LE PROGRÈS AGRICOLE

1890

 

LE BOUQUET DES BOISSONS FERMENTÉES

 

Dans le Mémoire que j'ai eu l'honneur de présenter à l'Académie des Sciences, le 5 mars 1888, sur le Saccharomyces ellipsoideus et ses applications à la fabrication d'un vin d'orge, j'ai indiqué, en dernière page, les résultats favorables que j'avais obtenus pendant l'automne 1887, en faisant fermenter des moûts d'orge tartarisés avec des levures de raisins de Barsac et de Sauterne, résultats qui confirmaient pratiquement l'opinion si nettement exprimée par M. Pasteur que le goût, les qualités des vins dépendent, pour une grande part, de la levure spéciale qui a présidé à la fermentation, et qu'on doit penser que, si l'on soumettait un môme moût de raisin à l'action de levures distinctes, on en retirerait des vins de diverses natures.

 

Je terminais en annonçant que ces premiers résultats m'engageaient à persévérer dans cette voie et à varier l'expérimentation dès l'automne suivant.

 

Poursuivant donc, en 1888, mes recherches annoncées sur les levures de vin, j'ai fait connaître, dans une brochure imprimée à Nancy en février 1889, que les vins d'orge produits sous d'influence des levures propres aux, raisins dé Beaune, de Chablis, de Riquewyhr (Alsace), possédaient le bouquet caractéristique de ces crus.

 

Vers la fin de 1888, j'ai livré, pour l'expérimentation, de mes levures de Chablis et de Riquewyhr à M. Quénot, de Jarville (prés Nancy), qui a obtenu dès lors, industriellement, des vins de raisins secs que l'on pouvait confondre, à la dégustation, avec des vins blancs d'Alsace et de Chablis.

 

Avant d'exposer la suite de mes travaux, il convient de rendre justice à deux expérimentateurs qui ont suivi la même voie, à M. Louis Marx, d'abord élève du docteur Hansen, dont la publication a paru huit mois après la mienne. Son Mémoire sur Les levures de vin, inséré eu novembre 1888 dans le Moniteur scientifique quesneville, se termine par des moyens très pratiques d'améliorer les vins en faisant fermenter les moûts par des levures spéciales, qui communiquent des bouquets particuliers.

 

Plus tard, en juin 1889, M. Rommier, dans une Note présentée à l'Académie des Sciences, a indiqué aussi la possibilité de procurer le bouquet d'un vin de qualité à un vin commun, en faisant fermenter le moût avec une levure ellipsoïdale provenant d'un meilleur cru.

 

Pendant l'automne 1889, j'ai élevé des levures de raisins d'Ay en Champagne, de Beaune, de Chablis, de Barsac, et fait servir ces levures à la fabrication du vin, d'orge. Les expériences, pour chacune d'elles, ont été exécutées sur 60 hectolitres de moût dans une des brasseries qui fabriquent le gerstenwein en Allemagne.

 

A l'occasion de ces recherches, j'ai fait une remarque: pendant la période d'épuisement que l'on fait subir à la levure à conserver, en la faisant vivre dans de l'eau pure sucrée à 10 pour 100, elle n'en développe pas moins son bouquet, caractéristique. L'eau sucrée décantée, qui contient très peu d'alcool de fermentation, constitue un liquide d'une saveur délicieuse, dont le bouquet est exalté, une véritable sève de champagne, de bourgogne, etc…

 

Or l'expérience décrite dans, le travail de M. Rommier, qui consiste à distiller les liquides fermentés sous l'influence de diverses levures et à recueillir des eaux-de-vie de bouquets différents, n’est que la confirmation de mon expérience.

 

Je termine en rappelant que je signalais encore, dans mon résumé, un fait destiné à achever la démonstration de l'exactitude de la proposition de M. Pasteur J'ai élevé dans du moût d'orge, préparé comme je le dis, de la levure de pommes extraite des lies d'un foudre de cidre, et j'ai communiqué ainsi au produit fermenté la saveur propre au cidre. J'ai obtenu un cidre d'orge dont j'ai donné la composition moyenne et indiqué les propriétés.

 

Georges Jacquemin.

 

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