Le Père Emmanuel d'Alzon

 

 

De 1815 à 1851

d'après l’Abbé Marcel Bruyère

 

 

 

 

 

 

Le Père Emmanuel d'Alzon est mort en 1880 et malgré que, depuis lors, près d'un demi-siècle se soit écoulé, nous n'avions sur le vicaire général de quatre évêques de Nîmes et le fondateur de l'ordre des Augustins de l'Assomption aucun travail d'ensemble traité avec l'ampleur que comportait le sujet.

 

La Lettre pastorale de Mgr Besson sur la vie et la mort du T.R.Père Emmanuel d'Alzon est un brillant tableau, comme savait en tracer cet homme d'esprit et ce parfait humaniste nourri des lettres anciennes et modernes. Mais ce n'est qu'un tableau, forcément laudatif, et l'on y chercherait en vain, par exemple, une allusion aux différences considérables d'opinions et de caractères entre le prélat nîmois et son ex-vicaire général qui ne se gênait pas pour en entretenir ses amis.

 

 

L'éloge funèbre du P. d'Alzon par Mgr. de Cabrières, prononcé le 23 octobre 1910, à la Cathédrale de Nîmes à l'occasion des fêtes de son centenaire est avant tout le délicat et touchant cri de reconnaissance de celui qui, dans l'exorde de son discours, déclarait avec une trop grande humilité : « Le peu que je sais, le peu que je vaux, je le tiens sans doute de Dieu et de mes parent. mais aussi et surtout de lui, (le P. d'Alzon) puisque dès l'âge de sept ans jusqu'à ma consécration épiscopale, j'ai vécu à son ombre et sous son regard ».

 

Tout cela était bien peu de chose quand on songe à la forte personnalité du P. d'Alzon, à son activité débordante et au rôle considérable qu'il a joué dans l'histoire de l'Eglise de Nîmes, de l’église de France et même de l'Eglise tout court.

 

Aussi le travail du R.P. Siméon Vailhé dont le tome premier qui va de 1810 à 1851 vient de paraître (1) sera-t-il accueilli avec joie même par d'autres que les fils spirituels du Père d'Alzon.

 

C'est une oeuvre, tout d'abord, richement quoique discrètement documentée. Son auteur, en effet, a eu pour la rédiger la vaste correspondance du Père d'Alzon. Sept mille lettres environ de celui-ci se trouvent, nous apprend-il, entre ses mains. (Le P. d'Alzon en aurait écrit plus de quarante mille qui formeraient à elles seules au moins trente volumes de la Patrologie Migne). D'autre part, la liste des ouvrages divers qu'il a consultés, quoique incomplète (elle omet en particulier la Vie de Mgr Cart par l'abbé Azaïs (Nîmes 1857) et l'Eloge funèbre du Père d'Alzon par Mgr. de Cabrières (Nîmes, 1910), n'en est pas moins sérieuse et suffisante.

 

Mais ce qui, plus que l'abondance de l'information et un style vigoureux, incisif et personnel, nous a satisfait dans la lecture de l'ouvrage du P. Vailhé, ce sont les efforts de l'auteur à l'impartialité et, somme toute dans la plupart des cas, du moins, pour qui sait lire entre les lignes, une réussite méritoire. Car la tentation est grande pour le membre d'une famille religieuse de faire tourner au panégyrique le récit de la vie de son fondateur. Le P. Vailhé n'a pas fait de son héros un saint canonisé, encore que l'Eglise, il ne manque pas de le rappeler lui-même, ait porté défense d'anticiper sur ses propres jugements en ces questions.

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(1) R. P. Siméon Vailhé, des Augustins de l'Assomption.

Vie du Père Emmanuel d'Alzon t. 1 (1810-1851), 5, rue Bayard, 6 francs s. d. (1927).

 

Il ne cache pas, si toujours il ne les étale pas, les imperfections du Père d'Alzon que connaissent bien ceux qui l'ont fréquenté : un caractère autoritaire et parfois cassant, une nervosité excessive, un esprit mordant qu'il ne savait pas toujours retenir, la critique publique de l'autorité religieuse lorsque les représentants de cette dernière ne lui plaisaient point. Mais à côté de ces défauts imputables en grande partie à sa naissance et que n'arrivait pas à dominer son désir très grand de sainteté, que de qualités absolument remarquables et sur lesquelles il nous plaît d'insister !

 

C'était une vie spirituelle intense, remplie par la prière et la méditation, qui contrastait étrangement avec son activité extérieure, une recherche de la mortification et l'absence d'ambition personnelle, puisque par trois fois, il refusa des offres positives d'épiscopat.

 

D'autre part, une générosité absolue qui le fit se dépouiller complètement en faveur des malheureux et des oeuvres de sa très considérable fortune, « mon fils, avait coutume de dire sa mère, me coûte plus que deux vauriens » ; une belle intelligence, une curiosité scientifique et littéraire toujours en éveil, un travail incessant, une activité débordante qui se traduisait par des fondations d’œuvres de toutes sortes, des prédications par la France entière et des allures ultra-rapides, montre en main, du moins pendant les premières années de son ministère.

 

Le besoin d'agir en se dévouant pour l'Eglise et en bataillant pour elle qui était la -marque distinctive du P. d'Alzon, la raison d'être de sa vie, le porta à jeter, dès 1844, les fondements d'un nouvel institut religieux. Sa Congrégation devait, dans sa pensée, allier l'idéal d'études et de prières des Bénédictins à l'activité sur tous les terrains des Jésuites. L'avancement du royaume de Dieu, telle devait être sa fin et sa devise : « adveniat regnum tuum. » Les débuts en furent laborieux et ce n'est que vingt ans plus tard que l'ordre reçut de Rome un décret d'approbation définitive et commença à se recruter.

 

Comme de juste, le P. S. Vailhé a traité cette partie de la vie du Père d'Alzon avec un luxe de détails que l'on s'explique facilement.

Ils ne font cependant nullement tort aux autres aspects qu'il a décrits de l'activité du valeureux champion de la cause catholique, à Nîmes surtout, et en France

 

On peut dire que la Père d'Alzon tenait de sa race le goût de la lutte.

 

Issu d'une famille dont deux membres avaient péri au cours des désordres religieux du XVIe et du XVIIIe siècles, s'il avait tout d'abord hésité sur la façon précise dont il emploierait sa vie, toujours il eut la volonté de se dévouer à la défense de la religion. « C'était là, disait il, le seul champ de bataille digne d'un homme de cœur. »

 

Aussi, élève à Stanislas, à Paris (il était né au Vigan et avait passé sa première enfance au château familial de Lavagnac, dans l'Hérault), puis, étudiant en droit, se fit-il inscrire à la Société des Bonnes Etudes ainsi qu'à l'Association pour la défense de la religion, cette dernière fondée par l'Abbé de Salinis, aumônier du Collège Henri IV. C'est à une de ses réunions qu'il vit pour la première fois l'Abbé Féli de Lamennais avec lequel il se lia d'amitié et dont il devait pendant longtemps subir l'influence.

 

La révolution de 1830 acheva de le décider. Les carrières civiles se fermaient devant lui, car il voulait imiter la consciencieuse indépendance de son père, plusieurs fois déjà député du Gard et de l'Hérault, sous la Restauration, et qui n'était nullement disposé «  à faire sa cour au bien-aimé de M. La Fayette, au roi de notre République ». N'y avait-il pas là une indication de la Providence qu'elle le voulait entièrement au service de Dieu dans la voie du sacerdoce, ainsi qu'il le pensait lui-même depuis quelques années et s'en était ouvert à ses amis ?

 

Cette conviction s'établit de plus en plus en lui, et le 15 mars 1832, il commençait au Grand Séminaire de Montpellier ses études théologiques qu'il devait terminer à Rome par l'ordination à l'ordre de la prêtrise, le 26 décembre 1834.

 

L'année suivante il était dans son diocèse d'origine, à Nîmes, avec les titres de chanoine et de vicaire général honoraires. Il avait à peine vingt-cinq ans.

 

Ses fonctions n'avaient rien de précis et surtout d'absorbant. « Les fleurs dont son évêque l'avait paré, a écrit le P. Vailhé, ne valaient pas un bon emploi » .

 

Ce fut à l'activité débordante de L'abbé d'Alzon de se créer cet emploi, ou plutôt des emplois, car un seul ne lui aurait pas suffi. Il s'occupa à la fois de catéchismes de persévérance dans la chapelle du collège royal, d'un patronage chez lui dans son appartement de la rue de l'Arc du gras, de confessions, de prédications, de visites des pauvres, de la fondation d'un Refuge, de réunions le lundi, lorsqu'il se fut installé dans la rue des Lombards, réunions qui tenaient à la fois de la Conférence et du cercle et qui groupaient les jeunes hommes désireux de s'instruire de la religion. D'autres réunions de ce genre, mais d'un caractère plus littéraire avaient également été établies par le chanoine Sibour, le futur évêque de Digne et archevêque de Paris, le jeudi soir, à son domicile de la rue de la Madeleine.

 

L'on nous excusera de rappeler que le poète Jean Reboul fréquentait les unes et les autres et, chose que le biographe de l'abbé d'Alzon a oublié de dire, qu'il consultait celui-ci sur ses compositions littéraires. Il lui confia même un jour (vers 1839) une belle Méditation religieuse et poétique sur la Croix qui n'a pas été publiée dans les oeuvres du poète et dont plusieurs strophes mériteraient d'être connues.

 

Entre temps l'abbé d'Alzon était devenu le vicaire général, cette fois titulaire, de l'Evêque de Nîmes, Mgr Cart. Ses occupations ne firent qu'augmenter et elles furent compliquées par ce fait qu'il éprouva tout d'abord une certaine gêne dans ses rapports avec son évêque. Autant, en effet, celui-ci, fils de Franche-Comté, était froid, réservé, prudent, temporisateur à l'excès, autant l'abbé d'Alzon, vrai Méridional, était actif, prompt en affaires, plein d'initiatives, communicatif. La contrainte entre eux deux pendant longtemps fut telle que le vicaire général songea un moment à offrir sa démission. L'attelage, cependant, alla cahin caha, l'un poussant et l'autre retenant, selon le mot de Mgr Cart lui-même.

 

Plus que vicaire général, plus qu'homme d’œuvres et le supérieur d'une maison d'enseignement, l'Assomption, l'abbé d'Alzon fut le chef du parti catholique à Nîmes sous la Monarchie de Juillet, alors que le parti protestant y occupait le pouvoir. II n'était pas encore moine, mais il était déjà botté. Et ici, il nous faut recourir à un témoin peut-on dire oculaire, Mgr. de Cabrières, car le P. Vailhé a observé sur ce point une trop grande réserve.

 

« La haute taille, a donc écrit l'ancien élève du P. d'Alzon, les traits, la virile attitude, la manifeste vaillance, l'éloquence, enfin, du vicaire général frappèrent et attachèrent tous ceux qui se lamentaient de ne pas avoir de chefs ou d'en avoir qui étaient trop patients… »

 

Les Nîmois le montraient avec fierté comme le type du prêtre véritable, indépendant des pouvoirs civils.

 

« Notre peuple une fois conquis n'a jamais retiré son attachement à M. d'Alzon. Dans notre langue populaire, il ne l'appelait ni l'abbé, ni le vicaire général, ni le père, c'était simplement : Moussu Dauzon, un peu comme  M. de Charette, pour les Vendéens. » (Centenaire, p39)

 

Cet enthousiasme faillit se tourner en hostilité, en 1848, à la suite du rôle politique joué cette année là à Nîmes par le Père (il avait pris ce titre depuis son essai de fondation, en 1844, des religieux de l'Assomption).

 

1848, quelle curieuse époque ! Il faut bien croire qu'avant février de cette année, la France avait vécu dans les fers ou tout au moins dans un profond ennui, car après, telle un écolier à qui l'on a donné l'air des champs, elle fut prise d'une crise de liberté et secouée par un vent d'exaltation politique.

 

Le Père d'Alzon ne put se soustraire à la fièvre commune. Un professeur de la maison de l'Assomption, ancien universitaire, Germer-Durand, ayant eu l'idée de fonder un journal à Nîmes, il l'y encouragea vivement. « S'il le faut, écrivait-il de Paris, le 6 mars, je préfère' passer mon temps à vous aider dans votre journal qu'à prêcher ». Allant plus loin, le Père d'Alzon se proposait même la formation d'un club.

 

Le journal parut, il se publiait trois fois par semaine et dura jusqu'au 31 décembre 1848. Il s'intitulait : « La Liberté pour tous » et avait un programme catholique républicain. Le Père d'Alzon n'en était pas le directeur mais il y écrivit plusieurs articles non signés, dont le premier, le plus remarquable :

 

Ce que nous sommes parut à la date du 20 mars. Cet article le fit sûrement sourire, s'il le relut quelque vingt ou vingt-cinq ans après.

 

Nous sommes catholiques républicains, déclarait le néophyte, et il insistait avec force sur la note républicaine. Il était républicain, parce qu'il avait reconnu l'impossibilité d'un retour vers le passé ; parce que le mouvement vers la démocratie ne se serait pas accéléré en Europe depuis un siècle sans la volonté de Dieu ; parce que l'Eglise venait par son chef de se prononcer à ce sujet ; parce que la démocratie était l'application la plus rigoureuse des principes du christianisme.

 

« Républicain de la veille, il attendait depuis de longues années le triomphe de la démocratie ; mais républicain du lendemain, il devait avouer qu'il ne l'attendait pas encore de si tôt. »

 

Telle, dit le biographe du Père d'Alzon qui a écrit ce chapitre de son livre avec beaucoup de bon sens et pas mal de grains de malice, telle est la marche de la démonstration qui suffisait évidemment à contenter les républicains du jour ; tel le résumé des preuves qui produisirent, paraît-il, grande impression. Et il ajoute : « Expérience faite de toutes les formes de gouvernement, nous sommes moins sensibles, aujourd'hui, qu'en 1848, à ce genre de preuves. Nous estimons que le meilleur gouvernement est celui qui assure le mieux la sécurité du pays, qui ne gaspille pas les deniers publics, qui garantit à tous l'exercice des libertés religieuses, corporatives et individuelles » .

 

Le Père d'Alzon eut au moins le bon esprit de décliner toute candidature aux élections législatives malgré le désir de son évêque. Ce désintéressement lui ramena les légitimistes qui déjà s'étaient éloignés de lui et de ses oeuvres. II se dégoûta d'ailleurs bien vite de la politique devant l'insuccès de ses tentatives pour réconcilier des adversaires aussi irréductibles que l'étaient alors les partis religieux de la ville.

 

En réalité le Père d'Alzon n'avait pas une foi républicaine très profonde. Par atavisme, sans doute, il était légitimiste et nous laissons ici la parole à un juge bien informé, le cardinal de Cabrières,

 

« il devait bien des années plus tard, suivre Louis Veuillot dans son élan vers la personne et les idées de M. le Comte de Chambord. Mais ce n'étaient là que des impressions passagères. Dans la conduite générale de sa vie, jamais les préoccupations politiques proprement dites ne tinrent dans l'esprit d'Emmanuel d'Alzon une grande place. Il était et voulait être avant tout et au-dessus de tout un homme d'Eglise »

 

C'est parce qu'il était tel qu'il fut heureux, après. les tâtonnements du début de son ministère et malgré la multiplicité de ses oeuvres, de se consacrer surtout à l'éducation de la jeunesse.

 

Il apportait à cette tâche un véritable attrait et des qualités de premier choix, du dévouement, une grande culture, un esprit d'autorité auquel nul n'osait résister. Sous sa direction, la maison de l'Assomption fondée depuis peu et qui était sur le point de crouler, lorsqu'il l'acheta en 1843, reprit vie et devint l'un des établissements libres les plus prospères du Midi de la France. Comment il y formait des chrétiens convaincus et fermes, comment il les excitait à exercer plus tard dans le monde une influence efficace, un de ses anciens élèves, le cardinal de Cabrières, nous le dira, avec quelque partialité peut-être dans les détails, mais avec un accent de sincérité qui ne trompe pas sur l'ensemble.

 

C'était dans une franchise absolue sur nos défauts et dans une publicité sans ménagements pour nos écarts de paresse, d'indocilité ou de dissipation obstinée que M. d'Alzon prenait son point d'appui pour semer l'engourdissement de nos volontés ; et la verdeur spirituelle de ses allocutions rendait les ordres du jour redoutables. Il ne craignait pas les mots à l'emporte-pièce, et les mauvais élèves n'auraient jamais eu l'envie de répliquer, ni les familles de se plaindre.

 

« Mais il comptait surtout sur l'action de la piété pour nous corriger et donner à notre vie sa direction définitive. Qu'il était majestueux lorsque, dans la chapelle, il s'asseyait après la lecture de l'Evangile, et, le missel ouvert sur les genoux, il nous en commentait les textes sacrés ! Après plus de soixante ans, il me semble entendre son beau développement sur la modestie, un troisième dimanche de l'Avent ..... »

 

« On eût dit que des flammes sortaient de ses lèvres, et de tels discours si vivants et si puissants dans leur forme originale creusaient dans les âmes d'ineffables et inoubliables émotions. » Centenaire, p.p. 34, 5.

 

Etre l'éducateur brillant et complet que nous venons de voir ne suffit pas au Père d'Alzon, il s'occupa encore des questions les plus diverses concernant l'enseignement en France, surtout lorsqu'il eut été nommé au Conseil supérieur de l'Instruction publique, après le vote de Ia loi du 16 mars 1850 sur la liberté de l'enseignement.

 

Avec quatre évêques, parmi lesquels Mgr. Dupanloup, désignés par l'épiscopat, il y fut l'un des trois représentants des maisons d'éducation libre qui figuraient dans la section non permanente de ce Conseil.

 

A vrai dire, sa nomination lui fut quelque peu imposée par Montalembert qui la voulut à tout prix et l'obtint du Prince Président, malgré l'opposition du ministre, M. de Parieu.

 

Personnellement, le Père d'Alzon n'éprouvait pas le moindre désir, nous dit-il lui-même, « d'aller se fourrer dans une galère » où il prévoyait « bien des ennuis et peu d'avantages ». Il n'avait que médiocrement souri au vote de la loi Falloux, la trouvant, comme Louis Veuillot, trop peu libérale pour l'Eglise. De plus, le Conseil comprenait nombre de représentants laïques opposés à la loi de 1850 lorsqu'elle était en discussion et dont une fois votée, ils s'efforçaient d'annihiler les effets. Avant même qu'il ne se réunit, d'ailleurs, le ministre appuyé par le Conseil d'Etat, avait supprimé ou rogné, par un décret d'administration publique, plusieurs des libertés accordées par la loi.

 

Pendant les trois années que le Père d'Alzon fit partie du Conseil, sa présence n'y fut nullement passive. Dans le rapport général pour l'année 1851 du Conseil au ministre, il se chargea de la partie concernant les établissements secondaires libres ; il se prononça contre l'inspection des Petits Séminaires par l'Etat ; il prit la défense du baccalauréat ès lettres menacé ; il s'opposa à l'exclusion des professeurs pour les idées qu'ils pouvaient soutenir dans leurs livres ; il s'occupa enfin, du choix des maîtres de l'enseignement primaire.

 

Telle fut son activité, peut-on dire, officielle et que vint clore, en janvier 1853, son exclusion du Conseil. Le motif de cette exclusion, il nous le donne lui-même Se trouvant à Paris lors du passage du Prince Président à Nîmes, en octobre 1852, il n'avait pas voulu se déranger pour aller l'y saluer. Il dut se consoler de cette exclusion qu'il avait sans doute prévue, en pensant que sa présence allait désormais être presque inutile au Conseil, cette institution étant devenue un rouage purement administratif auquel toute vraie activité était Interdite.

 

En dehors de son oeuvre au Conseil d'Etat pour défendre l'enseignement libre, le P. d'Alzon s'occupa encore de ce même enseignement.

 

Il aurait voulu le voir vraiment organisé et non pas laissé à l'initiative de chaque évêque ou directeur d'établissement. Il chercha à créer une sorte d'Université catholique, à côté de l'Université officielle, qui aurait arrêté des mesures générales pour rendre l'instruction et l'éducation plus chrétiennes. Ses projets furent malheureusement ajournés par la polémique, surgie à l'instant même, entre partisans et adversaires des classiques païens et chrétiens.

 

La liberté de l'enseignement supérieur n'existait d'ailleurs pas. Elle fut accordée en 1875 ; mais bientôt réduite à peu de chose par la défense portée contre les Facultés libres de conférer les mêmes grades que ceux de l'Etat.

 

Même avec ces restrictions qui reconstituaient en quelque sorte le monopole universitaire, le contrôle final des études appartenant à l'Université, nous sommes d'avis que l'enseignement libre aurait pu mieux s'organiser et sortir quelque peu de son cadre diocésaire où il est trop à l'étroit. Il est fâcheux qu'un organisme central n'existe pas pour diriger, encourager et renouveler l'enseignement de maîtres trop souvent laissés à leurs propres initiatives.

 

Nous sommes parvenus à la date de 1852 sur laquelle s'arrête le premier tome de l'ouvrage du P. Vailhé. Son impartialité, ses vues larges, sa riche information rarement en défaut-nous sommes étonnés cependant qu'il n'ait rien dit de l'activité du P. d'Alzon au Concile provincial d'Avignon de 1849, toutes ces qualités, non moins que sa bonne tenue littéraire nous font vivement souhaiter qu'il soit bientôt complété. Nous le souhaitons d'autant plus que la seconde partie de la vie du Père d'Alzon, celle qui va de 1852 à sa mort, nous est moins connue que la première. Sur celle-ci nous avions les : Notes et Documents pour servir à l'Histoire du Père d'ALzon, en cinq volumes qui ne sont pas dans le commerce, mais qu'il était relativement facile de se procurer. A partir de 1852, nous n'avons rien et nous en sommes réduits à des conjectures sur plusieurs points de la vie du fondateur de l'Assomption. Nous avouons attendre avec quelque impatience, par exemple, d'être enfin exactement renseignés sur le rôle que joua le Père d'Alzon dans l'évolution des idées de Mgr Plantier : il y a là un épisode de la vie de ce prélat qui est encore enveloppé de nuages.

 

Que le P. Vailhé se hâte d'éclairer ce point avec bien d'autres en achevant sa vie du Père d'Alzon et en faisant revivre les années de maturité et de vieillesse de cet infatigable lutteur.

 

Abbé Marcel Bruyère.

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