Alphonse Daudet
devenu adulte, était-il encore nîmois de cœur ?

(cinquième partie)


La fabrique du père Daudet à Nîmes, rue Notre Dame

Avec l'Arlésienne (1871), mise en musique par Bizet, Daudet subit un profond échec. Daudet avait 30 ans quand il décida d'écrire cette pièce. Pourquoi ? Difficile à comprendre, cet auteur né à Nîmes est-il encore nîmois de cœur ? La ville d'Arles est, depuis l'époque romaine, la rivale de Nîmes, Alphonse ne pouvait pas l'ignorer. Dans ses textes a-t'il écrit quelque chose de semblable sur Nîmes ? A-t'il décrit conne Bigot la vie aux masets, la garrigue nîmoise et les rachalans ? S'est-il extasié dans ses écrits sur les arènes de Nîmes, sur la Maison carrée, sur la fontaine et sur la Tourmagne qui la domine ? Non ! il parle des moulins de Provence, de maitre Cornille, des Alpilles, et son principal personnage Tartarin est un tarasconnais, ville située de l'autre côté du Rhône ! il est vrai que Tartarin de Tarascon et la tarasque, cela sonne bien, allez M. Daudet avec votre talent et votre imagination débordante vous auriez pu trouver comme Monnier dans ses vers Holorimes des mots qui résonnent entre eux :
Gal, amant de la Reine, alla (tour magnanime !)
Galamment de l'arène à la Tour Magne à Nîmes.


Quant à ses origines nîmoises, dans Le Petit Chose, il reste très discret sur le nom de la ville natale, en voici un extrait, c'est un roman, mais la trame de l'histoire est calquée sur sa propre vie :
"Je suis né le 13 mai 18..., dans une ville du Languedoc, où l'on trouve, comme dans toutes les villes du Midi, beaucoup de soleil, pas mal de poussière, un couvent de Carmélites et deux ou trois monuments romains."
Difficile de trouver dans ce texte, une preuve d'amour pour sa ville natale !

Quant à ses retrouvailles avec sa langue "natale" et son apprentissage tardif du Provençal, nous pouvons douter que le Poète nîmois Antoine Bigot ait la même approche du parlé nîmois :
"Je n'ai pas la prétention d'écrire une LANGUE, mais un PATOIS, le patois de ma ville natale, l'idiome de nos travailleurs, avec sa rudesse et son harmonie.
J'ai essayé de noter ce bruit qui s'éteint,  ce bruit que j'ai entendu autour de mon berceau, qui a séché mes premiers pleurs et provoqué mon premier sourire.
Pour conserver à l'idiome nîmois sa physionomie propre, j'ai écrit, autant que je l'ai pu, comme on prononce, et donné à chaque lettre la valeur qu'elle a dans la langue française. C'est, en définitive, par ceux qui parlent ou qui peuvent parler le français que je puis être lu, ceux qui ne parlent et ne comprennent que le patois ne sachant pas lire.... Antoine Bigot"

Sur les rapports entre le parlé nîmois et le Provençal, Pierre Guérin de l'Académie de Nîmes, écrit en 1925 :
"Il n'y a qu'à se rappeler les premiers rapports du Félibrige avec nos meilleurs poètes du cru : les Reboul, les Bigot, pour être convaincu de la volonté parfaitement arrêtée des grands félibres de fonder l'École du Félibrige dont tous les Romanisants accepteraient ou subiraient les décisions sous peine de déchoir ou d'être exclus. Au début, avec Reboul ou Bigot, Roumanille, Mistral ne tarissent pas d'éloges et font assaut de bonne camaraderie littéraire. Un peu plus tard, quand nos deux bons Nimois ont décidément résisté à toutes les invites, le transfuge Roumieux accuse Bigot de « testardije » et sa muse d'avoir « un ped caoussa de sedo et l'autre d'un esclop ». J'avoue que je me défends mal d'un sentiment de dépit quand je vois figurer dans une Anthologie provençale il est vrai des « poetæ minores », auteurs en gros et en détail de 15 ou 20 petites pièces de vers parues dans l'Armana et que notre cher Bigot, par exemple est laissé à l'écart ! Aussi ne soyez pas étonnés que ce sentiment de dépit se traduise, sinon par de la colère, du moins par une sorte d'impatience irritable contre nos compatriotes qui s'inclinent presque servilement devant un Félibrige de convention ou qui affectent de traiter de haut, presque avec dédain ou mépris, ceux qui sont restés fidèles au langage des aïeux, à la langue si drue, si pittoresque qui résonne encore comme une monnaie de bon aloi sur nos chantiers ou dans les ateliers de notre peuple minois, citadin ou rural. N'est-il pas désolant par exemple de voir couronner à la « Fête de l'Amandier » « ras dou cros de la Font », une poésie provençale dont je ne discute pas la valeur littéraire, mais dont neuf vrais nimois sur dix qui l'auront entendue attendront la traduction pour bien la comprendre ? Pierre Guérin, 1925"

Les sentiments d'Alphonse Daudet vis-à-vis de sa ville natale ont très certainement été forgés par la rancœur de son père marqué par son échec professionnel à Nîmes. Il accusera la révolution de 1848, d'être responsable de son échec, et probablement Nîmes avec ses industriels, commerçants, banquiers, juifs et protestants "républicains", qui faisaient la pluie et le beau temps dans cette ville.
Après 1848, la famille Daudet, royaliste légitimiste et catholique, n'était vraiment plus en osmose dans la ville aux sept collines. Les idées politiques et religieuses du père marqueront profondément ses descendants. Ils afficheront presque tous des convictions très proches de l'extrême droite et cela jusqu'à la période la plus noire de notre pays, l'occupation sous la Seconde Guerre mondiale.

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Le Moulin de Daudet avant sa restauration.

Malgré les soupçons qui pesaient sur l'amour que portait Alphonse Daudet à sa ville natale et à la région qui a vu ses premiers pas, le pays nîmois aura au fil des ans de nombreux signes de reconnaissance.
Le 3 février 1898, trois mois après son décès, la municipalité de Nîmes sous la présidence de Reinaud Maire de Nîmes donnera le nom d'Alphonse Daudet à l'une des principales artères de la ville.
En 1900, inauguration en grande pompe de sa statue au square de la couronne et pose de plaques sur la porte d'entrée de sa maison natale.
En 1934 la ville de Nîmes participera à égalité avec les communes de Fontvielle et Arles à une souscription destinée à restaurer le moulin-musée de Fontvieille dédié à la gloire de l'écrivain. Cette initiative était l'oeuvre de la Société des Amis des moulins d'Alphonse Daudet. Une première liste de souscription atteignait 7100 frs, les subventions des 3 communes concernées, Fontvieille, Arles et Nîmes, d'un montant de 1000 frs chacune, permirent de boucler le budget.
Par la suite, en juillet 1963, la ville de Nîmes donnera à son plus beau Lycée le nom d'Alphonse Daudet. 
Plus récemment, Bezouce, village où il a passé une partie de sa première enfance chez sa nounou Anne Trinquier, lui rendra hommage en posant des panneaux rappelant cet évènement aux diverses entrées du village.


Article Le Petit Marseillais du 22juin 1935. Collection Georges Mathon

Georges Mathon, juin 2009

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EN SAVOIR PLUS SUR LA VIE DE DAUDET

> En avril 1857 arrivée du petit chose à Sarlande. Alphonse Daudet  âgé de 17 ans à Alès
> La version édulcorée du Petit Chose
> Le Nabab - La véritable histoire de son modèle, l'exentrique François Bravay
> Alphonse Daudet antisémite ?
> Alphonse Daudet adulte, était-il encore un nîmois de coeur ?
> La maladie cachée de Daudet, La Doulou (La douleur)
> Polémique sur l'inauguration statue de Daudet à Nîmes
> Article Midi Libre du 26 juin 2005

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