LE MESSAGER AGRICOLE

1866

 

QUELQUES MOTS SUR LE MARC DU RAISIN DONNÉ COMME ALIMENT AU BÉTAIL

 

On ne saurait trop répéter et vulgariser les bonnes choses, les utiles surtout, Aussi doit-on savoir beaucoup de gré à M. H. Marès de rappeler, dans un article inséré dans le Messager du Midi, et reproduit dans le Messager agricole, les avantages immenses qu'on petit retirer, dans les années de disette principalement, des marcs de raisin pour l'alimentation des bestiaux.

 

Un grand nombre de nos viticulteurs en sont persuadés, et cependant combien peu en font un usage constant, par suite de la routine, du mauvais vouloir de nos domestiques de ferme , ou faute de songer à faire sa provision en temps utile !

 

A cette époque, on est généralement absorbé par les tracas des vendanges, décuvaison, ventes, livraisons, etc. 

Aux considérations puissantes du judicieux écrit de M. Marès, je crois devoir joindre quelques détails pratiques, recueillis par une longue expérience; sachant très-bien que je n'annonce rien de nouveau, du moins à beaucoup, je m'estimerai heureux si je réussis à indiquer quelque chose qui profile à certains.

 

Le marc cuit, dont on a extrait l'alcool, n'est généralement utilisé comme aliment que pour l'engrais des bêtes bovines et ovines; donné récent, il engraisse promptement ces animaux, mélangé avec de la paille hachée, des vannes ou balles de blé, ou l'extrémité des joncs dits triangles, surtout si on les saupoudre avec des tourteaux de graine de lin pulvérisés, de sésame ou d'arachide décortiquée.

 

Dans le temps, j'ai rendu compte d'engrais assez importants, et même des résultats fournis par une quinzaine de vaches laitières nourries exclusivement de cette manière, sur mes propriétés de Gigean et du Terrai.

 

(60 kilo de marc, 5 kilo de paille, vannes ou triangles hachés, 5 kilo de tourteaux par tête de gros bétail ; le tout pétri ensemble.)

 

Le marc cuit se conservant beaucoup moins bien que celui qui ne l'est pas, on est obligé de faire ses approvisionnements au sortir du pressoir, surtout pour les mules et chevaux, qui ne mangent pas beaucoup le marc brûlé.

 

Dans les exploitations où l'on distille du marc de raisin, on en entasse d'immenses quantités dans des cuves en pierre ou eu bois, que l'on recouvre d'une couche de terre, de mortier ou de plâtre, afin de le mettre à l'abri du contact de l'air, cause de son altération. Lorsqu'il est tassé suffisamment, couche par couche, par le piétinement des ouvriers ou par la pression d'un tonneau plein que l'on promène lentement dessus, toujours en piétinant avec soin les angles du tas et contre les murs où le tonneau ne peut pas opérer sa pression, le marc, ainsi traité et bien recouvert, peut se conserver sans se gâter toute une année, comme le dit M. Marès.

 

Dans ces grands établissements où les approvisionnements sont énormes, on a soin tous les jours d'en prendre une petite partie, du meilleur sans doute, pour la nourriture des mules, chevaux et bœufs de l'exploitation, le reste de la tranche ou de la couche, quia reçu le contact de l'air pendant une journée, est mis dans la chaudière, et n'a pas le temps de s'altérer beaucoup. Mais, dans les ménageries où l'on n'enferme que le marc nécessaire à la nourriture du gros bétail, sans le brûler, il est avantageux, je crois, de procéder d'une autre manière.

 

Les cuves en pierre sont généralement trop grandes pour recevoir la provision nécessaire pour 4, 6, 8 ou 10 bêtes de labour. Dans ce cas, il faut réduire une cuve en pierre, jugée trop spacieuse, par une cloison en planche, arc-boutée par des madriers, malgré toutes ces précautions, on peut difficilement éviter qu'il ne se gâte un peu de mare contre les parois.

 

Si on n'a pas de local propice pour le loger, on a recours à des cuves en bois on à des tonneaux bien imbibés et défoncés que l'on refonce ensuite ou que l'on recouvre de mortier ou de plâtre, une fois que le marc y est bien tassé. Tout cela est coûteux et souvent embarrassant. Il convient donc, dans ce cas, d'en réduire le volume autant que possible, sans perdre de la substance nutritive.

 

Pour cela, au sortir du pressoir, je fais égrapper le marc le mieux possible, à l'aide des mains et de râteaux en fer. On le jette ensuite, sur un crible eu fil de fer à grandes mailles. (3 ou 4 centimètres carrés) Ce crible est manœuvré sur les bras d'une charrette, placés de niveau. Ce qui tombe au-dessous, c'est la pulpe et les pépins de raisin, que l'on tasse ensuite avec d'autant plus de facilité que la rafle, restée dans le crible, est mise au fumie.

 

Les rafles empêchent non-seulement de bien tasser le marc en le maintenant en l'air, mais occupent une place utile et ne sont pas aimées des mules et chevaux, à cause de leur âcreté astringente, qui provoque souvent chez ces animaux des coliques et la constipation, comme l'out reconnu les vétérinaires.

 

La rafle mêlée à la pulpe, repoussée souvent par les mules et chevaux, va à la litière en entraînant une partie du marc, qui est perdue comme aliment. La perte est bien plus grande si on mélange au marc une quantité plus ou moins grande de son de blé, de farine d'orge, de seigle, de tourteaux de lin et autres, de drêche, etc.

 

Je suis dans l'usage, au moment de le mettre dans la crèche, d'en saupoudrer le marc, que je fais tremper dans un cuvier avec de l’eau d'un repas d'avoine. C'est infiniment plus nutritif, et les bêtes en sont d’autant plus avides. 

Les trois rations du repas se composent ensemble de :

 

15 kg marc criblé

Revenant à 1,50 fr

les 100 kg

  5 kg de luzerne

12,60 fr

 

  5 kg de paille

6,30 fr

 

  1 kg de son ou tourteaux

15,15 fr

 

  2 litres d’avoine

10,20 fr

 

Soit 22 kg de nourriture, jour

1,475 fr

 

 

Tandis que, si l'on nourrit les animaux avec de la luzerne seulement, il faut par jour 16 kil. au moins à 12 fr., ce qui fait 1 fr. 90 c., soit 0 fr. 425 en sus, ou 155 fr. par an, sans avoine, et ils sont exposés à plus de maladies.

 

Je fais donner les deux tiers d'avoine au repas de midi, qui est le plus court; la botte de luzerne avant de faire boire le matin.

 

Je nourris de cette manière mes mules et mes chevaux, le plus souvent âgés, qui sont en fort bon état, malgré un service très actif.

 

Je préfère employer le marc de terret-bourret, qui est souvent refusé par les distillateurs et plus prisé des animaux, surtout s'il est tassé n'ayant pas fermenté. Je le crois alors plus nutritif, mais à la condition d'être tassé après avoir été criblé, sans cela il ne pourrait pas se conserver.

 

Les frais de la suppression de la rafle sont très-peu de chose; ifs consistent seulement dans le criblage des marcs, l'égrappage étant toujours nécessaire pour les bien tasser. C'est tout au plus si on peut les évaluer à 0,10 fr. les 100 kilo.

 

Un autre produit alimentaire de nos vignes, trop négligé sans doute, c'est le sarment, donné encore vert aux mules, chevaux et bœufs.

 

J’ai souvent entendu raconter que M. Ménard-Vignoles, ancien maître de poste à Lunel, nourrissait, une partie de l'année, des chevaux avec des sarments hachés et de l'avoine.

 

Tel vous affirme qu'un de ses voisins ne donne à son âne, pour toute nourriture, pendant la moitié de l'année, que des sarments frais. Personne n'ignore qu'une bête de somme et de trait broute avec plaisir des sarments frais placés à sa portée, négligeant même sa nourriture habituelle pour ce mets, lorsqu'elle peut l'atteindre, et qu'on semble prendre à tâche de lui refuser alors qu'il ne coûte à peu près rien.

 

Voici que M. Richard, de Pézenas, dans le numéro du 22 avril du Languedocien, nous cite un agriculteur de l'Aude, dont il ne dit pas le nom, qui, quoique récoltant une grande quantité de fourrages, a nourri, pendant deux mois, deux années, des chevaux avec trois livres seulement de foin par jour et des sarments à discrétion, que son bétail s'en était aussi bien trouvé que sa bourse, et que, de plus, il avait remarqué que la qualité des fumiers était infiniment supérieure à celle des bêtes nourries autrement.

 

(Je cite le dire du correspondant de M. Richard sans garantir son opinion.)

 

Je me propose, l'année prochaine, de faire des essais à ce sujet. Je pense que les sarments, hachés très-courts et soumis à un demi-écrasement sous une meule verticale ou entre des cylindres en fonte, subiraient plus facilement la mastication. Mais ces opérations ne peuvent se faire qu'au jour le jour, sans quoi les sarments sécheraient trop vite.

 

Ce serait bien heureux de compter un supplément de plus aux fourrages, si rares et si chers, ne serait-ce que pendant trois ou quatre mois de l'année.

 

Je me ferai un devoir de faire connaître le résultat de mes expériences. Je ne saurais trop engager les viticulteurs à en faire autant de leur côté.

 

J. Bouscaren.

 

> Contact Webmaster