NOTRE DAME DE ROCHEFORT

PR
ÉFACE

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910

Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.

A Monsieur le Chanoine PETITALOT
Supérieur des Chapelains de Notre-Dame de Rochefort - Nîmes, le 9 février 1910.

CHER MONSIEUR LE CHANOINE,
C'est un des pèlerinages, aimé entre tous, dans notre diocèse de Nîmes et je dois ajouter dans l'archidiocèse d'Avignon, que le béni sanctuaire de N.-D. de Grâces, à Rochefort-du-Gard.

L'âme de notre peuple catholique s'est attachée à la Vierge honorée sur la sainte montagne, avec une fidélité onze fois séculaire, que les plus formidables révolutions n'ont pu briser. Elle subsiste encore et son intensité émeut et saisit au cœur l'observateur indifférent, venu à N.-D., de Rochefort en touriste distrait et qui, plus d'une fois, repart troublé et inquiet au spectacle de cette foi ardente, dont tant de voix bruyantes lui avaient signifié l'irrémédiable décadence.

Car, ni le site pittoresque du rocher abrupt dominant la plaine et sur lequel se dresse le sanctuaire; ni les sentiers escarpés, qui y conduisent; ni la splendeur du chemin de croix monumental, qui accueille le visiteur, à son arrivée ; ni l'architecture bénédictine du vieux prieuré adossé à la chapelle ; rien de tout cela ne semble intéresser les longues files de pèlerins, qui gravissent la sainte colline. La pensée de ces pieuses caravanes, recrutées dans tout le pays, ne se fixe point à ces objets extérieurs, pourtant dignes d'intérêt ; elle est tout entière à Notre-Dame-de-Grâce, à la Vierge vénérée, aux pieds de laquelle les multitudes accourent déposer leurs hommages et solliciter les faveurs, dont tant d'ex-voto attestent l'importance.

A Notre-Dame de Rochefort rien de mondain ne trouble le recueillement de la foule, qui prie ; rien ne sollicite,sa curiosité et ne la distrait de cet office le plus élevé de tous : rendre hommage à Dieu, par l'intercession de l'auguste Vierge Marie, la Mère du très saint Rédempteur.

Depuis l'an 798, date de la fondation du pèlerinage, les traditions, les habitudes des vieux âges se sont perpétuées avec un esprit religieux, qui est tout à la louange du peuple. Car dans le sanctuaire de N.-D. de Grâces les fidèles s'installent familièrement, comme au foyer paternel, sous l'œil bienveillant de la Mère. On passe le plus souvent la nuit entière dans l'église, ainsi que cela se pratiquait jadis pour les saintes Vigiles. On prie ; on chante les cantiques populaires, on écoute l'exhortation des zélés chapelains; on se confesse; on contemple le doux sommeil des tout petits reposant comme des anges d'innocence sur les degrés de l'autel et, l'aube venue, on entend la messe, on communie et l'on reprend joyeux le chemin du labeur.

Aussi, cette confiance très filiale envers l'auguste Vierge n'est-elle point vaine et Dieu se plaît à couronner par le miracle la foi simple de ceux, qui, selon l'invitation du Sauveur, demandent sans un sentiment d'hésitation envers 1a bonté du Dieu qui exauce toujours nos requêtes.

Sans doute Dieu n'accorde pas toujours ce qui lui est précisément demandé, parce que nous ne savons pas le dernier mot de ce qui fait l'objet de notre requête. Mais jamais cette prière ardente faite par l'intermédiaire de la « toute-puissance suppliante » de Marie ne saurait être vaine.

Tel venu à l'autel de Notre-Dame de grâce afin de solliciter la guérison du corps reçoit en compensation de sa foi confiante la guérison plus miraculeuse des plaies invétérées de son âme. Cependant, tous s'en retournent consolés, avec la résolution généreuse de revenir au plus tôt, dés que le fardeau pèsera plus lourdement sur leurs épaules.

C'est le spectacle émouvant que vous contemplez chaque jour, cher Monsieur le Supérieur. Il a pénétré votre cœur d'un filial enthousiasme pour la sainte Madone de Rochefort, dont vous avez la garde et il vous a inspiré de dédier ces pages à la louange de Notre-Dame-de-Grâce.

Avant d'écrire cette histoire, vous vous êtes documenté aux meilleures sources, afin de raconter avec exactitude toute la suite des faits.

Vous avez redit les origines, les vicissitudes, les heures désolées du pèlerinage de Notre-Dame de grâce ; vous avez chanté les gloires du sanctuaire, faisant la large part aux merveilles, qui y sont opérées par l'intercession de Marie.

Vous avez pleuré sur les ruines du sanctuaire renversé par les bandes de huguenots en 1560 et transformé en étable jusqu'en 1629 ; vous racontez les profanations sacrilèges de 1793 ; mais vous vous plaisez aussi à redire les jours glorieux de l'apothéose du couronnement de la Vierge en 1869 et la célébration inoubliable des fêtes du onzième centenaire en 1898.

Toutefois, ce qui me touche profondément dans vos récits, ce que tous les monuments attestent, c'est ce fait incontesté, que la foi ardente des petits et des humbles sauva le pèlerinage de l'oubli, au milieu des crises les plus aiguës, que leurs larmes et leurs prières consolèrent les ruines désolées et firent refleurir la solitude de Notre-Dame de Rochefort.

Puisse votre histoire de Notre-Dame, cher Monsieur le Chanoine, très documentée et sobrement écrite, affermir la dévotion du peuple envers Notre-Dame-de-Grâces, en même temps qu'elle l'éclairera sur l'authenticité des faits, qui l'accréditent.

C'est assez vous dire que je bénis votre travail et que j'en souhaite la diffusion très large, surtout parmi cette foule de pèlerins, qui viennent chaque année prier sur la sainte montagne.

Veuillez, avec mes félicitations pour l'œuvre, qui atteste votre zèle infatigable pour la gloire de la Vierge de Rochefort, agréer la nouvelle assurance de mon religieux dévouement.

FÉLIX, Évêque de Nîmes. (*)


(*) Félix-Auguste Béguinot 1896-1921