PAULIN TALABOT

SA VIE ET SON OEUVRE

1799-1885

par le Baron Ernouf, 1886

 

CHAPITRE

IX

 

Projet de canal d'Alexandrie â Suez (1847). - Longue hésitation entre ce projet et le tracé direct. - Intérêt persistant de ce projet et du Mémoire à l'appui, publié par Talabot en 1855.

 

Avant d'aborder l'histoire de la formation du réseau Paris Lyon Méditerranée, nous devons mentionner un travail considérable et d'un tout autre genre : le projet de communication de la Méditerranée avec la mer Rouge au moyen d'un canal partant d'Alexandrie, projet élaboré par Talabot dès 1847, et qui faillit obtenir la préférence. Pour cette entreprise de jonction des deux mers, l'une des maîtresses oeuvres de ce siècle, la lutte était engagée exclusivement entre Français, et c'est encore un grand honneur pour Talabot d'avoir disputé la victoire à un adversaire tel que M. de Lesseps.

 

Bien que le premier firman de concession autorisant celui-ci à former une Compagnie universelle du canal de Suez, remontât au 30 novembre 1854, le débat n'était rien moins que clos à cette date; on peut même dire qu'il ne faisait que commencer. Non seulement le tracé n'était pas déterminé, mais beaucoup de gens, à commencer par le vice-roi, signataire de la concession, croyaient que ce canal ne se ferait jamais. Outre les difficultés financières, l'entreprise rencontrait un obstacle politique qui aurait fait reculer tout autre que le grand Français l'opposition sourde du gouvernement britannique. « mécontent de voir s'ouvrir, vers les Indes, une route directe dont il n'était pas sûr de posséder un jour la clef ». Il a bien su se la procurer depuis 1877 0, et réparer la « grande faute d'incrédulité que, de l'aveu d'un de ses chefs (sir H. Northcote), il avait commise au début.

 

Rien n'était donc commencé ni décidé dans les premiers mois de 1855, quand Talabot publia, dans la Revue des Deux blondes (n° du 1er mai), son mémoire intitulé : Le Canal des deux mers, d'Alexandrie à Suez ; moyens d'exécution. (1)

 

(1) II était, depuis plusieurs années déjà, en relation avec ce recueil, qui avait publié plusieurs notes écrites, ou tout au moins inspirées par lui, sur d'importantes questions de chemins de fer.

 

II ne se bornait pas à faire valoir le mérite spécial de son projet. Prenant la question de plus haut, il réfutait les objections générales que présentaient contre tout canal maritime ceux qui ne voulaient d'autre communication d'une mer à l'autre qu'un chemin de fer à travers l'isthme.

 

En résumé, voici quelle était alors la situation. L'opinion publique, en Europe, inclinait vers le canal, mais le désaccord persistait sur la question du tracé. « On se partageait entre le tracé direct de Suez à Peluse, proposé par MM. Linant et Mougel, et le tracé d'Alexandrie à Suez, proposé par M. Talabot. » ( Le Canal de Suez, par MM. Alexis et Émile Barrault, Revue des Deux Mondes, 1er janvier 1856.)

 

C'est donc à tort que, dans plusieurs ouvrages publiés ultérieurement, on a fait figurer le projet Talabot parmi ceux qui ont été reconnus insuffisants et éliminés avant la concession de 1854.

 

L'issue du débat paraissait encore si incertaine plus d'un an après cette concession, que les frères Barrault croyaient pouvoir le terminer à la façon du troisième larron, dans un apologue bien connu. Ils reproduisaient avec beaucoup de foi ce les objections de Talabot contre le tracé direct ; mais, à son tracé indirect; ils en substituaient un autre beaucoup plus indirect et plus dispendieux. Au lieu de remonter, comme le projet Talabot, au sommet du triangle formé par le Delta, le leur suivait la base de ce triangle.

 

En d'autres termes, il côtoyait le littoral à partir d'Alexandrie jusqu'à Damiette, puis se dirigeait sur Suez, à travers le désert et le lac Menzaléh, et n'arrivait à la mer Rouge qu'après un parcours de plus de 500 kilomètres. Au moment où leur travail paraissait en France, la question venait d'être tranchée définitivement en faveur du tracé direct par la commission internationale, réunie depuis le 30 octobre. Elle avait fait, toutefois, diverses modifications au projet qui lui était soumis, et tenu compte, comme on le verra tout à l'heure, des observations de Talabot, sur plusieurs points essentiels.

 

Malgré cet insuccès, celui-ci ne croyait pas avoir perdu son temps en Égypte. Il avait eu, en effet, le mérite de la première initiative sérieuse, pratique ; reconnu le terrain plus exactement qu'il ne l'avait jamais été, et fourni un point de départ certain pour tous les travaux ultérieurs, en rectifiant les erreurs capitales de nivellement, commises en 1799. Enfin, il pensait que son projet n'avait perdu que l'avantage de la priorité; qu'on l'exécuterait aussi tôt ou tard, parce qu'il satisfaisait, dans une juste mesure, à des droits acquis, à des intérêts locaux importants, laissés de côté par le tracé direct.

 

Comme on le verra plus loin, ce pressentiment semble devoir se vérifier.

 

 

 

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