Notre-Dame de Rochefort
Le Chemin de Croix monumental.

inauguré le 11 mai 1869

Extrait de Notre-Dame de Rochefort-du-Gard
depuis Charlemagne jusqu'à nos jours.
Récit du Chanoine J. -B. Petitalot, 1910



Avertissement : Le livre du Chanoine de Notre-Dame de Rochefort, Jean Baptiste Petitalot, doit être abordé comme un livre pieux écrit par un homme partagé entre la rigueur de l'historien et la foi de l'homme d'église. Il n'en reste pas moins très intéressant et incontournable.   G.M.

XXXIV

Le pèlerinage de Rochefort possède l'un des plus beaux chemins de croix qu'on puisse voir. Il fut inau­guré le jour même du couronnement de la Vierge ; et à ce propos Mgr Plantier, annonçant la double céré­monie, faisait cet heureux rapprochement.

Après le couronnement de la statue de Marie, viendra l'inauguration d'un Chemin de Croix érigé sur les flancs abrupts de la montagne. On dirait que ces deux cérémonies sont destinées à se faire contraste l'une à l'autre, et cepen­dant elles ont entre elles des affinités aussi instructives que profondes. Le Sauveur n'a-t-il pas dit autrefois aux disci­ples d'Emmaüs que le Christ était obligé de souffrir, afin d'entrer par là dans sa gloire ? Cette nécessité qui pesa sur le Fils ne s'imposa pas moins inévitablement à la Mère. Comme Jésus, Marie n'a conquis le suprême bonheur qu'au prix de la plus extrême souffrance ; si elle est montée au faîte le plus sublime de la puissance et de la grandeur, c'est après être descendue jusqu'au dernier excès de l'humilia­tion.

Et voilà précisément le grand fait, ou plutôt la grande loi que rappelleront les stations de la voie douloureuse ser­vant d'accès à la chapelle triomphale de Notre-Dame de Rochefort. La chapelle portant au sommet de sa tour l'i­mage de la céleste Vierge, c'est Marie couronnée ; c'est Ma­rie assise dans la gloire et régnant sur le monde en souveraine ; c'est Marie planant au plus haut des cieux, et nous invitant à la suivre comme l'aigle invite ses aiglons à se lancer du côté du soleil.

Le Chemin de la Croix, c'est Marie rencontrant son Fils ensanglanté sur la route du Golgotha, Marie debout au pied du gibet sur lequel son Jésus expire ; Marie abreuvée de toutes les tortures sous l'action meurtrière desquelles s'é­teint l'auguste Victime du Calvaire ; Marie attestant par son exemple, comme Jésus par les siens, qu'on n'arrive à moissonner dans la joie qu'après avoir semé dans les tribu­lations et les larmes.

Il sera précieux aux pèlerins, s'acheminant vers Notre­ Dame de Grâce, de trouver ce haut enseignement écrit en frappants caractères sur la montagne visitée par leur amour. Au bord ils verront l'épreuve, condition de la gloire ; sur la cime ils apercevront la gloire, récompense et couronnement de l'épreuve. Ils comprendront mieux que jamais, grâce à la majesté du tableau se déroulant sous leurs yeux, que l'es­pérance et la résignation sont les deux grandes ailes char­gées d'élever l'âme chrétienne au faîte de ses destinées ; et quand ils regagneront leur patrie et leur demeure, ils em­porteront la résolution de faire à cette double force une part plus profonde dans leur cœur et dans leur vie.

Ces stations ne seront pas seulement l'expression d'un enseignement élevé ; ce sera encore la satisfaction d'un pieux besoin. Parmi les pèlerins de Rochefort, plusieurs apportent avec eux un sentiment de pénitence et de mor­tification. On dirait, quand ils sont au pied de ce nouvel Horeb, qu'ils entendent la voix de Dieu leur crier comme à Moïse : « Dépose ta chaussure, car le lieu vers lequel tu marches est saint. » Ils gravissent le mont sacré par ses cô­tés les plus âpres, en se traînant sur les genoux, ou les pieds nus et plus d'une fois meurtris par des pierres ou des rochers au tranchant impitoyable. Désormais les images de la Voie douloureuse donneront à leur courage des consola­tions inaccoutumées. Ils uniront leurs humbles expiations aux expiations infinies du Sauveur ; s'ils versent quelques gouttes de leur sang sur les cailloux du sentier ils les mêle­ront aux flots de celui dont le Christ a rougi et comme détrempé l'avenue du Calvaire ; et lorsqu'ils arriveront ainsi devant l'autel de la Mère, couverts et pour ainsi dire em­pourprés du sang de son Fils, pourra-t-elle leur refuser l'ap­pui qu'ils lui demanderont au nom même de ce sang ado­rable ?

Enfin, pourquoi ne l'ajouterions-nous pas, nos très chers Coopérateurs ? Les Pères Maristes ont voulu que ce Chemin de Croix, destiné à remplir une si grande mission, portât un caractère monumental. La montagne austère de Rochefort n'est pas sans analogie avec certains sites de la Palestine ; dans les formes tourmentées et les déchirures profondes de ses rochers, dans les lignes que leurs découpures forment à l'horizon, dans leur couleur blanchâtre coupée à peine de loin en loin, par des touffes plutôt grisâtres que vertes de gazon et de petits arbrisseaux, on retrouve un paysage de l'Orient. Dans ce cadre tracé par la nature, il était tout sim­ple qu'on imprimât aux édicules qu'il devait embrasser une forme orientale. C'est ce qu'a fait avec le succès le plus in­contestable un architecte accoutumé à produire des chefs-d'œuvre. En voyant chacun de ces oratoires avec son élé­gante coupole, ses ogives mauresques et ses gracieuses co­lonnettes, on croirait volontiers qu'on est en Terre-Sainte et près de Jérusalem.

La correction du travail s'unit à la distinction du style et du dessin. On n'a rien négligé pour que dans ce bel ou­vrage tout fût digne de Notre-Dame de Grâce, et glorieux pour notre diocèse et pour l'art chrétien. Il sera perdu dans une espèce de solitude, c'est vrai. Mais les Romains ont-ils craint d'élever leur admirable Pont du Gard dans un désert où cette merveille devait être contemplée seulement par les éperviers qui se joueraient sous ses arches immenses ? Est-ce que l'Église, à son tour, n'a pas semé par centaines des chapelles ravissantes de grâce et de richesse ou sur des sommets tellement inaccessibles, ou dans des gouffres tel­lement inexplorés, ou dans des forêts tellement impéné­trables, que le regard des anges en connaît seul la beauté ? Notre Chemin de Croix dût-il participer à cette destinée, nous ne devrions pas regretter de l'établir, puisque l'œil de Jésus et celui de Marie seraient encore là pour le considérer avec amour. Mais non; chaque année de pieux pèlerins le visiteront par troupes nombreuses, et tous, soit en l'abordant, soit en le quittant, béniront les mains généreuses qui en auront dressé les stations, sur les pentes de la mon­tagne.

Donnons maintenant le compte rendu, de la céré­monie d'inauguration.

Vers 2 heures de l'après-midi (14 mai 1869), la fête du jour prenait un autre caractère. Une immense procession, formée des congrégations des diverses paroisses du voisinage, des Frères enseignants venus en grand nombre, d'un. clergé considérable, et des quatre Prélats avec leurs assis­tants, se déroulait sur les flancs de la montagne, se dirigeant vers le Calvaire monumental, entrepris tout près du sanc­tuaire par la généreuse initiative des RR. PP. Maristes (1).

(1) Leur supérieur général, pouvant disposer à son gré d'une somme assez importante destinée à l'érection d'un Calvaire, avait bien voulu l'affecter à celui de Rochefort. C'est avec cette somme qu'on avait pu réaliser ce qui existait le jour de l'inauguration.

Rien de grandiose comme le coup d'œil qu'offrit en ce moment la vue de la sainte montagne. On put se faire alors une idée de la foule accourue à la fête. Plusieurs l'ont esti­mée au chiffre de 15.000 à 20.000 âmes. On eût dit un océan de têtes humaines superposées les unes au-dessus des au­tres. C'est au milieu de ces flots de peuple que la procession s'avançait au chant du Vexilla Regis et d'autres cantiques à la Croix. Arrivée dans l'enceinte du Calvaire, elle parcou­rut les rampes en décrivant des lignes d'une imposante ma­jesté. Le Pontife célébrant, précédé des évêques assistants, s'arrêtait devant chacune des stations et les bénissait suc­cessivement.

S'inspirant de la nature du site, des goûts si sûrs et des conseils si éclairés du savant Évêque de Nîmes, l'architecte a su leur donner une forme orientale des plus élégantes, tandis qu'à l'intérieur la foi et l'art reproduisent avec un rare bonheur, comme au naturel en quelque sorte, le spec­tacle parlant des souffrances de Notre-Seigneur Jésus­ Christ. Bien des larmes ont coulé devant les tableaux de ces premières stations ; ils rendent si parfaitement les scènes diverses de la Passion, qu'on se sent malgré soi, vivement impressionné et ému. Qu'il est à souhaiter que la charité des fidèles achève bientôt cette œuvre monumentale ! Elle ne sera point seulement une gloire pour nos contrées, mais encore nous n'en doutons pas, un instrument de conversion et de salut pour un grand nombre d'âmes.

La procession avait gagné le haut du Calvaire et s'était groupée au pied des trois grandes croix. C'est à ce moment que M. l'abbé de Cabrières, vicaire général de Monseigneur l'Évêque de Nîmes, adressa à la multitude un discours élo­quent sur l'utilité et la convenance du Calvaire de Roche­fort. Sa parole facile, sympathique et élevée fut écoutée avec une religieuse attention. Les cris répétés de Vive la Croix, qui suivirent, témoignèrent hautement qu'il avait été au cœur de chacun, dans tout ce qu'il avait dit sur le mystère de la Croix et les prodiges opérés par elle dans nos contrées.

Après ce discours, Monseigneur l'Archevêque bénit solen­nellement le nouveau Calvaire, pendant qu'un cantique de circonstance, dédié à la Croix et dû à la poésie de M. l'abbé Gonnet, d'Avignon, était chanté avec tout l'entrain et toute l'expression de la piété la plus vive. Du Calvaire, la procession revint, en chantant le Te Deum, sur le plateau de l'église, et la bénédiction solennelle du Très Saint Sacre­ment donnée en plein air, du haut de l'autel où s'était ac­complie la cérémonie du matin, clôtura cette journée si belle pour tous, et dont le souvenir sera à jamais dans tous les cœurs, en même temps qu'il marquera dans les annales du sanctuaire.

Très certainement, Notre-Dame de Grâce aura eu pour agréable cette touchante manifestation de la piété de son peuple d'Avignon et de Nîmes ; elle étendra plus que ja­mais sa main tutélaire sur les vénérables Prélats qui ont daigné apporter de si grand cœur leur concours à cette fête ; elle accordera de nouvelles et plus abondantes bénédictions aux. bons Pères Maristes qui en ont eu l'initiative et qui l'ont si bien organisée, et elle donnera à notre pays, avec le bien­fait de la conservation d'une foi séculaire, l'abondance de ses dons et de ses faveurs.


Il n'est pas sans intérêt de savoir comment et au prix de quels efforts s'est exécutée cette grande en­treprise du Chemin de Croix de Rochefort.

Les Pères Maristes, dans le but d'aider et de dévelop­per, la piété, des pèlerins, nourrissaient depuis long­temps la pensée d'ériger un Chemin de Croix, ou Cal­vaire, sur la montagne. La confection d'une route meil­leure que l'ancienne rendant plus aisé le transport des matériaux nécessaires, et un don pécuniaire impor­tant leur ayant été fait à cette fin, le P. Besson, supé­rieur de la résidence, se mit de suite à l'œuvre.

Pour l'achat du terrain, il fallut traiter avec la com­mune de. Rochefort, qui possède légalement la mon­tagne, sinon en propriété, du moins en jouissance. Un acte d'acquisition fut passé entre les Pères Maristes et cette commune, par-devant Me Dutour, notaire à Rochefort, le 7 mars 1867, portant, que ce terrain d'environ 79 ares est vendu au prix de 1.423 fr. 80 cent. Les chemins en zigzag furent aussitôt tracés et cons­truits pour le prix de 10.860 fr.

D'après le désir de Mgr Plantier, M. Revoil, archi­tecte diocésain; fut choisi et chargé de dresser le plan des stations et autres constructions en maçonnerie ; et on s'adressa à M. Mayer, chef de l'Institut de l'éta­blissement de l'art chrétien à ,Munich, pour la confec­tion des, personnages et tableaux du Chemin de Croix; à M. Monier, entrepreneur, pour bâtir les édicules ; à M. Cade, maître serrurier de Nîmes, pour les portes ou grillages.

Les trois personnages, Christ et larrons, ont coûté 3.400 fr. Les croix en fer, confectionnées par M. Ber­ton d'Avignon, reviennent avec la pose à 2.409 fr. Cha­que édicule ou station coûte, matériaux, construction et sculpture, 2.200 fr., non compris le minage ou pré­paration de l'emplacement, ni les portes en fer. Les tableaux des quatorze stations ont été peints et faits à Munich ; les cinq premiers ont coûté, rendus à Roche­fort, 1.378 fr. chacun. La chapelle de la Sainte-Agonie a coûté 5.000 fr. de bâtisse. Les neuf dernières stations faites seulement en 1874 et 1875, ont été cotées cha­cune à environ 2.100 fr., et les tableaux 10.000 fr. ren­dus à Avignon, environ 1.115 fr. chacun. Celui de la Sainte Agonie, placé en 1877, a coûté, port 'compris, 1.420 fr. - Mgr Plantier avait pris à sa charge toute la chapelle de la Sainte-Agonie, mais l'épuisement de ses ressources ne lui permit pas de tenir sa promesse ; le tableau seul fut payé par M. Clastron, au nom du prélat défunt.

Quelques stations seulement étaient achevées en 1869, lors de l'inauguration. Des croix de bois furent érigées à la place des édicules qui restaient à faire, et le chemin de croix fut béni, avec autorisation épis­copale, le 8 juillet.

Les troubles politiques et les malheurs de la guerre, en 1870-1871, firent différer l'achèvement de l'entre­prise jusqu'à 1874-1875.

Les portes des édicules et autres ferrures princi­pales du Calvaire, sont l'œuvre de M. Cade Joanen, serrurier à Nîmes. Chaque porte des stations a coûté 130. fr.

Afin de faciliter aux fidèles l'exercice du Chemin de la Croix, le P. Jobert, supérieur du couvent de Notre­ Dame de 1873 à 1876, a composé `et fait peindre sous les tableaux des stations les prières suivantes :

SAINTE AGONIE
JÉSUS AU JARDIN DES OLIVES.
Par votre sanglante et douloureuse agonie, faites, ô mon divin Sauveur, que je vous aime de plus en plus, et que je déteste le péché par dessus toutes choses.

Ire STATION
JÉSUS EST CONDAMNÉ A MORT.
C'est moi, O Jésus, qui suis la cause de votre mort. O Marie, refuge des pécheurs, obtenez-moi le pardon de mes innombrables péchés.

Ilme STATION
JÉSUS EST CHARGÉ DE SA CROIX.
O Jésus, donnez-moi la force de marcher courageusement à votre suite, et de supporter comme vous, sans murmurer, toutes mes épreuves.

IIIme STATION
JÉSUS TOMBE SOUS LE POIDS DE SA CROIX.
Non, ô mon Jésus, vous ne porterez pas seul le poids de mes iniquités; je veux vous en alléger le fardeau par mes larmes et ma pénitence.

IVme STATION
JÉSUS RENCONTRE SA TRÈS SAINTE MÈRE.
O Marie, aidez-moi à me renoncer entièrement, à porter généreusement ma croix, et à suivre avec vous Jésus jus­qu'à la mort:

Vme STATION
SIMON LE CYRÉNÉEN AIDE JÉSUS À PORTER SA CROIX.
Je viens, je me .donne à vous, ô mon Sauveur ! Je veux vous servir; pour toujours j'embrasse votre croix.

VIme STATION
UNE FEMME PIEUSE ESSUIE LA FACE DE JÉSUS.
O Jésus, je vous reconnais, je vous adore comme mon Dieu, sous ces dehors de souffrances et d'opprobres. Puissé-­je vous imiter, et vous rendre sans cesse amour pour amour.

VIIme STATION
JÉSUS TOMBE UNE DEUXIÈME FOIS.
O mon Sauveur, par les mérites de votre seconde chute, accordez-moi la force de fuir les occasions du péché, et de résister à toutes mes tentations.

VIIIme STATION
JÉSUS CONSOLE LES FEMMES D'ISRAEL.
Oui, Seigneur, vous seul savez consoler les âmes affli­gées. Je souffre, ah ! daignez jeter sur moi un regard de ten­dresse et de miséricorde.

IXme STATION
JÉSUS TOMBE POUR LA TROISIÈME FOIS.
Par vos humiliations et vos douleurs, ô divin Jésus, faites­ moi la grâce d'être plus humble, plus confiant en votre mi­séricorde, au milieu de toutes mes faiblesses.

Xme STATION
JÉSUS EST DÉPOUILLÉ DE SES VÊTEMENTS.
O mon Sauveur, c'est mon amour pour la vanité et les plaisirs qui vous abreuve en ce moment d'ignominies ; pardonnez-moi et changez mon pauvre cœur.

XIme STATION
JÉSUS EST ATTACHÉ À LA CROIX.
Contemple, ô mon âme, les souffrances que Jésus endure pour toi ; pleure amèrement tes crimes qui ont percé ses pieds et ses mains adorables.

XIIme STATION
JÉSUS MEURT SUR LA CROIX.
Divin Jésus, victime d'amour pour moi, je veux, avec votre puissant secours, vivre et mourir d'amour pour vous.

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XIIIme STATION
JÉSUS EST DÉPOSÉ DE LA CROIX.
O Marie, imprimez tellement dans mon âme les douleurs que vous ressentîtes au pied de la Croix, que je n'en perde jamais le salutaire souvenir.

XIVme STATION
JÉSUS EST MIS DANS LE SÉPULCRE.
Ensevelissez avec vous, ô mon Dieu, toutes mes misères créez en moi un cœur nouveau; et comme Marie ma divine Mère, que je ne vive plus désormais que pour vous seul.

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> Le chemin de Croix monumental de Notre-Dame de Rochefort - Version imagée


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