LE PROGRÈS AGRICOLE

1890

 

FERMENTATION ALCOOLIQUE DES MIELS ET PREPARATION DE L'HYDROMEL

 

Les dissolutions de miel subissent difficilement la fermentation alcoolique,; même lorsqu'on les place dans les conditions les plus convenables au point de vue du degré de dilution, de l'apport du ferment, etc., il faut un temps considérable pour réaliser la transformation des sucres en alcool et, pendant cette période, le produit est soumis à des chances multiples d'altération. Les procédés décrits jusqu'à ce jour pour l'obtention du vin de miel exposent à de tels aléas qu'en résumé les échecs sont la règle, la réussite, l'exception. Des conditions indéterminées semblent toutefois intervenir quelquefois pour assurer une fermentation normale, la cause de ces succès fortuits apparaîtra, je crois, nettement dans la suite de cet exposé.

 

Un de nos apiculteurs les plus distingués, M. Froissard, d'Annecy, m'avait fait part de ces difficultés, m'offrant en même temps les quantités de miel nécessaires pour exécuter des expériences, c'est ainsi que j'ai été amené à commencer des recherches dont j'ai l'honneur de présenter à l'Académie les premiers résultats.

 

On connaît la composition des miels, des sucres, parmi lesquels dominent le glucose et le lévulose associés à un peu de saccharose, forment les 75 à 80 pour 100 de leur masse granulée. On y rencontre de l'eau, des essences et des matières colorantes, ces derniers corps en très faibles proportions, quoi­ qu'ils donnent aux miels leurs caractères organoleptiques distincts. Mais on ne trouve pas, dans ces produits naturels, de matières organiques azotées, ni de substances minérales en quantités appréciables. Le taux des cendres qu'ils fournissent n'est pas supérieur à 0,05, 0,09 pour 100.

 

J'ai pensé que les ferments alcooliques ne devaient pas rencontrer, dans un milieu aussi pauvre en matières minérales et azotées, les conditions nécessaires à leur évolution, et que telle était la cause principale, sinon unique, des fermentations larvées, incomplètes, qu'on y observe. Mettant à profit les travaux si importants publiés sur la nutrition des levures par MM. Pasteur, Mayer, Duclaux, m'inspirant de l'expérience remarquable de M: Raulin, j'ai cherché à constituer un mélange de sels capable d'assurer d'une manière suffisante la vie des saccharomyces dans les solutions de miel.

 

J'ai ajouté à ces solutions des sels ammoniacaux, de l'acide phosphorique, de l'acide sulfurique, des sels de potasse, de magnésie et de chaux, et j'ai obtenu, en effet, dans ces conditions, des fermentations complètes, rapides, présentant tous les caractères de la fermentation vinique.

 

J'ai expérimenté plusieurs mélanges dans lesquels les éléments: azote ammoniacal, acide phosphorique, potasse, etc., entraient en proportions différentes. Ces essais ont été exécutés par séries parallèles sur les mêmes solutions de miel placées dans des matras de 750cc, remplis aux deux tiers, additionnés des sels, puis, stérilisés par ébullition et fermés par un tampon de ouate. L'ensemencement a toujours été fait avec une simple trace de levure de vin pure provenant de cultures suivies dans des moûts de raisins secs. A l'origine, ce ferment avait été emprunté une grappe de Mourvèdre, de la récolte de 1888.

 

Connaissant la composition des moûts ainsi constitués, leur teneur en sucre, déterminée par la liqueur de cuivre et calculée ensuite en glucose anhydre, il était facile, en analysant les vins, de comparer les rendements en alcool par rapport au sucre disparu et d'observer la durée des fermentations. Le dosage de l'azote ammoniacal et de l'acide phosphorique renfermés dans ces mêmes vins m'a permis de limiter l'addition de ces corps aux quantités nécessaires.

 

Le mélange auquel je me suis arrêté en dernier lieu permet d'obtenir, par une température moyenne de 22° à 25° C.; la fermentation complète de solutions de miel renfermant, par litre, 250 gr. à 300 gr. de cd corps, cela dans un délai normal, en voici la composition :

 

Phosphate bibasique d'ammoniaque

  100

Tartrate neutre d'ammoniaque

  350

Bitartrate de potasse

  600

Magnésie

    20

Sulfate de chaux

    50

Sel marin

      3

Soufre

      1

Acide tartrique

  250

Total :

1350

 

J'ai employé ce mélange aux doses de 5 gr. et de 7 gr. par litre, sans obser­ver de différences quant aux rendements en alcools obtenus. La dose limite de 5 gr. est donc suffisante en pratique. Les moûts de miel ainsi amendés renferment, par litre, les éléments suivants :

 

 

Pour 5 gr. de sel

Pour 7 gr.

Azote ammoniacal

0,269

0,376

Acide phosphorique

0,195

0,273

Potasse

0,545

0,763

Magnésie

0,072

0,101

Chaux

0,059

0,082

Acide sulfurique

0,084

0,117

Chlorure de calcium

0,011

0,015

Soufre

0,003

0,004

Acide tartrique libre et combiné

3,680

5,152

 

Des dissolutions de miel contenant, par litre, 230 gr. de ce corps, dont la valeur en, glucose anhydre était de 167 gr., m'ont donné, par l'emploi de 7 gr. de sels et au bout de douze jours de fermentation, 9 pour 100 d'alcool en volume, il restait dans les liqueurs 0,9 pour 100 de sucre mesuré avec la liqueur cuivrique. L'azote ammoniacal, ainsi que l'acide phosphorique, avait été absorbé en grande partie par la levure formée.

 

Dans une même durée de temps, des dissolutions contenant 300 gr. de miel par litre et répondant à une teneur de 218 gr. de glucose ont fourni, avec 5 gr. de mélange salin, 11,5 pour 100 d'alcool en volume. Le sucre non consommé s'élevait à 17 gr. par litre. Ainsi, dans ces deux séries d'essais, analysés avant la fin de la fermentation, les rendements en alcool ont été, dans le premier cas, de 56,9, dans le second, de 57,6 pour 100 de glucose détruit. Ces résultats sont assez rapprochés du rendement de 59 pour 100 que l'on a admis comme moyenne pour les fermentations du moût de raisins. Les essais sur de petites proportions facilitent d'ailleurs les pertes d'alcool par évaporation, et l'accès de l'air, qui est plus facile que dans des expériences sur dès masses normales de liquides, permet aux levures d'oxyder une partie du sucre sans le transformer en alcool. Je crois donc que les rendements obtenus en grand seront au moins égaux à ceux qui ont été observés dans la fermentation du moût de raisins.

 

Les mêmes solutions de miel faites à froid et abandonnées à elles mêmes ne fournissent pas au bout de quinze jours 1 pour 100 d'alcool (chiffres observés, 0,83-0,89). La stérilisation de ces solutions et l'addition d'une trace de levure pure ne modifient pas ce résultat dans la même' durée de temps.

 

Si, au contraire, on ajoute à la solution non stérilisée et non additionnée de levure un mélange de sels nutritifs, la fermentation alcoolique se développe rapidement et l'on obtient une proportion élevée d'alcool, mais qui n'atteint pas' toutefois le taux d'une même dissolution préalablement stérilisée. La différence en moins a été de 0,5 pour 100 dans plusieurs essais. A côté de la fermentation alcoolique il s'est développé, en effet, dans ce dernier cas, une faible fermentation butyrique.

 

Il me paraît établi d'après ces expérience si que je me, propose de compléter, que la non-réussite des hydromels est bien due à l'insuffisance alimentaire de la solution de miel pour les ferments. Il faut admettre que, dans les cas fortuits où la préparation du vin de miel a abouti, les substances nécessaires à la vie des ferments sel sont trouvées accidentellement apportées, par exemple par des tonneaux qui avaient servi à la confection ou à la conservation du vin de raisins.

 

G. GASTINE.

 

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