PAULIN TALABOT

SA VIE ET SON OEUVRE

1799-1885

par le Baron Ernouf, 1886

 

CHAPITRE

I

 

Origine de Paulin Talabot - Sa famille - A-t-il été saint-simonien ?

 

On `parle quelquefois de la pesanteur d'esprit des habitants du Limousin. Pour faire justice de cette banale imputation, il suffirait de citer, outre les grands artistes émailleurs dont les oeuvres sont une de nos gloires nationales, d'Aguesseau et la Reynie, Vergniaud, Gay-Lussac, Cruveilhier, les maréchaux Jourdan et Bugeaud, tous nés dans la capitale de cette ancienne province. Nous en passons, et des meilleurs.

 

A ces noms justement célèbres, il convient d'ajouter celui de Paulin Talabot, l'un des hommes qui ont rendu, dans ce siècle, les plus grands services à l'industrie et au commerce français. Toutefois, si Limoges fut sa ville natale, Nîmes a été sa résidence favorite, le centre d'action de ses travaux les plus importants. Aucun souvenir ne serait plus populaire dans cette ville que celui de l'auteur du pont de Beaucaire, du révélateur des richesses minières de la Grand'Combe et de Bessèges, si la reconnaissance se mesurait à l'étendue des bienfaits, comme il arrive quelquefois!...

 

La famille Talabot appartient à la haute bourgeoisie limousine. François Talabot, le père de Paulin, était, avant la Révolution, avocat au présidial de Limoges. Après le 18 brumaire, il entra dans la nouvelle magistrature, et fut, pendant vingt ans, président du tribunal civil de sa ville natale. Il eut huit enfants : cinq fils, dont Paulin, né le 18 août 1799, était le quatrième, et trois filles. Les cinq garçons firent d'excellentes études au lycée de Limoges, établi en l'an XI sous la direction intelligente d'un ancien chevalier de Malte, H. de Gaston. L'aîné des cinq frères, Auguste, fut magistrat comme son père, devint à son tour président à Limoges, et occupa ce siège pendant trente ans. Le second, Léon, fut élève de l'École polytechnique, et député de la Haute-Vienne sous le règne de Louis-Philippe. Lui et Jules, le troisième, qui avait suivi la carrière militaire, s'occupèrent aussi, de concert avec Paulin, d'importantes affaires industrielles.

 

Le dernier, Edmond, qui fut aussi élève de l'École polytechnique et mourut jeune, avait été l'un des plus fervents adeptes du saint-simonisme. « Le système industriel de Saint-Simon, son Nouveau Christianisme, avaient enflammé une foule d'esprits passionnés et aventureux, esprits d'élite au demeurant pour la plupart, dont un grand nombre ont survécu au ridicule de certaines manifestations de la religion nouvelle, et laissé dans notre histoire industrielle une trace lumineuse.» (1)

 

(1) Notice sur la vie et les travaux de M. Didion, par M. Noblemaire, directeur de la Compagnie P. L. M.

- Nous ferons plus d'un emprunt à ce travail, digne hommage rendu a la mémoire d'un homme dont le souvenir reste uni, enlacé en quelque sorte, à celui de Talabot.

 

Dans ces manifestations, Edmond Talabot avait joué un rôle qu'on attribua ensuite par erreur à son frère Paulin.

 

L'un des anciens et intimes amis de celui-ci, M. Fargeon, proteste vivement contre cette confusion, dans les notes qu'il a bien voulu nous communiquer. « Moi, dit-il, qui, à cette époque, vivais avec lui et savais fort bien qu'il ne pouvait être en même temps ingénieur à Nîmes et saint-simonien à Ménilmontant, j'ai fait ce que j'ai pu pour déraciner ce préjugé, auquel la mort prématurée d'Edmond Talabot avait donné une fâcheuse consistance. »

 

Tenons donc pour certain que Paulin Talabot n'a jamais figuré, de sa personne, dans les démonstrations excentriques de la salle Taitbout et de Ménilmontant. Toutefois, il demeure incontestable que, sur certains articles sérieux du programme saint-simonien, il a été en parfaite communauté d'aspirations avec plusieurs dès hommes les plus éminents de ce groupe : Didion, Stéphane Mony, Michel Chevalier, Fournel et aussi Enfantin, le Père Suprême. Dans plus d'une circonstance importante de sa carrière industrielle, il s'est trouvé en rapports intimes avec ces esprits d'élite, qui avaient, comme dit le proverbe anglais, « semé leur folle avoine », dans la période mythologique du saint-simonisme.

 

Ce n'est qu'en 1896, époque fixée pour là divulgation des archives saint-simoniennes, qu'on saura toute la vérité sur le fond de la doctrine, et sur la solidarité qui parait avoir existé entre les affiliés à divers degrés.

 

De l'aveu de ses plus ardents adversaires, « de tous les systèmes socialistes, le saint-simonisme était le plus complet, le plus vrai, le plus conséquent ». Ses adeptes n'étaient rien moins qu'athées, puisqu'ils définissaient l'homme « la représentation finie de l'être infini », et qu'ils admettaient le sacerdoce comme « l'une des trois principales fonctions de l'humanité, concurremment avec la science et l'industrie » (1). Ils ont prévu et signalé, des premiers, les premiers ! l'importance prochaine du mouvement industriel, et aussi les maux, les dangers qu'il amènerait à sa suite.

 

(1) Franck, Dictionnaire des sciences philosophiques, art. Socialisme.

 

Déjà, quinze ans plus tard leurs prévisions commençaient à se vérifier, quand Didion écrivait, quelques semaines après la révolution de février 1848, ces lignes remarquables : « La grande question de la politique à venir, c'est l'organisation des ouvriers. Voilà notre vieux groupe saint-simonien justifié pleinement ! II deviendra, j’espère, très utile, parce que tous nos amis ont des positions respectables, et veulent l'ordre avant tout, en même temps qu'ils comprennent mieux que les autres la situation et ses difficultés. » (1)

 

(1) Lettre du 1er avril 1848.

 

Les `plus exaltés d'entre les saint-simoniens voulaient une transformation radicale de la société, mais par des moyens pacifiques. Plusieurs, semblables aux alchimistes du moyen âge, en poursuivant des utopies chimériques, ont trouvé de grandes choses, pris de glorieuses initiatives.

 

Enfantin, traité de fou dans sa propre famille, a été l'un des premiers promoteurs du canal de Suez et de l'organisation actuelle du réseau français.

  

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