L'étang de Rochefort-Pujaut


Plan de l'étang de Rochefort-Pujaut, dressé le 21 juillet 1612.
(cliquer sur l'image pour agrandir)

Historique

 
Précédent les travaux de construction d'une ligne TGV, des fouilles  archéologiques seront effectuées en 1996 au niveau de la grange des Merveilles. Elles ont permis de localiser des traces d'habitat ancien. Le site occupe une place stratégique à l'intérieur de l'ancien étang de Rochefort. Il est situé sur l'amorce d'un cordon littoral formant une sorte de presqu'île aux époques de basses eaux.
 
Au fil du temps, la Grange des Merveilles a connu une occupation multiple, de l'Holocène ancien (11000 ans), à l'époque moderne. Concernant la période la plus ancienne, période néolithique, il se composait d'un habitat sur le cordon du littoral ainsi que deux foyers situés plus bas, au bord de l'étang. On y trouvera des céramiques méolithiques, mal conservées, ainsi que plusieurs fragments de jarres, des silex et un fragment de meule, attestant à lui seul une activité agricole. On a retrouvé aussi, plusieurs fragments de coquillages, des moules par exemple, qui attestent une relation avec le littoral. Toutefois, cet habitat n'est qu'une structure légère, liée à l'exploitation des ressources naturelles de l'étang. On y trouvera, aussi, des structures modernes datant du XVIIe siècle, période de l'assèchement de l'étang.
 
Le premier texte ancien, qui cite l'étang de Rochefort Pujaut, est une charte de Raymond IV, comte de Toulouse datant de 1088. C'était une confirmation d'un texte encore plus ancien, d'une donation faite par son prédécesseur, Guillaume IV, au monastère de Saint-André. Il s'agit, entre autres, d'un droit de pêche dans l'étang de Privadiis, qui n'était autre que l'étang de Rochefort Pujaut.
 
En 1171, son successeur Raymond V, cèdera toute la partie voisine de l'étang aux habitants de Rochefort, moyennant quelques charges annuelles. Raymond VI confirmera l'acte de son père par une charte datée de 1198. Les redevances annuelles seront revues. L'acte original en latin se trouve à la mairie de Rochefort avec sa traduction.
 
Nous relevons, un texte prémonitoire datant du 9 juin 1307. Giraud d'Amic, seigneur et baron de Rochefort, avait accordé, dit et ordonné aux habitants de Rochefort que si l'étang du dit lieu se mettait à sec, il serait payé par lesdits consuls, manants et habitants, la 7eme partie des revenus provenant des terres asséchées de l'étang.
 
L'assèchement des étangs
 
À la fin du XVIe siècle, les étangs de Rochefort et Pujaut étaient séparés par une bande de gravier, plus ou moins large, appelée la Carène. Le sort des deux lacs, comme nous allons le voir dans la description des événements, n'était pas forcément lié.
Avec le produit de la pèche et des pâturages découverts aux périodes de basses eaux, ces étangs n'offraient qu'une bien faible ressource aux habitants de Pujaut et Rochefort.
Pour améliorer les revenus de la communauté, Pujaut, et par la suite Rochefort, tenteront à plusieurs reprises d'assécher cet étang.
 
- Le 6 janvier 1586, une obligation est contractée entre les habitants de Pujaut et le noble Jacques de Noguier. Ce dernier recevra 300 écus, pour trouver le moyen d'assécher l'étang de Pujaut dans une durée de deux ans. Cet accord sera relevé tout de suite après, pour 100 écus, par Huges Pelletier. Ayant à sa charge tous les travaux et frais, il recevra en paiement un tiers du terroir, le tiers des revenus des moulins et cauquières qui se feront sur le canal, payant lui-même, un tiers des dépenses, des bâtiments et fournitures.Il aura aussi, un tiers des poissons ainsi que le tiers de tout ce qui sera trouvé dans l'étang. Il devra en outre dédommager la Chartreuse de Villeneuve ainsi que les propriétés que traversera le canal d'écoulement des eaux jusqu'au Rhône. Hugues Pelletier étant mort en laissant des dettes considérable, en 1590 son fils reprendra l'affaire, mais il ne l'achèvera jamais, ayant tout gasté et abandonné.
 
- Le 20 juin 1596, un autre acte sera passé avec Jean de Frégueille du Gaud, qui reprend l'entreprise de Pelletier sans laisser aucune trace de ses travaux.
 
- Après ces essais infructueux, les habitants de Pujaut vont s'allier à ceux de Rochefort. La situation juridique des deux communautés étant différentes, il leur fallait séparément obtenir les autorisations nécessaires. Tandis que les habitants de Pujaut adressent une supplique au Roi de France leur seigneur, les habitants de Rochefort supplient le Comte de Suze, baron de Rochefort. Ce dernier dans un acte daté du 30 avril 1599 donne son accord tout en se réservant 110 salmées (70 hectares) de terre desséchées du côté de la Bégude-Blanche ainsi que d'un droit annuel de 12 livres. Les Consuls de Rochefort et Pujaut ont échoué bien des fois avant de trouver un entrepreneur, sérieux et réunissant toutes les qualités exigées pour mener à bien une oeuvre si considérable.
 
Un personnage providentiel et obstiné, M. de Montconis sera chargé de mener à bien cette entreprise. Le 10 mai 1603, deux actes de concession seront signés le même jour avec les deux communautés. M. Rives Notaire Royal de Pujaut recevra les conventions arrêtées entre M. de Montconis et les habitants de Rochefort et M. Ruel, notaire Royal de Roquemaure, recevra celles signées avec les habitants de Pujaut.
 
En vertu de l’article 8 du bail, M. de Montconis se charge de verser la somme de 30 000 livres due en travaux par le précédent entrepreneur, et il verse une indemnité de 900 livres aux enfants de Pelletier :
 
Les travaux vont enfin pouvoir démarrer activement. En parallèle, quelques problèmes doivent être réglés.
 
En 1604, le sieur Ferraton, fermier de la pêche obtient 200 livres d’indemnité par an pour le dommage que lui cause le dessèchement de l’étang.
 
En 1606, la communauté de Saze s’engage à payer à M. de Montconis et à la communauté de Rochefort, la somme de 900 livres pour la servitude des eaux venant de Saze.
 
En 1607, le 7 juillet, M de Montconis donne aux Chartreux de Villeneuve toutes les eaux provenant de l’écoulement des étangs.
 
En 1608, l’étang est à sec, à peu de choses prés. Mais les fossés ne sont pas suffisants pour l’écoulement des eaux. De plus, les travaux n’ayant pas été soigneusement exécutés, en 1610, les roubines seront comblées et l’étang est inondé. Il faut procéder à de nouveaux travaux.
 
Un acte public signé le 9 décembre 1612, déterminera la répartition des terres de l'étang de Pujaut. 100 salmées (soit 63h) pour le domaine Royal, 100 salmées pour les Chartreux de Villeneuve et 1248 salmées (soit 788h) à partager (les détails de cet acte, sont consultable). Pour l'étang de Rochefort aucune pièce sur son partage ne nous est parvenue. Nous savons seulement que le Comte de Suze s'était réservé 110 salmées (soit 70h).
 
En 1618, de nouvelles réparations doivent être faites aux roubines et aux voûtes, par les hériters de Montconis.
Ses fils Charles et Jean, ayant repris les engagements de leur père, seront accusés d’avoir laissé subsister de graves imperfections aux ouvrages de l’étang. Ils doivent contracter des emprunts, 6400 livres et 8000 livres pour payer les dépenses. (Ces sommes empruntées aux Chartreux ne seront rendues qu'après les décés des deux frères. Elles seront prélevées sur l'héritage au moment de la liquidation de leurs biens.)
 
C'est à cette époque, qu'interviennent les consuls de Pujaut et les Chartreux de Villeneuve, concernés par le dessèchement de l’étang de Pujaut, dans lequel se déversent les eaux de Rochefort.
 
- Déjà en 1612, commençait un long et coûteux procès entre les consuls de Pujaut, les chartreux de Villeneuve d’une part, et les consuls de Rochefort d’autre part, au sujet des limites entre les deux étangs, au lieu dit le Planas. Cette affaire ne sera pas résolue définitivement en 1620, car le ler mai, les habitants de Rochefort donneront une procuration à leurs consuls pour plantement des bornes au planas.
 
- Le 3 avril 1612, les bergers de Tavel et ceux de Rochefort mettant le bétail trop avant dans les terres découvertes, les consuls de Tavel, Pujaut et Rochefort ainsi que M. de Thilloy seigneur de Montézargues assistent à la mise en place de bornes entre les trois terroirs, en présence de M. de Castellan représentant de M. Niquet, conseiller du roi. N’ayant pu se mettre d’accord, ils seront sommés de nommer des arbitres, pour planter des bornes sous quinzaine.
 
- Le 27 Février 1620, le parlement de Toulouse rend un arrêt qui ordonne de nommer des experts pour vérifier les dommages que reçoit l’étang de Pujaut par l’écoulement des eaux de celui de Rochefort.
 
- Le 19 novembre 1626, un nouveau problème de servitude devant être réglé, les parties n’ayant pu s’entendre sur le choix des experts, MM. Flory, Gagneau de Beaucaire et Cottié, sont nommés d’office. Ces trois experts établissent un rapport contre les habitants de Rochefort. Ces derniers, doivent payer 900 livres aux chartreux pour les aggravations de servitudes sur leurs terres de l’étang de Pujaut, de Four et Valergues et cela jusqu'au Rhône.
 
- Vers 1635, ils obtiennent d’abord, un arrêt, condamnant la communauté de Rochefort à payer 414 livres de dommages-intérêts pour la vidange des eaux ; ils réclament en outre 12 écus par an, pour l’entretien des ponts et fossés du terroir de Valergues.
 
- Vers 1663, les habitants de Pujaut décident de construire un canal de dérivation des eaux de Rochefort au quartier du Lauron. Les habitants de Rochefort veulent s’y opposer. Les consuls de Pujaut font saisir leur bétail, et M. Duzot, viguier à Rochefort, poursuit les consuls de Pujaut pour le faire restituer. Il les assigne à comparaître devant le Sénéchal de Nîmes, le 20 août 1663. Mais le ler septembre, le parlement de Toulouse rend un arrêt qui défend au sénéchal de Nîmes de statuer plus avant dans l’affaire du plantement des bornes, il défend, en outre, aux habitants de Rochefort de troubler ceux de Pujaut dans la construction du canal de dérivation des eaux de Rochefort au quartier le Lauron.
 
Dès lors, ce ne sont que requêtes au parlement contre l’entreprise et la continuation du dit canal :
Requête du comte de Suze, le ler septembre 1663.
Requête des consuls de Rochefort le 6 septembre 1664.
Requête des habitants de Rochefort le 3 juin 1667
 
Les habitants de Pujaut n’en continuent pas moins leurs travaux. En 1667, une chaussée est élevée pour arrêter les eaux. Elle cause un grand préjudice aux terres de Rochefort.
On essaye une nouvelle fois de planter des bornes et, tandis que les chartreux prétendent en 1669 qu’il y a d’autres limites que le gravier qui sépare les deux étangs, lequel aurait commencé par une chaussée que les vagues avaient grossi, les consuls de Pujaut affirment que le terrain revendiqué par Rochefort était compris dans l'étang de Pujaut.
- En 1711, les habitants de Rochefort, poussés à bout de patience, partent en foule, un dimanche et comblent en partie le canal du Lauron.
Alors, le parlement de Toulouse rend un nouvel arrêt (14 février 1711) qui :
- 1e permet aux chartreux et aux consuls de Pujaut, de continuer leur canal du Lauron
- 2e défend aux consuls et habitants de Rochefort de les troubler, à peine de 4000 livres d’amende.
En 1712, les consuls de Rochefort et de Pujaut, les chartreux, les syndics des deux étangs acceptent comme arbitres : MM. Marc Antoine de Tache, seigneur de Devetz-Monnier, notaire à Avignon ainsi que M. de Chazel ancien procureur du roi. Ces derniers déclarent qu’ils n’ont trouvé aucune limite, et font engager les parties par un acte de bornage sous signature privée, que l’on fit enregistrer « pour de bonnes raisons. »
 
Les consuls de Rochefort n’exécuteront pas cet acte à la lettre, car ils seront assignés par le syndic de l’étang de Pujaut, demandant vers 1735, l’exécution de l’acte de 1712.  
 
Après consultation de deux avocats, et fatigués d’un procès qui avait duré 125 ans, les notables de Rochefort convinrent de signer un acte public, reconnaissant l’acte de 1712. Il fut passé à Saint Anthelme, le 13 avril 1737.
 
Mais il restera encore pas mal de choses à régler au cours des siècles suivant. L'histoire de l'entretien des roubines ne sera jamais celle d'un long fleuve tranquille, reliant Rochefort à Pujaut.
Pour régler ce problème de façon définitive, il fallait créer un syndicat des roubines. L'intérêt étant structurellement commun, un syndicat unique aurait pu gérer naturellement ce problème. Pourquoi faire simple ? Au milieu du XIXe siècle, c'est 3 syndicats qui verront le jour, 3 usines à gaz pour écouler de l'eau de pluie, un comble !
Rochefort qui reçoit l'eau de Saze !
Pujaut qui reçoit l'eau de Saze, Rochefort et Tavel, et qui doit collecter le tout avec sa propre eau pour l'envoyer au Rhône à travers 2 tunnels. Sans commentaires !
 
Création des Syndicats des étangs.
 
I) Syndicat de l'étang de Pujaut.
Créé pour l'entretien et l'amélioration du dessèchement de cet étang.
Ordonnance du 9 juillet 1844
La surface comprise dans le périmètre syndical de cet étang est de 1022h.
Le dessèchement cet étang a été opéré à l'aide de deux canaux principaux ou roubines traversant l'un et l'autre, en souterrain, la chaine de collines qui les sépare de la vallée du Rhône.
L'un de ces canaux, désignés sous le nom de roubine des Grès, est destiné à recevoir les eaux de la vallée secondaire où se trouve le village de Tavel, et celle du versant des collines qui bornent le bassin de l'étang dans la région nord ouest. Sa longueur non compris le souterrain est de 4,580 km, le souterrain ayant une longueur de 2,260 km. Il est maçonné sur toute sa longueur, la voute a 2,40m d'ouverture et 2m sous clé.
L'autre canal, désigné sous le nom de roubine de l'étang, est plus spécialement destiné au dessèchement de la cuvette de l'étang, qu'il traverse d'est en ouest, sa longueur hors souterrain est de 3,600 km, le souterrain ayant une longueur de 2,340 km. Il est aussi maçonné sur toute sa longueur, la voute a 1,80m d'ouverture et 3m sous clé.
Les deux souterrains ont chacun, un assez grand nombre de puits maçonnés, destinés aux accès de visites et réparations.
 
II) Syndicat du plan de Saze
Créé pour la réparation et l'entretien des roubines du quartier, dit, le Plan de Saze.
Ordonnance du 9 novembre 1844
Plan de Saze, situé dans la commune de ce nom. D'une superficie de 125h, il a été desséché, ou plutôt protégé contre la submersion temporaire des eaux pluviales, par une digue et une roubine de ceinture qui l'entourent du côté ouest.
 
III) Syndicat de l'étang desséché de Rochefort.
Créé pour l'entretien et la conservation du dessèchement de cet étang.
Décret du 3 octobre 1851
Les ouvrages très anciennement exécutés consistent en canaux et fossés ouverts dans toute l'étendue de l'ancien étang dont la superficie est d'environ 350 h.
Le canal principal dit roubine du Planas, traverse le faîte secondaire qui sépare l'étang de Rochefort de celui de Pujaut (la Carène), à l'aide d'un souterrain de 2,30 m d'ouverture et d'une longueur de 120me maçonné dans toute son étendue.
 
C'est ici que s'arrête cette étude, mais certainement pas l'histoire de ces étangs, qui par ailleurs gardent pour toujours une mémoire de l'eau. Cette dernière, sachant périodiquement nous rappeler à son bon souvenir lors de fortes précipitations ou incidents sur le réseau d'assainissement.
 
 
Georges Mathon, septembre 2009
 
-oOo-
> Version imprimable PDF
> Document sources, version intégrale

> Contact Webmaster