NOTRE-DAME de ROCHEFORT-DU-GARD
ET LES FRERES-MINEURS RECOLLETS
Au dix-septième siècle
Par la Rédaction de l'Union Séraphique, MONTE-CARLO, 11 Avenue Roqueville, 1910


I

La raison de ces pages

Un livre (1) a été publié, cette année (1910), pour faire connaître l'histoire du Sanctuaire de Rochefort-du-Gard depuis ses origines jusqu'à nos jours. Il est muni des autorisations requises et précédé d'une lettre fort élogieuse de Mgr l'Évêque de Nîmes. (Félix-Auguste Béguinot 1896-1921)

Tandis que nous le parcourions avec tout l'intérêt qu'inspire irrésistiblement la manifestation des gloires et bontés de Marie, qu'elle ne fut pas notre surprise de rencontrer à la page 63, ce titre inattendu : C. XIV : Contestations au sujet du Pèlerinage.

Mais notre étonnement devait grandir encore à la lecture du chapitre ; car les contestations annoncées ne sont pas autre chose qu'une polémique injuste dirigée contre les Pères Franciscains et une condamnation aussi sommaire que catégorique. Attaque et condamnation d'autant moins loyales qu'elles se produisent à l'insu des intéressés, d'autant plus dangereuses qu’elles sont présentées en termes absolus aux nombreux pèlerins que la piété amène au sanctuaire vénéré de N.-D. de Rochefort.

Personne ne nous blâmera, pensons-nous, de vouloir procéder d'une manière digne et conciliante dans un débat d'une certaine importance.

Une lutte sur le terrain de l'érudition a son intérêt. De part et d'autre on produit des documents auxquels chacun s'attache avec de louables intentions.
Mais que faire si les documents ne projettent pas une lumière suffisante sur la question en litige ?

Au lieu de garder leurs positions comme dans un camp retranché, les deux champions feraient mieux, à notre avis, de réunir leurs documents, peut-être s'accorderaient-ils un jour, sur un fait contesté d'abord et qui pourra devenir incontestable dans l'avenir.

(1) Notre-Dame de Rochefort-du-Gard depuis Charlemagne jusqu'à nos jours, par le chanoine J.-B. Petitalot, supérieur des Chapelains de ce sanctuaire. Emmanuel Vitte, Lyon, 1910.


II
Contestations et documents

Pour ne pas nous départir de notre impartialité au procédé loyal que nous conseillons ci-dessus, nous reproduisons la page des contestations de M. le chanoine Petitalot.
Nous y opposerons ensuite le document qui nous intéresse.

Avant de raconter l'établissement de ces fervents religieux sur notre montagne, écrit notre honorable contradicteur, nous devons traiter une question quelque peu délicate ; nous voulons parler des services que les Révérends Pères Récollets disent avoir rendus au vénéré sanctuaire. Ces religieux prétendent l'avoir desservi longtemps, un siècle environ, disent-ils. Ils donnent en preuve le témoignage de Césaire Cambin, archiviste et annaliste général de leur province d'Avignon. Suit un résumé du document cité plus loin...
Ainsi, à en croire ce bon Césaire Cambin, la restauration et la prospérité de Notre-Darne seraient exclusivement l'œuvre des Pères Récollets. Nous nous en réjouirions avec eux ; mais la vérité nous oblige à dire que Cambin paraît écrire l'histoire d'une façon plutôt fantaisiste... etc...
C'est à croire que Dom Cambin fit un jour un beau rêve, et le décrivit ensuite comme une réalité historique. (1)

(1) Des conservateurs de Musée et des hommes érudits, respectueux de la valeur du P.C. Cambin, ont été froissés de le savoir traité si légèrement.

Pour apprécier sa valeur d'historien, il suffit de remarquer comment il raconte la question de la petite Sicard. D'après lui, c'est en reconnaissance de cette faveur que Jacques Sicard (père de la petite Sicard) entreprit la réparation de la chapelle ; or, la faveur fut accordée pendant la première messe qui se célébra dans la chapelle déjà réparée.
Il ajoute que le miracle eut lieu vers l'an 1635 ; or ce fut exactement le 25 mars 1634. Enfin il nous représente la malade s'approchant de l'autel avec une foi vive, et y appuyant sa tête à plusieurs reprises ; or c'était une enfant âgée seulement de sept mois.

D'après ce que nous connaissons, la part des Franciscains se réduit à ceci :

1° Il est possible qu'ils aient été employés quelquefois, comme d'autres religieux, en qualité de prédicateurs et de confesseurs.
2° Deux Frères Récollets furent envoyés par le pitancier Raybaud, pour quelques semaines, sur la montagne ; mais, n'étant pas prêtres, ils ne pouvaient rendre service aux pèlerins sous le rapport spirituel.
3° L'ermite Louis, principal ouvrier de Dieu dans le relèvement de Notre-Dame, était du Tiers-Ordre de Saint-François, et mourut probablement dans le grand Ordre.
4° L'un des fils de Jacques Sicard, nommé Théophile Sicard, et frère de l'enfant miraculeusement guérie, entra chez les Récollets, et y remplit avec honneur les charges de Custode et de Provincial.
Mais les Pères Récollets n'eurent jamais la direction du pèlerinage, ils ne résidèrent jamais sur la montagne ; ils ne firent ni les réparations nécessaires ni les constructions nouvelles. Enfin, ils ne rendirent jamais aux Bénédictins un immeuble que ces derniers ne leur avaient pas confié...

Avant toute explication, nous demandons pourquoi le chanoine Petitalot discrédite l'autorité du P. Césaire Cambin comme historien. Serait-ce parce que son récit de la guérison de Catherine Sicard n'est pas conforme à celui du P. Mège ? (1) Mais lequel des deux auteurs contemporains est ici le plus digne de foi du P. Mège dont l'histoire n'est authentiquée par personne, pas même par l'Imprimatur des des Supérieurs ; ou du P. Cambin dont le récit est authentiqué, entre autres par le R. P. Théophile Sicard son Provincial, frère de la miraculée et témoin de sa guérison, puisqu'à ce moment il était encore dans sa famille ? (2)

(1) P. Mège, bénédictin, Histoire de Rochefort, éditée à Toulouse en 1651. - Musée d'Avignon.
(2) La guérison de Catherine Sicard eut lieu en 1634 et son frère n'est en religion que le 1er janvier 1636.

Après cette simple observation, nous laissons à l'appréciation de nos lecteurs et en particulier des érudits, le jugement que porte le chanoine Petitalot sur les écrits de P. Cambin.

Pour rétablir l'honneur de ce dernier, nous publions un document important dans l'authenticité contribuera à combler dans l'histoire du sanctuaire de Rochefort, une lacune fort regrettable jusqu'à nos jours.

Il y a 35 ans au moins (vers 1875), un religieux Récollet du couvent d'Avignon, conduisit en pèlerinage au sanctuaire de N.-D. de Rochefort, un nombre bien respectable de personnes pieuses appartenant à peu près toutes au Tiers-ordre de S. François.

Or, sans se douter des contestations que sa parole allait susciter, ce religieux raconta du haut de la chaire, que non seulement les Enfants de S. François n'étaient pas étrangers en ce sanctuaire, mais qu'ils en avaient été, encore, les gardiens pendant plusieurs années au dix-septième siècle, après l'avoir relevé de ses ruines et rendu célèbre par toute la France.

Quelle surprise ! Le R. P. Jobert supérieur des religieux Maristes, premier écrivain contemporain de l'histoire de N.-D. de Rochefort, transcrite à peu près intégralement et textuellement par le chanoine Petitalot, ne put en croire ses oreilles, ni réprimer la violence de ses impressions. Malgré toutes ses recherches, il ignorait le fait historique, nouveau pour lui, qui paraissait inadmissible. Ce document est dû à la plume du P. C. Cambin, de Château-Renard (1) dont la réputation d'historien intègre est des plus respectable, d'après le témoignage, entre autres, d'hommes judicieux et érudits de notre temps. Son récit est rapporté dans deux volumes différents des Archives des Pères Récollets, ce qui confirme son authenticité.

(1) LE P. C. Cambin de Château-Renard est entré dans l'Ordre des Frères-Mineurs Récollets, le 8 novembre 1652.

Dans le volume confié à la garde du R. P. Provincial, ce document en latin est intitulé : « Discours sur la fameuse dévotion de N.-D. de Rochefort, érigée, commencée et fomentée par le moyen des Pères Récollets. » C'est celui qui a été communiqué au chanoine Petitalot et qu'il a accueilli avec un scepticisme par trop affecté.

Indépendamment de ce livre de Provence, la bibliothèque du Musée d'Avignon possède quatre manuscrits du P. C. Cambin. Or, dans le quatrième volume, page 184, nous relevons le même récit en français, mais avec des détails plus circonstanciés.

Nous portons aujourd'hui, ce document manuscrit et en entier, à la connaissance de nos lecteurs et du chanoine Petitalot en particulier. (1)

(1) P. C. Cambin, tome IV, page 184, n° 1447, Musée d'Avignon.

La célèbre Église de Notre-Dame de Rochefort réparée par les religieux Récollets.
« On sait assez que dans le Languedoc, à deux lieues d'Avignon, est situé le village de Rochefort, au terroir duquel il y a une célèbre dévotion des fidèles envers le Très Sainte Vierge Marie, honorée dans une église où les mêmes fidèles ont reçu et ne cessent de recevoir des signalées grâces de Dieu par les mérites et intercessions de cette adorable princesse depuis que ladite église fut réparée par les soins et zèle des religieux Récollets comme il sera dit plus amplement en la suite de ce discours.
On ne voyait auparavant en ce lieu de bénédiction qu'une petite voûte à demi-ensevelie dans la terre, sous laquelle les bêtes à laine allaient parfois cheminer pendant la chaleur de l'été, et comme l'indécence de ce lieu ne portait pas les fidèles à l'avoir en vénération, bien que la vénérable tradition leur eut appris que la Très Sainte Vierge y avait été grandement honorée ; et il advint que le V. P. Eustache de Brie (1), vicaire actuel de notre couvent de Villeneuve, s'étant porté au dit village de Rochefort, l'an 1633 pour y prêcher durant le Carême avec son éloquence et sa ferveur ordinaire, il fut inspiré du ciel d'aller un jour prêcher sur ledit mont qu'on appelait la baume de sainte Constance, sans qu'on ait jamais pu découvrir la source primitive de ce nom, puisque ledit lieu avait toujours été consacré à la Très Sainte Vierge, par le moyen de laquelle prédication il anima si fort le peuple à travailler incessamment à la réparation de la dite église ruinée, que M. Sicard, l'un des principaux habitants du même lieu de Rochefort, et père du R. P. Théophile Sicard, y ayant conduit sa fille affligée d'une fâcheuse incommodité, laquelle venait continuellement depuis son enfance, il advint que cette fille par un sentiment de foi au pouvoir de la Très Sainte Vierge, venant à poser sa tête contre l'autel de la chapelle et la frottant à y celui : Ô miracle, tout à la fois elle se vit entièrement guérie d'une telle incommodité, c'était vers l'année 1635. (*)

(1) Le P, Eustache de Brie de Bollène est entré dans l'Ordre des Frères-Mineurs Récollets le 14 juillet 1625.

Ce qui ayant été divulgué par tous les lieux circonvoisins, et le père de la fille, à la persuasion du R. P. de Brie, ayant fait réparer la chapelle en action de grâce du bienfait reçu, on y vit accourir tout le peuple, soit pour y demander des grâces à Dieu par l'entremise de la Très Sainte Mère, soit pour y remercier Dieu des bienfaits déjà reçus par l'intercession de Marie, que dès lors cette chapelle fut nommée Notre-Dame de Grâce, d'où s'en suivit que la dévotion des fidèles venant à s'y augmenter d'un jour à l'autre, MM. les Consuls du dit Rochefort furent prier le R. P. Eusèbe Blanquay de Bonnieux, Gardien actuel en notre couvent de Villeneuve d'y envoyer des religieux de sa communauté pour les Pères Récollets qui avaient été les premiers restaurateurs de la dite chapelle fussent préférés à tous les autres religieux pour le service d'y celle, à laquelle prière des Consuls de Rochefort, celle des anciens moines du monastère de Saint-André de Villeneuve, comme légitimes propriétaires de ce lieu ayant été joints pour obliger nos Pères à y aller faire le divin service, on y vit en même temps s'y porter dix religieux Récollets prêtres pour y recevoir jour et nuit les confessions de ceux et celles qu'on y voyait aborder de toutes parts tant de province que du Languedoc, notamment aux jours de fêtes et dimanches et particulièrement aux solennité de la Sainte Vierge, sans qu'aucune des processions en susdit, qu'au préalable nos Pères ne leur eussent fait une prédication de manière que les charités des fidèles et les sommes considérables qu'on y offrait continuellement, étaient plus que suffisantes à augmenter la dite église aussi bien que la fabrique d'une assez belle habitation antique tant pour le logement ordinaire de nos douze Récollets qui y résidaient ordinairement, que pour y loger et recevoir les pèlerins. Il advint que la Réforme des moines Bénédictins ayant ensuite été introduite dans ledit monastère de Saint-André les nouveaux venus requirent nos Pères de vider le saint lieu auquel comme légitimes propriétaires ils prétendaient avoir la jouissance et le service à l'avenir, à laquelle réquisition si juste, nos Récollets acquiescent et cèdent un si saint lieu, au susdit Ordre de Saint Benoît, ils eurent fait d'accorder que pour une église pauvre et délaissée que ledit Ordre de Saint Benoît avait accordé à notre glorieux Père Saint-François, au commencement de son ordre, les Frères-Mineurs Récollets ses légitimes enfants avaient restitué au dit Ordre de Saint Benoît une autre chapelle non ruinée ni délaissée, mais bien entière et remplie de toutes sortes d'ornements et de richesses. Ainsi, le pauvre François rend avec usure, même en ce siècle ce qu'il reçoit de la charité des fidèles pour lui et pour les siens. »

P. C. Cambin

-oOo-

Nota GM : Ce document non signé ou plutôt avec une signature anonyme "La rédaction" n'apporte pas beaucoup de crédibilité à la version des Récollets fondateurs.
La preuve fournie par "La rédaction", ce texte intégral de P. Cambin n'est pas crédible, ne serait-ce que par une narration du miracle truffée d'erreurs !
(*) Une preuve matérielle, s'il en fallait, l'âge de la petite miraculée qui ne pouvait s'avancer, se pencher et poser sa tête sur l'autel, car elle n'avait que quelques mois. L'ex-voto conservé et exposé encore à ND montre un bébé dans les bras de sa mère... emmailloté !
Pour conclure, ce manque de connaissance des faits et ces erreurs, enlèvent toutes crédibilités  à cette version favorable aux Récollets. On peut aussi se demander qu'elles étaient les intentions véritables des initiateurs de cette cabale historique.


Catherine Sicard, âgée de sept mois seulement, tra­vaillée d'un tremblement de tête continuel est présentée à la Vierge en 1634. L'enfant fut instantanément et parfaitement guérie. Dans la salle des Ex-Voto on peut voir, un ancien tableau, peint à l'huile et bien conservé, où se trouve représenté l'accomplisse­ment du miracle
  

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