NÎMES EN 1950
Adolphe Pieyre (1848-1909)
extrait de la Revue du Midi, 1902, pages 117 à 123
NDLR : Adolphe Pieyre, né à Nîmes en 1848 et décédé dans l'Hérault en 1909, était à la fois écrivain, éditeur et homme politique. Il éditera certains de ses textes à vocation historique dans la Revue du Midi, publication qu'il dirigeait. Sa publication la plus connue est : Histoire de la ville de Nîmes de 1830 à nos jours, en 3 volumes, éditée en 1886 chez Castelan libraire-éditeur à Nîmes.
Avec "Nîmes en 1950", notre écrivain se lance dans un récit "visionnaire". Par précaution, pour ne pas se décrédibiliser, il fait parler une diseuse de bonne aventure.
Ce texte est à mettre en parallèle avec le récit qu'a fait Élie Mazel à l'Académie de Nîmes en 1894, alors qu'il en était le Président : "Nîmes Demain".
Le lien avec ce dernier texte se trouve en bas de l'article. Lecteurs de nemausensis, si vous avez quelques minutes à perdre, offrez-vous un moment de détente et lissez attentivement ces 2 textes, ce sont 2 perles rares... d'écolier !
 
Que sera Nîmes en 1950 ? J'ai été curieux de le connaître et pour cela je suis allé consulter la sibylle la plus en renom de la ville. Je rapporte ici ses propos, et bien que je reste très sceptique sur ce genre de prophéties - l'avenir dévoilé dut-il sortir de la bouche de Madame de Thèbes elle-même - il n'en-est pas moins vrai, que le caractère de ces révélations frise tellement le vraisemblable, le possible, qu'elles méritent d'être consignées ici.
Peu de ceux qui me liront pourront probablement constater si la devineresse a vu juste, d'autres verront probablement se réaliser une partie des transformations dont elle fait mention, et enfin ceux qui s'occupent plus particulièrement des affaires municipales de notre cité, diront si réellement les prévisions de la sibylle sont exécutables et désirées. Je lui laisse la parole : « La gare de Nîmes deviendra bientôt insuffisante, mais ne sera pas changée ; cependant au moyen d'un trottoir roulant les voyageurs seront transportés sur les quais d'embarquement. La ligne sera dégagée par une voie supplémentaire qui partant de St-Cézaire ira directement à Grézan (station) en traversant la plaine à la hauteur du bureau d'octroi actuel de la route d'Arles. Une nouvelle ligne de dégagement partira de St-Cézaire pour aller au Mas de Ponge, afin de soulager la ligne de Nîmes à Alais. Le chemin de fer sera aussi prolongé jusqu'au Grau-du-Roi. Des trains légers, conduiront les nîmois à la mer en une heure, au moyen de trains légers, à des prix exceptionnels de bon marché. Le Grau deviendra alors la station la plus à la mode du littoral méditerranéen.
« Le hameau de St-Cézaire sera englobé dans la ville de Nîmes. La route de Montpellier, du pont oblique à St-Cézaire, sera bordée de jolis immeubles de coquettes villas et d'usines. Sur le côteau voisin s'élèvera le nouvel hôpital, très aéré, très confortable, sorte de sanatorium. Les tramways électriques prolongeront leur ligne jusqu'à Milhaud. Le clocher de l'église de St-Cézaire sera surmonté d'une vierge dorée.
D'importants travaux seront entrepris bientôt aux arènes. Un architecte aura à cœur de terminer les travaux arrêtés en 1870, en rétablissant l'attique tel qu'il devait être, en face le Palais et la maison d'arrêt, en poursuivant l'œuvre si belle de M. Révoil par la reconstruction de nombreux escaliers, gradins et voûtes. Chaque année de belles représentations lyriques seront données dans les Arènes : Les Troyens de Berlioz ; Les Martyrs de Gounod Les Barbares de St-Saëns ; Quo Vadis ! etc.
« L'entrée du chemin d'Uzès jusqu'à la montée du Mont-Duplan sera élargie. Dans les terrains environnant on remarquera une vaste annexe des casernes ; rendant utilisable pour la troupe les nombreuses pièces occupées actuellement par les approvisionnements en vêtements et armes, en cas de mobilisation.
« Le cimetière St-Baudile aura été agrandi ; deux monuments funéraires, très artistiques, attireront particulièrement l'attention des visiteurs.
« La place des Carmes sera dotée d'une magnifique statue de Montcalm, dû au ciseau d'un artiste en renom.
« Le marché St-Charles sera doublé. Une partie sera couverte, l'autre non. Sur la partie non couverte s'élèvera une fontaine Monumentale.
« Le bosquet de l'Esplanade sera transformé en un gentil square avec bassin en forme de ruisseau et doté de gazons frais. Le buste de Soleillet sera transporté sur la place formée par l'avenue Carnot et la rue Notre-Dame, mais son piedestal, modifié, consistera en une colonne de trois mètres de hauteur.
« La promenade de la Fontaine sera singulièrement embellie. On rencontrera au gros cèdre, le buste de Louis Roumieux, le chantre de ce jardin et de la Tourmagne, celui de Bigot qui sera placé dans le bosquet situé entre le pont de Vierne et la grille du concierge , un taureau en marbre par un statuaire de talent de notre ville. Le Temple de Diane sera isolé et le Mont-Haussez sera agrandi par l'achat de plusieurs mazets du côté de l'ouest, c'est-à-dire fice à la route d'Alais.
« La rue Guizot sera prolongée jusqu'aux Arènes, à la suite d'une entente entre la ville et une puissante compagnie immobilière. Sur la place actuelle du marché, en bordure sur cette rue sera érigée la statue de Guizot, don de l'Académie française, de l'Académie de Nîmes et des descendants du célèbre ministre et historien de la ville de Nîmes.
« Une voie mettra en communication directement le boulevard Gambetta avec la rue de la Trésorerie ; ce sera la rue des Halles prolongée. La rue du Général-Perrier sera percée jusqu'à la place du Château. L'arc Dugras sera supprimé, la rue Saint-Castor sera élargie à son entrée du côté de la place aux Herbes et à la hauteur de la rue de l'Arc-Dugras actuelle. Les deux maisons adossées à la Cathédrale seront démolies ; leur emplacement sera transformé en petit square, avec grille, au milieu duquel sera placé le buste de Gaston Boissier.
« Le Grand hôtel de Nîmes s'élèvera dans la rue Guizot prolongée et ne le cèdera en rien en confortable aux grands hôtels de Suisse ou des Pyrénées,
« La place Questel sera prolongée jusqu'à la rue Mareschal. La Bourse de Nîmes s'élèvera dans la partie de cette place faisant l'angle avec la rue Godin et s'étendra jusqu'à la rue Émile Jamais.
« Un riche Mécène dotera l'Académie de Nîmes d'un hôtel digne d'elle et de sa belle bibliothèque.
« A la suite de fouilles judicieuses, on retrouvera le véritable tombeau de Saint Baudile et le trésor de l'insigne basilique qui s'élevait au bas de la Croix-de-Fer.
« Le Gardon sera relié à Nîmes par une route à travers le champ de tir d'artillerie, laquelle route ira aboutir à Charlot et de là à Russan.
« Les garrigues de Nîmes seront traversées par le grand canal d'irrigation du Rhône qui viendra porter la richesse dans les campagnes et contribuera à relever l'industrie nîmoise par la création de nombreuses usines, venues de la région lyonnaise. D'un autre côté, les garrigues arides des cantons de Saint-Mamert, de Sommières, Saint-Chaptes, etc., seront reboisées en pins, chênes-truffiers, chênes-verts et chênes-lièges farinant autour de la ville un abri, et un rideau de saine verdure.
« La porte de la Cathédrale Notre-Dame et Saint-Castor, sera rétablie telle qu'elle existait avant l'acte de vandalisme qui nous a valu la porte actuelle.
« L'église Saint-Luc sera achevée ; son clocher dominera la ville et sera surmonté d'une vierge monumentale.
« L'église Saint-François-de-Sales sera reconstruite, grâce au don d'une personne généreuse. Un gracieux clocher, muni d'un carillon qui jouira le Noël d'Adam, Frère Jacques et les cantiques les plus populaires, s'él6vera au milieu du quartier populeux du chemin de Montpellier.
« Une nouvelle paroisse comprendra une partie du chemin d'Avignon, à partir de la rue Sully et s'étendra jusqu'à la station de Grézan. L'église paroissiale sera construite dans les terrains vacants situés entre le lavoir du chemin d'Avignon et la grande rotonde de la Cie P.-L.-M.
« La Compagnie des chemins de fer possédera sur le serre Paradis, un grand bassin d'approvisionnement d'eau. Les gares de la Compagnie, grande et petite vitesse, seront éclairée à la lumière électrique. La Compagnie pourvoiera, elle-même à son éclairage par ses propres machines.
« Une statue de Fléchier décorera la place du Chapitre.
Sur les collines de Montaury et de Pissevin, une intelligente Compagnie financière aura édifié un sanatorium modèle, car le climat de Nîmes est un des plus sains et des plus doux d'Europe, de l'avis même de l'Académie de Bruxelles.
Les boulevards seront débarrassés des quelques bicoques qui les déshonorent encore; de jolis immeubles modernes à trois et quatre étages viendront, leur donner un aspect de grande ville. Sur le boulevard de la République, devenu la promenade â la mode,. s'élèveront des hôtels particuliers et des villas magnifiques.
« Des bustes en l'honneur de Poise, et de Chabaud-Latour figureront dans notre musée.
« La tour de l'église Saint-Charles sera surmontée d'une vierge tenant l'enfant Jésus dans ses bras.
« Un funiculaire transportera les promeneurs au pied de la Tour Magne. Une route carrossable reliera la Fontaine au Mont-Duplan.
« Le serre du Diable, qui domine la route de Sauve, planté en pins parasols ou pignons, formera un paysage charmant de ce côté de la ville. »
 
Mais voici une révélation autrement curieuse et à coup sûr plus importante que toutes celles guenons venons d'énumérer. La sybille prétend qu'un de nos concitoyens, après avoir fait une fortune colossale en Amérique, reviendra dans sa petite patrie pour venir y jouer le rôle glorieux d'un Mécène,
Ce bon citoyen, ami des arts, épris de Rome et de la Grèce, aurait l'idée de faire construire, au sommet de la colline de Montaury (Mont de l'or ou des taureaux), un vaste palais sur le modèle du Parthénon, qu'il peuplerait de statues en marbre des statuaires les plus en renom de France et de l'étranger et des chefs d'œuvre de peinture de nos artistes contemporains. Il ne se contenterait pas seulement de cette prodigalité ; sa munificence s'exerçait encore de mille façons, en soutenant une multitude d'œuvres charitables, des sociétés de secours mutuels, des orphelinats, des caisses de retraite et d'invalides du travail. Il doterait nos églises de toiles signées par les plus grands noms du monde des arts et ferait placer au temple de Diane un modèle de la belle mosaïque du musée de Naples, tandis qu'une statue de Diane chasseresse viendrait animer les abords de ce lieu si poétique. Grâce à ses soins, les deux piédestaux de la façade de la Maison-Carrée seront pourvus d'un côté de la louve de Rome allaitant Romulus et Rémus, de l'autre du crocodile nemausien attaché à un palmier, ces deux groupes devant être en vieux bronze, tandis que les deux niches vides de la porte d'Auguste renfermeront les statues en pierre de Lens, d'Auguste et de Livie.
Le même homme généreux organisera à Nîmes des chaires d'histoire, de géographie, de littérature française et étrangère, de langue d'oc, d'espagnol, d'italien, d'allemand, d'anglais, de russe et d'arabe.
La possession de toutes ces belles choses dans une cité dont la population atteindra 120.000 âmes en 1950, décidera l'État à créer à Nîmes une seconde école de Rome pour les seconds et troisièmes prix de peinture, d'architecture, de sculpture et de gravure.
Et Nîmes deviendra ainsi une seconde Athènes, une véritable Florence, attirant dans ses murs les étrangers du monde entier- qui y apporteront la richesse et la vie.
Telle est exactement, la prophétie de la « Thèbes nîmoise ». Se réalisera-t-elle Peut-être ? En tous cas le rêve est agréable et tout ce qu'elle prédit pourrait bien ne pas figurer tout entier dans la nomenclature des châteaux en Espagne. Souhaitons-le, sans l'espérer, car pour le moment, Nîmes, affligée d'une municipalité pas trop béotienne, me parait être encore loin des transformations annoncées par madame la prophétesse.

ADOLPHE PIEYRE.

Une autre fiction sur le devenir de Nîmes, publiée en 1894 par Elie Mazel
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