NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Pendant la période révolutionnaire.

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.


XXVI


Au mois d'août 1789, quand l'Assemblée nationale, pour remédier au mauvais état des finances, fit appel à la générosité publique, les Bénédictins de Rochefort, comme tout le clergé et tous les religieux de France, s'empressèrent d'y répondre. Non seulement, ils se privèrent de leur propre argenterie, mais ils dépouil­lèrent aussi le trésor de la chapelle d'une partie de ses richesses, et ils envoyèrent le tout à la monnaie de Montpellier. Les vases sacrés, les ornements sacerdo­taux et les décorations nécessaires au culte divin, fu­rent les seuls objets précieux conservés au sanctuaire. Jamais, depuis lors, l'église de Notre-Dame n'a pu réparer ces pertes, ni recouvrer son antique splendeur.


Le 13 février 1790, l'État confisquait à son profit tous les biens-fonds appartenant aux monastères de France, sous prétexte qu'il en avait besoin pour étein­dre la dette publique. Du même coup, par une usur­pation sacrilège du pouvoir divin, les représentants de la nation déclarèrent les vœux monastiques abolis, et les ordres religieux supprimés dans toute l'étendue du royaume.


Les populations encore profondément catholiques, surtout dans les campagnes, comprirent le danger que courait leur religion, et elles s'en alarmèrent. Celles des environs de Notre-Dame, en apprenant le décret du 13 février, se sentirent pénétrées de douleur. Il éloi­gnait d'elles, en effet, des religieux pleins de zèle, de qui elles recevaient chaque jour d'importants services. De plus, elles se voyaient sérieusement menacées dé perdre bientôt un sanctuaire et un pèlerinage auxquels elles attachaient leurs affections les plus vives.

Dans cette extrémité, les fidèles de la région se sou­vinrent de l'engagement solennel pris par tous les mem­bres de l'Assemblée constituante de soutenir et dé dé­fendre la religion catholique dans toute son intégrité. Ils n'hésitèrent,point à adresser leurs vœux à l'Assem­blée, et à solliciter d'une voix unanime la conservation des Pères Bénédictins, de la chapelle et du couvent de Notre-Dame de Rochefort. Les habitants et l'au­torité civile de Rochefort eurent l'honneur de prendre l'initiative dans cette touchante et courageuse démar­che. Ils dressèrent un acte en forme de délibération, et l'envoyèrent au Directoire de Nîmes, pour être trans­mis par lui aux députés de la nation. Dix-huit com­munes environnantes reçurent cette délibération et s'empressèrent d'y adhérer.

Les membres du directoire départemental promirent par lettre du 8 novembre, de prendre ces demandes en très sérieuse considération, lorsqu'ils s'occuperaient de l'exécution des décrets concernant les maisons reli­gieuses.

Nos religieux n'étaient alors qu'au nombre de trois : Dom Cartier Jean-Baptiste, natif de Riom, en Auver­gne, et devenu prieur en 1783 ; - Dom Joseph Granet, né à Rochefort, et syndic du monastère ; - et un frère lai nommé Pierre Berthet, originaire de Pressac en Bresse. Un prêtre infirme de Villeneuve habitait aussi Notre-Dame; on.l'appelait Dom Latour, quoiqu'il ne fût que prêtre habitué. Il se retira au village de Ro­chefort au commencement de la Révolution, et y mou­rut en 1798.

Dès le 16 mai 1790, une commission, composée du maire et de cinq officiers municipaux de la localité, se transporta sur la montagne, où elle procéda à l'in­ventaire détaillé de tous les biens, revenus, charges, dettes, livres, meubles et linges des religieux, ainsi que des vases sacrés, ornements sacerdotaux, et autres ap­partenant à la chapelle.

Cette première perquisition se fit avec des égards respectueux. Le procès-verbal constate même que le bâtiment dudit monastère n'est propre qu'à loger des religieux qui voudraient s'appliquer uniquement à, la conservation de cette célèbre dévotion.

Mais; au mois de janvier 1791, les commissaires du district de Beaucaire arrivèrent à leur tour sur la montagne. Ils renouvelèrent l'inventaire déjà fait l'an­née précédente ; mais, cette fois, presque tout fut mis sous scellés ; on ne laissa aux Bénédictins que les ob­jets dont ils ne pouvaient se passer. C'était l'annonce de leur prochaine expulsion. En effet, vers la fin du mois de mars, l'ordre fatal était donné, et le Directoire signifiait formellement aux Pères d'avoir. à cesser de suite leurs fonctions de chapelains, et à évacuer le couvent et la montagne de Rochefort:

Cet ordre, quoique appréhendé depuis longtemps, retentit avec l'éclat de la foudre parmi les populations environnantes. Il fut exécuté sans délai ; et le départ eut lieu au milieu de la stupeur des uns, des larmes et des gémissements des autres. Les religieux se réfu­gièrent pour quelque temps à Saint-André de Ville­neuve, et dom Cartier y devint prieur.

L'éloignement des gardiens du sanctuaire avait excité un vif mécontentement et soulevé bien des plaintes ; aussi l'administration départementale fut­-elle obligée pour calmer les esprits, de porter un arrêté qui déclarait la chapelle de Rochefort conservée au culte, comme oratoire public. Les pieux fidèles purent donc continuer à venir en pèlerinage sur lé Mont Sacré.

Dès lors, il fallait pourvoir au service divin et aux besoins spirituels des pèlerins ; et pour cela, les agents de l'autorité civile envoyèrent l'un après l'autre deux prêtres constitutionnels, c'est-à-dire qui avaient prêté serment à la schismatique constitution civile du clergé. Le premier fut un ancien chanoine de Roquemaure qui reçut le titre de vicaire de Notre-Dame, prêta serment le 4 septembre 1791 devant la municipalité de la com­mune, et habita le couvent pendant près d'une an­née.
Son successeur fut le Bénédictin Dom Cartier, le même qui était naguère à la tête du monastère. Il avait été obligé d'abandonner l'abbaye de Saint-André et de se séculariser. Apprenant que le vicariat de Notre ­Dame était devenu vacant, il se présenta pour desser­vir la chapelle, et fut accepté avec empressement, mais à la honteuse condition de faire, lui aussi, le ser­ment schismatique. Traîné plutôt que conduit, il com­parut dans l'église paroissiale le dimanche 16 septem­bre 1792, et là, en présence du conseil communal et d'une partie des habitants, il fut forcé de lever la main et de promettre fidélité à la constitution civile. il ren­tra dans le couvent avec le Frère Berthet, mais il n'y demeura que quelques mois. Les infirmités de l'âge, l'indigence, et plus encore le remords le forcèrent bien­tôt à quitter la sainte montagne. Il se retira à Avi­gnon, où il vécut jusqu'en 1805, en bon prêtre, estimé de tous, et réparant comme il le pouvait le scandale qu'il avait eu la faiblesse de donner.

La paroisse n'ayant reçu aucun autre vicaire, ce fut le curé assermenté de Rochefort, nommé Delormes, qui fut chargé de Notre-Dame. Mais infidèle à tous ses de­voirs, ce malheureux prêtre pressa lui-même le dis­trict de Beaucaire d'enlever et dé vendre les objets précieux qui restaient encore à la chapelle. Cet enlè­vement eut lieu, pour l'argenterie de l'église, le 24 avril 1793. L'envoi fait à Beaucaire par Delormes compre­nait trois reliquaires, deux lampes, un calice avec sa patène, une figure de la Sainte Vierge, une petite croix en vermeil, une boîte pour les saintes huiles.

Le 29 août de la même année, on expédia toutes ces pièces à Montpellier, pour être. fondues à la monnaie. Et dès lors la chapelle ne posséda plus d'autres orne­ments et vases sacrés, que ceux dont le peu de valeur n'offrait point assez d'appâts à la cupidité des spolia­teurs.

D'ailleurs les jours sinistres de 93 étaient arrivés. On chassa Dieu de ses temples, et son culte, celui de ses saints et de sa divine Mère, aboli partout, fut rem­placé par celui d'une infâme idole. La Raison, quali­fiée du titre de déesse, trônait sur les autels de la pa­trie. Rochefort; lui aussi, eut sa déesse, et il célébra les décades et les fêtes patriotiques dans son antique église, tandis que la chapelle, ci-devant dite de Notre­Dame, fut fermée, le pèlerinage déclaré aboli, et toute pratique de dévotion envers la Mère de Dieu rigoureu­sement défendue au nom de la nation et de la loi.

Les précieux oratoires des Sept Joies de Marie tom­bèrent sous les coups des démolisseurs. Plusieurs hon­nêtes gens du pays se virent forcés de travailler à cette oeuvre sacrilège, sous la menace des tortures, de l'exil ou de la mort. Tout ce qui pouvait encore avoir quel­que prix dans la chapelle fut enlevé, vendu ou pillé. Ainsi disparurent les cloches et la grande horloge, les grilles, quantité de ferrures importantes; les chande­liers dés autels, les derniers ornements et vases sacrés.

Toutefois, la chapelle conservait encore la statue mi­raculeuse, le plus précieux des ornements, le plus cher surtout aux cœurs des fidèles. Aussi, malgré les dé­fenses portées, voyait-on toujours, bien des pèlerins venir, même de loin, prier aux pieds de la Bonne Mère. L'église était fermée, mais ils se tenaient prosternés à la porte, et même, à la fin, ils trouvèrent moyen de pénétrer dans l'intérieur et d'arriver jusqu'aux pieds de l'autel et de l'image bien-aimée de Notre-Dame. Les démagogues le surent bientôt, et essayèrent de ravir aux peuples cette dernière consolation. Voici le récit d'un témoin oculaire, d'après les Archives de Notre­-Dame

« Nous étions au plus fort du règne de la Terreur; il n'y avait ni prêtre, ni église ; il n'y avait que cette chapelle, où l'on pouvait faire sa prière. Tous les di­manches, il y avait du monde, même des étrangers.
Un dimanche, deux révolutionnaires de Villeneuve, étant venus cultiver une vigne située dans l'étang, s'a­perçurent qu'il y avait du monde sur la montagne. Ils quittent leur travail, et viennent s'assurer du fait, ra­massant sur leur chemin tous les sans-culottes qu'ils rencontrent. Ils arrivent sur la montagne au nombre de cinq, écumant de rage, vociférant des horreurs, in­sultant et provoquant tous ceux qu'ils trouvent. Enfin, ils partent, mais la menace à la bouche, et jurant, que si cela ne finissait point, on viendrait en force pour y mettre ordre.
De retour à Villeneuve, les susdits révolutionnaires n'eurent rien de plus pressé que de dénoncer au club de cette ville la prétendue contravention. De là, grand émoi dans leur camp : on s'échauffe, on s'exalte, on dé­libère d'envoyer au chef du parti à Rochefort, pour lui faire des reproches de ce qu'un républicain émé­rite tel que lui, souffrait ou ignorait que dans son pays il y eût une réunion de fanatiques, qui professaient un culte défendu par les lois. II fut décidé, en même tempe, que l'on enverrait quelques membres du club sur la montagne, qu'ils feraient disparaître la Vierge, et qu'ainsi tout serait terminé.
Un mâtin donc, au lever du jour, trois des plus for­cenés des révolutionnaires arrivent en toute hâte sur la montagne. L'un d'eux était de Villeneuve, et les deux autres de Rochefort. Deux d'entre eux s'introdui­sent dans la chapelle, comme à la dérobée, et s'avan­cent jusqu'au sanctuaire, tandis que le troisième de­meure sur la porte d'entrée. Profitant du moment où ils n'avaient aucun témoin de leur crime, ces nouveaux iconoclastes s'élancent vers la statue de Marie. Furieux et comme en délire, ils s'efforcent, en vomissant l'ou­trage et le blasphème, de la séparer du trône auquel elle est solidement attachée. Mais ils ne peuvent y réussir. La tête seule, cédant à leurs efforts redoublés, est dé­tachée violemment du tronc, et demeure entre leurs mains. Obligés, contre leur désir, de laisser la sainte image debout, à sa place, ils s'éloignent à la hâte, après avoir, dit-on, renversé les statues de saint Be­noît et de sainte Scolastique, et causé encore, sans doute, quelques autres dévastations. Ils emportèrent la tête vénérée, comme un trophée de leur honteuse et sacrilège victoire. On ajoute qu'ils poussèrent la dé­rision et l'impiété jusqu'à s'en faire un jouet, en la fai­sant rouler sur la pente des rochers, le long des che­mins et dans les lieux publics. »

Dès le mois de mars 1791, avait commencé la vente aux enchères des terres du couvent. Celle des meubles n'eut lieu qu'en 1793. Enfin l'église et le couvent, avec toutes leurs dépendances, furent achetés à leur tour, au prix de 2500 livres, par un habitant de la localité, et par un autre de Roquemaure.

Le deuil était grand sur la montagne de Rochefort, et c'en était fait de l'antique pèlerinage, si le Ciel eût cessé' de le protéger ; mais la divine Providence vou­lait le faire échapper encore une fois au naufrage.

Les édifices n'eurent guère à souffrir que des injures du temps, ou d'un trop long abandon. Quand ils furent vendus, les passions antireligieuses commençaient à se calmer; aussi les acquéreurs bien que patriotes avoués, n'osèrent-ils ni détruire, ni même dégrader ces précieux monuments. Ils ne détournèrent point la chapelle de sa pieuse destination, et n'empêchèrent ja­mais les fidèles d'y venir prier Marie. De plus, ces nou­veaux propriétaires se trouvèrent bientôt dans l'im­puissance d'acquitter leur dette envers l'État. Ils ne tardèrent pas à renoncer à leurs droits, et les bâtiments de Notre-Dame rentrèrent, par déchéance, dans les domaines nationaux.

Dieu voulut encore que notre sainte Chapelle n'é­prouvât aucune nouvelle spoliation dans les quelques vases sacrés et ornements sacerdotaux qui s'y trou­vaient encore, ni dans les nombreux tableaux suspen­dus aux murs. Aucune main impie n'osa y toucher. La statue miraculeuse elle-même, quoique mutilée, demeura constamment debout sur son trône, et sa tête vénérable fut conservée intacte. L'un des forcenés qui l'avaient si brutalement séparée du tronc, la te­nait soigneusement cachée dans sa propre maison; et quand le règne de la Terreur commença à passer, il la remit aux gens de bien qui la lui réclamaient.

D'ailleurs la vengeance divine frappait des coups ca­pables de faire réfléchir. Un de ces châtiments exemplaires impressionna. surtout les populations.

Le premier dimanche de mars 1795, les nommés A. S... et J. N..., tous deux de Rochefort, et habitant non loin de l'ancienne église, se disposaient à aller ensemble planter des figuiers. Ils étaient l'un et l'autre des patriotes des mieux trempés, observant ponctuellement la décade républicaine et le culte de la Raison. A... plus matinal, se met en route, et, passant devant la porte de J... l'éveille, et lui dit qu'il va l'attendre à l'abri de la muraille voisine.

- Hâte-toi de venir, ajoute-t-il ; j'ai vu quelque chose. - De la maison de N..:, il avait aperçu là foule qui montait à Notre-Dame de Grâce, parce que, chose rare en ce temps, un prêtre allait célébrer la messe à la chapelle. On ne l'avait annoncé que secrètement, et à l'oreille. Néanmoins, tous les fidèles le surent, moins les patriotes pur-sang, qui auraient peut-être cherché à troubler la fête.

J. N... arriva bientôt. Voyant la foule à son tour, il s'exalta comme son camarade. Tous les deux jurent et pestent ensemble contre les fanatiques qui ne tien­nent nul compte des lois, par lesquelles la république ordonne de fêter la décade. Ils protestent qu'on avisera au moyen d'y mettre ordre une autre fois.

Comme ils étaient rouges de colère, passa devant eux une femme endimanchée, qui allait aussi entendre la messe. Cette femme étant sœur d'un patriote dis­tingué du lieu, ils eurent avec elle beaucoup plus de liberté. Ils l'accablèrent d'injures et de menaces.

- Et toi aussi, dirent-ils, tu vas à la messe comme les fanatiques !... Puisse le tronc de figuier faire écraser la voûte (1). Ce serait un bon coup de filet.

(1) Les révolutionnaires appelaient dérisoirement la statue mutilée de Notre-Dame, le tronc de figuier. - « Nous verrons main­tenant, disaient-ils, si le tronc de figuier fera des miracles. »

Par là ils croyaient pouvoir la détourner de son des­sein ; mais elle ne répondit pas, et continua son che­min. À peine était-elle descendue à l'ancien cimetière, qu'elle entendit un grand fracas. Elle poursuivit son chemin, et apprit bientôt que ce bruit venait de l'é­croulement de la muraille derrière laquelle étaient abri­tés J... et A... Ils furent écrasés tous deux sous cette chute; qui avait pour cause une rafale violente du nord survenue presque tout à coup. Le vent soufflait à peine le matin, mais en ce moment, entre neuf et dix heures, il devint si impétueux qu'il renversa ce mur. C'était cependant un ancien rempart du château qui avait résisté aux siècles, et que tout le monde croyait encore très solide.

J... fut retiré de dessous les ruines respirant encore. Il était âgé de 38 ans, et mourut deux jours après, privé de toute connaissance. Ce malheureux, si acharné à dé­crier et à poursuivre le culte de la Sainte Vierge, avait prostitué sa propre fille au culte de la Raison, et en avait fait la déesse du lieu.

A... était âgé de 43 ans. Il vécut encore quelques jours et on affirme qu'il réclama le secours d'un prêtre, et qu'il reçut les derniers sacrements avant de mourir. Il avait accompagné jusqu'à l'entrée de la chapelle ceux qui avaient abattu la tête de la statue miraculeuse.

Un exemple si soudain, dit un mémoire manuscrit, fit du bruit. Les révolutionnaires en furent consternés. Ils ne riaient plus, ils cessèrent de parler du tronc de figuier, et étaient loin de l'invoquer pour des miracles, invocation qui leur avait si mal réussi.

Du reste, par une protection évidente de Dieu, le concours des pèlerins n'avait pas entièrement; cessé. Nous l'avons dit, malgré la Terreur, malgré les dévas­tations et la vente de la chapelle, notre sainte Mon­tagne fut toujours fréquentée par les pieux fidèles des environs, qui aimaient à se réfugier là, pour prier sans crainte aux pieds de la Reine du Ciel. On les voyait ar­river, tantôt ek secret et en petit nombre, à la faveur des ténèbres dé la nuit; tantôt en bandes nombreuses et publiquement, selon que la tourmente révolution­naire sévissait avec plus ou moins de fureur. Qui pour­rait dire combien était touchant le spectacle que pré­sentaient ces chrétiens persécutés, autour d'un saint prêtre, portant souvent au front la double couronne des cheveux blancs, et des glorieuses empreintes de la souffrance endurée pour Jésus-Christ ?

Une année, aux solennités de Noël, par un hiver très rigoureux, et quoique les chemins fussent couverts de neigé, la foule des pèlerins fut si grande à Notre-Dame que l'église, toute vaste qu'elle est, avait peine à les contenir.

Ces hommages en des temps si difficiles, ne pouvaient manquer de plaire à l'auguste Vierge et d'en obtenir de précieuses faveurs. Parmi les miracles qui s'opérè­rent alors, on cite deux guérisons d'aveugles.

Les prêtres catholiques, mis à mort ou exilés, étaient devenus extrêmement rares. II en vint néanmoins pres­que continuellement sur le Mont Sacré. Ils y célé­braient les saints mystères, réconciliaient les âmes avec Dieu, et portaient de là les secours de la religion aux fidèles des environs. Par mesure de prudence, quand les temps étaient trop orageux, ils ne venaient à Notre-­Dame qu'à de longs intervalles, y séjournaient de courts 'instants, et rarement plusieurs ensemble. Ce­pendant, il ne paraît pas qu'ils aient été jamais beau­coup 'inquiétés en ce lieu. C'était pour eux une retraite et comme un port assuré.

On raconte même que deux prêtres vénérés, MM. Du­rand et Bérard, y demeurèrent simultanément quel­ques mois, dans le courant de 1795. Ils exercèrent pu­bliquement toutes les fonctions du saint ministère avec assez de sécurité. Ils réunissaient les enfants des paroisses les plus rapprochées, et les préparaient à la première communion.

Deux autres prêtres séjournèrent plus longtemps sur la montagne ; l'un des deux, un ancien Bénédictin, appelé Dom Joseph, y passa près de deux ans, et de­vint ensuite curé de Roquemaure ; l'autre, nommé Fon­taines, y resta près de trois ans, et y mourut.

Cependant, on touchait à la fin de la Révolution. Notre chapelle, ainsi que le couvent, venait de rentrer dans le domaine de l'État. Un vénérable prêtre, an­cien jésuite, arrivé récemment de l'exil, demanda et obtint à titre de Fermier de la régie des biens nationaux, l'administration du monastère et de l'église de Notre­-Dame. Il se nommait Sicard, et descendait de cette ancienne famille de Rochefort, dont un membre com­mença la restauration du sanctuaire, après les ravages du protestantisme. L'abbé Sicard entra en fonctions pendant l'année 1799. Il administra la chapelle jus­qu'à sa mort, arrivée le 10 janvier 1808; et il s'en ac­quitta d'une manière digne du nom qu'il portait, et des religieux ancêtres dont il s'honorait de continuer l'œuvre sainte.

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> La vie du Père Louis Laurent, curé à Notre-Dame et Rochefort

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