PAULIN TALABOT

SA VIE ET SON OEUVRE

1799-1885

par le Baron Ernouf, 1886

 

CHAPITRE

XXIII

 

Convention du 11 avril 1857. - Fusion des réseaux Paris-Lyon et Lyon-Méditerranée, convenue en principe, sauf le maintien nominal de deux administrations distinctes pour les sections Nord et Sud jusqu'en 1862. - A la même date, traité de partage du Grand-Central entre la nouvelle Compagnie P. L. M. et celle d'Orléans, dirigée par Didion.

 

Depuis les premières applications sur une vaste échelle du système de fusion en 1852, l'extension de ce système à l'ensemble des communications entre Paris et la Méditerranée et leurs annexes n'était plus qu'une question de temps. Elle s'accomplit, comme on sait, en 1857. Dans cet intervalle de cinq ans, la Compagnie de Paris-Lyon avait obtenu la concession de divers chemins latéraux, notamment ceux de Dijon-Besançon-Belfort, avec embranchement d'Auxonne à Gray. D'autre part, un décret du 7 avril 1855 avait ordonné l'exécution d'un second chemin de fer de Paris à Lyon par le Bourbonnais, dont la concession était faite collectivement aux trois Compagnies de Paris à Lyon, du Grand-Central et de Paris à Orléans.

 

La même année, Talabot avait renforcé le réseau Lyon-Méditerranée, son oeuvre personnelle et immédiate, en concluant un traité t'e fusion avec la Compagnie qui venait d'obtenir, en 1853, la concession du chemin de fer de Lyon à Genève, avec communication directe sur Paris par l'embranchement Ambérieux-Bourg-Màcon. Cette fusion ne devait s'accomplir toutefois que deux ans après la mise en exploitation de la ligne entière Lyon-Genève. Il y eut, dès l'origine, une entente parfaite entre les chefs des deux Compagnies, et l'on cesse d'en être surpris quand on voit que plusieurs des notabilités financières du temps figuraient dans l'un et l'autre conseil d'administration; par exemple le vicomte Benoist d'Azy, Bartholoni et M. Blount. (1)

 

(1) Aujourd'hui encore (1886) président du conseil d'administration de la Compagnie de l'Ouest.

 

Ces deux derniers étaient et restèrent toujours des amis dévoués de Talabot; Bartholoni lui avait prêté, dans une large mesure, son appui financier lors de ses premières entreprises. Blount lui avait également rendu d'importants services dans plus d'une circonstance difficile, notamment pendant la détresse de la ligne Avignon-Marseille.

 

Il existait donc, en 1857, comme on vient de le voir, entre Paris-Lyon et la Méditerranée, trois lignes adoptées, concédées et en cours d'exécution : celles de Paris à Lyon par Dijon et de Lyon à Marseille avec leurs embranchements, et celle de Paris à Lyon par le Bourbonnais. Dès le commencement de cette année, toutes les questions d'intérêts respectifs entre les parties intéressées ayant été mûrement débattues et amiablement résolues, le traité de fusion entre les deux Compagnies Paris-Lyon et Lyon-Méditerranée fut passé le 11 avril 1857, et approuvé le même jour, (1) ainsi due le cahier des charges et un autre traité entre les deux Compagnies fusionnées et celle d'Orléans, dont le directeur, depuis 1852, n'était autre que Didion.

 

(1) L'article 3 de ce traité mentionnait l'adhésion de la Compagnie Lyon-Genève, donnée aussi le même jour par traité séparé.

 

C'est ainsi que le hasard des circonstances ou plutôt l'enchaînement logique des faits avaient rapproché, à Paris, les deux amis, qui, de 1832 à 1845, avaient fait à Nîmes leurs premières armes dans la construction et l'exploitation des chemins de fer. Ils reprenaient alors sinon la vie commune de la jeunesse, au moins une communauté d'efforts, une collaboration qui, pour n'être pas aussi directe et aussi continue, n'en devait pas moins être utile et féconde. (Noblemaire, op. cit.)

 

Le traité de 1857 stipulait et réglait le partage des lignes et concessions du Grand-Central ; entreprise malencontreuse qui, entre ces deux Compagnies viables et déjà puissantes, eût été le pot de terre entre deux pots de fer. En vertu de l'une des clauses de cet arrangement, la nouvelle Compagnie P.L.M. devenait seule et unique propriétaire de la seconde ligne Paris-Lyon par le Bourbonnais. Un autre article auquel nous avons déjà fait allusion mettait dans son lot les chemins archaïques de Saint-Étienne à Andrezieux, Roanne et Lyon, que Talabot s'empressa de refaire de fond en comble, « condition indispensable, disait-il, pour les rendre excellents ».

 

L'article 6 des statuts de la nouvelle Compagnie attestait la légitime sollicitude de Talabot pour ceux qui l'avaient assisté dans ses premières entreprises, et n'avaient jamais cessé d'avoir foi en lui, au milieu des plus rudes épreuves. Le fonds social de la ci-devant Compagnie Lyon-Méditerranée se composait de 90000 actions, qui, conformément à cet article 6, furent échangées contre des actions de la nouvelle Compagnie P.L.M., à raison de deux de celles-ci pour une ancienne. De plus, il était attribué aux porteurs de ces actions anciennes, ainsi qu'aux actionnaires du ci-devant Paris-Lyon, un privilège de souscription sur une nouvelle émission de titres, dans la proportion d'une action nouvelle de cette catégorie pour cinq actions anciennes.

 

Cette part faite aux actions Lyon-Méditerranée dans la fusion était justifiée par leur valeur réelle, qui s'accroissait d'ailleurs en raison de leur petit nombre. Talabot eut besoin de toute son habileté pour faire admettre ces actions dans la nouvelle combinaison pour un prix correspondant à cette valeur réelle, stipulation qui pourtant ne constituait pas un privilège en leur faveur. Elle n'était que conforme à la plus stricte équité.

 

L'auteur d'un écrit que nous avons déjà cité plus d'une fois a parfaitement fait ressortir les avantages de ce système, à l'application duquel Talabot eut si grande part, non seulement pour les voies ferrées du sud-est, mais pour tout le reste du réseau national. L'avenir de ce réseau était en jeu ; la fâcheuse expérience des concessions morcelées et des petites Compagnies avait donné les fruits qu'on pouvait en attendre ; la leçon était complète !

 

Le gouvernement eut la sagesse d'en profiter, et de l'heureuse entente du ministre avec les principales Compagnies naquit la concentration entre les mains de six grandes Sociétés du réseau construit et à construire. Les critiques ne sont pas aujourd'hui ménagées à ce système, (1) l'envie n'épargne aux grandes Compagnies ni les reproches violents, ni les calomnies.

 

(1) Complété et fortifié par l'établissement du régime des conventions, dont nous parlerons tout â l'heure.

 

Quoi qu'elle fasse, il y a un certain nombre de vérités désormais démontrées. C'est, d'une part, que ce système a doté la France d'un réseau déjà très serré de voies rapides, qui va se complétant chaque année avec une régularité que la guerre de 1870-1871 n'a que momentanément interrompue. C'est, d'autre part, que les Compagnies ont su réaliser le programme, souvent ultra libéral, de leurs concessions, non seulement sans semer de ruines autour d'elles, mais sans secousse pour leur crédit ou pour la fortune publique. C'est enfin qu'elles sont arrivées à procurer au pays un service de transports qui réunit les avantages souvent opposés de vitesse, de sécurité et de bon marché. Il y a là un résultat qui est plus équitablement apprécié à l'étranger qu'en France. (1)

 

(1) Notice sur Audibert, page 7.

 

Cette opinion était aussi celle des écrivains contemporains les plus indépendants. L'auteur de l'Annuaire des Deux Mondes pour 1857 mentionnait avec éloge « ce remaniement effectué dans la constitution du réseau, la tendance du gouvernement à concentrer le plus possible l'administration des chemins de fer, à faire disparaître les petites Compagnies en les réunissant aux grandes, enfin à fusionner ces dernières autant que possible ». Il approuvait spécialement la dernière et la plus importante application de ce système, la loi du 19 juin 1857, qui venait de faire du Paris-Lyon et du Lyon-Méditerranée une seule et même Compagnie, de partager entre elle et la Compagnie d'Orléans les lignes et concessions du Grand-Central, etc.

 

A la fin de 1857, l'étendue du réseau Paris-Lyon-Méditerranée, devenu le plus considérable des réseaux français, était portée à 4010 kilomètres, tant exploités que concédés. Il s'accrut encore l'année suivante de 254 kilomètres, par un traité de fusion avec la Compagnie des chemins du Dauphiné.

 

 

 

> retour page chapitres

> suite chapite XXIV

 

Edition Georges Mathon 2003 - NEMAUSENSIS.COM