LE THÉATRIDIUM

Découverte d'un petit théâtre romain

au Jardin de la Fontaine

 


Fouilles du Creux-Coumert en 1854                                          Même endroit vers 1940.

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NDLR : Ces fouilles effectuées au Creux-Coumert du jardin de la fontaine par Auguste Pelet sont une première. Au XVIIIe siècle Mareschal dans des travaux de recherches, précédents les aménagements que l'on connait, avait négligé cette partie de la source. À toutes les époques, cet emplacement sera pillé de tous ses vestiges et aucun relevé précis ne sera effectué. Les conclusions données par Auguste Pelet sur l'affectation de cet édifice lors des fouilles de 1854 se sont avérées complètement erronées, mais les détails donnés sur les restes de ce théâtre sont précis et rigoureux, de plus, cette étude a le mérite d'exister, car c'est la seule que nous avons.
Quelques années plus tard, Auguste Pelet a rédigé une notice sur ce petit théâtre à l'occasion de la réalisation d'une maquette en liège de ce monument. Il est donné en dernière partie de ce texte. Cet écrit sera édité en 1876, soit dix ans après sa mort.
Au siècle suivant, de fin 1943 à début 44, des fouilles seront entreprises dans ce secteur et les restes du petit Théâtre seront de nouveau mis à jour. À cette occasion une petite publication sera insérée dans la revue des Musées de la ville. Vous en trouverez la copie intégrale en première partie.

 

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L’ANCIEN PETIT THEATRE ROMAIN

DU JARDIN DE LA FONTAINE DE NIMES

extrait du Vieux Nîmes, n°20 avril 1945 pages 14 et 15,

par le Conservateur des Musées de Nîmes, H. B.

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Fin 1943 et début 1944, sur l'initiative de M. Chauvel, architecte en chef des Monuments Historiques, des sondages ont été fait à la Fontaine pour retrouver les, vestiges du petit théâtre romain ayant existé jadis à l'emplacement actuel de la pelouse créée voici quelques cinquante ans, à l'Est de la première terrasse, à côté de l'affreuse rocaille qui fait si vilaine tâche dans l'harmonieuse ordonnance de notre promenade.

Ce petit théâtre, très endommagé au moment de l'inopportune création précitée, a toujours été méconnu. Il a été complètement laissé en dehors des plans de Mareschal qui, en temps utile, aurait pu le sauver et le remettre en bon état de présentation. Mais à cette époque, par suite du voisinage d'une canalisation, qui n'avait aucun rapport avec lui, ce monument l'ut considéré comme une piscine. Par analogie avec les escaliers en courbe établis au bord de la source, les gradins encore visible, au nombre de 9, eurent la même attribution; simples marches de descente vers la surface des eaux, et, parfois, sièges de repos, entre deux plongeons,, pour les baigneurs supposés de la piscine. Cette croyance à la piscine persista jusqu'au milieu du XIX° siècle. Le Dr Teissier-Rolland dans une de ses nombreuses études sur la restauration et réutilisation de l'aqueduc du Pont du Gard, publiée en 1842, voyait encore dans les vestiges du théâtre un des réservoirs indiqué par Ménard dans ses commentaires sur la conduite présumée des eaux de la Fontaine d'Eure jusqu'à proximité de notre source.

Auguste Pelet, lui-même, au début de ses patients travaux sur nos monuments, croyait aussi à l'existence de la piscine. Dans les premiers, catalogues de ses monuments en liège il donne à celui-ci la dénomination de Baptisterium.

C'est en 1851, seulement, dans une brochure sur le site de la Fontaine intitulée « Confidence du dieu Nemausus » que le Dr Teissier-Rolland émit l'hypothèse du théâtre et la soutint avec de judicieux arguments, basés sur une étude très attentive et des comparaisons avec divers autres édifices antiques. Auguste Pelet, par la suite, adopta en partie les conclusions de son collègue de l'Académie, mais sans être catégorique, et laissant dans ses commentaires sur l'édifice, place aux deux possibilités d'usage. Il eut le grand mérite de faire une maquette très précise, sans se laisser entraîner a aucune restauration. C'est grâce à ce précieux travail que survit encore l'exacte figure de l'intéressante ruine. Sans elle et sans le dessin du Dr Teissier-RolIand, figurant dans le 4e volume de son ouvrage sur les eaux de Nimes, nous ne posséderions rien pour matérialiser les descriptions de l'édifice, assez contradictoires suivant l'époque de leurs rédactions.

Nous avons déjà indiqué que Mareschal avait complètement dédaigné le petit théâtre dans son plan d'aménagement des vestiges antiques. Laissé à l'abandon il fut petit à petit dépouillé de tous les restes de riches décorations que l'on avait pu voir gisant dans le bassin supposé, lors de sa première mise à jour et dont rien n'a été conservé, à moins que diverses pièces ornementales puissent s'y rapporter parmi les nombreux documents sans indications d'origine conservés au Musée Lapidaire.

La descente des, terres, à la suite de chaque orage, combla assez rapidement les sondages de Mareschal et tout disparut. Clérisseau dans son bel ouvrage du XVIIIe siècle ne consacre aucune place à cette ruine qu'il n'a pu voir. C'est en 1854 seulement que, sur les désirs d'Auguste Pelet, une partie des crédits votés pour des chantiers de chômage furent affectés à des recherches nouvelles. Le théâtre fut rapidement retrouvé et dégagé dans ses principales parties, tel que le montre la maquette de Pelet. On pouvait espérer revoir aussi une partie de ses, dépendances du côté de l'Ouest, mais les travaux entrepris n'avaient pas la faveur du public. Il y avait sur ce point de la promenade un site assez agreste, alors connu sous le nom de « Creux Coumert » et l'on estimait que la destruction des végétations qu'entraînent les fouilles en sous sol étaient plus désagréables que ce que pouvaient avoir d'intérêt quelques nouvelles pierres mises à Jour. Les fouilles furent interrompues avant résultat complet. Il s'ensuivait un nouvel abandon du théâtre; quelques restes, architecturaux, trouvés dans le voisinage, eurent le même sort que ceux dispersés au XVIII° siècle. Les broussailles reprirent possession du sol et lorsque, vers 1890, naquirent les projets d'aménagement de cette partie, alors inculte, du Mont d'Hausser les ruines du théâtre n'apparaissaient plus que très partiellement. Elles réapparurent à peu près complètement durant quelques jours, au cours des travaux, mais pour disparaître définitivement cette fois; les pierres, recouvrant les gradins utilisées dans la structure de l'affreuse rocaille ou les soubassements de la nouvelle terrasse, et le squelette du théâtre enseveli sous la pelouse.

A plusieurs, reprises, voici quelques années, le Commandant. Espérandieu avait eu velléité d'employer une partie de ses crédits archéologiques à des sondages pour rétudier la ruine disparue. Nous ne l'encourageâmes guère dans la réalisation de ce projet. Nos souvenirs de jeunesse nous permettaient de supposer qu'il ne demeurait pas grand chose du joli monument méconnu. Ainsi que nous venons de le dire, nous avions vu, certain jour, le remploi des pierres antiques dans les substructions des nouveaux aménagements du jardin.

Nous ne fûmes pas plus enthousiaste lorsque, récemment, M. Chauvel entreprit les recherches qui viennent d'avoir lieu. Toutefois nous nous gardâmes de présenter la moindre objection; il aurait été trop maladroit de décourager un haut fonctionnaire de l'administration des Beaux-Arts daignant s'occuper, en dehors de ses grands monuments classés, des vestiges archéologiques de notre ville. D'autre part, la recherche entreprise pouvait avoir tout au moins l'avantage de fixer, par la correspondance avec un tracé extérieur, l'emplacement précis du monument. C'est ce qui a été fait. Cet emplacement, aisément rencontré, grâce à la maquette de Pelet, ne donna que la mélancolique vue de ce qui n'avait pu être enlevé; quelques entailles de la roche marquant la place des degrés inférieurs.

Cette constatation, confirmant malheureusement notre pessimisme, ne pouvait inciter l'architecte des monuments historiques à pousser plus loin la recherche des ruines saccagées. Une levée de plan fût minutieusement effectuée et la place jadis occupée par le théâtre marquée sur la pelouse lui servant de tombe verdoyante.

Cette précision ne sera pas sans intérêt si, plus tard d'autres rencontres de vestiges antiques permettent d'avoir une plus sure évocation de ce que fut l'ensemble des monuments ayant entouré la Source Sacrée.

 

Extrait du Vieux Nîmes, avril 1945, page 14-15, H.B.
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Découverte d'un petit théâtre romain

au Jardin de la Fontaine

titre original "Nouvelles fouilles exécutées en 1854" -

Extrait des Mémoires de l'Académie, 1854-1855, pages 236-252, par M. A. Pelet (1785-1865)

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Les fouilles du petit Théâtre en 1854 - Collection Gérard Taillefer.

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Que notre insistance auprès de l'autorité municipale eût contribué â rendre à l'archéologie un édifice dont l'historien de Nîmes avait à peine indiqué la place et la destination ; que ce monument soit un théâtre (1), un exèdre (2), une palestre (3), un odéon (4), une école publique ou bien une naumachie, comme seraient disposés à le croire les savants de la capitale, peu nous importe ! la couronne monumentale de notre antique cité s'est enrichie d'un fleuron de plus, c'est là une vérité que personne ne contestera !

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(1) Comme ceux que l'on voit à Orange et à Arles.

(2) Les Exèdres étaient de petites académies entourées d'un theatridium, c'est-à-dire, des gradins disposés comme ceux des théâtres sur lesquels on venait écouter les discussions des gens de lettres, des philosophes, des théoriciens qui se réunissaient dans ces lieux ; les Exèdres étaient richement décorés et pavés ; à ce double point de vue, notre theatridium aurait pu servir à cet usage.

(3) La .Palestre était un lieu d'exercice où les anciens, devant un public assis sur le theatridium, s'exerçaient à la gymnastique médicinale et athlétique , à la lutte, au palet, au disque, au jeu de dard et autres jeux analogues. Mais le terrain destiné à cet usage était couvert de sable et de boue pour empêcher que les athlètes ne se meurtrissent en se renversant par terre, ce qui exclut l'idée que notre theatridium pouvait avoir appartenu à une Palestre.

(4) L'Odéon était un petit filaire en tout semblable au grand, il avait son proscenium, sa scène, ses cinq portes ; il devait être situé à la gauche du théâtre tragique et couvert, tel enfin que celui que l'on voit aujourd'hui à Pompéi. C'est là que l'on faisait les répétitions (Vit, lib. v , cap. 9). Odeon erat locus in theatri speciem, in quo de more poemata ostendebantur, antequam in theatro publicarentur.

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La reprise des fouilles se chargera, il faut bien l'espérer, de résoudre, tôt ou tard, le problème ; quelle que soit cette solution, nous n'aurons pas même la satisfaction de pouvoir dire : je l'avais deviné ! car, si nous adoptons de préférence l'opinion de l'historien nîmois, c'est que, plus rapproché d'un siècle du moment où ces vieux restes furent couverts, il a pu, mieux que nous , en connaître la destination.

L'importance de Nîmes, sous les Romains, ne peut laisser aucun doute sur l'existence d'un théâtre dans cette antique métropole ; occupait-il l'emplacement où se trouve aujourd'hui le Palais-de-Justice, comme nous le supposons ? C'est fort incertain, mais rien ne nous démontre jusqu'à présent, que nous ayons enfin mis la main sur un de ces monuments d'origine grecque, dont la ville d'Arles et surtout d'Orange conservent de si beaux restes.

Dans cette incertitude, nous nous bornerons à faire connaître le résultat de nos découvertes nouvelles , avec cette arrière-pensée, toutefois, que le vieux blénard pourrait bien avoir eu raison de donner le nom de piscines au monument dont nous exhumons aujourd'hui le theatridium.

Il y avait chez les Romains plusieurs genres de piscines ; on aurait tort de supposer qu'il s'agit ici de ces viviers pour la construction desquels les riches citoyens de Rome, que Cicéron appelle par ironie Piscinarii, dépensaient des sommes immenses, dans le seul but d'entretenir et de conserver des poissons (1).

Ce n'était pas là non plus une de ces piscines ou grands réservoirs d'eau couverts de voûtes, dans le genre de celle dont Pison fut l'auteur, où les flottes romaines stationnant au port de Cume, venaient s'approvisionner d'eau douce.

Mais la piscine dont notre theatridium faisait partie était comme celle dont parle Festus (2), piscina publica, grand réservoir d'eau froide clans lequel bon nombre de personnes pouvaient se baigner à la fois (3) et même nager ; c'est là que les parents eux-mêmes venaient exercer leurs enfants à cet art qui faisait partie de l'éducation romaine. Si l'on voulait simplement se baigner, on s'asseyait sur l'un des trois gradins inférieurs, les seuls qui fussent submergés, tandis que les gradins supérieurs, dont aucun n'existe aujourd'hui, étaient destinés à servir de siège aux personnes qui s'amusaient à voir les exercices de natation.

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(1) (*) Ædificantur magno, magna implentur, aluntur rnagno (Varron).

Lucullus fit, pour la construction d'une de ces piscines, une dépense qui lui mérita le surnom de Xerxes togatus : Lucullus exciso monte juxta Neapolin ; majore impendio quam villant œdificaverat, Euripum et Maria admisit quâ causa, Magnus Pompeius Xerxem togatum appellabat (lib. 9).

(2) (*) Piscina publica hodièque nomen manet, ipso non extat, ad quam et natatum exercitationes alioqui causâ veniabat populus.

(3) (*) Les mœurs des Grecs et des Romains permettaient l'usage des bains en commun ; la séparation dans los bains ne fut ordonnée que sous Hadrien. Cet usage s'explique, dit Matois (page 72), par la simplicité des mœurs des premiers temps, tris-reculés ; nous avons un exemple d'un autre pays qui prouve que ces mœurs y restaient pures jusques aux temps modernes. Un envoyé du Pape, qui venait d'assister è un concile où les discussions avaient été tant soit peu vives, passa par Baden-Bade pour calmer ses émotions dans les eaux célèbres de ces bains ; voici la description qu'il en fit au XVe siècle à l'un de ses amis d'outre-monts.

« Quelle fut ma surprise de voir descendre dans le même bain avec les hommes, les femmes et les jeunes filles, complètement déshabillés les uns et les autres, ne cachant absolument rien à la vue de tout le monde. Cela me rappelle les fêtes florales des anciens. Mais ce que j'y admire le plus, c'est cette simplicité de mœurs ; personne n'y fait attention, personne n'en dit et n'en pense du mal ; l'indécence n'y est même pas soupçonnée ; on s'amuse, on est au milieu de l'eau et l'on y passe son temps à des jeux innocents. Là, il ne s'agit pas du partage des biens de ce monde, mais de la jouissance paisible de ce qui est partagé : Oh que je leur envie ce calme, ce bonheur 1 nous qui, jamais rassasiés, ne cherchions qu'a acquérir, qu'à amasser trésor sur trésor, et qui, en crainte des biens de l'avenir, passons en craintes et peines le présent. »

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NDLR (*) Beaucoup de citations et références sur les coutumes romaines qui n'ont rien à voir avec les fouilles du site du Creux-Coumert. Auguste Pelet a développé une théorie sur l'usage du petit théâtre de la fontaine qui par la suite s'est avérée fausse, il n'y avait pas de bains, seulement un théâtre.

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Si nous trouvons un peu trop vulgaire l'expression de piscine appliquée à notre découverte, pourquoi ne lui donnerions-nous pas le nom plus poétique de baptisterium dont les néologues romains firent usage, après là conquête de la Grèce, pour désigner ces grands réservoirs d'eau froide dans lesquels les anciens se baignaient et nageaient au besoin (1).

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(1) Piscina forinsecùs, sen Grœcci mavis, baptisterium (Sidoine, ép. 1, liv. 1). Pline le jeune avait une de ces piscines dans sa maison de campagne , ép. 1 , liv 11. 17.

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Au surplus, voici, sans commentaires, quel a été, sur ce point, le résultat des fouilles de 1854.

Taillé dans le rocher qui formait ; à l'est, l'enceinte des thermes romains, exposé à toute l'ardeur de notre soleil couchant (1), on a découvert un édifice de forme demi-circulaire s'élevant en theatridium jusqu'à la hauteur de 5 mètres du sol antique (2) ; les gradins exhumés sont, jusqu'à présent, au nombre de neuf, et l'on juge par la disposition du rocher qu'il ne devait y en avoir guère plus ; les trois premiers et le mur de l'enceinte existent seuls en grande partie , on compte les six autres par le roc taillé en gradins qui servaient d'appui à ceux qu'on a enlevés. La hauteur des gradins qui restent est de 34 centimètres, et, comme chacun d'eux devait servir en même temps de siège et de marchepied, ils avaient tous une largeur égale de 74 centimètres. Toutefois, le gradin le plus bas, au-dessous duquel personne ne devait s'asseoir, n'avait pour marchepied qu'un espace de 25 centimètres qui formait le commencement du mur intérieur de l'enceinte, dont la hauteur est de 65 centimètres et la courbe de 12 mètres de rayon.

Nous devons faire remarquer ici qu'il y a une grande différence dans la hauteur des gradins des théâtres et amphithéâtres que nous connaissons, et celle des sièges de notre baptisterium ; les premiers ont de 45 à 51 centimètres d'élévation, tandis que ces derniers, comme nous venons de le voir, n'ont que 34 centimètres.

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(1) C'est encore aujourd'hui, à Nîmes, la petite provence des bonnes d'enfants et le refuge des cagnards pendant l'hiver.

(2) Ce sol extérieur est déterminé par un pavé mosaïque qu'on détruit tous les jours et qui n'existera bientôt plus que par le dessin que nous en avons pris, il y a prés d'un demi-siècle.

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Disons, en passant, que cette hauteur est rigoureusement la même que celle des quatre gradins dont se composent les deux hémicycles antiques qu'on voit dans le bassin de notre source, et qu'il pourrait bien se faire que cette conformité ne tînt qu'à l'analogie de leur destination (1).

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(1) L'architecte romain ne précise pas la hauteur des gradins dans les théâtres ou les amphithéâtres ; il dit seulement que ceux des ces gradins sur lesquels on mettait quelque chose pour s'asseoir : gradus spectaculorum ubi subsellia componuntur, ceux-la devaient avoir, an moins, un pied. un palme, et au plus un pied six doigts, ce qui correspond à 15 de nos anciens pouces , soit 40 centimètres, dimension exacte des gradins du théâtre d'Arles à la première précinction ( Vitruve , ch. v).

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Selon toute apparence, le theatridium que nous découvrons était, à l'instar des théâtres anciens , divisé en quatre cunei par cinq petits escaliers (itinerœ) tracés dans la direction des rayons, et formés par le gradin lui-même taillé en deux marches sur sa hauteur. Cette disposition avait pour but de faciliter la circulation sur les gradins. Sur les trois qui restent, on voit encore un de ces itinerœ ; il a 90 centimètres de large ; on reconnaît aussi celui qui était établi sur l'angle nord de l'hémicycle par une entaille de la même largeur, creusée sur le marchepied du premier gradin à une profondeur de 5 centimètres. Comme ces petits escaliers n'arrivent, dans ce monument , que jusqu'au marchepied , ces entailles diminuaient la hauteur du mur d'enceinte et facilitaient les nageurs novices qui voulaient descendre au fond du baptisterium.

Dans l'intervalle qui sépare ces deux itinerœ, à la hauteur du quatrième gradin, niveau auquel pouvaient facilement arriver les eaux de la Fontaine d'Eure, le rocher se trouve tranché sur une largeur de plus d'un mètre. Cette circonstance peut faire supposer que l'aqueduc romain qui amenait cette source à Nîmes, aqueduc que nous avons vu, il y a quarante ans, à quelques mètres de là, dans cette direction (1), pouvait avoir, dans cette tranchée, un tuyau de communication avec notre piscine ; c'est là un fait que nos neveux sont appelés à vérifier ; ainsi se trouverait confirmé ce que disait l'historien de Nîmes en parlant de nos découvertes nouvelles dont il connaissait l'existence, il y a déjà plus d'un siècle :

« En creusant dans cette partie, dit Ménard (2), on découvrit les débris de deux bassins, l'un supérieur revêtu de grandes pierres de taille (c'est celui dont nous parlons ) ; l'autre inférieur taillé dans le roc (le creux Coumert) ; à la suite du premier était une auge et une martellière ou écluse qui servait à faire passer les eaux dans le second. Ces réservoirs, au reste , ajoute l'historien, n'avaient rien de commun avec les eaux de la Fontaine ; celles qui les remplissaient dérivaient uniquement du grand aqueduc du Pont du Gard » (3).

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(1) A cette époque, M. Benjamin Valz , directeur de l'Observatoire de Marseille, et moi, fûmes appelés par M. Beaucourt , propriétaire du local contigu (aujourd'hui à M. Féminier), pour voir l'aqueduc romain dans lequel se trouvait planté un olivier qu'il arrachait.

(2) Ménard, Histoire de Nimes, volume VII, page 69.

(3) On a découvert à Néris, dans un pré, à proximité de la route allant de Montluçon à Clermont, une grande piscine, de construction romaine, formant un peu plus que la demi-circonférence d'un cercle, avec gradins, ayant à droite et à gauche deux antres piscines rectangulaires avec lesquelles elles communiquaient par de grandes baies.

Le sol, formé par une couche de béton fort épaisse, était recouvert, ainsi que les gradins, de plaques de marbre dont il reste de nombreux fragments, etc.

( Bulletin Monumental de 1855, 3e série, tome 1er ou XXIe volume de la collection, page 55.)

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Nos fouilles nous donnent, en effet, les deux bassins tels que les décrit Ménard ; à la suite du premier, sur la prolongation du diamètre de l'hémicycle, on trouve le canal de communication, l'auge et l'emplacement de la martellière.

Ce canal, dans la direction du nord, a 21 mètres de longueur ; sa largeur, en sortant du bassin circulaire, est de 2m34, mais à 4m60 de ce point, cette largeur se réduit de 20 centimètres de chaque côté par un avancement rectangulaire de ses murs latéraux ; c'était peut-être là l'emplacement de la vanne à laquelle ces deux angles servaient de butée. Il n'existe maintenant de ce canal qu'une partie du radier et la première assise de ses murs, qui s'élevaient jusqu'au niveau du neuvième gradin, si l'on en juge par une entaille horizontale taillée dans le rocher pour recevoir les dalles dont ils étaient couronnés.

A 7 mètres au nord de l'endroit où nous supposons la vanne, on a trouvé l'auge indiquée par Ménard, incrustée dans le sol (1), elle a 1m90 de long ; elle est percée de deux trous débouchant dans un canal dont la pente, extrêmement rapide, se dirige vers les bains ; ce canal, par sa disposition, servait d'écoulement aux deux piscines.

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(1) Les ouvriers qui travaillaient aux fouilles l'ont maladroitement arrachée de la place où elle était fixée dans l'épaisseur du mur.

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C'est là probablement qu'était placé le gros tuyau de plomb qu'on trouva, dans cette direction, lors de l'établissement du bélier hydraulique (1). On peut, en quelque sorte, suivre encore sa marche ; il passait sur la digue qui retient l'eau dans le bassin de la source, et qu'à cet effet on avait creusée en forme d'auge ; il se dirigeait vers le Nymphée dans ce canal qu'on voit établi sur son axe ; puis, à 3 mètres avant d'atteindre l'entrée de ce Temple, il se bifurquait en forme d'Y pour alimenter des cascades dans les deux grandes niches placées à côté de cette entrée.

Ici nous devons dire, avec franchise, que c'est à tort que nous avions supposé jusqu'à présent que la galerie voûtée qui vient, du côté du nord, s'amortir contre le mur du Nymphée n'était qu'une continuation de l'aqueduc romain venant de la Fontaine d'Eure ; les fouilles des dernières années ont démontré que cette galerie faisait partie de l'édifice nouvellement découvert autour de ce monument.

« L'emplacement qu'occupaient ces bassins, ajoute l'historien de Nîmes (2), quoique d'une étendue très             bornée et très resserrée, ne laissait pas d'être orné de beaux édifices qui ne le cédaient peut-être pas à ceux des bains. On a trouvé le bassin inférieur rempli de débris de colonnes, de bases de chapiteaux , de marbres, qui désignaient une grande magnificence.»

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(1) D'après une note écrite sur le plan des fouilles exécutées sur l'emplacement des anciens bains, en 1739, par Dardaillon, alors architecte de la ville, on trouva sur cet emplacement un tuyau en plomb ayant 25 pieds de long, six pouces de diamètre et pesant trente quintaux.

(2) Ménard , volume XII, page 70.

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Nous faisons tous les jours de semblables découvertes sur ce même emplacement, et tout semble indiquer, qu'en effet, la décoration de ces deux bassins était en harmonie avec l'imposant établissement thermal dont les belles ruines nous révèlent l'importance passée.

En donnant quelques légers détails sur nos premières découvertes, nous disions, dans le Courrier du Gard, du 21 février dernier :

« L'état des fouilles ne nous permet pas d'en dire davantage ; comment se fait-il qu'un travail aussi intéressant ait été interrompu ? » Peut-on faire un emploi plus utile des deniers municipaux ? Je ne doute point que la sollicitude de l'administration éveillée ne s'empresse de mettre la main à l'œuvre ! »

Jusqu'à présent notre espoir ne s'est point réalisé, l'administration a fait sourde-oreille, de sorte qu'en émettant aujourd'hui une opinion sur ces fouilles seulement commencées, on aura quelque droit à la qualifier de prématurée ; nous en acceptons d'avance toutes les conséquences , disant avec Cicéron : Ut humanus et sencx possum falli.

Ce n'était qu'après avoir satisfait aux besoins de la cité par la distribution qu'on en faisait au Castellum dividiculum que l'excédant des eaux de la Fontaine d'Eure était amené dans les thermes à une hauteur encore suffisante pour qu'en alimentant des piscines disposées comme celles que nous venons de décrire, il fût aussi possible d'en faire écouler l'eau, ce que ne permettait pas le niveau de la source de Nemausus.

Ici, au contraire, après avoir été utilisées pour les bains, elles pouvaient servir encore à former des cascades, des jets d'eau, des lacs, etc., décorations en harmonie avec le luxe d'un établissement thermal sous les Empereurs romains ; établissements, dit Ammien-Marcellin, dont on ne pouvait qu'admirer la grandeur, le nombre et la magnificence. Les cuves étaient, en général, de marbre fin, de granit oriental ou de porphyre, quoique d'une grandeur extraordinaire, comme on peut en juger par celles que l'on a trouvées dans les ruines de ces édifices (1). Outre ces cuves si larges, on y AVAIT ENCORE MÉNAGÉ DE VASTES.BASSINS PLEINS D'EAU POUR CEUX QUI VOULAIENT S'EXERCER A NAGER, EN SORTE QU'ON N'AVAIT RIEN OUBLIÉ DE CE QUI POUVAIT CONTRIBUER A LA SENSUALITÉ ET A L'AMUSEMENT (2).

Il pourrait bien se faire qu'en amenant dans les thermes de Nîmes les eaux de la Fontaine d'Eure, l'architecte romain n'eût pas eu seulement pour but d'ajouter à la magnificence de ce monument de luxe et de sensualité ; des motifs non moins importants pourraient bien aussi l'avoir guidé dans cette détermination.

D'après l'auteur que nous venons de citer, on réunissait, dans les anciens thermes, toutes les espèces de bains qu'on pouvait se procurer, même ceux d'eau de mer auxquels on attribuait une vertu toute particulière ; on sait de plus que chez les anciens les sources étaient sacrées, qu'on les honorait d'un culte religieux (3), qu'elles étaient le séjour des Nymphes ; n'y avait-il pas déjà dans ces considérations des motifs suffisants pour engager nos pères à réunir à leur belle Fontaine, au sein même de la métropole, une des plus importantes sources de la contrée ?

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(1) La plupart servent aujourd'hui de fontaines à Rome.

(2) Voyez Mongès, art. Thermes.

(3) Sénèque, ép. 41.

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On ne saurait douter aujourd'hui que cette réunion ne se soit opérée. Elle est constatée par un monument découvert, il y a plus d'un siècle, sur l'emplacement même où les Nymphes d'Eure et de Nemausus vinrent se donner la main (1). C'est un autel votif, en pierre de Lens, sur la face principale duquel on voit un personnage ayant la tête couverte d'un pan de sa toge à la manière des sacrificateurs ; de la main droite, il tient une patère avec laquelle il verse des parfums sur un trépied qui lui sert d'autel ; au-dessus de sa tête on lit : AVGVSTI LARIBVS, aux Lares Augustes, et au bas du cippe : CVLTORES VRAE FONTIS, les prêtres de la Fontaine d'Eure (2).

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(1) Topographie de Nimes, page 562.

(2) Cet autel est actuellement au Musée lapidaire de Lyon, sous le n°....... Voici ce que raconte à son égard M. Artaud, ancien conservateur :

« J'étais à Nîmes, le hasard me fit entrer dans un petit jardin dont la porte était ouverte, j'aperçus cet autel, et après une assez longue conversation et un bienveillant accueil du propriétaire, j'en fis l'acquisition en témoignant au vendeur toute ma reconnaissance. Mais quel était ce complaisant et affectueux vendeur ? L'exécuteur des hautes-œuvres, dont j'ignorais le titre. Artaud racontait le plaisir qu'il avait ressenti dans cet entretien, et le pénible sentiment qu'il éprouva ensuite en apprenant les fonctions de son interlocuteur, qu'il considérait comme un amateur très honorable. » ( Musée lapidaire de Lyon, page 352 ; Comarmond. )

Il parait que nous avions été mal renseigné lorsque nous avions dit que cet autel avait été vendu à M Artaud par M. Bouchet , libraire. - Le vendeur était M. Démarez, logé dans la maison appartenant actuellement à M. Pognon, rue des Chassaintes , n°......

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M. l'abbé Greppo, dans ses Études archéologiques des eaux minérales et thermales à l'époque romaine, fait remarquer, à propos de cet autel, que c'est le premier exemple qu'on connaisse d'un collège de prêtres attachés au culte des fontaines.

« M. Comarmond se demande, à cet égard, où résidait ce collège de prêtres ? Etait-ce à la source ou à l'arrivée des eaux à Nemausus ? Il est assez naturel de penser, dit-il, que cette corporation exerçait ses fonctions dans la capitale de la colonie qui était vivifiée par cette belle fontaine. La représentation du prêtre qui sacrifie sur un autel devient encore un témoignage de l'existence des cultores fontis Urœ ou prêtres de la Fontaine d'Eure (1).

Dans l'opinion de notre savant ami, M. Jules Teissier, ce monument aurait été placé sur les bords de notre Fontaine par les cultores de la Fontaine d'Eure, le jour même de l'arrivée de ses eaux à Nimes :

Nymphes de Nemausus ! dit M. Jules Teissier, au moment de l'arrivée des eaux d'Uzès, la reconnaissance publique vous célèbre encore, mais les hommages sont partagés, car les prêtres de la Fontaine d'Eure élèvent un autel nouveau sur lequel ils écrivent la preuve de leur double respect, au moment où les deux sources vont se confondre :

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Nymphis Augustis, cultores Urœ fontis (2).

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(1) Musée lapidaire de Lyon, page 352, Comarmond.

(2) Etudes sur les eaux de Nimes, tome II, 2me partie, page 24, Jules Teissier.

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Le caractère sacré de la Fontaine d'Eure pourrait bien n'être pas le seul motif pour lequel les anciens habitants de Nimes ont jugé convenable d'amener ses eaux dans les thermes de la cité. Deux monuments antiques nous portent à penser qu'à l'époque romaine, cette source pouvait bien être considérée comme minérale et que ses eaux avaient alors quelques vertus conservatrices de la santé, que la tradition ne nous a pas fait connaitre.

L'un de ces monuments fut découvert, il y a plus d'un siècle, dans l'enclos d'Alizon, traversé par l'aqueduc d'Uzès ; c'est un autel assez bien conservé, en pierre de Roquemalière (1) ; on y lit :

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SVLPICIVS• COSMVS. RES

LARIBVS AVG

SACRVM ET

MINERVÆ

NEMAVSO

VRNIÆ

AVICANTO

T. CASSIUS. T. L

FELICIO EXS. (Exsolvit)

VOT.

Sulpicius Cosmos l'a rétabli.

Consacré aux Lares Augustes

et à Minerve

à Nemausus

à Urnia
à Avicantus

Par T. Cassius Felicion, affranchi

de Titus, pour l'accomplissement

d'un vœu.

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(1) Ce monument forme le pied-droit d'une porte dans l'enclos d'Alizon, maison Gervais, a Nimes.

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Les vœux que les anciens exprimaient sur les autels avaient pour objet de se rendre propices les dieux auxquels ils étaient adressés, ou bien , de leur témoigner la 'reconnaissance des bienfaits qu'ils avaient obtenus par leur intercession, nous croyons, avec le savant M. de La Bastie, que c'est dans cette dernière catégorie qu'il faut classer l'inscription ci-dessus ; elle exprimerait la reconnaissance de Félicion envers les dieux protecteurs de la famille, puis à Minerve, non point en sa qualité de déesse de là sagesse, mais à Minerve Hygie ou Medica, en remerciement de la santé qu'il avait recouvrée ; ensuite aux divinités des eaux de Nimes, d'Eure et du Vigan : Nemausus , Urnia, Avicantus (1), dont l'usage avait peut-être provoqué la guérison de celui qui accomplissait ce vœu.

Le second monument dont nous voulons parler est conservé à Uzès, dans la cour du château de M. le Duc ; c'est une inscription trouvée près de la Fontaine d'Eure ; elle mentionne un édicule bâti aux Nymphes (2). Cette construction n'a pas laissé de traces, mais il n'en a pas toujours été ainsi, comme l'a très-bien fait observer M. Jules Teissier ; Grasserus, qui écrivait vers l'an 1600, avait vu les débris de l'édifice mentionné dans l'inscription ; il dit : Aquœ colligebantur prope Uticam, UBI TEMPLI NYMPHARUM VESTIGIA et plura romanorum monumenta vidi : per diversos canales in magnum ilium Gari aquœductum derivatœ Nemausum ducebantur (3).

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(1) Étude des Eaux de Nimes, tome II, 2e partie, pages 73 et 69.

(2) Les sources d'Eure sont multiples ; celles d'Airan et plusieurs autres viennent s'y joindre pour former l'Alzone.

(3) Jacob Grasseri, De Anquitalibus Nemausensibus, page 1606.

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Voici ce que porte l'inscription dont nous parlons :

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..... X. POMPEIVS. COGNOMINE. PANDVS.

QVOIVS. ET. HOC. AB. AVIS. CONTIGIT. ESSE. SOLVM

ÆDICVLAM. HANC. NYMPHIS. POSVIT. QUA. SAEPIVS. VSSVS.

HOC. SVM. FONTE. SENEX. TANBENE. QVAM. IVNIS

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« Moi, Sextus, surnommé Pandus, à qui cette terre est advenue de mes aïeux, j'ai consacré un œdicule aux Nymphes, parce qu'ayant le plus souvent usé de cette source, je m'en trouve dans ma vieillesse aussi bien que dans mes jeunes années. »

Nous ne résistons pas au plaisir de rapporter ici l'interprétation que le surnom de Pandus a suggérée à notre confrère M. Jules Teissier, non-seulement à cause de l'originalité de cette interprétation, mais aussi parce qu'elle vient à l'appui de l'opinion que nous émettons sur les effets médicamentaux des sources d'Eure.

« Il est un mot dans l'inscription, dit M. Jules Teissier, que personne n'a cherché à interpréter et qui me semble important , c'est le surnom de Pandus que Pompeius se donne à lui-même ; que peut-il signifier ?

Ce mot, employé par Ovide et par Quintilien, veut dire courbé, incliné, plié, penché, Pandus homo, d'après Vitruve, c'est un homme voûté.

Je vois tout de suite un vieillard, un homme courbé par l'âge, c'est Pompeius cognominé Pandus : on riait peut-être, mais celui-ci répond sans se déconcerter :

Savez-vous, mes amis, pourquoi l'on m'appelle le courbé, le voûté, pourquoi si vieux je suis bien vigoureux encore, et le fus toute ma vie ? c'est que dans mon patrimoine coule une source salutaire et que j'ai toujours bu de cette eau. - Aussi je déclare que j'ai, par ce motif, élevé un œdicule à ces nymphes..... - N'était-ce pas le meilleur moyen, pour un bossu, que d'en prendre gaîment son parti ! Ne mettait-il pas les rieurs de son côté ! Pandus lui convenait mieux que Gibbus. Le rusé vieillard grava peut-être cette inscription pour faire valoir sa propriété en cas de vente ; les bossus ont toujours eu de l'esprit. Aujourd'hui on ferait une réclame de journal ; le pull romain se gravait sur la pierre ! »

C'est généralement au hasard que l'on doit la découverte des vertus et des bienfaits des sources médicales qui rendent la santé à tant d'individus de tout âge, de tout sexe, et de tous les pays. Qui sait si l'analyse chimique ne nous éclairera pas un jour sur les effets thérapeutiques de cette eau froide et transparente qui contient un sédiment si abondant, tandis que les eaux de la Fontaine de Nîmes ne laissent aucune trace de dépôt. Cette découverte, renouvelée des Romains, grands dénicheurs d'eaux thermales qu'ils dépistaient à trente lieues à la ronde, nous expliquerait les motifs qui ont porté l'architecte à construire dans les thermes de Nemausus une piscine, où le peuple, sans courir à 12 milles de distance, pût jouir des bienfaits de la source d'Eure dont les principes minéralisateurs, si différents de ceux de notre Fontaine, avaient peut-être des vertus hygiéniques dont le temps nous a envié la connaissance.

« Nous sommes loin de vouloir donner pour évident ce qui n'est que probable ; en hasardant une opinion, nous ne faisons que profiter des avantages que nous donne l'historien de Nîmes ; nous restons ainsi à couvert des coups que pourraient nous porter ceux qui ne trouveraient pas, dans notre système, la même certitude, ou plutôt, la même probabilité que nous y trouvons nous-mêmes. »
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BAPTISTERIUM A NIMES

extrait des Monuments lièges d'Auguste Pelet, 1876. Pages 325 à 332.

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Maquette en liège du monument par Pelet - Musée d'archéologie, Nimes

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Que notre insistance auprès de l'autorité municipale ait contribué à rendre à l'archéologie un édifice dont l'historien de Nimes avait à peine indiqué la place et la destination ; que la fouille commencée en 1854 et non encore terminée rende à la science un théâtre, un exèdre, une palestre, un odéon, une école publique ou bien une naumachie, comme seraient disposés à le penser les savants de la capitale, peu nous importe ! La couronne monumentale de notre antique cité s'enrichira d'un fleuron de plus, c'est là une vérité que personne ne contestera !

La reprise des fouilles commencées au levant des anciens bains se chargera, tôt ou tard, de résoudre le problème ; quelle que soit la solution, nous n'aurons pas même la satisfaction de pouvoir dire : je l'avais deviné ! car, si nous adoptons de préférence l'opinion de l'historien nimois, c'est que, plus rapproché d'un siècle du moment où ces restes furent couverts, il a pu, mieux que nous, en apprécier la destination ; nous croyons donc que Ménard pourrait bien avoir eu raison en donnant le nom de piscine au monument dont on n'a encore exhumé qu'une partie du theatridium.

Il y avait chez les Romains plusieurs genres de piscines ; on aurait tort de supposer qu'il s'agit ici de ces viviers pour la construction desquels les riches citoyens de Rome, que Cicéron appelle par ironie Piscinarii, dépensaient des sommes immenses, dans le seul but d'entretenir et, de conserver des poissons.

Ce n'était pas, là non plus une de ces piscines ou grands réservoirs d'eau, couverts de voûtes, dans le genre de celle dont Pison fut l'auteur, où venaient s'approvisionner d'eau les flottes romaines stationnant au port de Cumes.

Mais la piscine dont notre theatridium faisait, partie était, comme celle dont parle Festus (1) piscina publica, grand réservoir d'eau froide dans lequel bon nombre de personnes pouvaient se baigner à la fois et même nager ; c'est là que les parents eux-mêmes venaient exercer leurs enfants à. cet art qui faisait partie de l'éducation romaine. Si l'on voulait. simplement.se baigner, on s'asseyait sur l'un des trois gradins inférieurs, les seuls qui fussent submergés (2), tandis que les gradins supérieurs, dont aucun n'existe aujourd'hui, étaient destinés à servir de siège aux personnes qui s'amusaient à voir les exercices de natation.

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(1) Piscina publica, hodieque nomen manet, ipsa non extat, ad quam et, natatus exercitationis causa vemebat populus.

(2) Selon le niveau nouvellement pris de la fontaine d'Eure qui alimentait ce bassin près duquel nous avons retrouvé, en 1820, une partie du grand aqueduc du Gard.

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Si nous trouvons un. peu trop vulgaire l'expression de piscine appliquée à notre découverte, pourquoi ne lui donnerions-nous pas le nom plus poétique de baptisterium, dont les néologues romains firent usage, après la conquête de la Grèce, pour désigner ces grands réservoirs d'eau froide dans lesquels les anciens se baignaient et nageaient au besoin (1).

Au-surplus, voici, sans commentaires, quel a été, sur ce point, le résultat des fouilles de 1854.

Taillé dans le rocher qui formait à l'est l'enceinte des thermes romains, exposé à toute l'ardeur de notre soleil couchant, on a découvert un édifice de forme demi-circulaire s'élevant en theatridium jusqu'à la hauteur de cinq mètres du sol antique : les gradins exhumés sont, jusqu'à présent, au nombre de neuf et l'on juge, par la disposition du rocher qu'il ne devait y en avoir guère plus : les trois premiers et le mur d'enceinte intérieur existent seuls en grande partie ; on compte les six autres par le rocher taillé en gradins qui servaient d'appui à ceux qu'on a enlevés.

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(1) Piscina, forinsecus seu Grœce mavis, Baptistorium. (Sidoine, p. 1. L. 1.) Pline le jeune avait une de ces piscines dans sa maison de campagne (E. 1. Liv. II, 17.)

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La hauteur des gradins qui restent est de 54 centimètres, et comme chacun d'eux devait servir, en même temps, de siège et de marchepied, ils avaient tous une largeur égale de 74 centimètres. Toutefois, le gradin le plus bas, au-dessous duquel personne ne devait s'asseoir, n'avait pour marchepied qu'un espace de 25 centimètres qui formait le dessus du mur de l'enceinte intérieure, dont la hauteur est de 65 centimètres et la courbe de 12 mètres de rayon.

Nous devons faire remarquer qu'il y a une grande différence dans la hauteur des gradins des théâtres et des amphithéâtres que nous connaissons, et celle des sièges de notre baptisterium ; les premiers ont de 45 à 81 centimètres d'élévation, tandis que ces derniers, comme on vient de le voir, n'ont que 54 centimètres.

Selon toute apparence, ce theatridium était, comme les théâtres, divisé en cunei ; on en distingue quatre indiqués par cinq petits escaliers, itenerœ, tracés dans la direction des rayons, et formés par le gradin lui même, taillé en deux marches sur sa hauteur, cette disposition avait pour but de faciliter la circulation sur les gradins. On voit encore un de ces itenerœ sur les trois derniers; il a 90 centimètres de largeur ; on reconnaît aussi celui qui était établi sur l'angle nord de l'hémicycle par une entaille de la même largeur, creusée sur le marchepied du premier gradin, à une profondeur de cinq centimètres. Comme ces petits escaliers n'arrivent, dans ce moment, que jusqu'au marchepied, ces entailles diminuaient la hauteur du mur d'enceinte et facilitaient les nageurs novices qui voulaient descendre au fond du baptisterium.

Dans l'intervalle qui sépare ces deux itenerœ, à la hauteur du quatrième gradin, niveau auquel pouvaient facilement arriver les eaux de la fontaine d'Eure, le rocher se trouve tranché sur une largeur de plus d'un mètre. Cette circonstance peut faire supposer que l'aqueduc romain qui amenait cette source à Nimes, aqueduc que nous avons vu, il y a un demi-siècle, à quelques mètres de là, dans cette direction, pouvait avoir, dans cette tranchée, un tuyau de communication avec notre piscine ; c'est là un fait que nos neveux sont appelés à vérifier ; ainsi se trouverait confirmé ce que disait, il y a plus d'un siècle, l'historien de Nimes, en parlant de nos découvertes nouvelles dont il connaissait l'existence, mais qu'il n'avait pas vues :

« En creusant dans cette partie dit Ménard (1), on découvrit les débris de deux bassins, l'un supérieur, revêtu de grandes pierres de taille (c'est celui dont nous parlons), l'autre inférieur taillé dans le roc (le creux Coumert); à la suite du premier était une auge et une martillière ou écluse qui servait à faire passer les eaux dans le second.

Ces réservoirs, au reste, ajoute l'historien, n'avaient rien de commun avec les eaux de la fontaine ; celles qui les remplissaient dérivaient uniquement du grand aqueduc du Pont-du-Gard. » (a)

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(1) Histoire de Nimes, volume VII, page 69. (a)

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Nos fouilles nous ont, en effet, donné les deux bassins tels que les décrit Ménard ; à la suite du premier, sur la prolongation du diamètre. de l'hémicycle, on trouve le canal de communication, l'auge et l'emplacement de la martillière.

Ce canal, dans la direction du nord, a 21 mètres de longueur ; sa largeur, en sortant du bassin circulaire, est de 2m34 ; mais à 4m60 de ce point, cette largeur se réduit de 29 centimètres de chaque côté, par un avancement rectangulaire de ses murs latéraux ; c'était peut-être là l'emplacement de la vanne à laquelle ces deux angles servaient de butée. Il n'existe maintenant de ce canal qu'une partie du radier et, la première assise de ses murs, qui s'élevaient jusqu'au niveau du neuvième gradin, si l'on en juge par une entaille horizontale taillée dans le rocher pour recevoir les dalles dont il était couronné.

A 7 mètres au nord de l'endroit où nous supposons la vanne, on a trouvé l'auge indiquée par Menard, incrustée dans le sol ; elle a 1m90 de long ; elle est percée de d'eux trous débouchant dans un un canal dont la pente, extrêmement rapide, se dirige vers les anciens bains ; ce canal, par disposition, servait d'écoulement aux deux piscines.

C'est là probablement qu'était placé le gros tuyau de plomb qu'on trouva dans cette direction lors de l'établissement du bélier hydraulique (1). On peut, en quelque sorte, suivre sa marche encore aujourd'hui ; il passait sur la digue qui retient l'eau dans le bassin de la source qu'à cet effet on avait creusé en forme d'auge: il se dirigeait vers le Nymphée dans un canal établi sur son axe ; puis, à 5 mètres avant d'atteindre l'entrée du Temple, il se bifurquait en forme d'Y pour alimenter des cascades dans les deux grandes niches placées à côté de cette entrée.

« L'emplacement qu'occupaient ces bassins, ajoute l'historien de Nimes (2), quoique d'une étendue très-bornée et très-resserrée, ne laissait pas d'être orné de beaux édifices qui ne le cédaient peut-être pas à ceux des bains.

On a trouvé le bassin inférieur rempli de débris de colonnes, de bases, de chapiteaux, de marbres, qui désignaient une grande magnificence.» (a)

En donnant quelques légers détails sur nos premières découvertes, nous disions dans le Courrier du Gard (3): a L'état des fouilles ne nous permet pas d'en dire davantage ; comment se fait-il qu'un travail aussi intéressant ait été interrompu ? peut-on faire un emploi plus utile des » deniers municipaux ? Je ne doute point que la sollicitude de l'administration éveillée ne s'empresse de mettre la main à l'œuvre Jusqu'à présent notre espoir ne s'est pas réalisé, l'administration a fait sourde oreille, de sorte qu'en émettant aujourd'hui une opinion sur ces fouilles seulement commencées, on aura quelque droit à la qualifier de prématurée ; nous en acceptons d'avance toutes les conséquences, disant avec Cicéron : ut humanus et senex possum falli !

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(1) D'après une note écrite sur le plan des fouilles exécutées sur l'emplacement des anciens bains, en 1739, par Dardaillon, alors architecte de la ville, on trouva, sur cet emplacement, un tuyau en plomb ayant 25 pieds de long, six pouces de diamètre et pesant trente quintaux.

(2) Ménard, volume VII, page 70.

(3) Courrier du Gard, 21 février 1854.

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(a) NDLR : Voici le paragraphe intégral de Ménard dans sa version en vieux français. Dans son texte abrégé, Pelet oublie une partie importante, il s'agissait de vestiges de bassins trouvés au pied des rochers, au niveau de l'actuelle statue d'Auguste Bosc et non pas au niveau des fouilles du petit Théâtre situé une dizaine de mètres plus haut. Niveau compris entre 65 et 70 mètres, donc impossible à alimenter depuis le Castellum, arrivée des eaux du Pont du Gard, lui même situé à la côte 60 :

« Je ne dois pas oublier de parler ici des conferves ou refervoirs d'eaux, placés au levant du baffin de la fontaine fur l'extrémité & au pied du rocher d'où fort cette fource. En creufant dans cette partie qui depuis long-temps formoit un champ cultivé par des particuliers, on découvrit les débris de deux bassins, l'un supérieur revêtu de grandes pierres de taille, l'autre inférieure taillé dans le roc, mais plus grand que le précédent. A la fuite du premier étoit une auge & une martelliere ou éclufe qui fervoient à faire passer les eaux dans le fecond. De-là ces eaux étoient conduites dans un petit aqueduc, marqué 22, de 3 pieds de la large, dont on à trouvé les débris & les veftiges, conftruits derrière la partie orientale, & à 3 toifes de diftances de l'enveloppe ou enciente des bains. Elles alloient fe décharger à l'ouverture des différents aqueducs deftinés pour la distribution de la ville.Ces refervoirs, au refte, n'avoient rien de commun avec les eaux de la fontaine. Celles qui les rempliffoient dérivoient uniquement du grand aqueduc du pont du Gard. Nous verrons en l'article de ce monument, comment & et par quelle fuite de elles étoient portées. L'emplacement quocupoient ces baffins, quoique d'une étendue très-bornée & très-refferrée, ne laiffoit pas d'être orné de beaux édifices qui ne le cédoient peut-être pas à ceux des bains. On a trouvé le baffin inférieur rempli de débris de colomnes, de bafes, & de chapiteaux de marbre, qui désignent une grande magnificence. »

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-oOo-

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Le Creux-Coumert en 1998. De nos jours, le crocodile fleuri a disparu.
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Le Creux-Coumert

Curiosités iconographiques, collection Gérard Taillefer

Les 4 reproductions photographiques qui suivent ont été réalisées lors de campagnes photographiques dans le Midi de la France au milieu du XIXe siècle. Ces reproductions délocalisées comportent très souvent des erreurs de légendes ou bien d'inversion de clichés. Gérard Taillefer, documentaliste du site et collectionneur averti, traque toutes ces curiosités. Cette suite de documents, véritable histoire dans l'histoire, mérite d'être publiée.

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I - Image stéréoscopique du Creux-Coumert avec cliché inversé, prise lors des fouilles de 1854.

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II - Même cliché que le premier, mais avec tentative de colorisation.
Au fond à gauche on aperçoit la plateforme du grand cèdre, planté en 1848.

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III - Même cliché, toujours reproduit inversé, mais mono 4,5 x 6 collé sur carton.
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IV - Cliché pris juste avant le début des fouilles.
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