LA COMPLAINTE DES PRISONNIERES DE LA TOUR DE CONSTANCE
Poésie Patoise d'Antoine BIGOT avec sa traduction
.


La Tour de Constance à Aigues-Mortes

La viéyo villo d'Aigo Morto
La villo dou réi Sant Louis
Panlo e maigro darriès si porto
Au bord de la mar s'espandis
Uno tourré coumo un viel gardo
Viho en déforo di rampar
Aouto e sourno liun liun regardo
Regardo la plano e la mar.

L'aubre se clino, l'auro coure
La poussièro volo au camin,
Tout es siau dins la vieio tourre
Mai per tems passa 'ro pas sin.
Li pescaîre que s'atardavon
Dins la niue, souvent entendien
Tantost de fenno que cantavon
Tantost de voues que gemissien.

De qu'éro aco ? De presouniero.
De qu'avien fa ? Vioula la lei,
Plaça Dieu en ligno proumiero,
La couscienci au dessus dou rei.
Fièri iganaudo, is assemblado
Dou Désert, séguido di siéu,
Lou siaume en pocho, éron anado
A travès champ, per préga Dieu.

Mais li dragoun dou rei vihavon:
Sus la foulo en preiero, zou!
Zou! lou sabre nus, s'accoussavon...
E d'ome de cor e d'ounou
Leu li galèro eron pouplados
E si fenno, i man di dragoun,
En Aigo-Morto eron menado,
E la tourre ero sa presoun.

Souffrissien, li pauri doulento,
La fam, la set, lou fre, lou caud;
Avien li languitudo sento
Dis assemblado e de l'oustau.
Mais vien la fe, counfort e baume
Di cor murtri que reston fier;
Ensemble cantavon li siaume
Dins la presoun coumo au Desert

Li jour, li mes, lis an passavon,
E noun jamai li sourtissien.
D'uni i soufrenco resistavon,
D'autri, pechaire, mourissien.
Mais sa fe, l'aurien pas vendudo,
Mais soun Dieu l'aurien pas trahi,
Noun! Iganaudo eron nascudo,
Iganaudo voulien mouri.

D'avans ti peiro souleiado
Qu'un autre passe indiferent,
O tourre, a mis iuel siès sacrado,
Siei tout esmougu'n te vesent,
Tourre de la fe simplo e forto,
Simbel de glori e de pieta,
Tourre di pauri fenno morto
Per soun Dieu e sa liberta.
La vieille ville d'Aigues Mortes,
La ville du roi Saint-Louis,
Morne étendue entre ses portes
Rêve aux grands jours évanouis.
Elle dort, mais comme un vieux garde
De son œil rouge grand ouvert,
La tour de Constance regarde,
Regarde la plaine et la mer.

De la campagne, de la plage,
S'élèvent mille bruits confus ;
mais la tour, géant d'un autre âge,
la tour sombre ne parle plus...
Seulement, par les nuits voilées,
Le pêcheur entend des sanglots,
Et des voix qui chantent mêlées
Au lointain murmure des flots.

Qui vécut là ? - Des prisonnières
Qui mettaient Dieu devant le roi.
Là, jadis, des femmes, des mères,
Moururent pour garder la foi.
Leur seul crime était d'être allées,
La nuit par un sentier couvert,
Joindre leur voix aux assemblées
Qui priaient Dieu dans le désert.

Mais les dragons - ô temps infâmes
O lions changés en renards ! -
Les dragons veillaient : sus aux femmes !
Braves soldats, sus aux vieillards !
Bientôt un peuple sans défense
Les sabres nus avaient raison...
Les huguenots à la potence !
Les huguenotes en prison !

Ah jamais ces murailles grises
Ne rediront ce qu'on souffert
Ces paysannes, ces marquises,
Ces nobles filles du désert !
Mais dans leur foi puisant un baume,
D'une voix tremblante de pleurs,
Ensemble elles chantaient un psaume...
Les cœurs brisés sont les grands cœurs.

Les ans passaient sur la tour sombre,
Et la porte ne s'ouvrait pas.
Les unes vieillissaient dans l'ombre,
D'autres sortaient par le trépas.
Mais jamais aucune à son Maître,
De le trahir ne fit l'affront...
Huguenotes il les fit naître
Huguenotes elles mourront.

Ah que devant cette ruine
Un autre passe insouciant !
Mon cœur bondit dans ma poitrine,
Tour de Constance, en le voyant !
O sépulcre où ces âmes fortes
Aux ténèbres ont résisté !
O tour des pauvres femmes mortes
Pour le Christ et la liberté


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