TALABOT
ET LE CHEMIN DE FER DANS LE GARD
 

 
1832
Histoire de la Ville de Nîmes, par Adolphe Pieyre, 1886.
 - L'établissement de la ligne d'Alais à Beaucaire ne se fit pas sans protestation de la part de quelques-uns. Ce fut Aiguemortes qui éleva la voix, et M. Talabot, un des auteurs du projet, fut, à cet égard, personnellement attaqué; plus tard ce fut la compagnie elle-même qui devint le point de mire de reproches violents. On lui reprochait d'être entre les mains de puissants un simple instrument, alors que ces puissants ne possédaient pas ensemble le tiers des actions de la compagnie et que les principaux et plus forts actionnaires appartenaient au département du Gard et particulièrement a Nîmes. On y remarquait, en effet, MM. Auguste Silhol, Roux-Carbonnel, de Chapel, Th. Gide, Edouard Pelet, d'Hombres, de Montlaur, Tur fils, Mourier, Edouard Michel, Gaston de la Baume, etc., etc.
Aiguesmortes réclamait, comme se croyant lésé dans ses intérêts. Il n'est pas inutile de répéter ici ce que dans une lettre du 7 mai 1832, répondaient aux réclamations de cette ville, les commissaires de la compagnie. L'expérience leur a donné raison, et a prouvé que l'ingénieur qui avait tracé cette voie, une des premières de France, était à coup sûr un homme de haute valeur et un savant économiste. Son nom, du reste, s'est attaché à cette compagnie P. L. M. dont il l'ut, sinon le créateur, du moins un inspirateur avéré.
 
Nîmes, le 7 mai 1832.
 
Après la ligne de la Provence, la deuxième en importance dans les relations commerciales de la ville de Nîmes et du département, c'est celle du Rhône. Or on l'abandonnerait entièrement en se dirigeant sur Aiguesmortes. Beaucaire au contraire, on le sait, est admirablement placé pour en user.
A la vérité, Aiguesmortes a l'avantage pour les communications avec le Sud-ouest de la France; mais d'abord ces relations n'entrent pas pour un dixième dans nos appréciations du tonnage du commerce à venir de notre département ; et puis Beaucaire ne dispose-t-il pas, quoique avec moins d'avantage, de la ligne des canaux du Midi ?
Aussi Beaucaire est le port obligé de nos communications avec la Provence et avec le Rhône, de plus cette ville, dont la position est unique, communique également bien avec la Méditerranée, par le Rhône et le canal d'Arles à Bouc, avec le nord de la France par le Rhône, et sans doute bientôt par le chemin de fer de Paris à Marseille, avec l'Ouest par le canal du Midi. Qu'on ajoute à ces considérations l'importance de la foire de Beaucaire et les ressources qu'offre déjà celte ville au commerce, et il nous semble que personne n'hésitera à conclure comme nous que Beaucaire est le port naturel de Nîmes
Nous savons tous ce que la ville d'Aiguesmortes aurait gagné à devenir le débouché du chemin de fer. Mais qu'elle souffre de l'établissement de ce chemin tel qu'il est projeté, nous n'en croyons rien. C'est se moquer que de prétendre que la situation des salines de Peccaïs en puisse être changée en quelque chose. Le commerce de cabotage y perdra quelques articles, en gagnera davantage, et à tout prendre s'accroîtra certainement, bien loin de diminuer.
Cette question est importante, elle demande à être examinée d'un point de vue un peu plus élevé que celui du profit qu'une localité restreinte en peut tirer. La plupart des actionnaires de cette compagnie, habitants de ce département, ont fait un acte de patriotisme en prenant part à ses travaux . . . .
(Suivent les signatures.)
 
1836
Histoire de la Ville de Nîmes, par Adolphe Pieyre, 1886.
- Le 10 mai 1836, était formée une société en commandite par actions entre M M. Talabot frères (François-Jules, Joseph Léon, Paulin), Louis Veaute, Eugène Abric, Daniel Mourier et autres associés commanditaires, ayant pour objet : l'aménagement et l'exploitation des mines de la Grand-Combe et des concessions houillères d'Abyon, Champclauzon, Affenadou, Trescol, Pluzor, La Tronche, La Levade, Saint-Jean de Valériscle, etc., etc., l'exécution d'un chemin de fer de ces mines à Alais, et celle d'un chemin de fer d'Alais à Beaucaire en deux parties Alais à Nîmes, Nîmes à Beaucaire.
Le capital social était de 14 millions de francs, dont 2 200 actions de 5 000 francs chacune. Le siège de la Société, qui avait une durée de vingt ans, devait être à Nîmes. Il y est encore.
Cet évènement financier d'une haute importance pour l'avenir industriel du Gard et qui intéressait Nîmes en raison des intérêts considérables engagés dans cette entreprise, devait avoir sa place ici, et j'ai cru bon de noter la fondation de cette société qui est une des richesses de notre pays.
 
1837
Histoire de la Ville de Nîmes, par Adolphe Pieyre, 1886.
- Une loi du 27 juin 1833 avait autorisé l'établissement d'un chemin de fer d'Alais à Beaucaire en passant par Nîmes, et nous avons vu que la compagnie Talabot, auteur du projet, était devenue adjudicataire de son exécution. Nous avons également vu que, le 10 mai 1836, cette même compagnie était devenue propriétaire des importantes mines de la Grand-Combe, au sein desquelles elle obtenait le droit de construire un embranchement desservant le centre de l'exploitation. Le chemin d'Alais à Beaucaire, pour une longueur de dix-sept lieues et demie, devait coûter 7 200 000 francs. L'embranchement d'Alais aux mines avait quatre lieues et demie, et la dépense était évaluée à 2000 000, ce qui donne vingt-deux lieues de chemin de fer à exécuter pour 9 200 000 francs, ou bien 318 180 francs par lieue.
Soit que l'entreprise ait paru hasardée, soit que des sinistres récents aient éloigné la confiance publique de ces grandes entreprises, encore mal comprises par la population, il n'en est pas moins vrai que jusqu'en 1836, la compagnie Talabot fit de vains efforts pour réunir le fonds social nécessaire à sa spéculation, malgré le concours du haut commerce de Marseille, si directement intéressé à la réalisation de ce projet.
Dans cette situation, un traité fut passé entre le gouvernement et la compagnie. L'Etat s'engageait à faire un prêt de six millions de francs à la compagnie, à l'intérêt de trois pour cent. En retour, la compagnie outre ses garanties particulières, s'obligeait à céder à l'Etat, jusqu'au complet remboursement de ce prêt, toute la houille qui lui serait nécessaire avec un rabais de vingt pour cent sur le prix de la plus récente adjudication. Comme exemple des avantages que le gouvernement devait retirer de cette clause, je peux citer le prix du charbon anglais rendu à Toulon, pour les besoins de la marine de guerre, jusque-là tributaire des houillères anglaises. Ce prix était, en 1837, de 46 francs la tonne. Le traité passé avec la compagnie Talabot assurait ce service au prix de 33 francs.
Quelque avantageux que ce traité fût pour l'Etat, il ne fut adopté par la Chambre qu'à la faible majorité de cinq voix (150 pour et 145 contre). Il fut même amendé par la Chambre dans un sens plus léonin. L'intérêt du capital prêté fut élevé à 4 pour cent, et la période pendant laquelle la compagnie s'obligeait à céder la houille à la marine royale, au rabais indiqué, fut portée de huit à quatorze ans. L'adoption de ce traité fut pour le pays un grand bienfait puisqu'il permettait enfin de réaliser une entreprise dont les résultats commerciaux étaient incalculables.
En France, on s'occupait vivement de cette question des chemins de fer, de tous côtés des compagnies se formaient en tronçons épars pour exploiter les richesses locales. L'impulsion était donnée et, sur plusieurs points, des lignes étaient concédées ou en construction, formant ainsi l'embryon de cet admirable réseau si intelligemment tracé et de ces compagnies merveilleusement organisées pour le but qu'elles se proposent.
 Pendant que, grâce au concours du gouvernement qui allait faire une affaire lucrative, la compagnie Talabot allait pouvoir mettre la main à l'exécution de ce fameux projet, la ligne de Montpellier à Cette était en cours d'exécution, et, le 8 juin 1837, une société, sous la raison Mallet, Henry, Allier et Compagnie, demandait la concession d'un chemin de fer de Montpellier à Nîmes. Nous aurons à voir plus tard l'exécution de ce projet se réaliser, assurant ainsi les communications entre le Rhône et le canal du Midi.
Ces grands travaux prochains constituaient pour la classe ouvrière un précieux secours et un dérivatif aux préoccupations toujours plus grandes d'une crise intense.
 

 
1839
Histoire de la Ville de Nîmes, par Adolphe Pieyre, 1886.
- Une dépêche télégraphique datée du 8 juillet, à, onze heures et demie du matin, arrivée le 9 juillet au Préfet du Gard, annonçait que le ministre des travaux public, venait d'autoriser la circulation du chemin de fer de Nîmes à Beaucaire.
Le dimanche 14 juillet fut choisi pour la cérémonie de l'inauguration.
La population s'était portée en masse au point de départ, établi non loin du bureau d'octroi de la route d'Uzès. Les curieux, étonnés, assistèrent à une première expérience demi officielle. Les employés de la Compagnie partis pour Beaucaire, revinrent dans la même journée.
Le public était émerveillé de la rapidité de cette marche, à laquelle il était loin d'être habitué. Ce qui n'étonna pas moins fut la sécurité de la marche, après les prédictions de désastres que les esprits timorés ne cessaient de répandre pendant l'exécution des travaux.
Le lendemain lundi 15 juillet, eut lieu la fête officielle. Toutes les autorités, toutes les sommités judiciaires et administratives, parcoururent la distance qui sépare Nîmes de Beaucaire. Le départ eut lieu à quatre heures du soir. Mais la curiosité était tellement excitée que dès midi, toutes les avenues voisines du chemin de fer, toutes les places propices étaient envahies. Le train officiel avait dix-huit voitures. En trente-six minutes le trajet fut accompli. Le retour s'effectua en quarante minutes, et à six heures quarante le train rentrait à Nîmes aux applaudissements d'une foule frénétique et enthousiaste.
La voie était ouverte et cet immense résultat, qui faisait le plus grand honneur à deux ingénieurs de mérite, MM. Talabot et Didion, était obtenu au prix des plus grands sacrifices et après un labeur incessant de plusieurs années.
Il est inutile d'insister sur l'importance d'un tel évènement qui est, à coup sûr, le fait le plus saillant de cette année 1839.
Les stations intermédiaires sur la ligne de Nîmes à Beaucaire avaient été portées au nombre de neuf. C'étaient celles de Courbessac, de Marguerittes près le mas Sorbier, du mas de Beaulieu, de Manduel, de Courboussot (Redessan), du mas Larier, de Bellegarde près du pont des Firminelles, de la Fon du Rey en amont du Viaduc, du mas de Pillet à l'entrée de la tranchée du souterrain.
Ces stations ont été depuis réduites à trois, et celle de Marguerittes, à la suite de la création d'une nouvelle ligne, est devenue station de Grézan.
Il convient d'ajouter qu'il n'y avait encore qu'une seule ligne et que le point de rencontre était le plateau de Campuget, sur lequel avait été installée une voie de garage.
Les voitures alors en usage méritent une mention particulière. On pourra voir les progrès incessants, accomplis par la compagnie, durant la période de quarante-sept ans qui nous sépare de cette époque.
Les voitures de troisième classe étaient couvertes, fermées de l'avant à l'arrière, mais ouvertes sur les côtés. Celles de deuxième et de première classes étaient couvertes et munies de glaces et de stores. Les banquettes de ces voitures de luxe étaient rembourrées.
Un léger accident signala l'inauguration du service public. Quelques voyageurs reçurent quelques contusions sans gravité. Il n'en fallut pas plus pour donner raison aux alarmistes qui déclarèrent net que c'était s'exposer à une mort certaine que de monter dans les trains. On sourit en voyant les recommandations minutieuses que la Compagnie est obligée de faire au public dès les premiers jours de l'exploitation.
Habitué au service des diligences dont les heures de départ et d'arrivée subissaient toujours quelques variations, le public ne pouvait se faire à une précision rigoureuse, absolue, qui le déconcertait. Pour éviter des réclamations continuelles, la Compagnie dut en arriver à prier les voyageurs de régler leurs montres sur la pendule régulateur, établie chez l'horloger de la compagnie, place de l'Hôtel de Ville.
Cependant, l'immense succès obtenu par la nouvelle voie ferrée s'établissait peu à peu sans conteste. L'ouverture de la ligne ayant coïncidé avec la foire de Beaucaire, les trains transportaient quotidiennement plus de dix mille personnes.
Le commerce, se familiarisant avec ce nouveau mode de transport qui bouleversait toute son économie habituelle, comprenait l'immense parti qu'il pouvait tirer de ce moyen de communication rapide, et il fallut peu de temps pour vaincre certaines répugnances, certaines craintes que la rumeur publique tendait à propager.
L'installation de ce nouveau service nécessitait la création d'une gare. La compagnie avait acheté, à l'extrémité du faubourg d'Uzès, un vaste terrain, considérablement agrandi par la suite, sur lequel elle avait fait construire un hangar d'arrivée et de départ des voyageurs en trois travées. Ce hangar existe encore et sert à la gare des marchandises actuelle.
Mais cela était insuffisant avec l'accroissement et l'extension que prenait l'exploitation. Aussi se mit-on à construire en avant du hangar deux pavillons à colonnes et en pierre de taille, destinés, l'un au service des voyageurs, l'autre au service des marchandises. Ces deux pavillons existent encore.
Au moment de l'inauguration la voie entre Alais et Nîmes n'était pas encore achevée et ne devait l'être que quelques mois plus tard.
(Note : Le 10 août 1840, inauguration du trajet Nîmes-La Levade.)
 
LE CHEMIN DE FER D'ALAIS
Paulin Talabot, sa vie son œuvre,
par le Baron Ernouf, 1886

Embarcadère de la première gare de Nîmes

1839, « Le chemin d'Alais, qui donna à Paulin Talabot des droits sérieux au titre de créateur de l'industrie des chemins de fer en France, a été construit dans d'excellentes conditions d'économie. Les types des ouvrages sont très simples, bien que présentant toutes les conditions de solidité désirables, et il est à regretter que ces types n'aient pas toujours été adoptés sur les lignes secondaires du réseau français, ce qui eût évité bien des mécomptes dans les dépenses d'établissement. »
(Notes de M. Dombre.)
 

Embarcadère des Chemins de Fer du Gard

La première section du chemin de fer d'Alais, celle de Nîmes à Beaucaire, fut livrée à la circulation le 15 juillet 1839, pour l'ouverture de la foire de Beaucaire.

« Cette inauguration, dit le Moniteur, vient d'être faite aux applaudissements d’une foule innombrable, et sans qu'aucun accident ait troublé cette véritable fête. Un convoi de dix-huit voitures, où étaient commodément placées cinq cents personnes, dirigé par MM. les ingénieurs Talabot et Didion, a fait le trajet (24 km) en trente-six minutes, et quarante au retour. Voyageurs et spectateurs ont été dans l'enthousiasme, etc. »
 (Moniteur du 22 juillet.)
 
L'ouverture de la seconde section (Nîmes-Alais) n'eut lieu qu'au mois d'août 1840. Elle avait été retardée par une série de crues du Gardon, qui avaient empêché l'achèvement du principal ouvrage de cette section, le pont de Ners, et faillit même l'emporter pendant l'hiver. Enfin la section d'Alais à la Grand’Combe fut livrée à la circulation en 1841.
 
LE PONT DE NERS
après les inondations 2002
 
L'histoire se répète en septembre 2002
 
Cette grande entreprise (la Grand'Combe) a subi de cruelles épreuves, notamment par le contrecoup des événements de 1848. Mais jamais elles n'ont déterminé le moindre sentiment de défaillance de la part des collaborateurs de Paulin Talabot, dont plusieurs y avaient cependant engagé la totalité de leur fortune. Cette confiance persistante leur fait honneur, ainsi qu'à lui.
« Confiée successivement aux mains habiles d'Eugène Gallon, de François Beau et de M. Graffin, son directeur actuel, la Grand'Combe offre depuis plus de quarante ans l'admirable spectacle de la transformation d'un désert aride et sauvage en une ville importante, où règnent le travail; l'activité et l'abondance.
L'établissement de cette ligne a aussi une grande importance, au point de vue administratif, dans l'historique des chemins de fer français. Il s'agissait, dit M. Noblemaire, de faire en grand l'une des premières applications de la loi encore récente du 7 juillet 1833, sur les expropriations... La jurisprudence s'établit, grâce au concours d'un jurisconsulte que le barreau de Nîmes s'honore de compter encore dans ses rangs, M. Fargeon, jeune avocat alors, et intimement associé à la vie, aux joies et aux préoccupations des deux amis.
 (Op. cil., p. 14.)
1840
Histoire de la Ville de Nîmes, par Adolphe Pieyre, 1886.
- Le conseil municipal de Nîmes eut à examiner le tracé à adopter de la ligne du chemin de fer de Nîmes à Montpellier, tracé que certains voulaient faire passer par les collines. Il appuya énergi­quement le tracé en plaine aboutissant entre l'usine à gaz récemment construite et l'Esplanade. Prévoyant l'établissement de la gare dans ces parages et, comme conséquence, la création d'un nouveau quar­tier, il écarta momentanément une pétition faite par un propriétaire de l'un des jardins placés immédiatement au sud de l'Esplanade.
Je rapporte ici ce détail, car il me permet de faire connaître qu'il existait un arrêt du Conseil, en date du 11 octobre 1782, interdi­sant aux propriétaires des terrains situés autour de l'Esplanade, d'éle­ver des constructions qui « priveraient les habitants de la seule promenade publique où pendant les grandes chaleurs de l'été, ils puissent aller trouver la fraîcheur que procurent dans la soirée les vents de mer. »
C'est contre cette interdiction, à tout le moins originale, que s'élevait le pétitionnaire. Mais le Conseil, approuvant la décision du maire, qui se basant sur l'arrêt précité empêchait toute construction, déclara maintenir cette interdiction, sauf à attendre les nouvelles dispositions qui pourraient être adoptées à, l'époque de l'établissement du débarcadère du chemin de fer de Montpellier à Nîmes.
En effet, M. Didion, ingénieur des ponts et chaussées, était à ce moment occupé à rechercher le meilleur emplacement à donner à la gare future et à fixer les alignements généraux des nouveaux quartiers que ce centre d'activité commerciale allait créer autour de lui. Nous allons voir sous peu cette importante question recevoir une solution et, disons-le, dans des proportions grandioses. Un autre quartier de la ville prenait un accroissement rapide grâce précisément à la présence d'une gare. C'était le faubourg d'Uzès qui en peu de temps se couvrait de constructions nouvelles. Il y eut à déterminer les alignements des nouvelles rues à ouvrir sur les terrains situés au sud du débarcadère et joignant la route d'Avignon. IL fallut aussi décider la couverture du Cadereau qui joignait le chemin d'Uzès à celui d'Avignon. Le torrent recouvert devint une large voie de communication, la rue Sully.
On le voit, la sollicitude du Conseil n'avait plus qu'à mener à bonne fin tous les travaux entrepris depuis les années précédentes.
La ville prenait peu à peu une allure nouvelle grâce à ces mesures d'assainissement et d'embellissement qui constituaient un progrès indéniable et vivement ressenti par la population. Aussi ne faut-il pas s'étonner que sous l'influence de ces heureuses transformations, la paix et la tranquillité régnassent dans notre cité et que le commerce y fût des plus prospères.
Il convient d'ajouter que l'ouverture de la nouvelle voie ferrée ne contribuait pas pour peu à cet élan nouveau que ressentait notre industrie. Les transactions devenaient plus faciles, plus rapides. La ville voyait ses débouchés se rapprocher dans des proportions considérables, grâce à cette ligne, presque la seule à. ce moment en France, la seule en tous cas qui eût une tête de ligne aussi industrielle que l'était la Grand-Combe et un débouché aussi fructueux que ce chemin qui marche, le Rhône.
 
1842
Histoire de la Ville de Nîmes, par Adolphe Pieyre, 1886.
- L'année 1842 s'ouvre par une réunion du Conseil municipal assemblé extraordinairement le lundi 3 janvier. Il s'agissait d'émettre son avis dans la question du chemin de fer de Marseille au Rhône.
Deux projets étaient en présence, l'un dû à MM. Talabot et Didion, déjà sanctionné par les commissions d'enquête de Marseille et de la direction, passant par Arles, Tarascon et Avignon, paraissait satisfaire tous les intérêts.
Le second, dû à M. de Montricher se dirigeait par Salon, Orgon et Rognonas, s'éloignant ainsi de la vallée inférieure du Rhône et des chemins de fer du Gard et de l'Hérault. Ce projet ne répondait qu'à l'intérêt exclusif d'Avignon.
Le Conseil municipal de notre ville fit entendre dans cette circonstance ses plus vives réclamations, il estimait avec raison que la question touchait de trop près aux intérêts les plus considérables du département du Gard et de son chef-lieu pour hésiter à présenter des considérations du plus grand poids.
Le mérite du plan de MM. Talabot et Didion, disait-il dans sa délibération, est de laisser à chaque ville sa situation sur la carte, de respecter les positions acquises. L'introduction des nouvelles communications ne serait plus un bienfait pour le pays, mais une véritable révolution industrielle et commerciale, et au lieu de s'harmoniser avec les centres commerciaux, elle bouleversait au hasard les relations existantes et reconstituerait la carte du pays,
Beaucaire est le point de jonction entre le nord et l'ouest, la nature le fait ainsi et Beaucaire ne peut être dépouillée de ce privilège naturel qui tient à son sol, au profit d'une ville qui, dans un intérêt exclusif d'agrandissement se créerait une topographie factice et, simple point sur la ligne de Lyon à Marseille, voudrait se faire centre entre le nord et l'ouest.
On ne pouvait ni mieux dire, ni plus sagement penser. Une telle délibération aussi fortement motivée, aussi judicieusement discutée devait peser d'un grand poids dans la balance, elle sauva en effet la situation ou du moins y contribua pour une bonne part.
On doit quelques remerciements aux conseillers qui prirent en main d'une façon aussi énergique, non-seulement l'intérêt de Nîmes même, gravement atteint cependant si le tracé Montricher avait été adopté, mais encore et surtout celui du bassin houiller et métallurgique d'Alais qui se voyait presque privé d'un débouché rapide sur le grand port de Marseille ou ne pouvait rallier cette ville qu'au prix d'énormes sacrifices.
Le Conseil résolut de faire imprimer sa délibération et de la recommander aux députés du Gard. Il exprimait en même temps un vœu pour que le conseil général du Gard fût convoqué extraordinairement afin d’appuyer ses réclamations. Enfin il nommait M. Chastellier, qu’une récente ordonnance venait d’appeler à la prairie, en qualité de délégué spécial de la ville de Nîmes auprès du gouvernement et des chambres pour suivre à Paris les détails de cette affaire importante.
Poussé avec vigueur partout, cet outil industriel, sans pareil jusque-là, s'implantait avec force sur tous les points du territoire. Les villes et les régions se disputaient ces rubans de fer qui apportaient avec eux la richesse. Nous avons vu déjà la délibération du Conseil municipal de Nîmes repoussant énergiquement le tracé du chemin de fer de Marseille au Rhône adopté par M. de Montricher.
Après lui, le conseil général, Arles, Mais, Montpellier, émirent des votes semblables. La lutte fut portée devant la Chambre et s'engagea âpre et serrée.
C'est dans la séance du 29 avril que commença la discussion. Le tracé par la vallée du Rhône, obtint un triomphe éclatant et décisif. Les intérêts opposés avaient pourtant un défenseur de haute valeur et de grand talent, M. Berryer.
Aussi, lorsque M. Talabot arriva â Nîmes, reçut-il de la part de la population une ovation bien méritée. Avec cette rapidité d'exécution qui caractérisait l'éminent ingénieur, il forma immédiatement une société pour l'exécution et l'exploitation du chemin de fer de Marseille à Avignon par Marseille et Arles, d'après le tracé présenté par MM. Talabot et Didion.
En quelques jours, ces souscriptions atteignirent à Marseille un chiffre très élevé. A Nîmes, quatre-vingts souscripteurs donnèrent une somme de 1 345 000 francs.
Pendant que cette affaire considérable se créait de toutes pièces, le jury d'expropriation du chemin de fer de Nîmes à, Montpellier terminait ses opérations. L'administration avait traité à l'amiable avec cent quatre-vingt-huit propriétaires; vinât seulement étaient réfractaires à toute entente. Ces derniers demandaient 236 727 francs 72 centimes, le montant des offres de l'administration s'élevait à 745 614 francs. Le jury alloua en définitive la somme totale de 100 028 francs et 10 centimes.
Le chemin de fer de Nîmes à Montpellier allait donc à bref délai être exécuté et livré au public.
Le 31 octobre de cette année se fit une fête qui pouvait s'appeler la fête du chemin de fer du Gard.
M. Teste, ministre des travaux publics, député du Gard, enfant du département et qui pendant longtemps avait appartenu au barreau de notre ville, vint poser la première pierre du viaduc et du débarcadère.
La population se porta en foule sur l'emplacement où avait lieu cette intéressante cérémonie. La joie se lisait sur tous les visages. Le ministre des travaux publics, accompagné de toutes les autorités du département et de toutes les notabilités de la ville, se rendit sur l'emplacement de la gare.
M. Didion, ingénieur en chef du chemin de fer, présenta à M. Teste la truelle et le marteau, en prenant l'engagement de le convier au 1er mai 1844, jour de la fête du Roi, à poser le dernier rail du chemin de fer.
Après une allocution énergique où le ministre se félicita de la mission que la confiance du Roi lui avait donnée, M. Teste prononça les paroles suivantes : « Au nom du roi Louis-Philippe Ier, je fonde le viaduc du chemin de fer de Montpellier à Nîmes. »
Le réseau de chemins de fer qui couvre notre département allait se commencer et se poursuivre sans délai.
Notre département qui avait été un des premiers à. posséder une voie ferrée devait, plus tard, être un des plus favorisés sous ce rapport.
 
1844
Histoire de la Ville de Nîmes, par Adolphe Pieyre, 1886.
- Nous avons vu lorsque M. Teste vint présider la fête des chemins de fer du Gard le 31 octobre 1842, et poser la première pierre du viaduc, que M. Didion, ingénieur en chef du chemin de fer de Montpellier à Nîmes, avait promis que cette voie serait terminée pour le 1er mai 1844, jour de la fête du Roi.
L'engagement pris par M. Didion était une réalité, le mardi 30 avril, la ligne fut parcourue pour la première fois par une locomotive seulement. Le départ eut lieu à, huit heures du matin. Le retour de Montpellier à Nîmes s'effectua en une heure vingt-huit minutes.
La locomotive était montée par MM. Didion, Vinard, Talabot et Gonnaud, qui rentrèrent à Nîmes à deux heures vingt-huit minutes du soir.
Ce premier essai avait attiré une grande affluence de spectateurs.
Le 3 mai, eut lieu un second essai présidé par les autorités du Gard et de l'Hérault. Le parcours s'effectua trois fois dans la journée entre Nîmes et Montpellier, toujours avec un succès qui ne laissait rien à désirer et au milieu des acclamations et des applaudissements de tous les habitants des communes traversées par la nouvelle ligne.
Malheureusement, la ligne quoique terminée ne pouvait être mise en service. Le Parlement ne s'était pas encore prononcé sur le système d'exploitation qu'il conviendrait d'adopter. La ligne avait été construite aux frais de l'Etat. Il ne s'agissait plus que de rechercher le meilleur mode de mise en activité. Ce retard était préjudiciable aux nombreux intérêts que la voie ferrée était appelée à desservir. Aussi la Chambre de Commerce de Nîmes demanda-t-elle à plusieurs reprises qu'un service provisoire fat organisé en attendant la décision du Parlement. Les plaintes ne furent pas écoutées, mais la loi fut votée dans un délai assez rapproché.
Le 16 juillet 1844, les Chambres décidaient que cette nouvelle et importante voie de communication serait donnée en adjudication publique.
Une société, à la tête de laquelle se trouvaient MM. Emile Delacorbière, Félix de Surville, banquier, et Agénor Molines, banquier, se forma au capital de deux millions de francs divisés en quatre mille actions de 500 francs.
Cette société avait en vue de participer à l'adjudication qui, suivant un arrêté préfectoral, fut fixée au 18 septembre de cette même année, sous condition que les concurrents devaient pour soumissionner déposer un cautionnement de 500 000 francs.
Cinq concurrents se présentèrent. La Société dont je viens de dire quelques mots fut déclarée adjudicataire. Parmi les quatre évincés, était une autre Compagnie nîmoise, MM. Mourier fils cadet, Emile Bonnaud et Maxime Baragnon.
Cette adjudication se fit à la préfecture avec une certaine solennité.
M. Teste, sous le ministère duquel cette voie ferrée avait été construite, assistait à cette réunion, ainsi que M. Roulleau-Dugage, préfet de l'Hérault. Il y avait foule dans la salle de l'Hôtel de la Préfecture et sur la terrasse qui y conduit.
On attendait avec une vive impatience le moment où serait proclamé le nom de la Compagnie adjudicataire. Les Nîmois ne tenaient pas à ce que des étrangers puissent s'emparer de la ligne et on savait que Montpellier et Lyon présentaient des concurrents très sérieux.
La rivalité était surexcitée au plus haut point surtout entre Nîmes et Montpellier, d'autant plus que dans la salle cette dernière ville était représentée par trois ou quatre cents personnes.
MM. Delacorbière, F. de Surville et A. Molines, l'emportèrent en s'engageant à fournir à l'Etat une rente annuelle de 381000 francs.
Bien qu'une ordonnance royale eût, le 1er novembre, approuvé l'adjudication qui précède, cependant l'ouverture de la ligne n'eut lieu, comme nous le verrons, qu'au commencement de l'année suivante.
L'heureuse solution de cette grosse question provoqua entre les corps constitués de Montpellier et de Nîmes un échange dé politesses et de gracieusetés.
C'est ainsi que le 17 novembre le Conseil municipal de Montpellier invita le Conseil municipal de Nîmes à un grand banquet qui réunissait ainsi, suivant la pensée des organisateurs, « les représentants les plus intimés des deux villes auxquelles aboutit le magnifique chemin de fer dd au vote intelligent des pouvoirs de l'Etat, et au talent éprouvé des habiles ingénieurs des Ponts et chaussées. »
Cette fête de famille, à laquelle le Conseil municipal de Nîmes assista presque au complet, eut lieu au Peyrou. La municipalité nîmoise, transportée par la nouvelle voie à Montpellier, trouva en arrivant dans cette dernière ville la population montpelliéraine massée aux abords du débarcadère.
Elle mit pied à terre au milieu des hourras populaires.
Dès leur arrivée à Nîmes, les membres du Conseil s'occupèrent de rendre aux membres du Conseil municipal de Montpellier la fête qui venait de leur être offerte.
Il fut décidé que, le 1er décembre, un banquet réunissant les deux Conseils aurait lieu au foyer du Théâtre. A cette occasion, une fête fut organisée, à laquelle prit part toute la population nîmoise, aux Arènes.
Au jour fixé, un convoi portant les administrateurs de la Compagnie du chemin de fer et le Conseil municipal de Montpellier, partait du chef-lieu de l'Hérault à dix heures un quart. Salué sur son passage par les vivats enthousiastes des habitants de la campagne, il arriva à Nîmes à onze heures et demie, au milieu d'un immense concours de spectateurs, venus de tous les points du département pour assister à cette solennité.
Après une longue visite à la salle de la Bibliothèque où étaient exposés les divers produits des manufactures nîmoises, et à tous les monuments de la ville, les deux Conseils se rendirent aux Arènes, pour assister à une ferrade.
Il est difficile de se faire une idée de la majesté du spectacle qui était réservé aux hôtes de notre cité. Une vaste loge pavoisée de pavillons tricolores et de bannières flottantes, aux chiffres « M N », portant confondues les armoiries des deux villes, avait été préparée pour les recevoir.
Dans l'enceinte immense de l'ancien monument romain, pas une place n'était restée inoccupée, chaque gradin était recouvert par une foule compacte qui accueillit avec des applaudissements prolongés les représentants de la ville de Montpellier. Vingt-cinq mille spectateurs se pressaient dans nos Arènes.
Après le banquet, le cortège se rendit dans la loge qui leur avait été préparée au théâtre, pour assister à la représentation de la Reine de Chypre.
Les invités de Nîmes furent logés par les soins de la municipalité au Luxembourg, et le lendemain lundi, ils assistèrent à une grande revue sur l'Esplanade et déjeunèrent dans une des salles de l'Hôtel de Ville.
Favorisée par un temps splendide, cette fête fut véritablement gran­diose autant par les préparatifs que par l'ordre et la tranquillité qui ne cessèrent de régner dans cette foule compacte et animée.
 
1845
Histoire de la Ville de Nîmes, par Adolphe Pieyre, 1886.
- L'ouverture du chemin de fer de Nîmes à Montpellier, retardée par des formalités administratives, eut lieu seulement le 11 janvier 1845 en vertu d'un arrêté préfectoral du 31 décembre 1844.
Deux convois partirent simultanément, l'un de Nîmes, l'autre de Montpellier, à huit heures du matin. Le point de croisement fixé était Lunel, situé à mi-distance. Un grand nombre de curieux se rendit sur la nouvelle avenue Feuchères pour assister à ce premier départ qui était presque une solennité.
Ainsi Nîmes se trouvait reliée par deux voies ferrées avec la Grand-Combe, Beaucaire et Cette. Ce magnifique résultat accompli dans un temps relativement court, grâce à des ingénieurs de talent, allait à bref délai se compléter d'un débouché sur Marseille et sur Bordeaux.
Pendant que M. Paulin Talabot, surmontant tous les obstacles, construisait la ligne de Marseille, une compagnie se formait pour créer la voie de Cette à Bordeaux. Il est naturel que ces compagnies en formation aient trouvé dans Nîmes, une des villes de France qui avait à sa disposition cet outillage moderne dans des conditions excellentes, des souscripteurs nombreux.  
Aussi n'y a-t-il pas lieu de s'étonner que la nouvelle compagnie de Cette (Sète) à Bordeaux ait trouvé dans notre ville et en deux jours la somme de trois millions et demi.
Un peut supposer que le trafic sur la voie ferrée récemment mise à la disposition du public ne fut pas sur-le-champ parfaitement organisé. Toutes les stations intermédiaires ne furent réellement desservies que quelques semaines après. Le premier express parut sur cette ligne le 11 avril, traîné par la locomotive « la Méridionale. »
Le 25 juillet 1909, le chemin de fer de Nîmes au grau du roi sera inauguré. Ce récit ainsi que la construction de la gare du Grau sur Pilotis Simplex, véritable prouesse technique pour l'époque fait l'objet d'un récit complet en lien ci-dessous !!!
 
> Inauguration de la gare du Grau du Roi en 1909

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