LES FRÈRES-PRÊCHEURS.
LES DOMINICAINS
 par l'abbé Goiffon, 1875.
 
 
Couvent des Dominicains, 1636 - Eglise, 1714. Extrait d'un plan de Nîmes au XVIIIe siècle de Igolin,
 
Saint Dominique, chargé par le Pape Innocent III de remplacer le bienheureux martyr Pierre de Castelnau dans la mission de convertir les Albigeois, n'eut la pensée de fonder son Ordre religieux que lorsque quelques jeunes gens de bonne volonté se furent joints à lui pour travailler, sous sa direction, à la conversion des hérétiques. Innocent III lui donna une première approbation conditionnelle et Honorius III, approuvant définitivement le nouvel établissement, imposa aux disciples de saint Dominique l'obligation rigoureuse de prêcher, ce qui leur fit donner le nom de Frères-Prêcheurs. Dès l'an 1217, sept Dominicains s'établirent à Paris et y fondèrent la maison des Jacobins, ainsi nommée parce qu'on y hébergeait les pèlerins qui se rendaient à Saint-Jacques de Compostelle. Saint Dominique mourut dans les derniers jours du mois d'août 1221.
 
ARRIVEE DES DOMINICAINS A NIMES.
 
D'après le Petit Thalamus de Montpellier, Frère Daumergues, saint Dominique, passant par Nîmes, y avait fait plusieurs miracles. Ce souvenir fut sans doute une raison pour les nîmois d'appeler au milieu d'eux quelques-uns de ses disciples. D'après un vieux manuscrit en parchemin, que l'on conservait dans la bibliothèque de l'ancien couvent de Toulouse, le couvent de Nîmes fut établi, en 1263. Ce manuscrit dans lequel le père Guidonis, inquisiteur et dans la suite évoque de Lodève, a recueilli les actes des Chapitres généraux et provinciaux de l'Ordre, depuis 1240 jusqu'en 1342 ainsi que les fondations de divers couvents, s'exprime ainsi peur celui de Nîmes : Conventus Nemausensis positus fuit, anno 1263 ; primus prior fuit frater Petrus Joannis : Le couvent de Nîmes fut fondé en 1263, son premier prieur fut le frère Pierre Jean.
 
Le même manuscrit contient les actes du chapitre provincial tenu à Montpellier, en 1265, dans lequel, à l'article des députations pour visiter les couvents, il est dit: Frère Raymond de Forcalquier (forquinquerio) visitera Valence, Avignon, Tarascon, Arles, Nîmes...
 
Il est également parlé du couvent de Nîmes dans les chapitres suivants, soit dans les assignations, soit dans les députations pour visiter ; nous n'en citons que quelques passages que nous traduisons du latin : au chapitre provincial de Limoges, en 1266 : Nous assignons pour Nîmes frère Raymond Botiva... Frère Ysarnis visitera Montpellier, Alais, Nîmes ; au chapitre de Béziers, en 1269, les couvents d'Avignon, Tarascon, Arles, Nîmes s'occuperont d'autres études ; à la date du 29 juin 1270, le manuscrit porte, frère Jacques de Vinolas visitera Avignon, Tarascon, Arles, Nimes...
 
Le premier monastère situé hors de la ville, près de la porte qui prit d'eux le nom de porte, des prêcheurs, à l'endroit où plus tard on construisit un faubourg, ne fut bâti qu'en 1270 ; jusqu'alors la porte dont nous venons de parler s'était appelée porte du chemin.
 
C'est à cette époque que les Prêcheurs sont nommés dans un acte public pour la première fois ; Pierre Audemar les inscrivit dans son testament du 2 novembre 1270 pour un legs de deux deniers tournois; les Franciscains eurent aussi un legs semblable.

A partir de ce moment, les Dominicains sont rarement oubliés dans les dispositions testamentaires des principaux personnages minois.

Le 22 mai 1313, l'acte de dernière volonté de Raymond Ruffi, fondateur de l'Hôtel-Dieu de Nîmes, établit un anniversaire dans l'église du couvent pour le repos de son âme et de celles de ses parents. Le 17 octobre 1345, le cardinal Bertrand de Deaux, ancien évêque de Nîmes, légua quinze florins aux Prêcheurs. Le 26 février 1368, Raymond de Nogaret, seigneur de Calvisson, Marsillargues et Manduel légua 200 livres tournois au monastère pour la construction d'une chapelle en l'honneur de saint Jean l'Évangéliste dans laquelle il élut sépulture. Comme ces deux cents livres ne suffisaient pas pour la construction, elles furent employées, par permission du pape Innocent IV, en réparation à l'église du couvent et la sépulture fut faite derrière le maître-autel. A cette époque le couvent comptait quatorze pères capitulants.

En 1392, Geoffroy Paumier, ancien lieutenant de la Sénéchaussée fonda par son testament un anniversaire dans l'église des Dominicains, pour le repos de son âme et de celle de son fils et donna dans ce but la somme de seize francs d'or à prendre sur le produit de la vente de ses meubles. En outre, les exécuteurs testamentaires, pour concourir aux vues de piété et de religion du testateur, assignèrent six francs d'or en faveur d'un des religieux du monastère, nommé Raymond Boirand, afin de lui faciliter les études qu'il allait faire à Paris. A ce moment les Dominicains formaient à Nîmes une communauté nombreuse ; leurs actes capitulaires prouvent qu'il y avait alors dans le monastère 19 religieux conventuels et entre autres un lecteur en philosophie, à qui ces actes donnent le titre de Magister naturarum et deux lecteurs ou professeurs en théologie, ce qui suppose une école monastique très-considérable.

Le 25 juin 1430 fut inhumé dans l'église des Frères-Prêcheurs un homme aussi remarquable par sa piété que par sa science ; c'était Jean de Terre-Vermeille, fils d'un ancien consul de Nîmes, docteur en droit canonique et civil, et avocat du roi en la Sénéchaussée de Beaucaire. Partisan déclaré du dauphin, qui fut depuis Charles VII, il composa un écrit latin en sa faveur, intitulé : contra rebelles suorum regum. Cet ouvrage ne fut imprimé qu'en 1526, à Lyon, par l'imprimeur Constantin Fradin, qui l'enrichit de notes explicatives dues à Jacques Bonnaud, natif de Sauzet. Par son testament, Jean de
Terre-Vermeille, prévoyant le cas où ses enfants mourraient sans postérité, voulut que, après leur décès, ses biens fussent employés au soulagement des âmes du Purgatoire, des pauvres mendiants et honteux, et au rachat des captifs détenus par les infidèles (1).
 
(1) Ménard in, note 15, p. 17, nous a conservé l'épitaphe en vers plus ou moins défectueux qui fut gravée sur son tombeau ; elle a péri dans la destruction de l'église par les religionnaires, au XVIe siècle.
Hoc resolvit ossa mortis tyrannide fossa :
Multis latam annis celat civis famam Ioannis :
Aurum latescit : quum de Terra Rubea cessit
Nemausi civis meritis ceisus opimis :
Sensu profundus ; legum apex atque fundus :
Verbîs facundus, paucis in orbe secundus
Gemina lux plebis : advocatus publici gregis
Flagrat amore in Francorum régis honore,
Nunquam varii tropheum cinxit leopardi :
Moribus ornatus, jacet merito tumulatus
Anno milleno quatercentum terquoque deno,
In recolendas Julii septimo calendas :
Flamina tartarei ignis non detur ci
Vera fideli donet Deus premia celi.
 
Louis Raoul, fondateur de l'Avocaterie des pauvres à Nîmes, par son codicille du 16 avril 1480, choisit sa sépulture dans l'église des Prêcheurs, au-devant de la chapelle du crucifix, ou en tel autre endroit que voudraient choisir les religieux, et fonda un anniversaire en cette église ; par le même codicille, il ordonna que ses exécuteurs testamentaires fissent célébrer des messes en divers lieux et entre autres dans les couvents des quatre Ordres mendiants, de Sainte-Claire et de l'abbaye de Saint-Sauveur de la Fontaine. Raoul mourut le 31 août 1484, et fut inhumé chez les Prêcheurs.
 
Le 16 novembre 1482, Dominique Deyron, bourgeois de Nîmes, élut également sépulture dans l'église des Dominicains, au tombeau de ses parents, et légua au couvent 100 livres tournois qui lui étaient dues sur les biens de noble Louis de Bressolis, son beau-père, pour une messe perpétuelle à, célébrer tous les lundis avec absoute sur sa sépulture pour lui et ses parents ; il donna, en outre, sur ses propres biens, 20 livres tournois payables en quatre ans pour un trentenaire de messes à célébrer pour le repos de l'âme de Marguerite Gautier, ss mère. Deyron fit un second testament, le 3 septembre 1485, par lequel il donna au couvent tous ses biens, parmi lesquels se trouvait une maison dans la rue de la Lombarderie.
 
Le 16 mars 1501, Bartholomea de Saint-Flour, veuve de Jean Tutèle, ancien bienfaiteur du couvent, fonda une messe haute perpétuelle à célébrer tous les jours dans la chapelle de la sacristie que son mari avait fait construire ; elle donna dans ce but 400 florins de monnaie courante. Vers le même temps, le 23 novembre 1501, Claude Gomin donna tous ses biens au couvent à condition qu'il serait nourri et entretenu, tant sain qu'infirme, et pourvu, de vêtements selon son état, et qu'il serait rendu participant de tous les suffrages et bonnes œuvres des religieux.
 
Un autre habitant de Nîmes, Jean André, marchand, par son testament du 25 juin 1504, voulut être enterré dans l'église des Prêcheurs; ses dispositions testamentaires, assez semblables .à d'au-tres de la. même époque, nous ont paru assez curieuses, au point de vue des usages du temps, pour que nous les résumions ici : Jean André donne aux chanoines de la Cathédrale cinq sols tournois pour que., selon l'usage, ils reçoivent son corps dans leur église; il lègue au curé qui fera la levée du corps, 10 deniers, au clerc 3 deniers, à chaque prêtre qui assistera à ses funérailles 5 deniers, à chaque dominicain présent à l'enterrement 8 deniers; les quatre religieux qui porteront son corps recevront chacun 15 deniers; treize pauvres seront habillés; une messe sera chantée dans la neuvaine de sa mort chez les Augustin», les Carmes et les Frères-Mineurs, et à cet effet chaque couvent recevra 10 sols tournois ; ces mêmes religieux chanteront deux autres messes à la neuvaine et au bout de Fan, et recevront pour ces messes 15 sols; à chaque bassin des quêtes, il sera donné 7 sols et 6 deniers ; aux chanoines de la Cathédrale, 20 sols; à l'église de Marguerittes, pour la réparer, 10 sols ; ce qui restera d'une somme de 40 livres sera distribué en messes chantées, cierges et autres œuvres pies, à la volonté de ses exécuteurs testamentaires.
 
II serait trop long de rapporter ici tous les dons et toutes les fondations dont le couvent des Dominicains profita au moyen-âge; nous terminerons ce que nous en avons dit par la fondation de la chapellenie de Saint-Jean-Baptiste qu'y fit, le 18 juin 1528, Jean Gylabert, prieur de Lédignan, « pour la rédemption de son âme et de celles de ses parents.»
 
En vertu de l'acte de fondation, une messe devait être dite chaque jour, le dimanche en l'honneur de la Sainte Trinité, le lundi pour les morts, le. mardi en l'honneur des saints anges, le mercredi en l'honneur de saint Jean-Baptiste, le jeudi en l'honneur du Saint-Esprit, le vendredi en l'honneur de la Passion de Nôtre-Seigneur et le samedi en l'honneur de la Sainte-Vierge. Le fondateur donna en ce moment trois tasses d'argent pesant huit marcs, deux onces et neuf deniers ; une aiguière d'argent pesant deux marcs, sept onces et demie ; un calice d'argent doré pesant deux marcs et deux onces, et ayant coûté pour la dorure cinq ducats et demi ; deux salières d'argent, trois cuillères et trois fourchettes d'argent pesant un marc et sept onces; le tout fut évalué 203 livres, 12 sols et 3 deniers ; Gylabert donna encore une vigne sise dans le territoire de Nîmes, au quartier du Plan, d'une carteirade et demie (environ 45 ares) évaluée 40 livres tournois. Le fondateur chargeait, en outre, son héritier, Jean Gylabert neveu, de donner dans lé même but 200 livres payables six ans après son décès. Un acte de 1533 nous apprend que les 203 livres, 12 sols et 3 deniers furent employés à l'achat du troisième tiers d'un mas à Mérignargues, qui, dès lors, appartint en entier aux Prêcheurs.
 
Ces religieux, outre leur propriété à Mérignargues, en possédaient d'autres en Grézan et dans le faubourg qui entourait le couvent; ils avaient des vignes sur divers points du territoire et des propriétés rurales à Marguerittes, Courbessac, Milhaud, Caveirac, Langlade, Congéniès, Aimargues, Rodilhan et même dans le diocèse de Montpellier. Toutes ces possessions représentaient, ainsi que le couvent, .les diverses fondations que la piété des fidèles avaient établies dans l'église du monastère et en assuraient l'exécution.
 
En 1541, les Dominicains prirent part au procès que les Ordres mendiants intentèrent aux Consuls devant la Cour des Grands-Jours, au sujet des quêtes que la ville faisait faire dans leurs églises ; les religieux gagnèrent leur procès ; défense fut faite aux Consuls de quêter dans les églises des couvents ; mais les Consuls s'étant plaints, au cours du procès, qu'il existait dans ces couvents un relâchement scandaleux, la Cour ordonna que l'évêque ou son grand vicaire réformerait les abus. Cette réformation fut faite par le vicaire-général avec l'assistance du provincial des Frères-Prêcheurs el des Consuls autorisés par le Conseil de ville à produire les preuves de leur allégation.
 
Le 3 janvier 1545, le nombre des pauvres étant considérable dans la ville et les ressources ordinaires ne suffisant plus pour les secourir, les Dominicains renoncèrent momentanément à l'arrêt qu'ils avaient obtenu en 1541, et de concert avec les trois autres supérieurs, Guillaume Gallard, prieur des Prêcheurs, déclara aux Consuls assemblés en l'Hôtel-de-Ville qu'il consentait à ce que des quêtes pour les pauvres fussent faites dans son église jusqu'aux fruits nouveaux.
 
Ici se termine la période qu'on peut appeler de fondation, pendant laquelle tous les habitants rivalisent de zèle et de charité pour les Dominicains ; nous entrons maintenant dans la période de lutte.
 
DESTRUCTION DU COUVENT
PAR LES CALVINISTES
 
Au milieu du XVIe siècle, le couvent des Dominicains présentait le plus bel aspect et couvrait un vaste espace. L'église avait trente cannes de long sur dix de large, avec six chapelles de chaque côté, le tout voûté en pierres de taille ; les murailles maîtresses étaient d'une épaisseur de cinq pans ; le pavé était une mosaïque faite de marbres de plusieurs couleurs. Le cloître au-dessus duquel se trouvait les cellules des religieux était porté par de riches colonnes et des murs de trois pans d'épaisseur ; chaque face du cloître avait vingt-cinq cannes de longueur; on voyait dans le couvent un beau réfectoire, une grande cuve vinaire, deux belles classes pour l'enseignement de la philosophie et de la théologie, etc. Un vaste enclos d'environ quatre salmées (presque trois hectares) dépendait du monastère et était entouré de murs de deux pans et demi d'épaisseur ; autour de cet enclos se trouvaient une quinzaine de maisons appartenant au couvent et louées à divers particuliers. Tous ces bâtiments étaient dominés par le grand et haut clocher de l'église.
 
C'est à cette époque que les erreurs du protestantisme commencèrent à s'infiltrer dans Nîmes, avec la connivence secrète des autorités civiles et malgré l'opposition du clergé de la ville et du Parlement de Toulouse ; dès l'an 1552, des prédicants venus de Genève s'étaient fait de nombreux partisans qui tenaient leurs assemblées aux environs de la Tourmagne. Les Dominicains avaient alors pour prieur Dominique Deyron, homme d'esprit et de grande réputation, dont l'influence était grande dans la ville, à cause de ses remarquables facultés ; malheureusement il n'avait pas su garder le trésor de l'humilité chrétienne; son orgueil, excité, par les applaudissements des foules, levait fait tremper dans les nouvelles erreurs, et il était devenu sectateur secret de Calvin. Sur ces entrefaites, le prédicant Pierre de Lavau ayant osé prêcher publiquement les nouvelles doc-trines, fut arrêté et condamné à la peine de mort.
 
Deyron fut chargé de l'accompagner au supplice et de ne rien oublier pour la conversion de ce malheureux ; bien loin de faire des efforts pour ramener Lavau au giron de l'Eglise, Deyron ne fit que le confirmer dans ses sentiments, et le condamné mourut dans l'hérésie. Les paroles de Deyron avaient été entendues de la foule ; le scandale fut si grand, que le prieur des Dominicains fut décrété de prise de corps par les officiers de la Sénéchaussée ; mais il prévint l'orage, s'évada et passa à Genève où il embrassa publiquement la nouvelle religion ; il y mourut vers 1560. Son exemple ne contribua pas peu à pervertir un grand nombre de catholiques.
 
Les Frères-Prêcheurs restés fidèles continuèrent à prémunir la population contre les nouvelles erreurs et s'attirèrent par là la haine des sectaires ; aussi ne furent-ils pas oubliés par la fureur des religionnaires, le 21 décembre 1561; comme les autres religieux de Nîmes, ils furent chassés de leur couvent et ne durent qu'à une fuite précipitée d'échapper à un massacre; leur église fut saccagée et leurs titres incendiés. Les Dominicains purent cependant, le 14 janvier 1562, rentrer dans leur couvent et en réparer les dégradations à la faveur de l'ordonnance de pacification rendue, quelques jours auparavant, par le comte de Crussol , lieutenant général du Languedoc.
 
Les soins matériels n'occupèrent pas seuls les religieux à leur retour, et l'histoire a conservé le souvenir d'une vive et longue dispute de controverse que les Prêcheurs soutinrent, le 1er février suivant, contre le ministre Viret.
 
Un nouvel orage vint bientôt faire de nouvelles ruines dans le couvent; le capitaine huguenot Jean s'y porta avec ses soldats, renversa les autels de l'église, détruisit tous les signes de catholicisme et mit les religieux en fuite. Cependant les Dominicains rentrèrent encore, mais ils furent une troisième fois chassés de leur monastère, le 3 juillet 1562. Les Consuls, Louis Bertrand, Pierre Olivier et Laurent Chantai, s'emparèrent de la maison et des biens meubles et immeubles, et affermèrent le couvent à Nicolas Uxoire, pour deux ans, au prix de 182 livres par an. Celui-ci sous-loua à une foule de gens, mais ne paya pas le prix du loyer; le syndic du couvent, Raymond Cavalézy, qui fut plus tard évêque de Nimes, introduisit, en 1563, une instance devant le Sénéchal pour se faire rendre sa propriété ; n'ayant pu réussir de ce côté, les religieux adressèrent une supplique au Parlement de Toulouse, pour qu'Uxoire fût condamné à les réintégrer dans leurs possessions et à leur payer le prix du lover ; sur le rapport du conseiller Jean Catel, un arrêt fut donné, le 22 avril 1567, pour faire comparaître Uxoire, ses cautions, et les Consuls qui lui avaient affermé le couvent. Cet arrêt fut signifié le 9 mai.
 
Le procès se termina par le retour des Prêcheurs ; vers cette époque Raymond Cavalézy fit avec les consuls un acte d'accord au sujet des greniers à sel, consistant en deux grandes salles situées dans l'enclos du couvent et dont on laissa la jouissance à la ville, moyennant une rente annuelle de 36 livres.
 
Les religieux ne restèrent pas longtemps en paisible possession de leur monastère ; l'horrible journée de la Michelade choisit parmi eux l'une de ses plus illustres victimes et dispersa définitivement les autres Dominicains. Le prieur Nicolas Sausset fut massacré et précipité dans le puits de l'évêché ; le couvent fut démoli et on vit l'avocat Jacques Rozel aider avec un pic à la démolition de l'église. Pendant plusieurs années les matériaux de ces vastes constructions furent successivement volés par les religionnaires qui s'en servirent pour leurs bâtiments particuliers.
 
Les Frères-Prêcheurs ne se laissèrent pas dépouiller sans protester contre les violences dont ils étaient victimes ; à leur requête, le Présidial fit, le 21 octobre 1568, des informations juridiques contre les usurpateurs des fruits de l'enclos et le syndic ayant représenté que malgré les édits de paix, on continuait à emporter les pierres et les matériaux, même ceux qui provenaient des tombeaux des morts qui avaient été inhumés dans l'église, une enquête se fit, le 18 août et le 8 octobre 1571. Les résultats en sont trop remarquables pour que nous les passions sous silence, en voici le résumé fidèle ; on trouvera cette enquête en entier aux archives du Gard, H. 339.
 
Quatre témoins furent entendus, le 18 août ; le premier nommé Jean Peyrollot, âgé de trente ans dépose qu'en passant devant l'emplacement où était « l'esglize desmolie par ceulx de la nouvelle religion, il vist plusieurs parliculiers qui prenoient et emportoient la pierre de ladite désmolition. » Le second, Pierre Journet, chanoine de la Cathédrale, âgé de 28 ans, déclara qu'il avait vu, un mois auparavant, deux hommes qui prenaient et emportaient les pierres de l'église des Prêcheurs ; qu'il leur avait démandé pour-quoi ils le faisaient et que ces hommes lui avaient répondu que c'était un nommé Legros Mathieu, cordonnier, qui leur en avait donné l'ordre. Le troisième témoin nommé Charles Gélinet, âgé de 60 ans et portier de la porte des Prêcheurs, raconta qu'il avait vu un nommé Andrieu prendre plusieurs fois et charrier avec deux ânes la pierre des démolitions de l'église et qu'Andrieu lui avait dit qu'il le faisait pour Legros ; un autre en charriait avec un cheval et un mulet, et cela pendant un mois ou cinq semaines, temps pendant lequel il a été portier. Le dernier témoin entendu ce jour-là, fut Fermin Trentinhan, âgé de 32 ans ; il dit qu'ayant mené sa charrette à réparer dans le faubourg des Prêcheurs, il la trouva à son retour chargée d'une grande pierre et que François, fils de Mathieu, maréchal, le pria de lui charrier cette pierre à la maison de son père.
 
Cinq autres témoins furent-entendus, le 8 octobre. Antoine Sauzède, âgé de 40 ans, habitant du faubourg, a vu plusieurs fois deux individus qui charriaient de la pierre de l'église « et en faisoient leur profict. » Mathieu Jaufrès, âgé de 60 ans, a vu le maréchal Bondebarre emporter chez lui plusieurs fois des matériaux de l'église et en faire son profit; un nommé Vernède, cardeur, en charriait aussi avec un cheval et un mulet « et faisoit force voyages par jour » ; un nommé Legros Mathieu, cordonnier, « tenoit deux hommes à louage avec deux asnes et faisoyt charrier aussi des pierres de ladite esglize et pourter en sa maison et en » faisoyt aussi son profict ; » le fils de Louis Reynaud « a prins et empourté beaucoup de pierres de ladite esglize et en charrioyt avec un asne qu'il menoyt avec soy. » Antoine Breton, âgé de 30 ans, habitant du faubourg, a vu le cardeur Vernède, charriant les pierres avec un cheval et un mulet, faisant beaucoup de voyages ; un nommé la Caritat, son voisin, qui, aidé d'un autre en charriait sur une civière et en emportait une grande quantité dans sa maison; il y avait aussi, dit le témoin, une femme nommée Ysabel de Liboud qui en emportait avec un âne, ainsi que Louise de Liboud, femme d'Aloïs Reynaud « et les deux en faisoient leur profict » Jean Tutelle; âgé de 45 ans, habitant du faubourg, a vu le maréchal Bondebarre emporter chez lui des matériaux sur une civière ; Vernède en charriait avec un cheval et un mulet, il en a bâti sa maison ; le maréchal Mathieu et sa femme en ont beaucoup emporté en leur maison. Étienne Sérargues, âgé de 80 ans, a vu Legros Mathieu emporter la pierre du couvent ; Pierre Verdet, dit Bondebarre, a fait de même et en a bâti sa maison en face du couvent; un autre, Jean Ordo, cardeur, avait deux charrettes de louage qui portaient la pierre en sa maison ; de même Ysabel de Liboud « qui a faict force voyages. » etc. etc.
 
A la suite de cette enquête, ceux qui furent reconnus coupables furent condamnés à restituer ; Bondebarre en particulier dut confesser lui-même qu'il avait construit sa maison avec les matériaux des Dominicains et un arrêt du 22 novembre 1571 le condamna à la restitution.
 
En 1598, il restait encore une bonne partie des murailles et tous les fondements du couvent ainsi que les caves et les pavés de l'église, des chapelles, de la sacristie, du cloître, du chapitre, etc., mais de 1599 à 1622, tout cela fut à plusieurs reprises arraché par les huguenots, malgré les prescriptions formelles de l'Édit de Nantes, dont les protestants de nos contrées acceptèrent les articles qui leur étaient favorables et violèrent audacieusement ceux qui rendaient leurs droits aux catholiques. Tous ces matériaux furent employés à réparer les anciennes fortifications de la .ville ou à en construire de nouvelles, et même une partie servit à clore le cimetière protestant situé près de la porte des Prêcheurs. Dans le même intervalle, les arbres du jardin furent arrachés, les puits comblés, les terres productives couvertes de pierres ; une pièce du temps assure qu'il faudrait plus de 2000 livres pour rétablir l'enclos dans son état primitif ; la même pièce évalue à 25,000 livres les matériaux enlevés et à 15,000 livres les autres dommages.
 
RETOUR DES DOMINICAINS A NIMES.
 
Vers l'année 1600, les Dominicains de Tarascon tournèrent à leur usage ce qu'ils purent recouvrer des revenus de l'ancien couvent de Nîmes, mais ils n'y établirent aucun service et n'y firent aucune résidence. Le procureur du roi, voyant qu'il résultait de cet état de choses un grand préjudice pour les habitants catholiques de la ville, obtint à ce sujet un arrêt de la Cour souveraine du Parle-ment de Toulouse, qui enjoignait aux religieux de reprendre la conventualité à Nîmes et d'y faire résidence et service divin, ou, au moins, d'employer leurs revenus à se procurer provisoirement un lieu commode pour l'habitation des religieux et célébration du service divin.
 
Le 12 août 1618, le frère Dominique Daniaud, dominicain réformé d'Aix, et procureur du R. P. Jean Daniaud, prieur du couvent d'Aix et commissaire du R. P. général de l'Ordre, se présenta à Nîmes avec le frère convers Antoine Rigaud, pour retirer les revenus du couvent de la ville. Il fut reçu dans la chapelle de la Cathédrale par Pierre de Valernod, évoque de Nimes, le prévôt, le précenteur et les dignités du Chapitre, en présence de Louis de Rochemore, Président au siège Présidial, de plusieurs conseillers de ce siège, du procureur du roi et de plusieurs habitants catholiques.
 
Dans celte assemblée, le procureur du roi présenta requête aux fins de l'arrêt de Toulouse, il représenta en outre que l'Ordre venant d'être reformé, il importait pour l'honneur et la gloire de Dieu, l'avancement de la religion catholique et le bien des habitants que les religieux qui viendraient eussent accepté la Réforme, afin qu'ils fissent plus de fruit par leur exemple, leur bonne vie et leurs prédications.
 
De l'avis de tous les assistants, l'évoque décida que les religieux devraient rentrer, mais que le couvent ne serait donné qu'à ceux qui auraient accepté la Réforme du P. Michaelis « es mains desquels seront mis tous les revenus et biens du couvent de la ville. » Le P. Daniaud accepta toute la délibération et on put prévoir dés lors le retour à Nîmes des Frères-Prêcheurs.
 
Ces religieux présentèrent en effet, le 19 octobre 1622, une requête au roi pour qu'on leur remît leur ancien couvent et ses revenus. Un mois après, le 19 novembre, le connétable de Lesdiguières ordonna aux Consuls de remettre aux Prêcheurs « le terroir de l'esglize qu'ils ont possédée, ou de leur bailler une aultre place commode pour en bastir un aultre et cependant leur fournir une maison convenable pour y faire le service divin et les rétablir dans tous leurs aultres biens, rentes et revenus ; sous peine d'y estre contraincts par les voyes en tel cas requizes et de désobéyssance. » Les Consuls ne s'empressèrent pas d'obéir et les Religieux durent s'adresser au Parlement de Toulouse qui rendit, le 19 avril 1624, un arrêt conforme à l'ordonnance du Connétable. D'après cet arrêt, les Dominicains devaient recevoir, jus-qu'à ce que leur couvent fût reconstruit, 150 livres par an pour le louage de la maison qu'ils habitaient ; les Consuls furent condamnés à 32 livres de dommages envers les Religieux. Ce jugement fut signifié, le 3 mai suivant.
 
Le 19 juillet de la même année, un jugement des Requêtes du palais à Toulouse maintint le syndic des Frères-Prêcheurs en la possession de l'emplacement de leur ancien couvent et condamna les Consuls à leur payer la juste valeur des revenus de cet emplacement depuis le 12 janvier 1624 ; ce jugement ne fut expédié que le 15 février 1631. Il fut confirmé le 16 juin 1633 par un arrêt du Parlement, lequel devint exécutoire en vertu de lettres du 27 octobre 1635.
 
Les Consuls relevèrent appel, de la sentence du 19 avril 1624 et le 8 août 1625, le Parlement rendit un nouvel arrêt dans le même sens ; les dépens furent liquidés, le 14, contre les Consuls à la somme de 264 livres 11 sols 6 deniers ; ils ne s'exécutèrent pas encore ; de nouveaux arrêts du 26 février 1626, 15 février 1631 et 13 mars 1631 vinrent les obliger à payer le louage de la maison d'habitation des Religieux et ordonner la vente des biens saisis sur le Consul Vidal de Saliens, pour défaut de payement de ce loyer. En avril et mai 1633, il fallut encore, pour la même raison, saisir les biens du second Consul, Jérôme Carlot, et, en 1634, ceux du Consul Tinellis ; le procès continuait en 1635 et aggravait chaque jour les légitimes demandes des Religieux contre les auteurs ou les complices des pertes qu'ils avaient éprouvées. Sur ces entrefaites, le 8 mai 1635, des lettres royaux maintinrent les Dominicains de Nîmes en leurs biens et revenus sous la protection, et la sauvegarde royale.
 
En décembre 1635, pour arrivera une évaluation exacte de ce qui était dû aux Religieux, leur enclos fut arpenté, et, le 2 juin 1636 les experts en fixèrent le revenu annuel à 68 livres, 16 sols, 8 deniers ce qui, pour sept ans que les Consuls avaient possédé depuis qu'ils étaient tenus de délaisser, faisait une somme de 481 livres, 17 sols, 4 deniers. En janvier 1637, il fut reconnu qu'il était dû aux Prêcheurs 910 livres.
 
Dans cet intervalle, un arrêt du Parlement de Toulouse, du 14 août 1636, avait condamné les Consuls et les habitants à réparer les maisons et le couvent démolis du temps des troubles par les habitants rebelles.
 
Pendant que se vidaient ces questions de droit, d'autres mesures étaient prises pour le rétablissement des Dominicains à Nîmes.
 
Le 28 août 1628, frère Séraphin Sucus, de Pavie, maître-général de l'Ordre, permit au vicaire provincial du Languedoc de réédifier et de restaurer le couvent de Nîmes ; le 2 juin 1629, son successeur, Nicolas Rodulphe, à la demande du roi Louis XIII, ordonna que la province de Languedoc, comprenant dix-huit couvents, parmi lesquels celui de Nîmes, porterait désormais le nom de province de Saint-Louis, et qu'on y observerait la règle dans toute sa rigueur.
 
Le 25 du même mois, un acte plus décisif fut signé par Louis XIII au camp d'Alais ; il fut représenté au roi que les couvents qui existaient autrefois à Alais, Génolhac, Nîmes et douze autres lieux avaient été entièrement ruinés et démolis par les rebelles qui en détenaient encore les revenus, au moins en partie :
 
« Sa Majesté désirant que lesdicts couvents soyent maintenant réédifiés et qu'en iceux il y ait des relligieux pour d'ors en advant y cellébrer le divin service, mettant pour cest effet en considération le fruict et grande édifficalion que ses subjects habitans desdictes villes pour ront recevoir, tant par l'exemple de la piété et bonnes mœurs des frères réformés du couvent de Tholouze de la Congrégation Occitaine, que par leurs fréquentes et doctes prédications, et la soigneuse administration des sacrements, a accordé et permis auxdicts pères réformés du couvent de Tholouze de la susdite Congrégation de s'establir ès-dictes villes et lieux où estoient cy-devant bastis lesdicts couvents, et iceux faire réédifiier pour d'ors en advant y cellébrer le service divin, et jouyr par eux des. rentes et revenus qui se treuveront apartenir à iceux couvents, ayant Sadicte Majesté commandé toutes les lettres pour ce nécessaires leur estre expédiées en vertu du présent brevet qu'Elle a voulu signer de sa main. »
 
Dès que l'acceptation de la paix d'Alais et de Nîmes eut rendu aux catholiques le libre exercice de la religion, une colonie de Prêcheurs vint, dès 1629, renouveler dans notre ville l'établissement des anciens Dominicains et se logea provisoirement dans une maison de louage. Mais ces religieux, n'ayant pas le moyen de rebâtir leur couvent sur l'ancien emplacement, supplièrent le Roi de leur donner la place et les ruines du Château royal, ainsi que les matériaux qui s'y trouvaient comme lui étant inutiles, puisque ce n'était plus qu'un cloaque et un réceptacle de toutes les ordures et immondices de la ville. Le roi leur ordonna de se pourvoir en son Conseil d'Etat, lequel, par arrêt du 18 mai 1631, renvoya la requête des religieux au sieur de Machault, pour lors intendant de la justice, police et finances du Languedoc, et aux trésoriers de France en la généralité de Béziers pour donner leur avis à ce sujet. Cet arrêt fut enregistré le 2 août suivant, et le procureur du roi en la Sénéchaussée de Nîmes, ainsi que les Consuls, furent appelés pour informer sur la . commodité ou l'incommodité du don réclamé de Sa Majesté, sur la valeur de l'emplacement et des matériaux, et sur la redevance qui pourrait être imposée aux Religieux.
 
L'Intendant et les trésoriers généraux ayant fait examiner et mesurer l'endroit par des experts, le 16 février 1635, sur l'avis favorable du Procureur du Roi au Présidial de Nîmes et des .Consuls de la ville, déclarèrent au Roi, le 12 mai de la même année, qu'on pouvait faire don aux Religieux de l'emplacement du vieux château contenant 35 cannes de longueur sur 24 de largeur, avec la faculté de se servir des matériaux qui-s'y trouvaient, pour y faire bâtir un couvent et y célébrer à l'avenir le service divin, à condition de laisser l'espace de deux cannes entre la muraille du couvent et celle de la ville pour la liberté du passage, et à la charge d'y construire une chapelle, du titre de Saint-Louis, et d'y célébrer à perpétuité, tous les jours de fête, une messe pour la prospérité et la santé de Sa Majesté et de ses successeurs à la couronne.
 
Cet avis fut confirmé par arrêt du Conseil d'Etat, du 11 juillet suivant, et le Roi en donna à Chantilly, au mois d'août, ses lettres-patentes qui furent enregistrées, le 25 septembre, au Parlement de Toulouse ; le 15 octobre, à la Chambre des Comptes, et, le surlendemain, au bureau des trésoriers généraux. En enregistrant ces lettres, la Cour des Comptes de Montpellier imposa aux Religieux le paiement annuel d'un denier d'albergue ou censive, payable à chaque fête de Pâques au trésorier du domaine du roi, en la Sénéchaussée de Beaucaire et de Nîmes.
 
L'emplacement qui venait d'être accordé aux Dominicains était loin de les dédommager de celui où était l'ancien couvent de leur Ordre ; il s'en fallait au moins de deux hectares ; les Religieux s'en contentèrent cependant et en prirent possession; ils achetèrent ensuite quelques maisons voisines, dans lesquelles ils s'installèrent pendant la construction du nouveau couvent dont ils commencèrent bientôt le bâtiment.
 
Afin de consolider leur possession et éviter tout procès à l'avenir, les Religieux obtinrent, le 28 janvier 1636, des lettres royaux qui donnèrent au couvent les chapellenies de Saint-Louis et de Saint-Michel fondées dans l'ancien château; ils prirent possession de ces bénéfices le 21 avril suivant. Dans le même but, le 31 janvier 1637, un échange de directes fut conclu entre les Frères-Prêcheurs, et Charles Pascot, curé de Manduel, agissant au nom des chanoines de Saint-Ruf. Ces derniers avaient des directes sur quelques maisons rapprochées du Château qui convenaient au couvent pour y construire l'église et la maison; elles furent échangées contre une directe que nos Religieux possédaient sur une vigne du terroir de Nîmes; au quartier appelé Agels, près du chemin de Montpellier. Ces maisons furent acquises par le couvent, au XVIIIe siècle, et englobées dans la nouvelle église.
 
Plus lard, une autre acte du même genre fut conclu avec les Religieuses de Saint-Sauveur de la Fontaine; l'abbaye avait une directe sur une maison située à l'endroit même où les Dominicains voulaient construire la façade de leur église; les Religieuses consentirent à la leur transférer moyennant une rente annuelle de onze livres; l'acte en fut dressé le 19 mai 1683.
 
Cependant, malgré la sourde opposition des Religionnaires, les Religieux avaient fait clore le terrain donné par le roi et y avaient semé du blé ; poussée par les Huguenots, la jeunesse nîmoise qui, jusqu'alors, avait joui de cet emplacement pour tirer le papegay, menaça, en 1638, d'abattre les murailles et de fouler le blé. Le procureur du roi dut prendre fait et cause pour les Religieux, et requit qu'il fut ordonné à la jeunesse de se pourvoir d'un autre lieu pour tirer le papegay, et qu'il lui fut fait défense d'employer à cet effet l'emplacement du Château, à peiné de 500 livres d'amende ; le Présidial rendit un arrêt conforme a cette réquisition. Mais l'entreprise continuant, requête fut présentée au Parlement de Toulouse, pour faire défense aux Consuls et à la jeunesse de Nîmes « de ne troubler les Religieux en la possession de la place du Château, sous le prétexte de papegay ni aultres, à peine de l'amende et que des contraventions il sera enquis. »
 
Les commissaires nommés par le Parlement rendirent un arrêt dans ce sens, le 17 mars 1643, menaçant de 1000 livres d'amende chacun, des contrevenants. Cet arrêt fut intimé aux Consuls et à la jeunesse, le 30 du même mois. Battus sur ce point, les Religionnaires dressèrent d'autres batteries.
 
Le prix-fait pour la construction d'un premier corps de logis fut donné, le 25 avril 1643, à Guillaume Roux, au prix de 3 livres, 17 sols, 6 deniers, pour chaque canne carrée, tant plein que vide, payable à mesure que le bâtiment se ferait.
 
Les Religionnaires se trouvaient encore sous le coup de l'arrêt du Parlement de Toulouse, du mois d'août 1636, par lequel les Consuls huguenots avaient été condamnés à remettre les maisons des religieux dans l'état où elles étaient avant la démolition faite pendant les troubles, à en rendre les matériaux et à répondre de tous dépens, dommages et intérêts. Les Dominicains ayant besoin de se procurer des ressources pour leur construction, présentèrent requête pour l'exécution de l'arrêt; Jacques Le Blanc, seigneur de la Rouvière, et Fourniguet, conseiller du roi et juge royal de la ville et viguerie de Nîmes, fut chargé de faire les vérifications ; les Consuls assignés firent défaut, en juin et en novembre 1613 ; une nouvelle assignation leur ayant été donnée, le 26 novembre, ils portèrent l'affaire au Conseil d'Etat, prétendant que les droits des Prêcheurs étaient détruits par les édits de pacification, ceux-ci portant abolition générale du passé. Ils se ravisèrent l'année d'après et consentirent à une transaction, qui fut signée le 13 juillet 1644.
 
En vertu de cet accord, les parties, sous le bon plaisir des membres du Conseil du Roi et de la Cour du Parlement de Toulouse, renoncent à leur procès. Pour tous les dommages que peuvent réclamer les Religieux à l'occasion de la démolition de leur maison et de leur église du faubourg des Prêcheurs, ils recevront des Consuls réformés, le 1er janvier 1647, la somme de 5000 livres qu'ils emploieront au profit et pour l'utilité du couvent, en fonds, ou rentes et pensions. Les intérêts de cette somme au denier seize courront, dès ce moment où l'acte est passé. Les Dominicains feront ratifier cet acte par leur provincial avant le 1er janvier 1647.
 
Les travaux de construction avançaient avec rapidité ; ce n'était pas l'affaire des Huguenots qui cherchèrent à en empêcher la continuation. En 1644, les Religieux faisaient construire une nouvelle muraille avec les matériaux de deux anciennes tours du château qu'ils démolissaient à mesure ; ce fut le prétexte de nouvelles violences religionnaires. De leur autorité privée, les Consuls firent démolir la muraille et s'opposèrent à la destruction des tours ; les Religieux se pourvurent devant M. de Balthazar, intendant de la justice en Languedoc ; les Consuls furent assignés, et l'Intendant fit une descente sur les lieux, à la suite de laquelle il-rendit, le 30 octo-bre 1644, une ordonnance qui maintenait les Prêcheurs en leur emplacement, et leur permettait de démolir les tours jusque ras du sol, en dedans, et à fleur du parapet de la muraille de la ville, en dehors.
 
Le 7 novembre, les Consuls firent appel de cette décision et la déférèrent au Grand Conseil qui, le 28 avril 1645, confirma l'ordonnance de l'Intendant, selon sa forme et teneur. Sur un second pourvoi des Consuls, l'affaire fut renvoyée au Parlement de Toulouse, le 9 février 1646. Les Consuls prétendaient faire révoquer le don royal, sous prétexte que c'était une usurpation sur le public, qui se servait de cet emplacement pour l'étendage des draps, et qui en jouissait de temps immémorial ; ils ajoutaient que, lors du don, les Consuls n'avaient pas été consultés (ce qui était faux) ; que les Religieux avaient usurpé le canal de l'Agau et l'avait recouvert d'une voûte, ce qui faisait craindre aux voisins d'être inondés aux grandes eaux ; que les tours du château n'avaient pu être comprises dans le don royal, attendu qu'elles étaient romaines, séparées du corps du château, ce qui se prouve par leur structure et la pierre dont elles sont construites ; (il fut démontré que les Consuls commettaient ici une erreur grave) ; que dès lors la propriété des tours appartenait à la ville, ainsi que les murs et les fossés par concession particulière du comte Raymond, confirmée, comme tous les autres privilèges de la ville, par tous les Rois de France, depuis la réunion du Languedoc à la Couronne. C'était d'ailleurs, disaient les Consuls un ornement et une marque d'antiquité d'une ville qui avait été autrefois une des plus illustres colonies du peuple romain et il serait fâcheux de les voir abattre sans nécessité.
 
L'affaire n'avait pas encore reçu de solution lorsque parurent, le 30 mars 1647, des lettres-patentes de Louis XIV, confirmant le don du château et ordonnant que les Religieux pourraient prendre les pierres des deux tours, en se conformant à l'ordonnance de l'Intendant, du 30 novembre 1644, et à charge par eux délaisser entre le mur de leur couvent et celui de la ville ou des maisons voisines deux cannes de distance pour la commodité du public et de payer chaque année un dénier pour la redevance ou l'albergue due au Roi. Ces lettres furent signées à Paris par la Reine-Mère Régente et enregistrées au Parlement de Toulouse, le 21 mai 1647.
 
Les Consuls osèrent attaquer cette nouvelle donation, mais un arrêt du Parlement les débouta, le 3 septembre 1647.
 
Se voyant ainsi battus de tout côté, les Consuls comprirent qu'il devenait nécessaire de terminer cette affaire à l'amiable, ce à quoi les Dominicains voulurent bien consentir. Des arbitres furent nommés de chaque côté : ce furent pour les Religieux MM. de Calvet Vicaire-général et Officiai de l'Evêque de Nîmes, de Forton et de Labaume ; et pour les Consuls MM. Boileau de Gastelnau Rovérié de Cabrières et Favier de Vestric ; les parties s'entendirent pour nommer septième arbitre l'Evêque de Nîmes.
 
L'affaire ayant été mûrement examinée, une transaction fut passée en l'étude du notaire Ferrand, le 28 novembre 1647; en voici le résumé: 1° Renonciation au procès; 2° quittance mutuelle des frais et dépens exposés ; 3° permission aux Religieux d'abattre et de démolir toutes les masures du château qui avancent en dedans de la ville, ainsi que les deux tours jusqu'au parapet de la muraille par le dehors et jusque ras de terre par le dedans, sans toucher toutefois aux voûtes basses de ces tours, lesquelles ne pourront être démolies, mais bien comblées des ruines du château ; 4° les Consuls feront bâtir une muraille pour servir de clôture à ces voûtes jusqu'au parapet du mur de la ville, et pourront à cet effet, se servir de la pierre des démolitions ; 5° les Religieux feront retirer les ruines qui tomberont dans le fossé de la ville ; 6° ils feront ratifier cet accord par leur Provincial, dans six semaines; 7° l'enceinte et l'alignement du couvent seront conformes au plan et devis qui en a été dressé, le 18 novembre, par l'architecte Talard, en présence et du consentement des parties.
 
Cet acte fut ratifié par le provincial P. Vincent Boissède, le 1er janvier 1648, et rien ne vint plus dèslors entraver les constructions du couvent.
 
Elles étaient depuis longtemps achevées, lorsque, en mai 1689, les Dominicains tinrent à Nîmes leur Chapitre provincial. Pendant la tenue de cette assemblée, les jeunes religieux soutinrent à diverses reprises des thèses de théologie qu'ils dédièrent aux différentes compagnies distinguées de la ville. En reconnaissance chacune d'elles leur fit des gratifications pour aider la communauté à supporter la dépense qu'elle était obligée de faire en cette occasion. Les Consuls à qui fut dédiée une de ces thèses firent délibérer par le Conseil de ville ordinaire, du 9 mai, de répondre à l'honnêteté de ces religieux par le don d'une somme de 120 livres.
 
Peu de temps-après, le 17 janvier 1692, les Prêcheurs reçurent un bienfait nouveau. Un arrêt de la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier déclara noble leur couvent actuel, ainsi que l'était leur ancien enclos. Les Religieux en firent donc hommage au Roi, le 19 janvier.
 
Le samedi, 21 octobre 1713, commença chez les Dominicains une octave avec exposition du Très-Saint-Sacrement, à l'occasion de la solemnité de la canonisation du pape saint Pie V. La fête commença par une procession générale à laquelle assistèrent les Consuls ; le Chapitre de la Cathédrale chanta ensuite les premières vêpres, au son des instruments de musique. Chaque jour de l'octave, l'office fut célébré soit par les prêtres de Sainte-Eugénie, chargés du service paroissial de la ville, soit par les Doctrinaires, curés de l'ancien faubourg des Prêcheurs, soit par les Ordres religieux ; le concours des fidèles fut immense ; le dernier jour, après une procession solennelle, la bannière du Saint fut portée à l'église Cathédrale et exposée au milieu du chœur à la vénération du peuple.
 
DE 1714 A 1792.
 
Jusqu'à cette époque les Dominicains n'avaient eu qu'une église provisoire complètement insuffisante pour leurs besoins. En 1714, ils se mirent en état d'en construire une autre plus convenable et plus commode. Leur première pensée fut de la bâtir contre les murs de la ville, en allant vers le Cours, et ils avaient même demandé aux Consuls la permission de prendre dans ce but une portion du terrain qui était au devant sur la place du château. Mais sur l'avis et le conseil de plusieurs personnes de goût, ils abandonnèrent ce dessein et résolurent de bâtir sur l'emplacement de diverses maisons qui leur appartenaient à l'entrée de la porte des Carmes. Ils hésitaient cependant parce que ces maisons leur rapportaient plus de 200 livres de revenu ; il leur fallait en outre, pour exécuter ce projet, acheter deux maisons contiguës, afin de donner à l'édifice toute l'étendue nécessaire.
 
Les Religieux eurent alors la pensée de demander une subvention à la Ville et firent observer au Conseil que non-seulement l'emplacement indiqué serait un bien pour la décence du service divin, mais encore qu'un bâtiment considérable à l'entrée d'une des principales portes serait pour la ville un embellissement important.
 
Le Conseil examina la demande dans sa séance du 19 janvier 1714, et nomma des commissaires chargés de se transporter sur les lieux et vérifier l'état des choses. Ceux-ci s'étant rendus au couvent, conférèrent avec le Prieur et le Provincial qui était arrivé depuis peu, et se firent présenter le plan de la nouvelle église ; ils n'y trouvèrent rien que d'avantageux au public, de sorte que, sur leur rapport, le Conseil de ville général assemblé, le 5 février suivant, sous la présidence du Juge-Mage, François-Henri de Vivet de Montcalm, marquis de Montclus, voulant favoriser l'entreprise, accorda une subvention de 1500 livres payables, la moitié, lorsque la construction aurait été commencée, et le reste, après son achèvement, à condition que les Religieux élargiraient de cinq pans la petite rue qui allait de la porte des Carmes à celle du couvent ; qu'ils élargiraient aussi d'une canne la place située au-devant de la nouvelle église ; que le puits de là place serait respecté et resterait, tel qu'il était, ouvert pour la commodité du public ; que chaque année, le 26 août, les Religieux célébreraient dans leur église une messe solennelle des morts, à laquelle seraient invités le Maire et les Consuls.
 
Les ouvriers mirent bientôt la main à l'œuvre, et les travaux préparatoires étant terminés, le 28 mars 1714, la première pierre du monument fut solennellement posée par François Morel, Vicaire-général de Nîmes, en présence des Consuls, du clergé séculier et régulier, et d'un grand concours de peuple. Cette pierre portait gravée l'inscription suivante :
D. 0. M.
PIETATI FIDELIUM,
AC S. LUDOVICI GALLORUM REGIS PATROCINIO,
MUNIFICENTIA ET CHARITATE COL. NEM.
TEMPLUM HOC EREXERE
FF. PP. ZELUS ET RELIGIO
PONEBAT LAPIDEM IN TITULUM
JUSSU JOANNIS CÆSARIS, NEM. EPIS.
EJUS AB OMNIBUS JUDICHS
FRANCISCUS MOREL
ANNO AB EPOC. CHRISTI,1714.
 
A Dieu tout puissant et très-grand. Le zèle et la religion des Frères-Prêcheurs, aidés de la munificence et de la charité de la ville de Nimes, ont élevé ce temple pour aider la piété des fidèles, sous le patronage de saint Louis, Roi de France ; par l'ordre de Jean César, Évêque de Nimes, François Morel, Official diocésain, a posé cette première pierre, l'an de l'ère du Christ 1714.
 
Une autre inscription fut placée plus tard contre le mur du chœur de l'église, dans la rue qui allait du couvent à la tour des Carmes. Nous la reproduisons ici :
 
D. 0. M.
HÆC ÆDES SACRA, CIV. NEM.
SUBSIDIO, CONSTRUI COEPIT
CONSULIBUS DD NOBILI JOSEPH
MARIA DE MEREZ, JOANNE CREANCIER,
HUGONE GERANTE
ET PETRO FOURNIER,
AN.DOM.M. D. CC. XIII
 
Cette église a commencé à être construite, avec le secours de la ville de Nimes, étant Consuls, noble Joseph-Marie de Mérez, Jean Créancier, Hugues Gérante, et Pierre Fournier, l'an du Seigneur 1714.
 
Les travaux furent poursuivis avec l'activité que pouvaient leur donner les faibles ressources du couvent ; il y eut même plusieurs interruptions; il fut cependant possible de bénir, l'église, le 7 mai 1729. Son entière construction dura jusqu'en 1736; elle avait coûté plus de 38,000 livres; le chœur en fut entièrement boisé en 1761 ; ce fut une dépense de 2800 livres. C'est vers cette même époque que fut établie dans l'église des Dominicains la confrérie des agonisants.
 
L'année 1747 apporta aux religieux de nouvelles tribulations. L'armée espagnole qui, de concert avec l'armée française, venait de chasser les Autrichiens de la Provence, vint se cantonner en Languedoc et prit, le 7 mai, le couvent des Dominicains pour en faire son hôpital ; les Espagnols s'en emparèrent de force, soutenus par les intrigues du sieur Deidier, premier Consul, et du sieur Tempié, subdélégué. M. de Beaupoil, lieutenant du roi, s'était opposé tant qu'il l'avait pu à cette usurpation ; malgré sa protection, les religieux durent sortir et emporter leurs effets ; ils trouvèrent asile chez les Augustins qui les reçurent très-cordialement.
 
Les Espagnols occupèrent le couvent pendant vingt-deux mois, et ne se retirèrent que lorsque la paix fut faite. On ne saurait dire dans quel triste état ils laissèrent l'habitation, et tout ce qu'ils y avaient commis de dommages et de dégâts ; en compensation, les Religieux ne reçurent de l'Intendance espagnole qu'un peu moins d'un millier délivres. Le couvent fut évacué par les troupes, le 7 mars 1749; les Religieux y rentrèrent, le mercredi après Pâques. Mgr de Becdelièvre, Évêque de Nîmes, touché des pertes qu'ils avaient faites, leur obtint du diocèse, le 7 octobre suivant, une subvention de 100 pistoles.
 
En 1790, lors du massacre des catholiques, au mois de juin, le couvent des Frères-Prêcheurs fut l'un des objectifs des légionnaires protestants ; des coups de canon furent tirés contre la façade de l'église; en vain, prétendit-on ensuite que le monastère n'avait été atteint que par une pure maladresse ; on sait que les canons étaient pointés par d'habiles officiers du génie ou de l'artillerie ; Ce qui prouve encore que ces coups étaient prémédités, c'est ce. qui suivit : sous prétexte que des légionnaires catholiques s'étaient réfugiés chez les Dominicains, on brisa les portes du couvent, et tout y fut saccagé ou détruit, au point de le rendre inhabitable. Le pillage y fut complet, et on vit les voleurs se partager le butin sur la place même qui était au devant de l'église.
 
Heureusement les Religieux, au nombre de sept alors, effrayés et instruits par le massacre des Capucins, avaient eu .le temps d'abandonner leur maison et de fuir dans toutes les directions ; les assassins les poursuivirent et l'un d'eux, le Père Thibaut ancien Prieur, reçut sur le chemin d'Avignon un coup de fusil qui ne l'atteignit pas; il feignit cependant, pour échapper à la rage des massacreurs, d'avoir été blessé et il se jeta la face contre terre. Il ne faut donc pas s'étonner si, lorsque des jours plus calmes leur permirent de revenir, tous les Religieux, interrogés sur la résolution qu'ils entendaient prendre, répondirent qu'ils voulaient sortir.
 
Les Religieux étaient à peine partis, que les protestants obtinrent de l'administration départementale l'église du couvent, à titre de location ; ils placèrent aussitôt sur la porte cette inscription : « Édifice consacré à un culte religieux par une société particulière : Paix et liberté. 1792. » Les exercices du culte calviniste commencèrent le 20 mai. Le concours fut immense et la ferveur des protestants devint une espèce de fureur ; les exercices renouvelés deux fois le dimanche ne leur suffirent bientôt plus ; on exigea qu'ils eussent encore lieu le mardi et le jeudi ; les ministres y consentirent à condition qu'on leur donnerait une augmentation de salaire.
 
L'église fut plus tard vendue comme bien national ; les Catholiques désirant la conserver se rendirent aux enchères, mais les Protestants couvrirent leurs offres, et l'église leur fut adjugée ; il paraît cependant qu'ils ne purent pas la payer ; on en fit alors un magasin à fourrage pour les chevaux de la gendarmerie. A la demande du Préfet du Gard, les fourrages avant été transportés dans le couvent des Capucins, l'église fut cédée aux Protestants par arrêté du 5 complémentaire, an XI, (22 septembre 1803.) C'est depuis lors ce qu'on appelle à Nîmes le Grand Temple. Il y a quelques années, de nombreuses sépultures furent découvertes en ce lieu, à l'occasion des travaux entrepris pour l'établissement d'un calorifère ; le Président du Consistoire en fit prévenir l'autorité ecclésiastique, qui s'empressa de faire de nouveau reposer ces corps dans une terre catholique; elle les fit diriger sur le cimetière Saint-Baudile, sous la conduite d'un prêtre.
 
LE TIERS-ORDRE ET
LES PÉNITENTS BLANCS
 
Depuis longtemps le Tiers-Ordre de Saint-Dominique était établi a Nîmes parmi les femmes ; le 15 septembre 1709, plusieurs habitants demandèrent qu'il fut aussi établi un Tiers-Ordre pour les hommes ; un règlement fut aussitôt dressé et l'association fut inaugurée, le 10 novembre suivant, parla réception publique de quelques Tierçaires ; la cérémonie fut présidée par le P. Laurent Aulagne, Prieur du couvent, en vertu de l'autorisation que lui en avait donné le P. Pierre Moisset, Provincial de Toulouse. Les nouveaux Frères furent autorisés à faire leurs offices dans l'ancienne petite église du couvent, jusqu'à ce qu'elle fut englobée, comme c'en était le projet, dans la construction d'une nouvelle église. La règle donnée aux Tierçaires fut approuvée, le 26 février 1727, parle P. Lagrange, Provincial, dans sa visite au couvent de Nîmes.
 
L'accroissement rapide du Tiers-Ordre obligea bientôt les Confrères à se bâtir une chapelle particulière ; ils choisirent à cette un une portion du jardin des Dominicains que ces pères leur inféodèrent, le 16 septembre 1728, sous l'albergue annuelle et perpétuelle de 10 livres. La première pierre de cette chapelle fut posée, le 12 mai 1729, à 4 heures de l'après-midi, par Monseigneur de la Parisière, Evêque de Nîmes, au son des instruments de musique et des coups d'un petit canon fabriqué par un confrère. Cette pierre fut placée sur le coin de la porte d'entrée, sur un glacis de l'ancien château, aussi dur qu'un rocher, à neuf pans de profondeur, elle , portait gravée cette inscription :
 
DEO OPTIMO MAXIMO
SUB PATROCINI0 VIRGINIS DEIPARÆ
AC SANCTI JOANNIS BAPTISTÆ INVOGATIONE
SACELLUM HOC EREXERE
CONFRATRES POENITENTIÆ TERTH ORDINIS
SANCTI DOMINICI - PONEBAT LAPIDEM
IN TITULUM, JOANNES CÆSAR
EPISCOPUS NEMAUSENSIS
QUARTO IDUS MAH, AN. REP. SAL. 1729
 
Au Dieu très-bon et très-grand. Les confrères de la Pénitence du Tiers-Ordre de Saint-Dominique, ont construit cette chapelle, sous le patronage de la Vierge Mère de Dieu et l'invocation de saint Jean-Baptiste. Jean César, Evêque de Nîmes, en posa la première pierre, le 4 d'avant les ides de mai, de l'an du salut,1729.
 
Le bien que faisait le Tiers-Ordre cessa tout-à-coup en 1742, par suite de contestations qui survinrent entre les Dominicains et le vicaire-général de l'évoque François Desbax du Bousquet ; voici à quelle occasion se produisit cette querelle.
 
Les Frères du Tiers-Ordre avaient prêté leur église au curé de Saint-Castor pour y célébrer, le 2 juillet, la fête de la Congrégation des femmes. Le matin de ce jour, un prêtre vint exposer le Saint-Sacrement dans la chapelle et dit une première messe à laquelle il consacra un certain nombre d'hosties, pour la communion des femmes qu'on devait donner plus tard. Pendant ce temps la Congrégation faisait sa procession aux environs. Le Père Segon, dominicain, Directeur du Tiers-Ordre, ayant appris ce qui se passait et regardant ces exercices, et surtout l'exposition du Saint-Sacrement, comme une entreprise de la part des séculiers sur une chapelle de réguliers, alla descendre l'ostensoir, le mit dans le tabernacle avec le ciboire des hosties et emporta la clef. Un moment après, la procession rentrait dans la chapelle et le Vicaire-général se mit en devoir de distribuer la communion ; il trouva le tabernacle fermé et en fit demander la clef au P. Segon. Celui-ci descendit à la sacristie et refusa la clef, sous prétexte que la chapelle n'était pas pour des séculiers, et encore moins pour des femmes; il allégua même à ce sujet un article du règlement du Tiers-Ordre.
 
Le Vicaire-général supplia alors le religieux de lui remettre la clef, l'assurant que le lendemain il réglerait les choses à la satisfaction de toutes les parties ; mais le Père persista dans son refus. M. du Bousquet fit apporter un ostensoir et un ciboire de l'église du Refuge, une autre messe fut dite afin de consacrer les hosties nécessaires et on exposa de nouveau le Saint-Sacrement. Quand le grand Vicaire fut parti, le Père Segon retourna dans la chapelle et enferma une seconde fois le soleil dans le tabernacle. Un pareil procédé obligea l'Official de citer le Religieux et de le poursuivre devant son tribunal ; d'un autre côté, l'Evêque ne pouvant rester insensible à un tel manque d'égards envers son grand Vicaire rendit, en novembre 1742, une ordonnance qui supprimait le Tiers-Ordre des Dominicains, comme n'ayant jamais été autorisée par les Évoques, avec défense de s'assembler dans la chapelle ou ailleurs; l'Official, à son tour, rendit, le 11 décembre suivant, une sentence portant interdit contre la chapelle du Tiers-Ordre.
 
Dés le 23 du même mois de décembre, les Frères de cette association, qui avaient désapprouvé toutes les démarches du Père Segon, déclarèrent par un acte passé devant notaire qu'ils renonçaient a leur confrérie et ils nommèrent des députés pour supplier l'évêque de lever l'interdit de leur chapelle et de les recevoir, sous son autorité dans telle autre association de piété qu'il jugerait la plus convenable pour leur salut et pour la gloire de Dieu, avec offre de se soumettre aux règlements qu'il lui plairait de leur prescrire.
 
Cette première demande n'ayant pas été exaucée, ils présentèrent une requête à l'évêque, le suppliant de lever un interdit auquel ils n'avaient pas donné lieu et d'ériger en leur faveur une confrérie de Pénitents Blancs qui leur paraissait l'état le plus propre à glorifier le Seigneur, offrant toujours de se soumettre aux règlements qu'il voudrait leur donner. Cette requête fut répondue, le 22 mars 1743, par un soit communiqué au promoteur diocésain ; le lendemain, sur les conclusions de celui-ci fut rendue une ordonnance épiscopale qui levait l'interdit de la chapelle et permettait l'érection d'une Confrérie de Pénitents blancs, sous le titre de Saint-Jean Baptiste et sous les règlements et statuts que l'Ordinaire aurait approuvés la déclarant pour toujours soumise à sa juridiction et permettant aux Confrères de s'assembler dans leur chapelle et d'y célébrer le service divin - Cette ordonnance fut enregistrée , le 17 avril 1743, au bureau des Insinuations Ecclésiastiques.
 
L'inauguration de la confrérie se fit, le dimanche, 24 mars; le Vicaire-général se rendit à la chapelle, sur les-huit heures du matin, prêcha aux frères assemblés et leur donna le sac de Pénitent Blanc ; il se fit aussi recevoir lui-même parmi eux. Le même jour après Vêpres, eut lieu l'élection des officiers; le Prieur fut Jacques Tempié, marchand, qui s'était donné beaucoup de soins pour le succès de cette affaire ; le Sous-Prieur fut Pierre Grégoire.
 
On nomma ensuite douze directeurs ayant pouvoir de régler toutes les affaires de la confrérie, un maître de cérémonies, un maître des novices, un receveur, un secrétaire, quatre sacristains, quatre choristes, des surveillants, des visiteurs des malades, des auditeurs des comptes et un portier.
 
Aussitôt les Dominicains attaquèrent les Pénitents au Parlement de Toulouse en rescision du bail d'inféodation du terrain sur lequel la chapelle avait été bâtie; le procès fut bientôt terminé par l'acquiescement des Pénitents et un arrêt rendu le 20 juillet 1744, n'eut qu'à confirmer les conventions intervenues entre les Confrères et les Religieux. L'acte d'inféodation fut cassé et les Religieux restèrent en possession du terrain et de la chapelle, moyennant 6,500 livres à payer aux Pénitents pour les frais de la bâtisse ; ceux-ci devaient avoir cependant la jouissance de la chapelle, pendant deux ans, avec la liberté d'en retirer tous leurs ornements, l'autel et le bénitier de marbre, la chaire, la balustrade de fer de la tribune, les vitraux avec leurs ferrures, la statue de saint Jean-Baptiste qui était sur la porte d'entrée, la lampe et les bancs; ils pouvaient en outre vider et nettoyer les caveaux et en transporter les ossements en un autre lieu saint. Les Pénitents désireux de posséder une chapelle jetèrent alors les yeux sur l'ancien réfectoire des Chanoines qui avait pendant quelque temps servi de cathédrale, situé à la place de la Belle-Croix et qui, depuis longtemps ne servait à rien ; le Chapitre consentit à leur inféoder ce bâtiment, moyennant une albergue perpétuelle de 300 livres de cire blanche, payable à la Saint-Martin de chaque année ; l'acte en fut passé, le 13 avril 1745.
 
Le Parlement de Toulouse ayant autorisé ce bail d'inféodation par arrêt du mois de mai suivant, les Pénitents firent commencer les réparations et les bâtiments nécessaires pour leur usage. Les travaux marchèrent rapidement. Dès le 14 mars 1746, les Pénitents obtinrent permission de l'évêque d'y transférer leurs exercices. Les réparations étant enfin terminées, la chapelle fut bénite par le Vicaire-général, le 3 décembre de la même année ; cette cérémonie fut suivie de la bénédiction d'une cloche; le lendemain, dimanche, on y célébra la messe en présence d'un grand nombre de confrères.
 
Il ne nous reste plus rien de remarquable à signaler à partir de ce moment; la Confrérie se distingua toujours par sa piété et son zèle pour la religion ; elle se chargea du soin des prisonniers et des dernières consolations à offrir aux condamnés à mort. Chaque semaine, plusieurs des ses membres avaient mission de veiller à ce que les prisonniers eussent toutes les satisfactions compatibles avec les exigences de la justice. Lorsque les tribunaux avaient porté une sentence de mort, la Confrérie s'efforçait d'adoucir les derniers moments du condamné, de lui procurer les secours religieux ; le jour de l'exécution, des prières publiques étaient faites dans la chapelle, le Saint-Sacrement exposé, et les associés se chargeaient des frais de sépulture. La chapelle des Pénitents sert aujourd'hui (1875) de halle au poisson.
 
 
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