NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Contestations au sujet du Pèlerinage

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard

depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910


Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux dont l'auteur était partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église qu'il était. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable. G M

XIV




Le curé de Rochefort et le Père Louis, trouvant la charge au-dessus de leurs forces, prièrent l'un des vicaires généraux d'Avignon de vouloir bien aviser aux moyens à prendre. Le vicaire général, accompagné du secrétaire et du procureur fiscal de l'Archevêché, vint à Notre-Dame le 24 juin 1635.

Il ordonna d'abord de confier le soin ou la tenue du sanctuaire à des marguilliers, pris parmi les principaux habitants et les membres de la confrérie ; ensuite, de recueillir les dons et aumônes des pèlerins dans un tronc à trois clefs, et de remettre ces clefs à trois personnes différentes qu'il désigna.

Mais il s'occupa principalement de ce qui regardait le service divin. Il prescrivit entre autres choses d'attacher à la chapelle deux bons prêtres séculiers ; et lui-même peu après, à la requête du comte de Saze, baron et seigneur de Rochefort, envoya un chanoine de Saint-Geniès d'Avignon et un chanoine de Roquemaure.

Ces deux chanoines desservants furent bientôt obligés de rentrer dans leurs chapitres respectifs. Alors, le même vicaire général eut la pensée de confier le pèlerinage aux soins d'une communauté religieuse. En conséquence, il envoya quatre Minimes de saint François de Paule, du couvent d'Avignon. L'année suivante, d'autres Pères Minimes, appartenant au couvent du Pont-Saint-Esprit, reçurent le même office pour le temps des pèlerinages ; et, en 1637, ce furent les Pères de la Doctrine Chrétienne d'Avignon. Dans les intervalles, la chapelle était desservie par des prêtres séculiers.

Cependant, l'honneur de donner des gardiens au sanctuaire revenait de droit aux Bénédictins de Saint-André de Villeneuve. Ils en avaient joui de toute antiquité ; et, depuis 1410, en vertu de l'union du prieuré de Rochefort à la pitancerie du monastère, le pitancier était toujours prieur de Notre-Dame. Le curé même de la paroisse n'était que son vicaire, qu'il pouvait mettre et destituer quand il voulait.

Aussi, dès que le pitancier Scipion Raybaud eut connaissance des ordonnances diocésaines du 24 juin, il adressa une requête à la souveraine cour du parlement de Toulouse, Rochefort relevant de cette juridiction, pour réclamer l'administration de Notre-Dame. Le parlement lui répondit d'une manière favorable, mais en se réservant d'étudier à fond la question pendante, et de la trancher plus tard.

Raybaud ne s'était pas montré très digne de son titre de prieur de Notre-Dame. On lui reprochait de n'avoir pas concouru à la restauration du saint lieu. « Il n'y envoya, dit une chronique, après l'ordonnance du grand vicaire, que deux Frères laïcs, du couvent des Récollets, qui ne se rendirent en rien utiles aux pèlerins. » Lui-même n'y parut que pour achever de s'aliéner les esprits par des exigences intempestives.

Dieu se réservait un moyen de lever toutes les difficultés ; c'était la réforme de l'abbaye de Saint-André. Elle fut réalisée au mois de janvier 1637, et fut l'œuvre de la Congrégation dite de Saint-Maur, ou des Bénédictins de France.

Avant de raconter l'établissement de ces fervents religieux sur notre montagne, nous devons traiter une question quelque peu délicate ; nous voulons parler des services que les Révérends Pères Récollets disent avoir rendus au vénéré sanctuaire.

Ces religieux prétendent l'avoir desservi longtemps, un siècle environ, disent-ils. Ils donnent en preuve le témoignage de Césaire Cambin, archiviste et annaliste général de leur province d'Avignon.

D'après ce document, qu'ils nous ont eux-mêmes communiqué avec bienveillance, il ne restait que des ruines sur le rocher, quand un Père Récollet vint prêcher le carême au village voisin, et entreprit par ses discours enflammés de ranimer parmi le peuple l'antique dévotion envers Notre-Dame de Rochefort. Il y fut aidé par le miracle qui s'opéra alors en faveur de la fille de M. Sicard. Les peuples remontant en foule sur la montagne, il fallut appeler de fervents religieux pour prêcher aux pèlerins et entendre leurs confessions. Les Récollets furent choisis, parce qu'ils avaient été les restaurateurs du sanctuaire, et parce qu'ils possédaient de nombreux couvents dans le voisinage. A la prière des anciens Bénédictins, qui avaient droit sur la chapelle, le Provincial des Récollets désigna de nombreux confesseurs, qu'il choisit dans les monastères les plus rapprochés. Mais la foule grandissant toujours, on dut faire appel aux couvents les plus éloignés pour en obtenir confesseurs et prédicateurs. On agrandit l'église, on construisit des bâtiments pour loger les Récollets et les pèlerins. En un mot, on rendit à ce pèlerinage tant d'éclat et de splendeur, qu'à peine eût-on pu en citer un plus célèbre dans toute la France. Et c'est en cet état de prospérité inouïe que les Récollets transférèrent la propriété aux Bénédictins de Saint-André.

Ainsi, à en croire ce bon Césaire Cambin, la restauration et la prospérité de Notre-Darne seraient exclusivement l'œuvre des Pères Récollets.

Nous nous en réjouirions avec eux ; mais la vérité nous oblige à dire que Cambin paraît écrire l'histoire d'une façon plutôt fantaisiste.

Les merveilles, dont il fait honneur à son ordre, ne pouvaient s'opérer en quelques jours, ni en quelques années ; comment n'en trouvons-nous pas trace dans les documents contemporains ?

Eh quoi ! D'autres religieux, les Minimes d'Avignon, ceux de Pont-Saint-Esprit, les Pères de la. Doctrine, pour avoir prêté un concours de quelques semaines, de quelques mois tout au plus, sont soigneusement signalés, à des dates précises. Et les Récollets auraient transformé complètement la sainte Montagne, auraient ressuscité le pèlerinage, lui auraient rendu le plus merveilleux éclat, sans laisser un souvenir ? Mais quand donc sont-ils venus à Notre-Dame ? Quand en sont-ils partis ? Quels ont été leurs hommes, leurs ressources, leurs œuvres ?

C'est à croire que Dom Cambin fit un jour un beau rêve, et le décrivit ensuite comme une réalité historique.

Pour apprécier sa valeur d'historien, il suffit de remarquer comment il raconte la guérison de la petite Sicard. D'après lui, c'est en reconnaissance de cette faveur que Jacques Sicard entreprit la réparation de la chapelle ; or, la faveur fut accordée pendant la première messe qui se célébra dans la chapelle déjà réparée. Il ajoute que le miracle eut lieu vers l'an 1635 ; or, ce fut exactement le 25 mars 1634. Enfin, il nous représente la malade s'approchant de l'autel avec une foi vive, et y appuyant sa tête à plusieurs reprises; or c'était une enfant âgée seulement de sept mois.

D'après ce que nous connaissons, la part des Franciscains se réduit à ceci :

1° Il est possible qu'ils aient été employés quelquefois, comme d'autres religieux, en qualité de prédicateurs et de confesseurs.

2° Deux Frères Récollets furent envoyés par le pitancier Raybaud, pour quelques semaines, sur la montagne ; mais, n'étant pas prêtres, ils ne pouvaient rendre service aux pèlerins sous le rapport spirituel.

3° L'ermite Louis, principal ouvrier de Dieu dans le relèvement de Notre-Dame, était du Tiers-Ordre de Saint-François, et mourut probablement dans le grand Ordre.

4° L'un des fils de Jacques Sicard, nommé Théophile Sicard, et frère de l'enfant miraculeusement guérie, entra chez les Récollets, et y remplit avec honneur les charges de Custode et de Provincial.

Mais les Pères Récollets n'eurent jamais la direction du pèlerinage, ils ne résidèrent jamais sur la montagne ; ils ne firent ni les réparations nécessaires ni les constructions nouvelles. Enfin, ils ne rendirent jamais aux Bénédictins un immeuble que ces derniers ne leur avaient pas confié.

Il nous est donc difficile de voir la juste application de cette jolie phrase, par laquelle Cambin termine sa narration : « Et c'est ainsi que le pauvre François rend avec usure, même en ce siècle, ce qu'il reçoit de la charité des fidèles pour lui et pour les siens. »
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Une contestation à ce paragaphe par la Rédaction de l'Union Sérigraphique.

NOTRE-DAME de ROCHEFORT-DU-GARD 
ET LES FRÉRES-MINEURS RÉCOLLETS au dix-septième siècle.
 
I - La raison de ces pages
Un livre (1) a été publié, cette année, pour faire connaître l'histoire du Sanctuaire de Rochefort-du-Gard depuis ses origines jusqu'à nos jours. Il est muni des autorisations requises et précédé d'une lettre fort élogieuse de Mgr l'Évêque de Nîmes.
Tandis que nous le parcourions avec tout l'intérêt qu'inspire irrésistiblement la manifestation des gloires et bontés de Marie, qu'elle ne fut pas notre surprise de rencontrer à la page 63, ce titre inattendu : C. XIV : Contestations au sujet du Pèlerinage.
Mais notre étonnement devait grandir encore à la lecture du chapitre ; car les contestations annoncées ne sont pas autre chose qu'une polémique injuste dirigée contre les Pères Franciscains et une condamnation aussi sommaire que catégorique. Attaque et condamnation d'autant moins loyales qu'elles se produisent à l'insu des intéressés, d'autant plus dangereuses qu’elles sont présentées en termes absolus aux nombreux pèlerins que la piété amène au sanctuaire vénéré de N.-D. de Rochefort.
Personne ne nous blâmera, pensons-nous, de vouloir procéder d'une manière digne et conciliante dans un débat d'une certaine importance.
Une lutte sur le terrain de l'érudition a son intérêt. De part et d'autre on produit des documents auxquels chacun s'attache avec de louables intentions.
Mais que faire si les documents ne projettent pas une lumière suffisante sur la question en litige ?
Au lieu de garder leurs positions comme dans un camp retranché, les deux champions feraient mieux, à notre avis, de réunir leurs documents, peut-être s'accorderaient-ils un jour, sur un fait contesté d'abord et qui pourra devenir incontestable dans l'avenir.

(1) Notre-Dame de Rochefort-du-Gard depuis Charlemagne jusqu'à nos jours, par le chanoine J.-B. Petitalot, supérieur des Chapelains de ce sanctuaire. Emmanuel Vitte, Lyon, 1910.


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> Suite de la réponse à l'article de Petitalot sur le rôle des Frères-Mineurs Récollet

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