EMMANUEL II DE CRUSSOL
(1642-1692)
Premier Duc et Pair de France - Cinquième Duc d'Uzès
extrait de l'histoire des Duc d'Uzès, par Lionel d'Albiousse, 1887.

Le 7 mars 1674, Emmanuel Il de Crussol, âgé de 32 ans, devint premier duc et pair de France, par suite de la démission de son père en sa faveur. Jusque là il avait porté le titre de comte de Crussol, et c'est sous ce titre qu'il épousa, le 16 mars 1664, Julie-Marie de Montausier, fille unique et héritière de Charles, duc de Montausier (1), chevalier des ordres du roi, gouverneur du Dauphin sous Louis XIV, et de Julie-Lucie d'Angennes, marquise de RambouiIlet (2), gouvernante des enfants de France, si prônée par son savoir et son esprit, si chantée par les poètes de son temps.

(1) Le duc de Montausisr avait, obtenu, par un arrêt du Conseil d'état, au 16 juillet 1689, l'autorisation d'exploiter toutes les mines de charbons de pierre qu'il pourrait découvrir dans toute l'étendue du royaume, à l'exception de celles du Nivernais, concédées au duc de Nevers.
Ce privilège fut confirmé par un nouvel arrêt du 29 avril 1692, en faveur de sa fille, la duchesse d'Uzès,
(Etienne Dupont. Traité pratique de la jurisprudence des mines, tome I, pages 31 et 32).
(2) Elle avait inspiré une passion romanesque à son futur mari, le duc de Montausier. Celui-ci, pendant l'hiver de 1641, lui adressa une guirlande peinte sur velin in folio par Robertet, au bas de, laquelle se trouvent toutes les fleurs dont elle se compose, peintes séparément chacune sur une feuille particulière. Au-dessous, Nicolas Jarry, célèbre calligraphe, a écrit avec une perfection que le burin n'atteindrait pas, un madrigal se rapportant à chaque fleur. Dix-huit auteurs ont concouru à l'œuvre poétique, connue sous le nom de Guirlande de Julie, ornée de peintures et de vers. Cette guirlande fut exécutée deux fois.
L'original est précieusement conservé dans la maison d'Uzès, la copie appartient à la famille de Sainte-Maure (Voir Wideville, page 49).

A cette occasion la ville lui envoya une députation à Paris, pour le féliciter de son mariage et remettre à sa fiancée un présent de 100 pistoles (1). Le contrat de mariage fut passé en présence du roi, de la reine, de la reine-mère du roi, de Mgr le Dauphin et autres princes, princesses et grands seigneurs de la cour, devant , MM. Lefraud et de Beauvais, notaires au châtelet de Paris (2).
Peu après, les jeunes époux quittent la capitale pour aller dans le Midi, visiter leurs divers châteaux et notamment Uzès. À peine arrivés à Florensac ils voient venir près d'eux une députation d'Uzès, pour leur rendre les devoirs de la ville qui se dispose à leur faire une entrée aussi solennelle que possible.'
En effet, on prépare des logements pour un régiment de 400 hommes, qui doit précéder l'arrivée du comte et de la comtesse.
On fait venir la bande des violons d'Avignon, ainsi que des tambours, tant de Beaucaire que de Tarascon, pour être joints à ceux de la ville. On dépense 1100 livres pour payer les peintres, sculpteurs et ouvriers employés à orner la place et la cour du duché d'arcs de triomphe, de peintures et de statues. Enfin, lorsque le comte et la comtesse arrivent, les soldats du régiment et les hommes armés de la ville forment la haie sur leur passage, au milieu des cris enthousiastes des habitants, au bruit des boites que l'on fait partir de la plus haute tour du duché. Le soir même un superbe feu d'artifice est tiré, et des danses ont lieu durant plusieurs jours.

(1) Délibérations du conseil politique d'Uzès, du 4 avril 1664. -- Archives communales.
(2) Archives ducales. Inventaire, page 80,

Peu après, quoique nouvellement marié, le comte de Crussol, avide de gloire, se déroba aux charmes du plaisir pour aller faire essai de sa valeur en Hongrie, contre les ennemis du nom chrétien (1).
Les Turcs, en effet, commandés par le grand vizir Achmet Kiouprougli se rendaient plus redoutables que jamais. Prenant la Hongrie Autrichienne à revers, ils avaient franchi le Danube à Bade avec 100.000 hommes, et s'avançaient jusqu'aux portes de Presbourg et d'Olmutz.
L'empereur Léopold avait fait appel à toute la chrétienté. Le Pape, l'Espagne, les États Italiens fournirent des subsides. Louis XIV envoya 6.000 Français, la plupart volontaires, sons les ordres du comte Coligny. - Saligni, ancien frondeur, rentré d'exil avec le prince de Condé.
Déjà le grand vizir avait repoussé les Impériaux, et après avoir réparti ses principales forces sur la rive droite du Danube, il menaçait d'envahir la Styrie et l'Autriche. Le ler août 1664 l'attaque fut engagée par toutes les forces musulmanes, et la bataille semblait perdue pour les Impériaux lorsque les Français s'ébranlèrent. On dit qu'Achmet Kiouprougli en voyant déboucher cette jeune noblesse française avec ses habits tout enrubannés et ces perruques blondes demanda « quelles étaient ces jeunes filles. »
Ces jeunes filles enfoncèrent au premier choc les terribles janissaires du grand vizir, et l'armée confédérée, ranimée par l'exemple des Français, chargea sur toute la ligne. Les Turcs lâchèrent pied et se précipitèrent en fuyant vers la rivière pour la repasser, mais ils la comblèrent de leurs cadavres.
À la suite de cette victoire, une trêve de vingt ans fut signée entre l'empereur Léopold et le grand vizir.

(1) Mémoires de Montausier, tome 1, page 160.

Le jeune comte de Crussol revint couvert de gloire de cette expédition.
Il aimait passionnément le métier des armes, et il faut reconnaître qu'il arriva à une époque où il lui fut facile de satisfaire ses goûts. Louis XIV avait déjà rétabli la suprématie de la France sur toutes les autres puissances.
Une insulte faite à notre ambassadeur à Londres par l'ambassadeur espagnol, qui usa de violence pour prendre le pas sur lui dans une cérémonie publique, avait été promptement réparée par Philippe IV.
Peu de temps après, par suite d'un affront fait à son ambassadeur, le duc de Crequi, par la garde Corse (1) du Pape, Louis XIV obtint une éclatante réparation.

(1) Louis XIV ne se doutait pas que plus tard un corse occuperait le trône de France.

Après la mort de Philippe IV, son beau-père. Il voulut faire valoir les droits que la reine son épouse avait sur les Pays-Bas et la Franche-Comté. Il prit lui-même la conduite de ses troupes, suivi de Condé, de Turenne, de Louvois son ministre de la guerre. On s'empara, comme par enchantement, de la plupart des villes et des provinces des Pays-Bas, et bientôt cette brillante et rapide guerre fut suivie de la paix d'Aix-la-Chapelle, en 1668. Mais blessé de l'orgueil des habitants d'Amsterdam qui avaient fait frapper une médaille outrageante pour lui, Louis XIV reprit les hostilités, ce qui amena la coalition des princes d'Allemagne, des rois d'Espagne et de Danemark contre lui, coalition qui procura de nouvelles victoires à la France consacrées par la paix de Nimègue en 1678.
Le comte de Crussol, guerrier accompli, assista à maintes batailles, et, en récompense de ses services et de son brillant courage, il fut chargé d'apporter au roi Louis XIV, à Fontainebleau, la nouvelle de la prise des forts de Gallas, en Allemagne (1).
Il avait alors le grade de colonel d'infanterie par suite de la démission de son beau-père, le duc de Montausier (2).
A cette époque, les grades inférieurs dépendaient à peu près des colonels qui proposaient les officiers au ministre (3). Aussi bien des jeunes gens d'Uzès allaient s'enrôler dans le régiment du comte de Crussol, et ce fut là l'origine de la plupart des familles nobles de notre ville, qui étaient fort nombreuses avant la Révolution.
Sur ces entrefaites la duchesse de Montausier tomba malade. Sa maladie dura près de deux ans, et pendant tout ce temps-là sa fille, la comtesse de Crussol, resta enfermée dans la chambre de sa mère pour la soigner, renonçant à tous les plaisirs que lui promettaient sa fortune, sa naissance et son rang à. la cour (4).
La duchesse de Montausier mourut 16 novembre 1671. Beaucoup de dames de la cour briguèrent sa charge de dame d'honneur. L'une faisait valoir les services de ses aïeux, l'autre une piété austère telle que la désirait la reine, l'autre une vertu commode et facile comme la souhaitait le roi. Celle-ci comptait sur la protection directe de Leurs Majestés, celle-là sur celle de Mme de La Vallière ou de la marquise de Montespan; Mme de Richelieu s'abritait sous le souvenir des services rendus à la royauté par le cardinal de ce nom ; Mme de Créqui avait pour protecteur le comte de Lauzun.

(1) Extrait des Souvenirs historiques des résidences royales de France. Palais de Fontainebleau, par Vatout, page 395.
(2) Archives ducales. Inventaire page 10, verso.
(3) Histoire de France, par H, Martin, tome 14, page 152,
(4) Mémoires de Montausier, tome II, page 33.

Le duc de Montausier aurait bien voulu proposer sa fille, la comtesse de Crussol, mais son jeune âge semblait un obstacle, et alors, dans son dépit, il s'écriait : « L'affreux pays où les maitresses et les ministres ont seuls du pouvoir ». Le roi le sut et le manda auprès de lui. Il lui reprocha avec douceur son emportement et s'en vengea, le lendemain en désignant la comtesse de Crussol dame du Palais (1).
Ainsi que je l'ai déjà dit, le duc d'Uzès (François Ier de Crussol) se démit en 1674, en faveur de son fils aîné, de son titre de duc et pair de France. Celui dont je raconte la vie prit dès ce moment, et jusqu'à la mort de son père, le titre de duc de Crussol. En cette qualité il joua un rôle important au mariage de Louise d'Orléans avec le roi Charles II d'Espagne.
Louise d'Orléans était fort belle. Ses grands yeux aux longs et doux regards, ses traits nobles, ses mouvements gracieux révélaient la distinction innée qu'elle tenait de sa mère (Henriette d'Angleterre).
Louis XIV la destina au roi d'Espagne qui, par une des clauses du traité de Nimègue (I676), devait épouser une princesse française.
En effet, dès le commencement de l'année 1679, un grand d'Espagne, le marquis de Las Balbazès, arriva à Versailles en qualité d'ambassadeur extraordinaire. On lui donna des fêtes somptueuses.
Louis XIV, devant la volonté duquel tout s'inclinait, chargea Monsieur (le duc d'Orléans) de prévenir sa fille que le roi d'Espagne demandait sa main. A quelques jours de là et le 1 juillet 1679, l'ambassadeur espagnol alla à Saint-Cloud, résidence du duc d'Orléans, pour faire la demande officielle. Elle fut accueillie, non sans regret, de la part de la jeune princesse.

(1) Mémoires pour servir à Mme de Maintenon, par la Beaumelle, tome I, page 262.

La cérémonie du mariage ne tarda pas de s'accomplir. Un matin, à onze heures, toute la cour étant réunie dans l'appartement de la reine, le roi commanda de se mettre en marche pour se rendre à la chapelle. Les chevaliers de l'Ordre du Saint-Esprit, précédés de quatre hérauts d'armes, de leur chef et du président de Mesmes, grand maitre des cérémonies de l'Ordre,, s'avancèrent les premiers, deux à deux, habillés de noir, avec le collier sur le manteau.
Le duc de Crussol qui devait porter les honneurs pour le roi d'Espagne, marchait ensuite. Son habit était brodé de perles avec des boutons en diamants (1).

(1) Semaine des familles, 1872-73, page 66.

Après lui venaient le grand prieur de France et le duc de Vendôme son frère, l'ambassadeur d'Espagne, ayant à sa droite le comte de Brienne, introducteur des ambassadeurs; ils étaient suivis du duc de Verneuil, du duc du Maine, du comte de Vermandois et du prince de La Roche-sur-Yon.
Le prince de Conti, représentant Charles II, marchait seul.
Louis XIV venait ensuite, précédé d'huissiers avec leurs masses, et du marquis de Tilladet, capitaine des Cent-Suisses de la Garde ; derrière le roi était le duc de Luxembourg, capitaine des gardes du corps, le duc de Gesvres, premier gentilhomme de la chambre, le prince de Marsillac, grand maître de la garde-robe.
La reine était menée par le duc de la Vrillère, son chevalier d'honneur, et par le marquis d'Hautefort, son premier écuyer.
Mademoiselle s'avançait ensuite menée par Mgr le Dauphin, ayant derrière lui le duc de Montausier, son premier gentilhomme, et par Monsieur, ayant derrière lui le chevalier de Chastillon, capitaine de ses gardes.
Les duchesses et les dames du Palais fermaient la marche.
Le cardinal de Bouillon procéda à la cérémonie du mariage. Puis Mademoiselle. devenue reine d'Espagne, partit peu après pour sa nouvelle résidence, mais non sans verser beaucoup de larmes.
Dans une de ses lettres Mme de Sévigné écrivait :
La reine d'Espagne devient fontaine.
On l'accompagna en grande pompe jusqu'à la Bidassoa, rivière séparant la France de l'Espagne. Alors exaltée par la douleur, elle arracha une poignée de terre de la rive, la couvrit de pleurs et de baisers, et s'adressant à sa nourrice qui devait l'accompagner : - « Garde-moi ce trésor, lui dit-elle, pour qu'à ma mort on répande sur ma tombe un peu de terre de France ».
Sa vie fut courte, et triste. Ce n'est pas d'elle qu'on peut dire: « Heureuse comme une reine. »
Sur ces entrefaites le duc d'Uzès mourut en 1680. Son fils qui venait d'assister aux fêtes du mariage de Mlle d'Orléans avec le roi d'Espagne, prit le titre dont il héritait, de duc d'Uzès, premier duc et pair de France.
A cette occasion les consuls d'Uzès lui adressèrent les hommages de la ville, et lui témoignèrent le désir de le voir bientôt arriver dans son duché, ou on lui ferait une réception digne de sa haute .situation ; mais lui, se rappelant la brillante réception qui, lui avait été déjà faite à Uzès, à l'occasion de son mariage avec la fille du duc de Montausier, écrivit aux consuls que pour éviter des dépenses à la ville il se contenterait d'une entrée semblable à celle de l'évêque.
Il vint peu après à Uzès avec la duchesse sa femme, mais ils n'y firent qu'un court séjour, bien qu'ils eussent été reçus très cordialement par tous les habitants. Le duc et la duchesse préféraient (et cela se comprend sans peine) au calme de notre petite ville les splendeurs du château de Versailles.
La cour de Louis XIV effaçait alors toutes les autres cours de l'Europe par son air de grandeur et son exquise courtoisie. Le roi voulait que l'éclat attaché à sa personne rejaillit sur tout ce qui l'entourait ; que tous les grands fussent honorés, et surtout les femmes. À aucune époque elles ne furent l'objet de tant d'hommages. Aussi la société française atteignit la véritable harmonie des moeurs polies et réalisa mieux que jamais l'idéal chevaleresque. Les fêtes de Louis XIV dépassèrent tout ce qu'avaient rêvé les romanciers, mais Louis était toujours le centre et le principe de toutes choses.
Ce faste, uni aux dépenses occasionnées par de nombreuses guerres épuisèrent les finances de la France. On employa divers moyens pour y remédier. Le plus regrettable pour les arts fut l'ordre donné à tous les particuliers d'envoyer à la monnaie les meubles et ustensiles d'argent massif et même la vaisselle au dessus du poids de trois à quatre marcs. Le roi lui-même donna l'exemple et fit fondre de précieux objets d'argent ciselés par Bullini, d'après les dessins de Lebrun, et qui étaient un des principaux ornements de Versailles. Le duc d'Uzès n'hésita pas à apporter son argenterie qui était fort belle. Mais l'art était bien supérieur à la matière et ce sacrifice ne produisit pas des sommes bien considérables.
On eut recours à d'autres moyens. On pensa avec raison que les manufactures et le commerce seraient la source magique où l'on pourrait puiser sans relâche et sans mesure, et on en favorisa le développement. Les fabriques de tout genre, depuis les étoffes les plus communes jusqu'aux tissus d'or et aux tapis de l'Asie, furent transplantées parmi nous, et le roi fut le premier à les mettre en honneur à sa cour. L'entreprise fut suivie avec une très grande constance, les obstacles nombreux et la persévérance du roi invincible, ainsi qu'on peut en juger par un fait assez futile et à l'occasion duquel la duchesse d'Uzès joua un certain rôle:
Il était de mode de porter des draps rayés. Ceux qu'on fabriqua d'abord en France étaient grossiers et ridicules. Le roi néanmoins ne voulut pas qu'on en portât d'autres: La duchesse d'Uzès, à qui sou père, le duc de Montausier, avait confié la garde-robe du Dauphin, imagina de faire faire à ce prince un habit avec un drap uni et étranger sur lequel un peintre dessina des raies. Louis XIV, instruit de ce stratagème, réprimanda la duchesse d'Uzès, infligea une amende au peintre et au marchand (1) et fit brûler publiquement l'habit.
La mode, à cette époque-là, était aussi, pour les hommes, de porter des manchons. Le roi ne s'en servait pas même au fort de l'hiver. Aussi un jour, deux paysans l'ayant rencontré, et l'un d'eux s'étonnant de le voir ainsi insensible au froid : « N'en-soi pas étonné, dit l'autre, il a toujours les mains dans nos poches ».
Il lui fallait en effet beaucoup d'argent pour payer ses guerres, ses constructions, ses fêtes et ses maitresses. La personne qui régnait alors sur son cœur était la marquise de Montespan (2), la plus belle, la plus spirituelle et peut-être aussi la plus dépensière de toutes.

(1) Monarchie de Louis XIV, Dangeau, page 364.
(2) Athénaïs de Mortemart, marquise de Montespan, sa sœur aînée, la marquise de Thiange, et sa cadette, l'abbesse de Fontevraud, étaient les plus belles femmes de leur temps, et toutes trois joignaient à cet avantage des agréments singuliers dans l'esprit. Le maréchal duc de Vivonne, leur frère, était aussi un des hommes de la cour qui avait le plus de goût et de lecture. C'était lui à qui le roi disait un jour, « Mais à quoi sert de lire? » Le duc de Vivonne, qui avait de l'embonpoint et de belles couleurs, répondit : « Sire, la lecture fait à l'esprit ce que vos perdrix font à mes joues ».
Un autre jour le roi lui dit ; « on vous accuse de ne pas réciter des prières ? - On me Calomnie, Sire, répondit l'ingénieux courtisan, car je ne passe pas un seul jour sans répéter plusieurs fois ! Domine salvum fac regem nostrum. (Seigneur, sauvez notre roi)
Ces quatre personnes plaisaient universellement par un tour singulier de conversation mêlé de plaisanterie et de finesse qu'on appelait : l'esprit du Mortemart.
On remarque au duché d'Uzès un grand tableau représentant le duc de Mortemart et de Vivonne, vice-roi de la Sicile qu'il avait délivrée des Espagnols, recevant le 23 avril 1675, au nom de Louis XIV, dans la cathédrale de Messine, le serment de loi et hommage du sénat et des principaux de la ville.
Le duc de Mortamart et de Vivonne est un des ancêtres de la duchesse d'Uzès actuelle, née Anne de Mortemart-Rochechouart. ("1847-1933" et arrière petite fille de la veuve Clicquot)

Elle avait certains scrupules religieux. Ainsi elle jeûnait si austèrement pendant le carême qu'elle faisait peser son pain. Un jour la duchesse d'Uzès, étonnée de ses scrupules, ne put s'empêcher de lui en faire l'observation : « Eh quoi ! Madame, reprit Mme de Montespan, faut-il parce que je fais un mal que je les fasse tous ! ».(1)

(1) Souvenirs de Mme de Caylus, page 77.

Malgré le scandale de sa vie privée qui influa et sur sa cour et sur la nation, Louis XIV fit de grandes choses et mérita bien le surnom de Louis le Grand. Sa constante préoccupation était de dominer partout. Parfois il ne réglait pas certaines affaires pour tenir les divers pouvoirs en division et plus sous sa dépendance.
C'est ainsi qu'il ne voulut pas régler une affaire dite du bonnet, à laquelle le duc d'Uzès prit une large part. C'était en 1681. II y avait au Parlement de Paris une audience solennelle pour la réception du comte de Châlons, si connu depuis sous le nom de cardinal de Noailles.
Le premier président; M. de Novion, contrairement aux usages établis, resta couvert en faisant l'appel des pairs et ne se découvrit que lorsqu'il en fut aux princes du sang.
Au moment d'opiner, les pairs avaient l'habitude de se découvrir, mais voyant ce qui venait de se passer, le duc d'Uzès perdit patience, enfonça son chapeau et opina couvert avec un air de menace. Tous les pairs l'imitèrent et allèrent tous se plaindre au roi, mais sa Majesté, par le motif ci-dessus indiqué, prétexta que le duc d'Uzès s'était fiait justice à lui-même et aux pairs et ne voulut pas se mêler de cette affaire qui fit grand bruit (1).
Cette difficulté ne diminua en rien les bons rapports du duc avec le roi qui l'invitait à toutes les fêtes de la cour.
Ainsi le duc était toujours l'objet d'une invitation spéciale pour les retraites à Marly, oú l'étiquette de Versailles était fort relâchée et où régnait une sorte d'intimité et de liberté relatives.
II en était de même aux représentations d'Esther dans Saint-Cyr. Voir Esther, cette sublime tragédie de Racine (2), n'était pas une moindre, faveur que d'être admis à Marly.
Aux représentations d'Esther le roi présidait lui-même à l'admission des élus. Il entrait le premier et se plaçait à la porte, tenant la feuille d'une main et de l'autre levant sa canne comme pour former une barrière. Il y restait jusqu'à ce que tous ceux qui étaient inscrits fussent entrés.

(1) Mémoires de Saint-Simon, tome II, page 434.
(2) Jean Racine, orphelin de père et de mère, était venu à Uzès à I'âge de vingt-deux ans, le 8 novembre 1661, auprès de son oncle maternel, le père Sconin, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, vicaire-général et officiel du diocèse, et en même temps prieur de saint-Maximin. On l'appelait alors l'abbé Racine. Il était en effet venu pour étudier la théologie auprès de son oncle qui désirait lui léguer son bénéfice, mais la vocation poétique, l'emporta. Elle se révéla même à Uzès par la Thêbaïde composée, dit-on, dans un pavillon qui s'appelle aujourd'hui le Pavillon Racine (Voir Guide de l'Étranger à Uzès par Lionel d'Albiousse, au mot Pavillon Racine, page 47).

En 1692 deux mariages eurent lieu à Versailles et furent l'occasion de grandes réjouissances. Ils concernaient deux enfants que la marquise de Montespan avait eus du roi ; Melle de Blois, sa fille, épousa le duc de Chartres, et le duc du Maine, son fils, la princesse Bénédicte de Bourbon, petite-fille du Grand Condé, princesse célèbre par son esprit et son goût pour les arts. Le duc d'Uzès assista à ces deux mariages (1), mais à l'occasion du second il est intéressant de raconter ce qui le précéda.
Louis XIV voulant marier le duc du Maine à une des grandes maisons du royaume, avait songé à Mlle Louise de Crussol, fille du duc d'Uzès, et il était sur le point de le déclarer lorsque M. de Barbezieux vint lui faire part de son mariage avec elle, ce qui fit que le roi n'y songea pas davantage. « Tout est conjoncture dans, cette vie, "disait le maréchal Clérambault" et la destinée de Mademoiselle d'Uzès en est une preuve. » (2)
Cette même année 1692 et le Ier juillet, le duc d'Uzès mourut. Il avait été fait chevalier des ordres du roi, gouverneur de Saintonge et Angoulême, et s'était signalé dans les armes ainsi que nous l'avons vu. Il eut de son mariage avec la fille du duc de Montausier :
1° Louis de Crussol "sixième d'Uzès", tué à la bataille de Nerwinde. (1673-1693)
2° Jean-Charles, "septième duc d'Uzès" (1675-1739)
3° Julie-Françoise de Crussol, mariée le 11 août 1686 à Louis-Antoine de Gondrin de Pardaillan duc d'Antin, morte à Paris le 6 juillet 1742, âgée de soixante-treize ans.
4° Louis, abbé, mort le 9 juin 1694 ;
5° François Comte d'Uzès, lieutenant-général des armées du roi et mestre de camp de cavalerie. Dans sa jeunesse, ayant pour second le comte d'Albert, il eut un duel avec les comtes de Rantzau et de Schwartzembert, autrichien. Mme de Luxembourg fut la cause de ce duel dont on parla beaucoup (3) ;
6° Félix-Louis, chanoine de Strasbourg;
7° Catherine-Louise, marée le 12 novembre 1691 au marquis de Barbezieux, et que Louis XIX voulait marier au duc du Maine, ainsi que nous l'avons vu plus haut.

La duchesse d'Uzès, peu après son veuvage, se retira à l'abbaye de Sept-Fonds (4), où elle mourut de la petite vérole (5) à l'âge de quatre-vingt-trois ans (6).

(1) Mémoires de Saint-Simon, tome I page 35.
(2) Souvenirs de Mme de Gaylus, page 71.
(3) Mémoires de Saint-Simon, tome II, page 466.
(4) Nota nemausensis : Ce lieu de refuge pour la duchesse est improbable, il était réservé aux moines. "Chronologie de l'abbaye de Sept-Fonds : Sur les bords de la Loire, aux confins des départements de l’Allier de la Saône et Loire et de la Nièvre, s’élève l’Abbaye Notre Dame de Sept-Fons. Pendant des siècles à Sept-Fons, la vie des moines fut régulière et rayonnante. Puis lentement, la ferveur diminua, la nécessité d’une réforme énergique se faisait sentir. En 1656 Dom Eustache de Beaufort, fut nommé comme Abbé de Sept-Fons. Jeune religieux de 20 ans il semblait alors plus attiré par les fastes de la Cour que par les austérités de la vie monastique. Le nouvel Abbé prit possession de son monastère en 1661, et moins de deux ans plus tard l'abbaye vit les vocations affluer"
(5) Nota nemausensis : maladie incurable à l'époque. Elle emportera le roi Louis XV en 1774.
(6) Journal de la Régence, tome I, page 473.

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Biographie des 9 ducs d'Uzès, sous l'ancien régime
>
Antoine de Crussol, premier Duc d’Uzès (1528-1573)
Madame de Clermont Tonnerre, épouse d'Antoine de Crussol - Premiere Duchesse d’Uzès
> Jacques de Crussol, deuxième Duc d'uzès (1540-1584)
> Emmanuel Ier de Crussol, troisième Duc d’Uzès (1570-1657)
> François Ier de Crussol, quatrième Duc d’Uzès (1604-1680)
> Emmanuel II de Crussol, cinquième Duc d’Uzès (1642-1692)
> Louis de Crussol, sixième Duc d'Uzès (1673-1693)
> Jean-Charles de Crussol, septième Duc d'Uzès (1675-1739)
> Charles-Emmanuel de Crussol, huitième duc d'Uzès   (1707-1762)
>
Les Aventures du Duc d’Uzès « dit le Bossu »
> François-Emmanuel de Crussol, neuvième Duc d’Uzès (1728-1802)
> Biographie parlementaire des Ducs d’Uzès
Le duché d'uzès
> Le château et les Ducs d'Uzès
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> Biographie de la Duchesse d’Uzès sur internet (1847-1933)

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