SS.tes Perpétue et Félicité.
 
Et cœpi ire cum gloria ad portam sanavivariam ; et peu après :
Ambœ pariter steterunt et populi daritia devicta revocatœ sunt ad portam sanavivariam.
 
Très-probablement ces deux portes existaient, dans tous les Amphithéâtres et dans celui de Nismes ; il serait difficile de leur assigner une autre place que celle qui communiquait aux chambres dont je viens de faire la description.
 
C'est dans celle du couchant que le vainqueur allait se rafraîchir pour se reposer de ses fatigues, et, de nos jours, ce local est encore consacré au même usage par nos athlètes modernes, qui sont loin de se douter de la tradition. La porte sanavivaire n'existe plus, il est vrai, mais c'est encore dans la pièce où elle conduisait, que nos lutteurs attendent le moment d'entrer dans l'arène, et où le célèbre Mazart (Lutteur qui n'a point encore été renversé), après sa victoire , vient recevoir les félicitations de ses nombreux partisans.
 
Du côté opposé , la porte libitine conduisait à la chambre du levant ; mais malheur à celui pour qui elle allait s'ouvrir, il devait succomber sous le glaive d'un adversaire plus adroit , et mourir avec la triste consolation, peut-être, d'entendre, avant d'expirer, les derniers applaudissemens que la foule accordait à la pose héroïque qu'il avait su prendre en mourant.
 
La destination que j'assigne à ces chambres, motive tout ce que vous y avez observé. Les passages voûtés ne sont plus sans utilité, puisque c'est par eux qu'on arrive aux portes fatales. Les issues sur les grandes entrées permettaient de sortir et d'enlever les cadavres sans leur faire de nouveau traverser l'arène, où ils étaient déjà remplacés par d'autres gladiateurs.
 
La nécessité d'éclairer cette partie du monument n'est-elle pas suffisante pour motiver ce petit ciel-ouvert G, ménagé avec tant d'art par l'architecte au seul endroit où il pouvait le placer sans nuire à la régularité de l'édifice.
 
Il est facile de concevoir l'inutilité d'un puits à l'endroit où l'on ne traînait que des cadavres, et la seule différence observée dans la construction de ces deux chambres est par là suffisamment expliquée.
 
Enfin, leur sol se trouvant au niveau de celui de l'arène, elles devaient nécessairement être submergées pendant les jeux nautiques ; de là la nécessité de laisser entièrement ouvert le grand aqueduc, dont le sol, plus bas que celui de la pièce où il se trouvait, était un moyen de la mettre immédiatement à sec, lorsque d'autres exercices devaient remplacer les naumachies.
 
Ces explications me semblent assez naturelles, Messieurs, et je vous propose de les admettre jusqu'au moment où une opinion plus probable viendra renverser mon système, pour l'entraîner à son tour vers la porte libitine.
 
Nismes, C. DURAND-BELLE , Imprimeur de l'Académie.
 
« Avertissement aux lecteurs : Dans ce récit daté de 1838, Auguste Pellet commet quelques erreurs, en particulier sur la théorie des naumachies dans les Arènes de Nîmes, pour se faire une idée plus précise la lecture d'études plus récentes, en particulier celle réalisée en 1910 par Félix Mazauric, ainsi que celle d' Emile Espérandieu, datée de 1933, sont indispensable. »
 
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Les  Arènes de Nîmes avec NEMAUSENSIS
> L'amphithéâtre de Nîmes par Auguste Pellet, 1838
> Les Arènes, par Alexandre de Mège, 1840
> Les Arènes, rapport de fouilles de Henri Révoil, 1868
> Les Arènes, description de Eugène Germer-Durand, 1868
> Les Arènes, par Albin Michel, 1876
> Chateau des Arènes du Ve au XIIIe siècle Michel Jouve, 1901
> Quelques détails sur les Arènes, par le chanoine François Durand, 1907
> Les Arènes, L'Amphithéâtre par J. Charles Roux, 1908
> Les Arènes, Les souterrains des Arènes, Félix Mazauric, 1910
> Les Arènes, Le rempart et le Château des Arènes, Igolen 1934
> Diaporama des fouilles en 1987
Tour des Arènes à travers un siècle d'iconographies 
 

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