Origine de la soie
et introduction du mûrier en France.
Compte-Rendu à l'Académie du Gard
de M. Jacques VINCENS-SAINT-LAURENT, 1809

Nous devons ce riche végétal à l'industrie d'un jardinier de Nismes, François Traucat. Cette gloire vient de lui être contestée : on a voulu l'en dépouiller pour en revêtir Olivier de Serres qui à coup sûr, n'a pas besoin d'un mérite usurpé. C'est à rétablir son concitoyen dans ses droits, que M. Vincens-St-Laurent a consacré un mémoire tout à la fois économique , philosophique et littéraire. Ce sujet, au premier coup d'oeil, peut sembler stérile ; mais l'auteur l'a fécondé par des recherches intéressantes , et en nous retraçant une histoire de la soie depuis les temps antiques jusqu'à nos jours. Sans croire, dit-il. comme on l'a écrit (1), qu'en France le produit agricole du mûrier s'élève à cent millions de francs chaque année (1809) et que l'industrie quadruple cette somme, cet arbre a néanmoins trop puissamment, influé sur la population et sur la richesse, principalement dans les provinces Méridionales, pour qu'il ne soit pas intéressant de rechercher à qui l'on doit l’éminent service d'en avoir introduit et propagé la culture.

(1) Th. d'.Agr. ,1804, Lettre de Barthélémy Faujas de St-Fonds, tome 1, page IXXX.

Les anciens n'ont eu que des idées incertaines et confuses sur la nature et sur l'origine de la soie. Les uns (1) ont cru que cette substance était une laine plus belle et plus fine que celle des animaux, et qu'elle croissait sur un arbre sauvage des Indes , prenant peut-être pour des pelotons de laine les cocons que, dans ces climats chauds, les vers à soie déposent sur les branches des mûriers , en plein air ; les autres (2) l'ont décrite comme une espèce de coton d'une qualité supérieure ; d'autres l'ont confondue avec le tissu, sorte de lin qui servait aux habits du grand prêtre des Juifs , et dont les Indiens faisaient usage; ceux-ci (3) l'ont prise pour une ouate légère , recueillie sur certaines fleurs, ou composée d'un amas de ces poils mous qu'on voit sur la semence du saule et du laurier rase : ceux-là (4) pour l'excroissance d'un tronc d'arbre ; il y en a qui ont imaginé qu'elle se formait d'un duvet très fin, laissé sur des feuilles par des oiseaux, et ramassé par les femmes indiennes.

(1) Hérod. , I. III ; Théophr. , I. IV , ch. 9 ; Serv., in Georg. , I. 2 , V. 120 ; Mela, de situ orb. ; Senec. in Hypol. , act. II, V. 339 ; Sil. Ital., Punic. ; Plin., I. VI, ch. 17 ; Solin. Polyhist., ch. L ; Arrian., in Indicis ; Amm, Marc., I. XXIII.
(2) Plin., I, XXX, ch. 1.
(3) Denys. Alex., V. 762.
(4) Claudian., de Consul. Olybr.

Ceux qui se sont le plus approches de la vérité , ont dit que la soie provenait d'un ver ; mais la variété qui règne dans les descriptions qu'ils donnent de cet insecte, montre qu'ils n'en parlaient que par conjeçtures. Aristote (1) l'arme de cornes, lui donne six mois pour ses trois métamorphoses, et ne lui fait produire qu'une soie grossière. Pausanias (2) lui suppose huit pieds comme une araignée, une grandeur double de celle du scarabée, et cinq années de vie. Il raconte qu'on tire la soie de son ventre, après qu'il s'est ouvert par l'insatiable voracité de cet insecte qui ne cesse qu'a sa mort de se remplir des roseaux dont il se nourrit. Pline (3) le fait naître dans l'ile de Cos, des fleurs tombées des frênes, des cyprès, des théréhyntes, et des chênes, et échauffées par les exhalaisons de la terre.

(1) Hist. nat, , I. V.
(2) In Eliac. , l. VI.
(3) Hist. nat. I. XI, ch. 23.

C'est dans les annales du plus ancien peuple du monde, qu'il faut chercher la véritable origine de la soie. Les premiers écrivains chinois, au rapport du père du Halde (1), placent l'invention de filer cette précieuse matière, sous Hoang-Ti, troisième empereur de la Chine, qui, suivant la chronologie de cette nation , vivait deux mille sept cents ans avant l'ère chrétienne ; ils l'attribuent à une des femmes de ce prince, nommée Si-Ling.

(1) Description de la Chine , t. I, p. 273, et t. II, p. 246.

Les impératrices qui lui succédèrent, se firent une agréable occupation de faire éclore les chenilles, d'en tirer la soie, et de la mettre en œuvre de leurs propres mains. Il y avait même, dans l'enceinte du palais impérial, un parc destiné à la culture des mûriers. L'impératrice, accompagnée des reines et des premières dames de la cour, s'y rendait en cérémonie, et cueillait de sa main les feuilles de trois branches qu'on abaissait à sa portée. Ainsi, la culture des mûriers était rendue honorable dans ce vaste empire, comme celle des grains y était ennoblie par la cérémonie des semailles, dans laquelle l'empereur avait coutume de conduire lui-même la charrue et d'ouvrir quelques sillons. L'art d'élever les chenilles qui produisent la soie, passa de la Chine dans les Indes, dans la Perse, et successivement dans les autres contrées de l'Asie qui fut longtemps en possession de fournir cette précieuse matière à l'Europe. Ce n'est que vers la fin du cinquième siècle de notre ère, qu'on aperçoit dans les auteurs grecs une connaissance un peu distincte de notre insecte merveilleux, et la soierie parait ne pas avoir été un objet de manufacture dans la Grèce, avant le règne de Constantin ( 1 ).

(1) St. Clém. Alex., I. Il, ch. 10 ; St. Bazil., homel. VIII.

Si les conquêtes des Romains introduisirent parmi eux quelque connaissance de la soie, l'usage de cette riche matière ne s'y établit que tard. Pline (2) attribue à une femme de l'ile de Cos, nommée Pamphile, fille de Latoïus, l'invention de la filer et de la mettre en étoffes. Cet auteur fait mention de deux sortes de soie connues à Rome de son temps ; l'une originaire d'Asie, l'autre produite dans l'île de Cos par la chenille qu'Aristote a décrite. La première, plus précieuse, était réservée pour la parure des femmes ; les hommes se contentaient de la seconde, moins belle et plus commune : encore le philosophe naturaliste leur fait-il un reproche de cette délicatesse. « Depuis que nous sommes désaccoutumés de la cuirasse, dit-il , nos habits même sont devenus un fardeau pour nous. »

(1) Hist. nat., I. XI, Ch. 23.

Il est étonnant que cette soie de Cos soit aujourd'hui entièrement inconnue. Peut-être que les femmes de cette île, qui les premières, s'occupèrent à la filer, ignorant l'art d'étouffer la chrysalide dans le cocon, n'en tiraient la soie qu'après que le papillon l'avait percé pour en sortir. Dans cette supposition, la soie de Cas n'aurait été qu'une simple filoselle, laquelle n'est en effet qu'une soie de qualité inférieure. Quoi qu'il en soit, le reproche que Pline adresse aux Romains de son temps, semble peu d'accord avec le témoignage de l'histoire. Elle a remarqué (1) comme une magnificence extraordinaire que Jules César avait fait couvrir le théâtre de voiles de soie, et il paraît qu'antérieurement à ce dictateur, le luxe de cette matière était tout à fait étranger aux Romains.

(1) Dion. Cass., I. XLIII.

Elle atteste (1) qu'Héliogabale qui vivait plus de deux cent soixante ans après César, fut le premier qui porta une robe toute de soie ; et plus tard encore, un vêtement de demi-soie était un présent assez considérable pour faire partie des dons que les empereurs accordaient à ceux de leurs généraux dont ils voulaient récompenser les services (2). On s'indigna, sous Aurélien, contre Furius Placidus qui, célébrant son consulat, donna des tuniques de soie aux cochers du cirque (3). Le vainqueur de Zénobie exigea que cette reine remit au trésor public ses étoffes de soie. (4) Il refusa une robe de cette matière à son épouse, ne voulant pas, disait-il, acheter du fil au prix de l'or (5).

(1) Lamprid., in Heliogab.
(2) TreheIt. Poll., in Claud. ; Vopisc., in Aurel. in Bonoso.
(3) Vopisc., in Aurel.
(4) Ubi supra.
(5) Ibid.

À son exemple, l'empereur Tacite défendit aux hommes de s'en habiller (1). Ces lois somptuaires tombèrent, à la vérité, bientôt en désuétude. Les progrès du luxe favorisèrent ceux de l'industrie. Dès que le siège de l'empire eut été transporté à Constantinople, l'art de façonner la soie en étoffes fut pratiqué, et acquit ensuite une grande importance parla révolution qu'éprouva sous Justinien, le commerce de cette matière. Des religieux revenus des Indes au commencement du sixième siècle, apportèrent, avec des œufs de vers à soie , l'art de les faire éclore, de les élever et de filer le cocon (2). Justinien accueillit avec empressement une industrie qui s'accordait si bien avec sa politique encouragea par de grandes récompenses ceux qui en avaient enrichi l'empire ; il favorisa leurs entreprises, protégea leurs établissements, et retint ainsi l'argent que ses sujets avaient coutume de transporter au loin.

(1) Vopisc., in Tacit.
(2) Procop., hist. misc., ch. XIII.

Les Grecs gardèrent pendant six siècles ; exclusivement à tous les autres peuples de l'Europe, l'art d'utiliser le mûrier, de faire de la soie et de la convertir en étoffes. Cette nation industrieuse se montra toujours très-jalouse d'un secret qui était d'une si grande importance pour elle, que Montesquieu (1), considérant les causes de la durée de l'empire d'Orient, met le commerce de la soie, que les Perses avaient laissé passer dans les mains des Grecs, au rang des principaux soutiens de cet empire. Vers l'an 1130, Roger , roi de Sicile, au retour d'une expédition dans la terre sainte, s'étant emparé d'Athènes, de Corinthe et de Thèbes, en transporta tous » les ouvriers en soie à Palerme (2).

(1) Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains, ch. XXIII.
(2) Zach. Betti, dissertation historique sur la soie.

Les Siciliens apprirent d'eux l'art de nourrir les vers à soie, et de mettre en œuvre leurs cocons. Cette industrie se répandit promptement dans toute l'Italie, où le commerce en devint si important, que les principales républiques le permirent aux premières familles, et le chapitre général de MaIthe, tenu en 1631, reconnut que les nobles qui l'avaient exercé, n'avaient pas perdu le droit d'être admis dans l'ordre. Ce commerce n'était pas moins honoré à Naples, où les souverains érigèrent un tribunal du noble commerce de la soie (1). Suivant l'opinion commune, c'est de là que le mûrier et son inestimable chenille furent apportés en France par des gentilshommes du Dauphiné qui avaient suivi Charles VIII à l'expédition de Naples en 1494 (2). Si ce fait était vrai, ils auraient fait une conquête plus solide et plus utile que ne fut celle de ce royaume ; mais on sait que dès 1345 , Rolland, sénéchal de Nismes et de Beaucaire, avait envoyé à la reine Jeanne m de Bourgogne douze livres de soie du pays ; de douze couleurs différentes (3) , et l'on prétend même que le premier mûrier planté en France, l'avait été au retour de la dernière croisade, par Guy-Pape, de St-Auban, dans sa terre d'AIlan, près de Montélimar, où cet arbre , dit-on , subsiste encore (4).

(1) Zach. $ctti , loco citato.
(2) Olivier de Serres , th. d'agr., 1804 , t. II, p.
(3) Histoire générale du Languedoc , t. IV, p. 519.
(4) Th. d'agr., 1804 ; lettre de Faujas de St-Fonds, t. I, p. IXXX,

Quoi qu'il en soit, la culture du mûrier ne fut longtemps qu'un objet de simple curiosité, concentré dans les jardins d'un petit nombre d'amateurs des choses rares. Les manufactures que Louis XI avait établies, en Touraine, sous la direction de Guillaume de Briçonnet, ne s'alimentaient que de soies étrangères (1). Henri II fut le premier qui porta des bas de soie au double mariage de sa fille et de sa sœur (2) ; et lorsque, en 1560, peu de temps après la mort de ce prince, la ville de Nismes attirait par des privilèges un Maitre tissutier ; et avait des veloutiers, ainsi que l'atteste un arrêt du parlement de Toulouse, de 1569 (3), il est certain que le mûrier, ignoré dans les provinces du nord , était à peine connu de celles du midi, et qu'on n'employait encore que des soies d'Espagne ou d'Italie.

(1) Duclos, hist. de Louis XI , t. II, p. 410.
(2) Mezerai, hist. de Fr.
(3) Ménard, histoire de Nismes, t. IV, p. 254 des preuves ; t. VI, p. 70 des Preuves.

La culture du mûrier ne commença que sous le règne de Charles IX, à s'étendre dans le royaume ; et ici deux hommes revendiquent l'honneur d'en avoir fait l'une des principales sources de sa prospérité : l'un, François Traucat, de Nismes, simple jardinier, cultivateur obscur, dont la mémoire sans protection, s'est à peine conservée dans les annales particulières de sa ville natale ; l'autre, Olivier de Serres, agronome illustre, écrivain célèbre, dont le souvenir intéresse la gloire nationale, et vient de se réveiller avec tant d'éclat. Loin de moi l'idée de vouloir affaiblir les droits du Columelle français à l'admiration et à la reconnaissance de la postérité ! Je sais que le premier, recueillant les leçons de l'expérience dans une longue pratique, il traça d'une main habile les préceptes de l'économie rurale, et alluma un flambeau dont la lumière jette encore une vive clarté. Je reconnais qu'il fut digne de l'estime et de la bienveillance particulière dont l'honora le meilleur des rois, et des éloges que lui prodiguèrent Scaliger, Chalendar et une foule d'autres écrivains contemporains. Je ne m'étonne point que son ouvrage ait obtenu les honneurs de vingt éditions dans le cours de moins d'un demi-siècle, et qu'il ait eu alors une vaste influence et exercé une grande autorité. Si, depuis, l'auteur et ses travaux tombèrent dans une sorte d'oubli ; si son nom, à peine prononcé par de Thou, semble avoir été inconnu jusques vers la fin du siècle qui vient de s'écouler, à tous les historiens, à tous les biographes ; si la maison rustique, cette indigeste compilation de Liger, a pu être quelque temps préférée au théâtre d'agriculture, à ce traité savant et profond du plus nécessaire des arts, grâces soient rendues aux étrangers qui nous ont avertis de cette longue injustice, et au zèle patriotique et selon la science, avec lequel, à la voix de Pattulo en Écosse, de Haller en suisse , d'Arthur Young en Angleterre, Sauvages, Rozier, Parmentier, Broussonnet, Faujas de St-Fonds, ont taché de la réparer, en ramenant l'attention publique sur le père de l'agriculture française, et en provoquant les nouveaux honneurs rendus à sa mémoire. Jamais la société royale des sciences de Montpellier ne prit une résolution plus digne d'elle, que lorsqu'elle proposa son éloge au concours (en 1782) ; et qui ne se glorifierait pas, comme nous avons droit de le faire, de compter parmi ses concitoyens l'orateur couronné (1) ? Il a encore mieux acquitté la dette de la patrie, ce magistrat éclairé (2), dont la main a érigé un monument à Olivier de Serres dans son pays natal, à ce même Pradel, encore empreint des traces de son génie ; monument toutefois moins glorieux et moins durable, que celui duc la société d'agriculture du département de la Seine, vient de consacrer à la mémoire de cet homme illustre, par le cette édition de son théâtre d'agriculture enrichie de tout ce qui a pu y ajouter d'utile et d'intéressant le concours des lumières des écrivains agronomiques de notre âge, les plus célèbres.

(1) M. Dorthes, mort en 1793.
(2) M, de Caffarelli , alors préfet du département de l'Ardèche.

Souscrivons à des honneurs si bien mérités ; partageons les sentiments qu'inspirent, à si juste titre, les travaux de celui qui en est l'objet ; mais, par le même principe de justice, ne laissons pas orner sa couronne d'un fleuron qui appartient à celle d'un autre. Olivier de Serres publia, il est vrai , en 1599, par ordre de Henri IV, un chapitre de son ménage des champs, intitulé : la cueillette de la soie par la nourriture des vers qui la font. Ce petit ouvrage, dédié aux prévôts des marchands, échevins, conseillers et autres officiers de I'hôtel-de-ville de Paris, avait pour objet de prouver que le Mûrier pouvait croître par toute la France, et de propager la culture de cet arbre autour de la capitale et dans les provinces du nord. En vain Sully s'était opposé à ce système ; en vain il proposait des lois somptuaires : j'aimerais mieux, avait répondu le monarque à son austère ministre , combattre le roi d'Espagne en trois batailles rangées, que ces gens de justice, de finance, d'écritoire et de ville, et surtout leurs femmes et leurs filles que vous me jetteriez sur les bras par tant de bizarres règlements que je suis d'avis de remettre à une autre saison (1) ; et préférant les conseils des Bourg et des Cuman qui lui avaient persuadé qu'il était facile d'établir dans le royaume, et la culture des mûriers, et l'art d'élever les vers à soie, et celui de filer le cocon, et les manufactures qui en sont la suite, il avait envoyé pendant son voyage en Savoie (2), le surintendant de ses Jardins (3) à Pradel, fait apporter, par les soins d'Olivier de Serres, quinze à vingt mille plants de de mûriers aux tuileries, et ordonné qu'il en fût fourni aux généralités de Paris, de Tours, d'Orléans et de Lyon, en même temps qu'il serait distribué des,œufs de vers à soie, avec une instruction sur la manière d'élever et de perpétuer ces chenilles, et  sur l'art de filer la matière qui en provient (4), Olivier de Serres seconda avec activité les intentions du roi ; mais les effets en furent peu durables ; et s'il est juste de louer les efforts de son zèle, on ne peut plus dire avec un de ses panégyristes (5), que, parmi les grandes améliorations qu'on doit à son génie, on compte particulièrement la culture du mûrier et l'éducation des vers à soie, puisque les contrées qui ont été le théâtre de ses principales entreprises en ce genre, n'en ont pas conservé le bienfait, et que les premières tentatives en grand, dont le fruit est encore recueilli par les provinces méridionales, ne furent pas son ouvrage.

(1) Mémoire de Sully , ch. XXV.
(2) En 1601.
(3) Bordeaux, baron de Colonas.
(4) Legrain , déc. de Henri IV, page 857 ; Mezerai, histoire de France, tome III, page 1255 ; lettres-patentes de 1601.
(5) Th. d'agr., 1804 ; Notice sur Olivier de Serres, par M. de la Boissière , tome II, page Ixxij.


Il fixe lui-même la date de ses premiers essais en Vivarais : il y avait trente-cinq ans qu'il s'y était livré, lorsqu'il publia l'opuscule dédié au corps municipal de Paris. Mais dans cet ouvrage, il cite Nismes comme ayant donné l'exemple d'attendre d'être abondamment pourvu de mûriers, avant d'entreprendre l'éducation des vers à soie (1). Cette circonstance autorise à penser que cette ville avait, la première, cultivé la nouvelle branche d'industrie agricole, et cherché à tirer de son propre sol la matière que devaient mettre en œuvre ces ouvriers en soie dont il a déjà fait mention, et quelle avait appelés quatre ans auparavant ; et cette présomption acquiert un caractère incontestable de certitude, quand on voit en 1564, la même année qui correspond aux premières expériences du Pradel, Traucat jeter à Nismes les fondements d'une pépinière dont les nombreux sujets couvrirent en peu d'années le Dauphiné, la Provence et le Languedoc.

(1) Th. d'agr., 1804, (Ép. déd. de la cueillette de la soie), t. II,

Il avait déjà été planté par ses soins, dans ces deux dernières Provinces, plus de quatre millions de mûriers (1) à l'époque où Olivier de Serres s'efforçait d'introduire la culture de cette espèce d'arbres dans les provinces au-delà de la Loire. Ces faits consignés dans un panégyrique du mûrier (2), composé par Traucat en 1606, et dont Henri IV accepta la dédicace, n'ont pas été démentis ; ils étaient avancés du vivant même d'Olivier de Serres, au temps de sa plus haute faveur auprès du prince : comment aurait-il laissé un autre s'approprier une gloire qu'il aurait eu le droit de revendiquer, et souffert sans réclamation qu'on prodiguât à un usurpateur la récompense due à ses services ?

(1) Disc. abr, sur les vertus et propriétés des mûriers tant blancs que noirs, ayant petites mûres blanches et petites mûres noires, qui ont semblables feuilles propres à nourrir les vers à soie, et aussi propres à servir au corps humain et à faire beaux meubles et ustensiles de ménage.
(.2) Disc. abr, sur les vertus et propriétés des mûriers, etc.

Le roi crut, je n'en doute pas, en décerner une considérable à Traucat, en lui permettant de débIayer la Tourmagne, et en lui accordant le tiers des trésors qu'il y découvrirait (1) , et qu'une ancienne tradition disait être ensevelis sous les décombres qui remplissaient cet édifice antique. L'événement ne laissa à Traucat que le regret de s'être ruiné en vaines recherches ; mais bientôt après, outre une pension (2) le monarque lui donna la faculté de planter des mûriers dans tous les endroits du royaume où il jugerait à propos (3), trésor plus réel que les chimères qu'il avait si chèrement poursuivies, puisque, comme celui que le laboureur de la fable légua à ses enfants (4), il promettait la richesse pour prix du travail.

(1) Lettres-patentes de 1601.
(2) Mém. de Bâville, pag. 238.
(3) ibid.
(4) Lafontaine, I. v , fabl. 9.

On a vu combien Traucat avait mérité ce privilège, et comment il sut en profiter ; et en considérant la date de ses premières plantations, leur immense et rapide accroissement, on ne peut se refuser à reconnaître avec Bâville (1) et avec l'historien de Nismes (2) qu'il fut le premier qui mit en vogue le mûrier en France, et à le regarder comme la principale cause des avantages inappréciables qu'elle en a retirés, et dont l'utilité s'est plus particulièrement fait sentir aux provinces méridionales, et surtout à la ville où Traucat avait reçu le jour.

(1) Mém., loc. citat. Traucat y est mal à propos nommé Brocard.
(2) Tom. V, P.u7n. v , p.


Dix générations ont joui du fruit de ses soins, et lui ont dû leur subsistance, leur bien-être, que dis-je ! leur existence même. Il n'y a pas un seul des arbres qu'il a plantés, ou des rejetons qui les ont perpétués, qui n'ait en quelque sorte protégé l'union de deux époux, et le berceau d'une famille nombreuse. Ici, les hommes se sont multipliés avec les mûriers. Ces arbres sont devenus une source abondante de popuIation, parce qu'ils en étaient une d'industrie. Sans ces utiles végétaux, nos villes seraient mornes et désertes l'agriculture de nos plaines, inactive et languissante faute de consommateurs, et nos montagnes si riantes et si fertiles, grâce à la diligence infatigable de leurs industrieux habitants, n'offriraient que d'arides rochers, que l'attristant spectacle d'une nature stérile et morte. Et un mouvement de gratitude ne s'élèverait pas dans tous les cœurs, pour l'utile citoyen dont l'influence, se perpétuant depuis plus de deux siècles et demi, peuple, féconde, enrichit, vivifie la contrée qui l'avait vu naître ! Oh ! que ne puis-je savoir ou repose sa cendre ! que ne puis-je planter sur son humble tombeau une de ces tiges dont il sema le premier germe ! Où est le plus antique mûrier de ce département ? La main même de Traucat l'a peut-être confié à la terre. C'est là, c'est sur ce monument contemporain de l'origine du bienfait, que je voudrais graver en traits ineffaçables, le nom du bienfaiteur. Ah ! que du moins, dans la place la plus apparente du chef-lieu, un témoignage public de gratitude rappelle ce nom à notre âge et aux races futures. Une pierre simple et modeste comme le cultivateur dont elle doit retracer et éterniser le souvenir, suffira, si on y lit : Hommage du département du Gard à la mémoire de François Traucat de Nismes, qui le premier cultiva et propagea le mûrier en France.

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Quand la CCI de Nîmes, nous raconte la Soie

Dans son immeuble situé rue de la République et inauguré en 1937, un vaste hall donnant accès à l'escalier monumental et desservant les grandes salles de réunions du rez-de-chaussée est décoré de panneaux peints à l'huile par des artistes gardois.
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On y trouve à droite une toile de Vidal, professeur au Lycée de Nîmes, représentant un paysage nîmois agrémenté de porteuses de châles aux multiples couleurs.
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Ci-dessous, reproduction d'une peinture à fresque de Henri Pertus, situé dans la salle des séances du premier étage, et placé à gauche de la cheminée.

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Le paysage représente le vieux pont du Vigan, au premier plan, à gauche une paysanne en costume cévenol apporte une corbeille de cocons, qu'une femme assise pèse avec une romaine. À droite des femmes assises dévident les cocons dans une bassine pleine d'eau chaude, pendant que l'une d'elle rattache le fil au tourniquet suspendu au plafond.
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En face à gauche de la porte du bureau du Président de la CCI, on y trouve, les représentations d'hommes célèbres ayant marqué l'industrie à Nîmes.



Sur un fond où se situent les principales villes du ressort de la Chambre de Commerce de Nîmes se placent les personnages les plus célèbres, qui ont illustré d'une façon ou d'une autre, le Commerce et l'Industrie á Nîmes. En commençant par la gauche, ce sont :  Les LOMBARDS, qui au XIIIe siècle ont introduit à Nîmes le Commerce, la Banque et le Change. .François TRAUCAT au XVIe siècle qui, parallèlement à OLIVIER DE SERRE, introduisit et développa la culture du mûrier dans notre région et Jean NICOT (XVIe siècle), Ambassadeur au Portugal, en rapporta le tabac qui arrivait d'Amérique et propagea son usage.
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L'industrie de la soie dans la région.
> Origine de l'Industrie de la Soie à Nîmes et dans le monde, par Vincens St-Laurent, 1809
Industrie de la Soie dans les Cévennes en 1928
>
 Les maladies des vers à soie sous l'ancien régime

> La station séricicole de Montpellier en 1874
> La maladie des vers à soie 1853-1875, achats de graines lointaines
> Les moyens de lutte
> Est-il possible de reconnaître les graines et les vers malades
> La mission de Louis Pasteur
> Qu'est ce que le moulinage - extrait de "Au fil de l'écomusée" de Chirols
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L'industrie textile à Nîmes
> Grizot introduit, à Nîmes, le métier à tisser en 1680

> Histoire de l'industrie textile de la ville de Nîmes par Hector Rivoire, 1853
Passé et Présent de la Classe Ouvrière à Nîmes, étude de Félix De La Farelle, 1863

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