La salubrité à Nîmes au XVIIe siècle.

Etude historique du Dr Albert Puech, 1877.

 

Collecte d'ordures ménagères fin XIXe. (photo montage)

 

Dans les premières années du XVIIe siècle, Nîmes ne ressemblait en rien à la ville d'aujourd'hui. La splendeur de la colonie romaine avait depuis longtemps disparu : les barbares avaient passé par là, et les luttes du moyen âge, les guerres de religion, avaient complété les ruines qu'ils avaient faites.

 

Au sein de cette cité encore si troublée, quelques monuments restaient debout. Témoins d'une autre civilisation, ils avaient résisté aux attaques du temps et des hommes, mais ils en avaient subi les outrages et en conservaient les flétrissures. Le temps avait été cependant moins cruel que les hommes ; car ceux-ci, en les appropriant à leurs besoins, en les détournant de leurs usages, en avaient altéré la grâce ou diminué la souveraine majesté.

 

 

L'amphithéâtre, en devenant les Arènes, s'était totalement métamorphosé : ce n'était plus un lieu de réunion et de plaisirs; ce n'était pas davantage le château fort dont parlent les chartes du moyen âge; les chevaliers l'avaient abandonné depuis longues années et avaient eu pour successeurs la plèbe la plus misérable. C'était une véritable cour des miracles, et, pour comble de profanation, un de ses arceaux servait de demeure à l'exécuteur des hautes œuvres.

 

 

La Maison Carrée, cet édifice d'un goût si pur, ne se détachait point au milieu d'une place digne de son élégance; elle était devenue une propriété privée, et ses colonnes à cannelures déliées étaient masquées par de misérables constructions.

 

 

Le Temple de Diane n'avait pas éprouvé un moindre outrage à moitié enfoui dans un amas de déblais, il était transformé en un bâtiment d'exploitation rurale. Quant à la Porte d'Auguste, elle n'était plus une des entrées de la ville : noyée dans les fondements du Château Royal, elle avait disparu de la surface du sol comme du souvenir des habitants.

 

 

Ces monuments étaient, avec la Tourmagne, à peu près les seuls restes de la ville ancienne ; quant à la ville moderne, si elle en avait hérité et si elle devait faire des sacrifices considérables pour en empêcher la destruction ou en ressusciter les débris, elle ne s'était point alors préoccupée d'y ajouter. Sa cathédrale, qui eût pu, à d'autres titres, appeler l'attention du voyageur, attestait, avec le trouble des esprits, leur intolérance: déjà ruinée et à la veille de l'être une seconde fois, elle exhibait des plaies mal cicatrisées, et le temps était loin encore où l'on pouvait espérer une restauration appropriée à son rôle religieux et à l'éclat de son passé.

 

En présence de ces monuments encore si grandioses, la ville, malgré sa qualité de ville royale, faisait assez triste figure. Restée, quant à la distribution, aux habitudes du moyen âge, elle formait un pâté de maisons, découpé en îlots plus ou moins considérables par des rues aux contours fantaisistes. Par suite d'un respect exagéré du droit de propriété, les habitations s'y succédaient sans ordre, et les exigences de l'alignement y étaient absolument inconnues. A proprement parler, les rues étaient peu nombreuses, mais par contre les impasses et les culs-de-sac s'y trouvaient multipliés à l'infini.

 

Sauf quelques hôtels, demeures de l'aristocratie de l'époque et témoignages de l'opulence de leurs possesseurs, les maisons étaient de modeste apparence et ne sauraient être regrettées. A s'en référer aux épaves qui nous en restent, les portes en étaient basses et les fenêtres élevées au-dessus du sol de plus, celles-ci, semblant prendre jour à regret, étaient subdivisées en quatre par un linteau de pierre. Quant aux plafonds, ils étaient bas, et encore aujourd'hui il s'en rencontre qui n'ont guère que deux mètres de hauteur.

 

Dans certaines rues, le rez-de-chaussée était occupé par des magasins ; dans la plupart, au contraire, il l'était par des écuries ou même par des cuves vinaires, qui empiétaient fréquemment sur la voie publique. Enfin les caves faisaient, communément défaut, et celles des Arènes étaient en possession, depuis un temps immémorial, du privilège de loger le vin des habitants et de le conserver jusqu'à l’arrière-saison, en dépit des chaleurs les plus excessives.

 

La Fontaine, qui fournissait à la population l'eau nécessaire à ses besoins industriels et domestiques, avait pour tous ornements des saules rabougris ; et la colline du pied de laquelle sort la source étalait des rochers dénudés qui servaient à l'étendage du linge. L'art a embelli ce lieu. désert, et le murmure de la brise à travers les bois de pins qui dominent la source a agréablement remplacé le tic-tac des moulins et le chant monotone des blanchisseuses. Laissées à elles-mêmes, les eaux n'étaient point contenues dans un canal en pierre de taille et circulaient en toute liberté dans des fossés plus ou moins profonds (1) ; arrivées à la porte de la Bouquerie elles se divisaient en deux branches ; l'une, pénétrant dans la ville, parcourait le canal de l'Agau; l'autre, longeant les remparts, en fortifiait les approches. Sur chacun de ces parcours, il existait des moulins à farine, dont le dénombrement m'entraînerait trop loin ; qu'il suffise de dire que, dans l'intérieur de la ville il y en avait deux, et que du creux de la source à la porte de la Magdeleine, on en comptait quatre.

  

Ces entraves successives apportées à l'écoulement des eaux avaient, en toutes les saisons, des inconvénients aux époques de crue, elles favorisaient les inondations, dont certains quartiers étaient presque annuellement affligés ; aux époques de sécheresse, elles amenaient la stagnation des eaux, leur décomposition, et non moins fatalement la production, de miasmes délétères. De là, les fièvres catarrhales et les affections rhumatismales pendant l’hiver ; de là, les affections d'entrailles, le choléra nostras, les fièvres d'accès pendant l'été et l'automne ; de là, à certaines époques, l'apparition d'épidémies à caractère plus ou moins pernicieux.

 

Ces maladies n'étaient pas assurément les seules, mais elles prédominaient tellement qu'elles étaient par excellence les maladies populaires. Leur fréquence ne les rendait pas plus bénignes ; au contraire, tout concourait à leur donner une gravité insolite.

 

Sans être une ville forte de par la configuration du sol, Nimes avait tenté de le devenir, en s'entourant de murailles élevées et solidement établies. Cette enceinte fortifiée, complétée par un large fossé où croupissaient les eaux pluviales, occupait l'emplacement des boulevards actuels ; elle n'était pas cependant très redoutable ; mais, si elle était peu efficace contre les attaques d'une armée, elle retenait les miasmes et empêchait leur expulsion par le vent, ce merveilleux balai du ciel. Les squares, de la Bouquerie et de la Couronne, ainsi que la place Saint Charles, servaient de cimetières ; les places étaient réduites à deux, et encore celle de la Salamandre était diminuée par la colonne de François Ier, alors que celle de la Cathédrale l'était par une foule d'étaux. Quant aux rues, au dédain de la ligne droite elles joignaient un amour excessif de l’étroitesse ; elles étaient pour la plupart inaccessibles aux carrosses. Ce n'étaient pas malheureusement leurs seuls inconvénients : leur propreté laissait sérieusement à désirer, et par suite de l'absence de pavage et de tout service de voirie, les tas de fumier et de détritus de toute sorte alternaient avec des mares exhalant une odeur méphitique. En vain les consuls cherchaient à remédier à cet état de choses ; leurs arrêtés restaient trop souvent à l'état de lettre morte et ne pouvaient prévaloir contre des habitudes enracinées. Les pluies torrentielles nettoyaient seules les rues, et c'est seulement en 1633 que la ville afferme l'enlèvement des fumiers. Ajoutez à cela la destruction des égouts et la transformation de leurs restes en fosses d'aisance, d'où les matières étaient irrégulièrement expulsées par les pluies, là proximité et la multiplicité des cimetières il y avait encore ceux de l'Hôpital et de la porte de la Magdeleine, les sépultures faites dans les églises, etc., etc., et vous comprendrez que, par le concours de toutes ces circonstances, notre cité ne devait pas être un séjour parfaitement sain (2).

 

Loin de là, par suite de la négligence des lois les plus élémentaires de l'hygiène, elle était insalubre au plus haut degré, et les épidémies dont elle a été frappée à plusieurs reprises, comme les endémies qui sévissaient presque continuellement, ne justifient que trop cette grave accusation. Après l'intéressant travail de notre confrère, M. Laval, il serait superflu de revenir sur l'histoire des épidémies ; mais il y a lieu de s'arrêter sur les endémies, qui rentrent plus spécialement dans mon cadre. Cette tâche s'impose à ma plume, et, par malheur, elle est difficile à remplir : les documents sont rares et clairsemés, et les données fournies par les registres de l'Etat Civil sont à peu près les seuls témoins qui puissent être invoqués.

 

(1) Faute de parapet, il y avait de fréquents accidents. Un habitant de Florac, Abraham de Malofosso, sieur de Malaval, s'y noya, le 6 février 1614.

(2) Voici, d'après notre savant archiviste M. de Lamothe, ce que pensait de notre ville noble Guillaume d'Aci, lieutenant principal du juge-mage de la sénéchaussée et commissaire général à l'université des Causes. Logé, en 1459, en l'hôtellerie où pend l'enseigne de la Couronne, il écrivait ceci :

« On trouverait facilement cinq ou six villes de la même sénéchaussée plus grandes, plus opulentes, plus riches et plus saines que celle de Nimes. Bien plus, cette cité est humide, mai, voire même très mal fondée et construite. Son sol marécageux est mortel pour les hommes de trois tempéraments : les sanguins, les mélancoliques et les flegmatiques ; il est vrai que ce même sol convient aux colériques qui, par nature, sont plus ardents que le feu ; mais ceux-ci ne forment qu'une rare exception.

La ville a été et est très mal bâtie ; ses maisons sont, pour la plupart, fabriquées grossièrement avec des planches, et par là très exposées aux incendies. Elle est, en outre, sujette à des vents horriblement impétueux, et affligée de tant de maladies que, sur cent habitants, on n’en retrouvait pas un qui dépassait l’âge de soixante ans.

Enfin pour ne parler que de ces derniers temps, il y a quarante ans, et cette année même, la maladie contagieuse a éclaté tout d’abord à Nîmes, bien avant de sévir à Montpellier et à Avignon, deux villes pourtant très populeuses, et il n’est pas douteux que cela ne provienne de la position qu’occupe le cité de Nîmes. »

 

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REGLEMENT DE POLICE A NIMES EN 1350

par le Chanoine François Durand, 1905

 

En 1350 le roi donne à la ville de Nîmes un règlement de police assez détaillé pour montrer l'insalubrité des rues et des fossés.

Il sera défendu de jeter les balayures, les ordures et les corps d'animaux morts, devant l'église Sainte-Marie (la Cathédrale). Même défense pour la place de ce nom, le marché, les dessous des étaux, les alentours du puits des marchands, les environs des portes, sous peine de dix sous tournois d'amende dont le dénonciateur pourra recevoir la moitié et son nom sera tenu secret (celabitur).

 

Chacun enlèvera les fumiers, balayures, restes de cuisine et autres ordures, qui se trouveront devant sa maison, il balaiera le samedi et arrosera aussitôt après, le tout sous peine de douze deniers, dont la moitié aux sergents de ville.

 

Défense de jeter des corps morts, des poissons pourris et autres ordures, dans les fossés. De même on ne fera plus de tas de paille ou de foin, dépassant la valeur dune charretée, le surplus constituera un délit passible de l'amende (10 sous tournois)

 

Défense de vendre, en ville, du gibier des marais on pourra les vendre hors les murs (extra muros).

 

Personne ne pourra être courtier, ni offrir des échantillons de vin, s’il n’a obtenu licence des consuls après avoir prêté serment.

 

Les femmes de mauvaise vie ne pourront venir en ville, qu isolées (tantum sola). Leur toilette ne comportera ni guirlandes, ni nœuds d'argent, ni fourrures, ni soie, ni hermine fine, sous peine de perdre la robe de dessus, qui appartiendra au sergent de ville.

 

REGLEMENT DE POLICE A NIMES EN 1353

 

Le règlement de 1353 se montre un peu plus étendu. Les maréchaux ne pourront soigner les bêtes dans les murs, que pendant l'hiver et point du tout de Pâques à St Michel.

 

Défense de vendre le jardinage (ortolaria) dans les rues, ordre de le porter aux étaux du marché.

 

Les porcs ne pourront plus chercher pour pâture, dans les rues (depasci).

 

Défense d'écorcher ea ville les animaux morts.

 

Le gros bétail, portera une sonnette par quatre têtes, le petit bétail une par vingt têtes, et la sonnette devra être pourvue d'un battant proportionné (cum matable competenti). Les boucs et les chèvres seront conduits dans les garrigues (guarrigiis).

 

Les marchands de poissons seront surveillés. Ils ne pourront pas les cacher, on les lavera ailleurs qu'au marché, à cause des eaux sales.

 

Les courtisanes (viles mulieres) n'iront point par les rues, pendant la semaine sainte, à moins que ce soit pour aller prier ou se confesser, et toujours, pour qu'on ne les confonde pas avec les autres, elles porteront une manche d'une couleur et l'autre manche d'une autre couleur.

 

Les cabarets du vin blanc, ne pourront recevoir que des étrangers, jamais des habitants de Nimes, à cause des rixes et des jeux, qui y sont malheureusement fréquents, Les marchands de vin pourront recevoir les clients de la ville, mais seulement jusqu'au signal donné par la cloche nommée spadasse.

 

Défense désormais de se battre a la fronde, sous peine d'amende.

 

Défense aussi de jouer aux palets (disques de pierre), dans la ville, et même hors de la ville, sur les chemins où passent beaucoup de gens (gentium transitas publions.) Ceux qui ne pourront pas payer l'amende recevront le fouet à travers les rues de la ville.

 

Pour les travailleurs à la journée, (logaderii) dans les champs, ils ne pourront point partir avant l'heure de Prime, qui sonne à la Cathédrale, au lever du soleil, ni revenir plus tard que celle des Complies qui sonne après le coucher du soleil. Toutefois ceci ne regarde que les travailleurs, qui habitent en deçà du Vistre (citra aquam Vistri).

 

L'audience de la cour; où fut faite par les consuls, la réquisition de publier ce règlement, se tenait ce jour-là, dans la prison royale, appelée la Violette. C'est l'origine du nom de la rue, voisine du palais et des arènes.

 

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