NOTRE DAME DE ROCHEFORT
Pendant le séjour des papes à Avignon.


Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.


VIII


Le développement du pèlerinage avait fait du mo­nastère de Rochefort un des principaux prieurés dé­pendant de Saint-André. Aussi avait-on eu soin de choisir les prieurs de Notre-Dame parmi les membres les plus éminents de l'abbaye. Ils occupaient une place distinguée dans le chapitre conventuel, et prenaient souvent une grande part aux affaires les plus considé­rables de leur Ordre. En voici un exemple :

Le roi Philippe le Bel, voyant la frontière de ses états ouverte du côté d'Avignon, qui appartenait alors au roi de Naples, résolut de bâtir une autre cité en face de celle dont il pouvait redouter l'influence. Il en­voya donc proposer à l'abbé de Saint-André de lui accorder le Paréage (égalité de droit ou de possession), pour le bourg Saint-André et les Angles, moyennant une compensation convenable. L'abbé et les religieux accédèrent aux vœux du prince ; et l'acte qui donna naissance à Villeneuve-lès-Avignon fut passé en juil­let 1292, par l'intermédiaire du sénéchal de Beaucaire et Nîmes. Or, le prieur de Rochefort assistait à cet acte, et il fut un des premiers du chapitre à y apposer sa signature.

Au XIVe siècle, le Saint-Siège fut transféré par Clé­ment V, de Rome à Avignon, à cause des troubles con­tinuels auxquels l'Italie était en proie.

Il est aisé de comprendre quel mouvement de pros­périté ressentit Avignon à l'arrivée des papes, et com­bien cette ville gagna à être la résidence d'une cour, considérée alors comme la première de l'Europe. L'an­tique cité devint, pendant plus d'un demi-siècle, le centre du monde catholique.

La même influence ne pouvait manquer de s'éten­dre aux villes, aux bourgs et aux moindres campagnes du voisinage. Villeneuve surtout, qui venait de surgir comme par enchantement à côté de la nouvelle Rome, devint aussitôt très florissante.

Les Bénédictins de Saint-André étaient particulière­ment chers, depuis longtemps, aux souverains pon­tifes. Mais c'est alors surtout qu'ils furent comblés de bienfaits, par eux et par les cardinaux, en retour des services nombreux qu'ils rendaient, et de la bienveil­lante hospitalité qu'ils exerçaient. Comment le sanc­tuaire de Rochefort, desservi par ces religieux, si connu d'ailleurs et si fréquenté, n'aurait-il pas été l'ob­jet des faveurs de la cour pontificale ? Deux papes surtout, Jean XXII et le bienheureux Urbain V, se distinguèrent par leur piété envers Notre-Dame.

Le premier, avant de ceindre la tiare, avait occupé le siège épiscopal d'Avignon pendant plusieurs années. Il était donc venu souvent dans le cours de ses visites pastorales, sur le mont sacré. Élu pape, il ne put ou­blier le sanctuaire; d'autant plus que, dans son zèle ardent, il avait voulu conserver après son exaltation, le titre et la sollicitude épiscopale du diocèse d'Avi­gnon.

Quant à Urbain V, lorsqu'il n'était que professeur dans la cité pontificale, où il enseignait le droit canon avec éclat, on le voyait souvent, confondu avec la foule, faire des pèlerinages aux principaux sanctuaires de la contrée. Sa piété ne diminua point, quand il fut assis sur la chaire de saint Pierre.

Il n'est point douteux que la proximité de la cour d'Avignon, l'arrivée fréquente et la résidence habituelle dans cette cité, ou à Villeneuve, de tant de personnages de tout rang et de tout lieu, rois, princes, seigneurs, prêtres, guerriers, n'aient amené de nombreux pèle­rins à Rochefort. Le monastère de Saint-André re­cevait une multitude de ces étrangers ; tellement que, malgré ses richesses, il avait peine à suffire aux dé­penses nécessaires. Clément VI l'affirme lui-même dans une bulle de 1343, par laquelle il unit le prieuré de Truel à l'abbaye pour la dédommager, dit-il, et aug­menter ses ressources devenues insuffisantes.

Il est bien fâcheux que les archives de Notre-Dame datant de cette époque, aient presque toutes disparu pendant les guerres religieuses du XVIe siècle ; elles nous fourniraient mille détails intéressants sur les pè­lerinages, les donations, les miracles et tous les évé­nements d'alors concernant le sanctuaire.

Vers le milieu du XIVe siècle, le Midi, comme d'autres contrées de l'Asie et de l'Europe, fut ravagé par la peste noire. Les populations furent décimées, les cam­pagnes et les villes étaient comme désertes. C'est en 1349 que la contagion, pour la première fois, sévit dans la Provence et dans le Languedoc ; des milliers de vic­times y succombèrent,. Elle reparut en 1361, dans le Comtat et dans les lieux environnants. Il périt alors dans la seule ville d'Avignon, dix-sept mille habitants en moins de trois jours ; et, chose à peine croyable, cent évêques et neuf cardinaux furent du nombre.

Cependant le fléau ne nuisit point à notre pèlerinage. Car, les populations chrétiennes, reconnaissant la main de Dieu qui les frappait, se hâtaient de demander à la religion un remède et des consolations. Ceux qui échappaient au fléau, accouraient dans les temples, s'y humiliaient profondément devant le Seigneur, con­fessant leurs fautes et criant miséricorde. Une grande affluence se fit remarquer dans l'antique sanctuaire de Rochefort.

Dans le même temps, notre monastère avait l'in­signe honneur de voir quelques-uns de ses prieurs choi­sis parmi les cardinaux. Ces prélats recevaient en commende ce prieuré régulier ; en d'autres termes, ils jouissaient du bénéfice de Rochefort dépendant tou­jours de Saint-André, sans être obligés à la résidence ni à l'observation de la discipline monastique, comme les gardiens du sanctuaire. Quant aux Bénédictins, ils n'en continuaient pas moins à desservir la chapelle et l'église paroissiale. L'histoire de Saint-André nomme trois cardinaux, qui furent successivement prieurs commendataires de Notre-Dame.

Le premier fut le cardinal de Préneste, Jean de Cros, évêque de Limoges, excellent jurisconsulte et grand pénitencier du Sacré Collège. Il tint le prieuré de Ro­chefort pendant les années 1375 et 1376. Lorsque le pape Grégoire XI quitta Avignon pour retourner à Rome, dix-sept de ses cardinaux le suivirent ; celui de Préneste fut du nombre. Membre du conclave de 1378, il contribua beaucoup à l'élection d'Urbain VI. Il fut plus tard légat du Saint-Siège auprès de Char­les V, et enfin mourut à Avignon en 1383.

Après Jean de Cros, le prieuré fut occupé par le car­dinal d'Amiens, Jean de la Grange, prélat instruit et distingué, que les papes et les rois honorèrent égale­ment de leur confiance. Ministre d'État sous Charles V, puis promu à l'évêché d'Amiens, puis élevé au car­dinalat, il mourut à Avignon le 21 avril 1402, et fut inhumé dans l'église des Bénédictins de cette ville. On lui érigea un magnifique tombeau, qui se voit encore au Musée Calvet d'Avignon; il est représenté à l'état de squelette, avec une épitaphe latine, composée pro­bablement par lui-même. En voici la traduction fi­dèle :

Nous avons été donné en spectacle au monde, pour que grands et petits vissent clairement, par notre exemple, à quel état sont réduits tous les mortels, sans exception de rang, de sexe, ni d'âge. Misérable ! Pourquoi donc t'enor­gueillir ? car, tu n'es que cendre, et, comme nous, tu de­viendras un cadavre fétide, la proie des vers, et un peu de poussière.

Le cardinal de la Grange tenait en commende le prieuré de Rochefort, depuis l'année 1380.

Après lui, Pierre de Thury le reçut au même titre, et; le conserva jusqu'en 1410. Au concile tenu à Pise, en 1409, dans le but d'amener l'extinction du grand schisme, le cardinal de Thury prit part à l'élection d'Alexandre V. Après son couronnement, le nouveau pape l'envoya en France, en qualité de légat, et avec la mission spéciale d'enlever Avignon et le Comtat à la domination de Benoit XIII, réfugié dans l'Aragon. Le cardinal assiégeait la ville, lorsque les religieux de Saint-André lui adressèrent une supplique très pres­sante, au sujet du prieuré de Rochefort, qu'il tenait de leur abbaye.

Sous les deux derniers papes d'Avignon, le clergé et les ordres religieux eurent beaucoup à souffrir par suite surtout de la pénurie dans laquelle le schisme plongea le trésor apostolique. On vit alors des couvents réduits à une véritable indigence. Celui de Saint-André, en particulier, pour venir au secours des prélats de la cour pontificale, perdit peu à peu une grande partie des revenus de ses dépendances. À la fin, ses ressources se trouvaient tellement diminuées que bien souvent les moines n'avaient pour toute réfection que du pain et du vin. Aussi aucun d'eux ne voulait plus accepter la charge de pitancier, ou de pourvoyeur des subsis­tances.

Dans cette extrémité, les Bénédictins prirent le parti d'avoir recours au cardinal de Thury, pendant qu'il était présent sur les lieux. Ils lui exposèrent l'état de pénurie extrême où se trouvait le monastère, le sup­pliant de vouloir bien lui venir en aide. Pour cela, ils lui demandèrent de se démettre, en leur faveur, du prieuré de Notre-Dame et de Saint-Bertulphe de Rochefort, et de l'unir pour toujours à l'office de la pitancerie.

Pierre de Thury accéda à cette demande au mois d'octobre 1410. Il mourut deux mois après, et fut inhumé à la chartreuse de Villeneuve. Depuis lors, jusqu'à l'arrivée des Bénédictins de Saint-Maur sur la montagne, Notre-Dame eut toujours pour prieurs les pitanciers de Saint-André. Et le pèlerinage fut encore florissant pendant la plus grande partie du XVe siècle.

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NOTA GM : Un "PETITalot " oublie, de Jean Baptiste Petitalot.
La malédiction : Lors du Concile de Vienne, le 20 mars 1312, l’Ordre des Templiers est dissout, et leurs biens sont confisqués. Ce n’est que le 18 Mars 1314, que le Grand Maître des Templiers, Jacques de Molay monte sur le bûcher. Ce jour-là, il va maudire ses tortionnaires, pour leur « traîtrise du vendredi 13 ». En effet, la veille, le jeudi 12 Octobre 1307, Jacques de Molay assistait aux obsèques de Catherine de Valois, belle sœur du roi, pendant lesquelles, il porta même un des « Cordons du Poêle », honneur suprême.
La Mémoire populaire retiendra la mort du pape Clément V (1) , à Roquemaure du Gard, dans la nuit du 19 au 20 avril 1314, puis celle de Philippe le Bel, dans les six mois qui ont suivi, comme le prévoyait la malédiction de Jacques de Molay .
« Pape Clément, roi Philippe, Chevalier Guillaume, avant qu'il soit un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu ! Maudit ! Maudit ! Soyez maudits jusqu'à la septième génération ! »
(1) Il meurt  le 20 avril 1314, à Roquemaure, de l'autre côté du Rhône après avoir ingurgité un plat d'émeraudes pilées destiné à le guérir !
Texte de Philippe Ritter, historien des Templiers.

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