EXTRAIT DE LA  SOIE  EN  VIVARAIS 1921

Etude d’histoire et de géographie économique

Par Elie Reynier

Professeur à l’école normale de Privas

Diplômé d’études supèrieure d’histoire et de géographie.

  

La crise séricicole.

La mission de Louis Pasteur

 

Telle est l'origine de la mission Pasteur. Pendant cinq saisons, 1865-69, Pasteur, installé au Pont-Gisquet, près d'Alais, étudie d'abord la pébrine, puis la flacherie.

 

Ses études sur la maladie des vers à soie restent un modèle de recherche et de méthode rigoureusement scientifiques, observations, hypothèses, expérimentations, discussions, sont d'un intérêt passionnant. 

 

Exposant l'état des recherches à la date de 1865, Pasteur rend hommage à ses prédécesseurs, et à la méthode Vittadini-Cornalia, mise en pratique par quelques personnes seulement, comme M. de Plagniol, et qui consiste dans l'examen microscopique des graines.

 

Puis il établit que pébrine et corpuscules sont une seule maladie, que la pébrine est éminemment contagieuse, et par quels procédés elle se propage, que les corpuscules vieux et secs ne se reproduisent pas, etc ; et il formule enfin le moyen d'obtenir de la graine saine : dans une bonne chambrée, prélever quelques cocons; avancer leur éclosion par une chaleur précoce ; et examiner les papillons, s'il n'y en a que 4 à 5% de corpusculeux, toute la chambrée peut aller au grainage ; sinon, à la filature. De plus, le grainage cellulaire donne une sécurité absolue : chaque papillon femelle pond sur un petit carré de toile dans lequel on la garde ; et l'on examine à loisir, en automne ou en hiver, tous les papillons ; on jette la ponte des papillons corpusculeux, ou garde la ponte des papillons sains : cette graine est rigoureusement saine.

 

Au cours d'une éducation complètement affranchie de la pébrine (1867), Pasteur vit cependant sa récolte en partie détruite

 

il fut ainsi amené à s'occuper de la flacherie, que l'on croyait être la même maladie. Si un orage, un changement brusque de température, sont inévitables, du moins pouvait-on veiller à la fermentation de la feuille ou à sa contamination. 

 

De plus Pasteur montra le moyen de produire de la graine saine, en cherchant dans la poche stomacale du papillon les micro organismes ou ferments qui sont le témoin de la maladie. Mais cet examen est beaucoup plus délicat que celui des corpuscules de la pébrine, et il suffit, en fait, d'avoir observé l'éducation, et d'avoir vu les vers vifs et agiles après la 4° mue et à la montée.

 

Sur la pébrine et la flacherie, des expériences décisives furent faites en 1869 devant la Commission des soies de Lyon : les prévisions de Pasteur, de tous points réalisés, dissipèrent sans retour les scepticismes de la Commission.

 

Il serait naïf de croire que les recherches et les découvertes de Pasteur allaient être acceptées aussitôt avec reconnaissance et allégresse. Amour-propre déçu des sériciculteurs distancés avec éclat par un non-praticien, par un chimiste ; rancœur des courtiers de graines lointaines ou des fabricants de graines locales, les premiers parce qu'ils allaient devenir inutiles, les autres parce qu'ils pouvaient et devaient désormais fournir exclusivement de la graine saine, au prix d'observations microscopiques d'ailleurs simples : une belle coalition se formait ainsi.

 

L'animosité la plus âpre nous apparaît dans une Note de Guérin-­Méneville,

 

« sur quelques faits montrant encore que les graines de vers à soie provenant de parents très corpusculeux et de parents sans corpuscules donnent également des vers sains et de bonnes récoltes » : «... Ce qu'il y a de neuf dans les deux gros volumes de M. Pasteur, ce qui constitue tout son système, n'offre réellement aucun intérêt, ni scientifique ni pratique... etc. »

 

Pourtant, à cette date, Pasteur avait déjà noté l'apaisement : « C'est le propre de la vérité de triompher peu à peu des obstacles qui essaient d'arrêter sa marche. Vous n'avez oublié, Messieurs, ni la vivacité des attaques dont mon procédé a été l'objet, ni l'ardeur convaincue de la défense. La période d'apaisement est arrivée, parce que la lumière se fait chaque jour plus vive. »

 

Le grief essentiel était que, n'ayant pas cherché les causes de la maladie, Pasteur n'avait pas trouvé le remède.

 

« Combien plus larges, s'écrie Gagnat, eussent été les résultats des travaux de M. Pasteur, si au lieu de s'attacher à un effet dont il ne pouvait se rendre maître, il se fût jeté résolument dans le champ des causes. »

 

Destremx, député de l'Ardèche, dans un rapport à la réunion libre des agriculteurs de l'assemblée nationale, le 18 juillet 1873, déclare  :

 

« Ce système... ne peut encore être employé que sur une très petite échelle et dans des cas fort restreints, et dès qu'il a été essayé en grand dans la pratique, il a échoué comme tous les grainages industriels. »

 

Pasteur répond qu'il n'a jamais cherché autre chose qu'un procédé de confection de la graine saine, son procédé est tout aussi bon et fout aussi applicable en grand qu'en petit, à la condition d'être pratiqué rigoureusement :

 

« Je n'ai pas cherché, et, par conséquent, pas trouvé de remède curatif au fléau ; mais, ce qui vaut mieux à beaucoup d'égards, j'ai trouvé un remède préventif ».

 

C'est sans doute en France que Pasteur trouva le plus d'opposition, car, dès 1869 les premières  stations séricicoles sont créées à Goritz et à Padoue en 1871, pour préparer et contrôler les graines et former de bons éducateurs.

 

Cependant, dès ce moment aussi, Reybaud-Lange, à Paillerves (Basses-Alpes) crée un grand établissement de grainage suivant la méthode de Pasteur, et en 1872 il peut déjà livrer 50 000 onces aux éducateurs de la Drôme, de l'Ardèche, du Gard, pour 15 à 16 fr l'once, ou 30 fr l'once obtenue au grainage cellulaire.

 

Dans les Basses-Alpes, on met à l'éclosion, en 1871, 85 % de graines indigènes, et l'on obtient un rendement moyen, au total, de 29 kg. 3 ; tandis que l'Ardèche, avec ses 20 % de graine indigène, n'avait qu'un rendement moyen de 11 kg. Aussi, en 1872-1873, un certain nombre de sériciculteurs même dans les pays de grande production font du grainage cellulaire et obtiennent d'excellents résultats.

 

Dans l'Ardèche, qui en confectionne, paraît-il, 50 000 onces en 1871 et 20 000 seulement en 1872, les principaux producteurs sont de Plagniol à Chomérac, Lauriol et Escoffier à Vallon, et surtout Paul Deydier et fils au Pont d'Aubenas. 

 

Les personnes qu'interroge H. Dejoux lui affirment qu'une once de graine Deydier leur donne de 30 à 55 et 60 kg de cocons jaunes de belle qualité. Deydier emploie au moment du grainage une centaine d'ouvriers, et n'a pu encore produire que 1 500 onces, qu'il vend 26 fr 

 

« Si le grainage Pasteur se généralise, dit le sériciculteur Jeanjean du Gard, la sériciculture reprendra son ancienne prospérité, et nous en serons redevables au savant illustre. »

 

Elie Reynier, 1921

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> Histoire de l'industrie textile de la ville de Nîmes par Hector Rivoire, 1853

Passé et Présent de la Classe Ouvrière à Nîmes, étude de Félix De La Farelle, 1863

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