Les cent-jours et la réaction dans le Gard
de mars à novembre 1815
extrait de « La Terreur Blanche, 1815 »
pages 37 à 158 & 339 à 403

par Ernest Daudet, 1878
 
I

 
La nouvelle du débarquement de Bonaparte sur le rivage du golfe Juan eut en Europe l'éclat d'un coup de foudre, En apprenant que l'empereur se dirigeait sur Paris à marches forcées, appelant l'armée à lui et précédé d'une proclamation dans laquelle on lisait ces mots prophétiques et menaçants ! « L'aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher, jusqu'aux tours de Notre-Dame »» les grandes villes du midi de la France se sentirent agitées d'une secousse convulsive. Ce retour fatal qui venait porter à l’œuvre d'apaisement, entreprise par la Restauration, un coup irrémédiable autant qu'inattendu» provoqua dans Nîmes le déchaînement de passions endormies depuis si longtemps qu'on pouvait les croire éteintes; il les réveilla terribles et meurtrières.
Le 6 mars, dès le matin, on vit des groupes bruyants stationner aux abords des Arènes, devant la préfecture et le théâtre, sur toutes les places, aux Carmes et sur l'Esplanade ; on y discutait la grande nouvelle. Les uns se plaisaient à la mettre en doute ; les autres, la tenant pour vraie, proposaient de courir sus à l'usurpateur et de sauver, « par sa mort » la France et le roi. Personne n'osait encore se réjouir ouvertement. Mais l'allure anxieuse et provocante dos officiers à demi-solde, nombreux dans Nîmes, les regards mystérieux qu'ils échangeaient avec divers citoyens de la ville, connus par la haine que leur inspiraient les Bourbons et qui appartenaient pour la plupart à la société protestante, trahissaient clairement que la révolution soudaine dont la France était menacée comptait des partisans ardents, avant même de s'être accomplie. Leurs propos hâbleurs trahissaient les espérances que la plupart de ceux qui avaient servi Bonaparte fondaient sur son retour. Il y avait bien là de quoi alarmer les hommes attachés aux Bourbons, qui les avaient pleurés et attendus pendant vingt-cinq ans ; qui se voyaient menacés de les perdre, au moment où ils commençaient à goûter les bienfaits de leur gouvernement réparateur, menacés surtout d'avoir à subir de nouveau le joug pesant du despote qui payait naguère du sang le plus pur de la Franco et de ses trésors les plus précieux, les conquêtes éphémères à l'aide desquelles il avait tenté de satisfaire son insatiable ambition. N'allait-on pas assister de nouveau à une invasion et au déchaînement d'un fléau non moins redoutable que l'invasion et la guerre civile ? Comme Avignon et Marseille, Nîmes renferme une population aux passions chaudes, brutales, tumultueuses. Au temps dont nous parlons, ces passions s'y compliquaient de tous les ressentiments qu'avaient laissés dans les cœurs les guerres religieuses et l'antagonisme qui, pendant si longtemps, a tenu les habitants de Nîmes divisés en deux camps, l'un formé des catholiques, l'autre des protestants. Depuis la Restauration, ceux-ci, bien qu'ils eussent souffert aussi de la domination impériale, s'en étaient fait les champions par haine de la royauté. C'est parmi eux que le retour de Bonaparte devait causer la joie la plus vive, et l'on pouvait craindre que si cette joie se traduisait avec violence, comme une insulte à la douleur des royalistes, elle eût pour résultat certain de provoquer des dissensions sanglantes, et de préparer des vengeances futures. A ces angoisses des esprits s'en joignaient d'autres d'un ordre plus intime et plus personnel. Napoléon à Paris, c'était de nouveau les armées de l'Europe à nos portes ; nulle illusion n'était possible sur ce point, justement, les diplomates réunis a Vienne en congrès, dans le but de rechercher les conditions territoriales les plus propres à assurer la paix du monde, ne s'étaient pas encore séparés. Sans doute, en apprenant les projets audacieux de l'ennemi de cette paix, ils prendraient, au nom de leurs gouvernements respectifs, la résolution de le combattre sans merci. Celui-ci voudrait résister. On assisterait alors à une guerre plus redoutable que les guerres passées et les jeunes hommes seraient contraints de partir pour aller défendre la cause de l'empereur, qui avait cessé d'être la cause de la France. Bien des pères, cependant, avaient payé jusqu'à neuf mille francs le droit de soustraire leurs fils au service militaire, devenu en ces tristes temps le chemin de la mort. De si lourds sacrifices ne seraient-ils pas perdus si la main de Bonaparte s'abattait, en quête d'armées nouvelles, sur la France épuisée d'hommes et d'argent ? Chaque matin, au réveil, on apprenait quelque épisode nouveau du voyage de l'empereur. Il traversait la France au milieu d'une longue ovation. Des foules bruyantes venaient à sa rencontre. Les armes tombaient des mains des soldats envoyés pour arrêter sa marche et qui grossissaient, d'heure en heure, les rangs de son armée victorieuse. Le 10 mars, dans la soirée, il entra dans Lyon, par le faubourg de la Guillotière, aux acclamations de la populace et de l'armée. La veille, le comte d'Artois et le maréchal Macdonald avaient quitté cette ville, après avoir vainement tenté de retenir la garnison au service de la cause royale. Il devenait clair maintenant que l'usurpateur arriverait sans obstacle jusqu'à Paris. Les royalistes étaient consternés. Mais, bientôt, une nouvelle grave circula dans la ville et leur rendit quelque espérance. Le 10 mars, le duc d'Angoulême avait quitté Bordeaux, en chargeant la princesse sa femme d'encourager par sa présence la résistance de cette grande cité. Il se dirigeait en toute hâte, vers le Languedoc et la Provence, afin de se mettre à la tête des royalistes de ces contrées. Une ordonnance royale l'appelait au commandement des 7e, 8e, 9e, 10e et 11e divisions militaires. C'est dans la matinée du 14 mars qu'on annonça son arrivée à Nîmes pour ce jour-là. Ce fut comme une traînée dé poudre. Vers dix heures, sur les boulevards, dans le faubourg populeux appelé « la Bourgade », tout peuplé d'ouvriers « royalistes» quelques drapeaux blancs se montrèrent aux croisées. À deux heures, presque toutes les maisons en étaient pavoisées, et une foule immense se portait vers la route de Montpellier, par laquelle le prince devait faire son entrée. En ce moment, les bonapartistes commencèrent à concevoir des craintes. Vainement, leurs chefs se plaisaient à leur dire que cette manifestation solennelle serait sans échos au-dehors ; qu'avant qu'elle eût pu porter ses fruits, Bonaparte serait maître de la France entière ; ils étaient loin d'être rassurés. Que Marseille, Toulon, Beaucaire, Avignon imitassent l'exemple de Nîmes; que Bordeaux, Toulouse, Montauban, Béziers se soulevassent aussi, et le Midi, des Alpes, aux Pyrénées, deviendrait une autre Vendée, la forteresse de la royauté. Dominés par cette crainte, les partisans de l'empire n'osèrent guère se montrer ce jour-là. Ceux que l'on rencontrait dans les rues étaient soumis et modestes, comme s'ils eussent eu à cœur de faire oublier, en partageant la joie des royalistes, les sentiments qu'ils avaient imprudemment manifestés. Cependant, une escouade de jeunes gens s'avançait à cheval sur la route de Montpellier. Ils avaient résolu de se porter jusqu'à la commune de Saint- Césaire, afin de former autour du prince une escorte d'honneur à son entrée dans Nîmes. Ils arrivèrent à ce petit village, presque en même temps que le duc d'Angoulême qu'ils aperçurent bientôt dans sa chaise de poste. Elle marchait assez lentement au milieu du 13e régiment de ligne, auquel il avait, en passant à Montpellier, donné l'ordre de le suivre. Le prince portait la petite tenue des lieutenants- généraux. Un de ses officiers, le duc de Guiche, était assis à côté de lui. Les autres membres de la maison militaire, le baron de Damas, le comte de Lévis, suivaient dans une seconde voiture. Lorsqu'ils ne furent plus qu'à quelques pas du cortège, les cavaliers venus de Nîmes s'arrêtèrent et, afin de signaler au prince leur présence et de lui adresser leur salut, ils poussèrent un chaleureux cri « Vive le roi ! Vive le duc d'Angoulême ! » Ils avaient espéré que les officiers et les soldats du 13e de ligne, qui accompagnaient le neveu du roi, répondraient à leurs acclamations. Mais, à leur grande surprise, ceux-ci demeurèrent silencieux, et on put voir sur leurs visages des traces non équivoques de mécontentement et de mauvaise humeur. On sut bientôt par un aide de camp que ce régiment dont le prince avait cru pouvoir se faire accompagner était armé de sentiments hostiles à la cause royale et appartenait déjà à Bonaparte. L'impression douloureuse causée, par cette révélation fut rapidement effacée, car, passant sa tête à la portière de son carrosse, le duc d'Angoulême remerciait ses partisans d'un sourire et d'un geste. Presque aussitôt, il donna un ordre. La voiture s'arrêta ; les troupes firent halte pour se reposer avant d'entrer dans Nîmes, et il mit pied à terre. Les cavaliers nîmois l'imitèrent et se réunirent en groupe autour de lui, afin de lui souhaiter la bienvenue. « J'ai voulu venir dans une cité fidèle, afin de l'exciter à la défense du trône menacé par un usurpateur, dit-il. Votre présence ici, messieurs, me prouve que je ne me suis pas trompé et que le concours des braves Nîmois m'est assuré. Le roi vous remercie par ma bouche. » (1) Sa voix fut couverte d'acclamations nouvelles, auxquelles la troupe ne continua à répondre que par le silence.
 
1. Ces détails sont empruntés à des souvenirs contemporains.
 
Alors, le prince posa quelques questions sur les dispositions de la population et parut satisfait des renseignements qui lui furent donnés. L'heure; était venue de se mettre en route. Il s'adressa au duc de Guiche et demanda son cheval. L'ordre transmis par M. de Lévis resta sans résultat, et, au bout de dix minutes, un officier vint annoncer que les chevaux du prince, confiés aux piqueurs de sa maison, soit qu'ils fussent restés en arrière, soit qu'ils eussent pris un autre chemin, n'étaient pas à la suite du régiment. Il se montra très contrarié de ce contretemps et s'en plaignit vivement. Il tenait à entrer dans Nîmes en soldat. Un jeune homme s'approcha alors, tenant son cheval par la bride, et dit :
« Si son Altesse Royale daigne me faire honneur d'accepter mon cheval, mes camarades seront heureux d'offrir les leurs à ses officiers. J'accepte, monsieur, répondit gracieusement le prince, et je vous remercie. »
Quelques instants après, au son des cloches, aux acclamations d'une foule enthousiaste, le prince entrait dans Nîmes et alla loger à l'hôtel de la préfecture (actuellement l’école des Beaux-Arts). Le lendemain, un conseil de guerre fut tenu sous sa présidence, auquel prirent part tous les généraux de la division et les officiers supérieurs qui l'accompagnaient. Puis, ayant donné des ordres pour l'exécution des mesures qui venaient d'être arrêtées, il partit pour Marseille. Il voulait se vendre compte par lui-même de l'état d'esprit des populations du Midi. Après son départ, les murs de Nîmes furent couverts de proclamations par lesquelles il était fait appel au dévouement des royalistes. On les invitait à former des corps de volontaires pour défendre la couronne menacée. Dans l'une de ces proclamations, on lisait les passages suivants :
« Des orages locaux, excités par de petites passions, ont peut-être obscurci, pour quelques-uns d'entre vous, la sérénité de l'horizon d'où la Restauration avait d'abord chassé tous les nuages ; l'abus qui a pu être fait du zèle même de la multitude a pu vous inspirer des alarmes ; mais, ces efforts de la malveillance, ces erreurs d'un peuple égaré n'ont pu décourager le vrai patriotisme et ne sauraient, sans la plus grave injustice, altérer la confiance de personne dans les promesses du roi. S'est-il un seul moment laissé égarer parmi les nombreux écueils dont sa route était semée? Est-il un seul acte de sa puissance qui justifie les écarts d'un faux zèle? Et tout ce qui est émané do sa volonté ne porte-t-il pas l'empreinte do la plus profonde sagesse, d'une bonne foi vraiment royale, et d'un dévouement absolu au bonheur de ses peuples ? » Après avoir ainsi plaidé la cause du gouvernement de la Restauration, la proclamation ajoutait : « Habitants du Gard, les intérêts et les dangers du roi et de l’État sont inséparables : voler au secours du monarque c'est voler au secours de la patrie. Vous êtes tous les descendants de ceux qui, dans cette contrée, contribuèrent si puissamment, par leur dévouement et par leur courage, à placer le grand Henri sur le trône ; vous n'avez point dégénéré ; tous, vous offrirez vos bras à son digne petit-fils ; tous, vous aspirerez à la gloire de concourir à l'affermissement de la couronne sur sa tête auguste. » Une autre proclamation disait : « Habitants du Midi, levez-vous pour défendre votre roi, pour défendre cette charte constitutionnelle, gage de votre fidélité. Ne vous bornez pas à des vœux stériles. Venez vous ranger sous votre antique bannière ; elle est le signal et le gage de l'honneur et de la loyauté. Venez, c'est à vous qu'il appartient d'affermir pour jamais un trône auquel est le bonheur de la France et le repos de l'Europe. »
Le même jour, cinq cents citoyens répondirent à cet appel. Les jours suivants, ce nombre fut doublé. Il s'accrut encore des hommes qui venaient de Montpellier, de Mende, de Cette (Sète), de tous les points par lesquels le prince avait passé. Beaucoup d'officiers retraités, chevaliers de Saint-Louis pour la plupart, vinrent se joindre à eux. Mais, comme les cadres des compagnies arrivaient tout formés, on mit ces officiers à la suite des bataillons. L'enthousiasme était indescriptible. À là mairie, où s'inscrivaient les Volontaires, les employés ne pouvaient suffire à la tâche, les mères y conduisaient leurs fils. Comme il avait été décidé que l'on n'incorporerait point les hommes ayant femme et enfants, il y on eut plusieurs qui déclarèrent qu'ils n'étaient pas mariés. Lorsque, le 23 mars, le prince revint de Marseille où se produisait un résultat analogue, on put lui montrer deux mille noms sur les listes dressées en son absence. Malheureusement, la qualité de ces troupes improvisées laissait beaucoup à désirer. À côté de braves gens à qui l’ardeur de leur royalisme communiquait un courage égal à la sincérité de leurs convictions, se trouvaient des êtres grossiers, uniquement attirés par la solde, par l'espérance du pillage, par les chances de l'imprévu. C'est de leurs rangs que devaient sortir, quelques mois plus tard, les scélérats qui ensanglantèrent la ville et déshonorèrent leur parti. Le général Merle, que le duc d'Angoulême avait trouvé à Nîmes inspecteur général de la gendarmerie et chargé de l'organisation du 8e corps de son armée, nous a laissé, dans une lettre en date du 22 novembre 1818, un piquant tableau des embarras que lui causa ce rapide recrutement.
« Des procureurs me demandaient des places de colonels, a-t-il écrit; celles de chefs de bataillon étaient au-dessous de leur mérite ou de leur dévouement intéressé. Tout individu qui avait moyen d'avoir une paire de souliers à ses pieds ne voulait servir que comme officier » (1).
 
1. Extrait d'une brochure que le général Merle écrivait en 1810 pour expliquer sa conduite pendant les Cent jours.
 
Quoi qu'il en soit le 24 mars les bataillons étaient formés et furent dirigés sur le Pont-Saint-Esprit, où devaient se centraliser les forces du 2e corps. Un grave évènement précéda leur départ. Le séjour dans la ville des volontaires royaux, la multiplicité des allées et venues, l'attitude évidemment hostile des troupes de la garnison, tout le mouvement d'une expédition militaire destinée à défendre les Bourbons au moment où le reste de la France semblait les abandonner, avaient accru singulièrement les passions des deux partis en présence, dont l'un ne subissait pas mieux les retards imposés à une victoire dont il se croyait assuré que l'autre ne supportait les menaces qui lui prédisaient une prochaine défaite. Une conflagration semblait imminente. Elle n'eut pas lieu cependant. Mais, au moment où les troupes royales allaient quitter la ville, un jeune volontaire, nommé Lajutte, étudiant de la Faculté de médecine de Montpellier, fut assassiné on plein jour, à la porte d'un café. Il reçut un coup de couteau qui le tua. Les royalistes accusèrent les bonapartistes de ce crime. Ceux-ci essayèrent de prouver que la victime avait été frappée avec une baïonnette. On arrêta plusieurs individus ; on les mit en jugement ; mais leur culpabilité ne put être établie, et ils furent acquittés. Les royalistes n'en conservèrent pas moins le souvenir de ce méfait, qui tint ultérieurement sa place dans les causes à l'aide desquelles ils essayèrent de justifier leurs représailles.
 
II
 
Le prince avait divisé en trois corps les troupes sur lesquelles il comptait pour se mettre à la poursuite de Bonaparte, soulever les royalistes derrière lui et en former ainsi une armée avec laquelle il lui tiendrait tête jusqu'au moment où il pourrait aller le relancer sous Paris, où, de son côté, le duc de Bourbon amènerait les volontaires vendéens, le premier corps, sous los ordres du général Ernouf, s'organisait à Sisteron et avait pour objectif Gap, Grenoble et Valence. C'est dans cette ville qu'il devait rejoindre le prince ; le second, dont le commandement était confié au général Merle, composé du 10e de ligne, colonel d’Ambrujac, du 1e royal étranger, de 250 cavaliers du 14e chasseurs, de 80 canonniers du 3e d'artillerie et de 3000 volontaires, devaient marcher sur Lyon en suivant les bords du Rhône. Quant au troisième, destiné, sous les ordres du général Compans, à tenir l'Auvergne, la défection des troupes appelées à en faire partie empêcha de le former. Il n'y a pas lieu d'en parler autrement, car, dès le 5 avril, le général Compans était à Paris et remettait au ministre de la guerre les ordres qui lui avaient été donnés le 25 mars par le duc d'Angoulême. (1)
 
1. Archives du dépôt de la guerre.
 
Il convient d'ajouter qu'au moment de quitter Nîmes le prince n'osa s'adjoindre le 63e de ligne qui y tenait garnison, et dont les sentiments étaient aussi hostiles que deux du 13e, à la cause royale. Il exigea et obtint non sans peine que celui-ci, qui voulait se rendre à Lyon, retournât à Montpellier, et il laissa l'autre à Nîmes, très inquiet de ses dispositions, qui n'attendaient, pour se manifester, que le résultat de l'expédition qui venait d'être entreprise. Le 27 mars, toutes les troupes du 2e corps, au nombre de cinq mille hommes environ, étaient réunies au Pont-Saint-Esprit, et le général Merle se préparait à se mettre à leur tête, quand un ordre du duc d'Angoulême lui enjoignit de rester dans la citadelle de cette petite ville, afin de la défendre au besoin et de protéger en même temps les derrières des forces royales. Le général Merle, blessé par cette décision, se résigna cependant, et c'est, le prince lui-même qui prit le commandement de sa petite armée, dans laquelle se manifestaient déjà des symptômes inquiétants de désertion et de découragement qui heureusement ne persistèrent pas, et disparurent quand elle fut en marche.
En revanche, les deux bataillons restés au Pont-Saint-Esprit ne tardèrent pas à faire preuve du plus mauvais esprit ; c'est même leur insubordination qui, quelques jours plus tard, mit le général Merle hors d'état de résister au général Gilly qui vint l'assiéger, ainsi qu'on le verra bientôt. Avant que les troupes se missent en mouvement, on leur donna lecture d'une proclamation du prince, qui leur faisait connaître l'entrée de Bonaparte dans Paris et leur traçait avec éloquence ce qu'on attendait de leur courage. Cette proclamation fut saluée de mille cris, expression de l'espérance qui était dans tous les cœurs. Puis, les derniers ordres furent donnés avec le signal du départ. L'armée royale passa le Rhône, sur le beau pont de la ville, pour gagner Montélimar, en longeant la rive gauche du fleuve. Cinq cents hommes sous les ordres du colonel Magnier étaient chargés de le remonter le long de la rive droite, afin de contenir, s'il y avait lieu, les populations de l'Ardèche, soulevées déjà par le général Laffitte, lequel, à la tête d'une poignée d'hommes, obligea bientôt l'officier qui commandait pour le roi dans ce département à se réfugier dans la Haute-Loire.
 
1. Archives du dépôt de la guerre.
 
L’avant-garde était commandée par le colonel Vicomte des Cars appartenant à la maison militaire du duc d'Angoulême. Cette avant-garde, composée d'environ quinze cents hommes, entra sans coup férir dans Montélimar le 30 mars et s'établit fortement on avant de la ville, dont la population, sans témoigner d'enthousiasme, se montra convenable et respectueuse pour les défenseurs de la cause royale. La journée et la soirée furent tranquilles. Mais, vers le milieu de la nuit, un paysan se présenta aux avant-postes exprimant le désir de parler au commandant. M. des Cars n'était pas couché, et, avec l'aide du marquis de Montcalm et du commandant d'Hautpoul, il arrêtait ses dispositions pour se remettre en marche dès le matin. Il reçut sur-le-champ ce paysan qui arrivait de Valence et apportait des nouvelles de l'ennemi. On sut par lui que le général Debelle qui commandait les forces impériales, n'avait à sa disposition qu'une poignée d'hommes, des vétérans, des gendarmes, quelques gardes nationaux, des détachements du 30e de ligne et du 4e hussards et deux pièces de canon, mais que néanmoins il s'avançait en reconnaissance contre l'armée royale. Il passait la nuit à trois lieues de là. Le colonel donna des ordres pour la défense.On resta sur le qui-vive. Mais, le matin, à sept heures, on n'avait encore vu aucun uniforme. Impatienté de son inutile attente, le colonel des Cars envoya M. de Montcalm en éclaireur sur la route de Valence. Ce dernier revint bientôt. Il avait rencontré l'ennemi, quelques centaines d'hommes, en marche vers Montélimar. Le colonel parcourut les rangs, encourageant le zèle de ses soldats, échauffant leur bravoure, mais, malgré son apparente confiance dans leur fidélité, très inquiet des dispositions qu'ils manifestaient à l'aspect de leurs frères d'armes déjà ralliés à Bonaparte il fit dire aux volontaires, par leurs officiers, qu'il comptait sur eux pour entraîner, dès le but de l'action, le reste des troupes. À neuf heures, ce fut non pas le général Debelle qui se présenta, mais un officier d'état-major qui venait en parlementaire. Il apportait une lettre de son chef au colonel des Cars, lettre par laquelle ce dernier était sommé de faire sa soumission à l'empereur afin d'éviter la guerre civile et de s'épargner une responsabilité redoutable, A cette lettre, le parlementaire ajouta que l'empereur était à Paris et le roi en fuite.
Le colonel l'interrompit :
« Je connais ces événements, monsieur, dit-il. Ils ne changent rien à nos devoirs envers le roi, notre seul souverain légitime. Il m'a donné l'ordre de résister à l'usurpation et je résisterai. Mes fidèles soldats partagent ces sentiments, et derrière nous, prêt à nous soutenir, Mgr le duc d'Angoulême s'avance avec une armée dévouée, hâtez-vous donc de vous éloigner, monsieur, et dites à celui qui vous envoie que là responsabilité de la guerre civile retombera sur ceux qui l'ont provoquée. »
Le parlementaire, sans en entendre davantage, piqua des deux et disparut. Une demi-heure après une colonne s'avança, dirigeant contre la troupe de M. des Cars un feu de tirailleurs qui ne lui fit aucun mal et auquel les volontaires royaux et les soldats du Royal-étranger ripostèrent assez vigoureusement pour arrêter l'ennemi à environ deux cents mètres de leurs positions. Profitant de ce premier résultat, le colonel lança ses fantassins, baïonnette en avant, sur les troupes impériales, d'ailleurs inférieures en nombre, en les appuyant de quelques boulets qui mirent en fuite les gardes nationaux de la Drôme et de l'Isère, dont le général Debelle s'était fait accompagner, vainement, ce dernier voulut les contenir, les rallier, les ramener. Il fut lui-même entraîné dans leur déroute. Le vicomte des Cars ordonna alors aux volontaires à cheval de poursuivre l'ennemi en leur promettant de les faire soutenir par l'escadron du 14e chasseurs, resté en arrière. Les volontaires partirent sous les ordres de M, do Montcalm, sans attendre. Mais, quand ils eurent fait une demi-lieue, ramassant en route de nombreux prisonniers, ils s'aperçurent qu'ils n'étaient pas suivis, et qu'ils s'exposaient aux plus grands périls, si l'ennemi qui fuyait devant eux s'apercevait de leur petit nombre et reprenait l'offensive.
M. de Montcalm fit sonner la retraite, en manifestant sa colère contre la cavalerie, dont l'absence ne lui permettait pas de profiter complètement de son succès. En rentrant au camp, il connut la cause de cette absence. Pendant le gros de l'action les chasseurs, abandonnant le poste qui leur était confié, avaient pris la fuite, traversé au galop Montélimar, en disant à qui voulait les entendre qu'ils allaient rejoindre l'empereur. Cette défection n'était malheureusement pour la cause du roi qu'un nouvel exemple de ce qui se passait depuis vingt jours sur toute la surface de la France. Toutefois, comme on était vainqueur, sans avoir payé trop cher la victoire, ce fâcheux évènement fut vite oublié. Il obligea cependant le vicomte des Cars à suspendre sa marche en avant et à attendre le duc d'Angoulême. Ce dernier arriva le lendemain suivi de la masse de sa petite armée, et, trait remarquable, escorté de vingt-cinq cavaliers appartenant à cet escadron du 14e chasseurs qui avait trahi. Loin d'imiter leurs camarades, ces vingt-cinq cavaliers restèrent fidèles jusqu'à la fin de l'expédition. Le prince fut accueilli avec enthousiasme. Le succès de la veille avait électrisé tous les cœurs. Il harangua l'avant-garde, en la louant de son intrépidité. Il distribua plusieurs décorations et nomma le colonel des Cars maréchal de camp. Le 2 avril, l'armée royale se remit en route pour Valence. Dans les communes qu'elle traversait, elle apprit que le général Debelle se retirait avec l’espoir de l'arrêter sur la Drôme, entre Loriol et Livron, au pont sur lequel on franchissait alors cette rivière. A Loriol, à un kilomètre environ de la Drôme, on trouva une population sympathique.
Aussitôt après avoir perdu de vue les impériaux, les paysans s'étaient hâtés de mettre à leurs croisées des drapeaux blancs, faits à l'aide de serviettes et de draps, et à leurs chapeaux des cocardes blanches en papier. Des tonneaux de vin attendaient les soldats sur la route. Pendant une halte, le prince s'avança jusqu'au pont de la Drôme, qu'il trouva gardé par un bataillon du 39e ligne, quelques centaines de gardes nationaux et deux pièces de canon. Le colonel d'artillerie Noël avait le commandement immédiat de ces troupes, auxquelles le général Debelle appuyé contre une colline qui domine la rivière en cet endroit, devait assurer une efficace protection. Le prince résolut d'enlever le pont de vive force. Par ses ordres, trois cents hommes, sous les ordres du colonel Montferré, allèrent passer la rivière à un gué qu'on lui avait désigné à deux kilomètres en deçà de ce pont, et le 10e de ligne, appuyé par les volontaires et l'artillerie, fut chargé d'attaquer, à l'heure' où l'on supposerait que le colonel Montferré avait exécuté ses instructions et franchi la rivière, afin de tomber à revers sur les troupes qui là défendaient. À partir de ce moment, les voltigeurs et les grenadiers du 10e commencèrent à prendre position. Les voltigeurs s'avancèrent même en tirailleurs sur le pont, dont les impériaux gardaient l'extrémité. Ils s'abritaient derrière les arbres qui le longeaient sur une double rangée. Un incident engagea le combat plus tôt qu'on aurait voulu. Une escouade du 39e parvint à se saisir du capitaine de l'une des compagnies de voltigeurs, qui s'était jeté en avant pour ralentir l'ardeur imprudente de ses soldats, et, l'ayant fait prisonnier, elle adressa la parole à ceux-ci, en leur disant : « Camarades, venez à nous, ralliez-vous à l'empereur ! » À ces mots, le capitaine il se nommait Isnard comprit le péril qui menaçait l'armée royale. Quoique prisonnier et menacé par ceux qui l'entouraient, brave comme d'Auvergne, il cria d'une voix formidable ; « Voltigeurs, vengeons-nous de ces traîtres ! » Ce cri fût entendu par le général des Cars, qui, voyant l'affaire engagée ainsi, n'hésita pas à lancer toutes ses troupes sur le pont. Les impériaux avaient compté sur la défection des royalistes, et non sur cette attaque imprévue. Elle les surprit. En une demi-heure, le pont fut balayé, le capitaine Isnard délivré, le colonel Noël blessé, fait prisonnier et l'armée ennemie en pleine déroute après avoir perdu beaucoup de monde. Les rangs des royaux furent aussi très cruellement décimés. Au milieu du combat, il fallut arrêter plusieurs artilleurs et les remplacer par des volontaires. On s’était aperçu qu'ils tiraient en l'air afin de ne pas atteindre leurs Camarades ralliés à l'empereur. Le duc d'Angoulême se conduisit avec la plus brillante bravoure. Il était à la tête de ses soldats quand ils poursuivirent les fuyards.
Le même jour, dans la soirée, le général Debelle, ayant rallié les débris de ses troupes, se porta sur Romans. Il y prit position et se prépara à couper le pont de l'Isère, afin d'enlever tout passage à l'armée royale. Mais les représentations de la municipalité de cette ville ébranlèrent sa résolution. Il était sans nouvelles de Paris, plein d'appréhensions et d'anxiétés, il se replia sur Saint-Marcellin, dont la population se montra disposée à le seconder. Il demanda des secours à Grenoble et à Lyon, et en peu de jours reçut deux mille hommes, des armes et des munitions. Il put alors revenir sur Romans et Valence où il arriva le 7 avril (1).
 
1. Archives du dépôt de la guerre.
 
Le duc d'Angoulême était entré le 3 dans cette ville, dont les habitants se montraient en majorité hostiles à sa cause. Il y attendait le premier corps de son armée, qui s'était organisé dans le Dauphiné, sous les ordres du général Ernouf, et dont il ignorait encore la défection. Convaincu que nul obstacle n'arrêterait sa marche sur Lyon, il nourrissait un espoir que tout le monde partageait autour de lui. Mais, le 5 au matin, arrivèrent coup sur coup de tous côtés les plus graves nouvelles. Propagées rapidement, elles jetèrent le découragement dans le camp royaliste. Les événements dont elles traçaient le tableau étaient lamentables. D'abord, le deuxième corps dont nous venons de parler et qui devait, en traversant le Dauphiné, rejoindre l'armée royale à Valence, n'existait plus. Les régiments réguliers qui en faisaient partie s'étaient ralliés à la cause impériale. Deux d'entre eux marchaient contre le duc d'Angoulême, tandis que les volontaires de Provence, se voyant abandonnés, s'étaient dispersés. A Lyon, le général Grouchy, envoyé par l'empereur pour s'opposer à la marche des royaux, avait organisé les gardes nationales. Les appuyant de troupes régulières, il s'avançait sur Valence, avec neuf mille hommes, pour secourir le général Rebelle. À Toulouse, le gouvernement créé par M. de Vitrolles, au nom du roi, était renversé, à Bordeaux, la duchesse d'Angoulême n'avait pu, malgré son héroïsme, empêcher l’entrée du général Clauzel dans la ville et s'était embarquée pour l'Espagne. À Nîmes enfin, les partisans de l'empereur s'étaient prononcés pour lui, peu de jours après le départ du duc d'Angoulême, C'est le 67e de ligne, commandé par le colonel Taulet, qui avait donné l'exemple de la défection. Ayant fermé l'oreille aux exhortations et aux séductions du prince, cet officier s'était entendu avec les chefs de la garde urbaine et les militaires à la demi-solde restés à Nîmes, afin de transformer en une manifestation bonapartiste celle que le général de Briche, commandant la subdivision, préparait au nom du roi. Ce général avait convoqué, sur la promenade du Cours-Neuf, pour le 3 avril, tout l'État-major de la garnison, afin de lui faire prêter serment de fidélité aux Bourbons ; mais, après qu'il l'eut harangué, cet état-major mit l'épée à la main, en criant « Vive l’empereur ! » II courut ensuite à la caserne en poussant le même cri. Tous les soldats y répondirent par des acclamations enthousiastes. Les cocardes tricolores furent tirées des sacs, les aigles arborées. La garde urbaine imita cet exemple. Le drapeau blanc fut foulé aux pieds la préfecture envahie. Le préfet, insulté, ne dut son salut qu'à un de ses employés qui le conduisit chez lui où il le cacha d'abord et je fis ensuite évader. Le comte de Bruges, agent du duc d'Angoulême, eut le temps de s'échapper, mais on arrêta les généraux de Briche et Pélissier, qui avaient tenté d'obtenir là soumission des troupes. On les dirigea sur Montpellier où ils furent détenus jusqu’au 9 avril. Ce mouvement insurrectionnel, qui fit courir à Nîmes les plus grands dangers, se communiqua aux villes et aux campagnes voisines. On estime à vingt-cinq mille hommes le nombre de ceux qui s'avançaient pour prêter main-forte aux insurgés. On se hâta d'arrêter leur marche dès que l'on eut constaté l’inutilité de leur secours. (1)
 
1. Archives du dépôt de la guerre.
 
En même temps, le général Ambert, qui résidait à Montpellier comme commandant de la 9e division militaire, et sur la fidélité duquel comptait le duc d'Angoulême, se ralliait à l'empereur et offrait au général Gilly le commandement de la subdivision du Gard, à la place du général de Briche, arrêté. Le comte Gilly avait occupé déjà ce poste sous l'empire. La Restauration s'était contentée de l'interner dans ses propriétés, près du Pont-du-Gard. Il accepta les offres du général Ambert, et vint à Nîmes d'où il partit pour le Pont-Saint-Esprit, avec ce qui restait du 10e chasseurs, des 6e, 13e et 67e de ligne, en tout un millier d'hommes, neuf cents gardes nationaux, quinze cents paysans des villages protestants, et le bataillon des officiers à la demi-solde. Le général Merle, dont nous avons raconté la disgrâce, tenait dans la citadelle du Pont- Saint-Esprit, avec une poignée de volontaires découragés comme lui, dont la désertion éclaircissait les rangs tous les jours, et qui menaçaient de l'assassiner s'il refusait de se soumettre au général Gilly (1).
 
1. Brochure du général Merle, déjà citée.
 
Cet ensemble de faits plaçait l'armée royale dans la situation la plus cruelle. Devant elle, Grouchy lui barrait la route, sur sa droite, les débris défectionnaires du 2e Corps la menaçaient; derrière elle, le général Gilly lui coupait la retraite. Décidément, la partie était perdue. Un conseil de guerre, qui se tint à Valence, le 5 avril, sous la présidence du duc d'Angoulême, décida que l'on rétrograderait immédiatement sur Nîmes. Les officiers du prince lui conseillaient de s'éloigner secrètement, afin de gagner le Piémont et de se mettre en sûreté au-delà des frontières, mais il refusa d'abandonner ses soldats et déclara qu'il partagerait leur fortune.
Telle était, dans cette funeste journée, la situation de l'armée royale. Comme pour la rendre plus grave encore, à dater du moment où les nouvelles que nous venons de résumer se répandirent, les soldats du 10e de ligne commencèrent à déserter pour passer à l'empereur. Lorsque, dans la soirée de ce jour, cette armée entreprit son mouvement de retraite, elle ne se composait plus que du régiment Royal-étranger et des volontaires du Languedoc de Provence. Quel triste retour ! Sur cette route où l’avant-veille, les royalistes passaient victorieux et remplis d'espérance, ils défilaient maintenant, affaissés, lassés, maudits par les populations qui les accusaient, oubliant qu'elles les avaient fêtés et applaudis deux jours plus tôt de les exposer aux représailles de l'empereur. Le duc d'Angoulême, à cheval, cheminait au milieu de ses soldats, trouvant même, dans sa détresse, des accents qui ranimaient leur courage. On traversa ainsi Livron, Loriol, Montélimar et Pierrelatte. Le 9 au matin, on arrivait à La Palud, où l'on apprit que la veille, le général Gilly avait occupé la citadelle du Pont-Saint-Esprit, qui le rendait maître des deux rives du Rhône. C'est alors que le duc d'Angoulême, se refusant à exposer les jours de ses soldats pour forcer cette barrière, se décida à capituler. De nouveau ses officiers l'engagèrent à fuir. Il leur répondit qu’il ne s'éloignerait qu'après avoir mis ses volontaires à l'abri de tout péril. Par ses ordres, le baron de Damas se rendit auprès du général Gilly, afin de négocier la capitulation. La négociation ne fut pas longue, le général Gilly s'estimant trop heureux de se débarrasser du prince sans coup férir. À deux heures, un traité était signé. Il portait que les volontaires seraient licenciés, qu'ils rentreraient dans leurs foyers sous la protection des autorités impériales, et que le prince serait conduit à Cette, où il s'embarquerait. Le général Soult fut même désigné pour l’accompagner. En apprenant le cruel dénouement de leur campagne de dix jours, en tombant si brutalement du haut de leurs illusions, les volontaires eurent un accès de fureur et de révolte. Ils brisèrent leurs armes, déchirèrent leurs drapeaux. Pour apaiser leurs colères, il ne fallut rien moins que la parole respectée du duc d'Angoulême. Ce fut lui qui les consola. Il leur dit que la défaite de la cause royale n'était que passagère, que le régime nouveau de Bonaparte ne durerait pas, et qu'avant peu, lui-même reviendrait se mettre à leur tête, non plus pour combattre cette fois, mais pour célébrer ensemble le retour de Louis XVIII.
Ils furent dociles à ses accents, et quand il s'éloigna, leurs acclamations et leurs larmes lui portèrent leurs adieux. Il monta en voiture, suivi de ses officiers, pour se rendre à Cette. Mais la parole du général Gilly promettant la liberté et les respects dus à son caractère et à son nom, ne fut pas tenue. Au moment où il traversait le Pont-Saint-Esprit, on le mit en état d'arrestation, en vertu d'un ordre du général do Grouchy, qui s'avançait, muni d'instructions spéciales de l'empereur. Le général de Grouchy, chargé de combattre l'insurrection et d'acculer le duc d'Angoulême à la mer, venait de passer par les plus vives angoisses. Pendant trois jours, il s’était cru hors d'état de lui barrer la route, et de Lyon même, il avait adressé un appel désespéré aux anciens militaires, tandis qu'il suppliait le ministre de la guerre de lui envoyer en poste des troupes et des moyens de défense. Maintenant, ses alarmes étaient dissipées. Mais une violente colère y survivait contre le prince dont la marche l'avait si fort inquiété. Puis, il était pressé de conquérir les bonnes grâces de l’Empereur, il en voulait aux Bourbons, qui n'avaient pas eu recours à ses services. Sous l'empire de ses sentiments, il n'eut pas la générosité de laisser partir le prince, et bien que, contrairement à ce qui a été dît, il n'eût pas reçu d'ordres, il refusa de ratifier la capitulation. Le 9 avril, à neuf heures du matin, partait de Lyon une dépêche signée de lui, et conçue en ces termes :
« Incertain s'il entre dans la volonté de Sa Majesté de laisser sortir de France le duc d'Angoulême, je ne ratifie pas cette capitulation et me rend en toute hâte au Pont-Saint-Esprit pour suivre le duc et être à même de le faire arrêter, si vous l'ordonnez, ce que je vous prie de me faire savoir télégraphiquement. J'espère que j'arriverai encore à temps pour remplir ce but ! » (1)
 
1. Archives du dépôt de la guerre.
 
À la suite de cette dépêche, le prince avait été arrêté. Il demeura incarcéré, lui et ses officiers, pondant six jours, et c'est seulement quand l’Empereur eut fait connaître sa volonté qu'il fut conduit à Cette par le général Radet. Il s'y embarqua, le 11 avril, avec une suite de quinze personnes, sur la Scandinavie « bâtiment suédois » qui le conduisit à Cadix, d'où il ne tarda pas à se rendre en Catalogne (1).
 
1. En apprenant la nouvelle de la capitulation du duc d'Angoulême, l'empereur avait donné l'ordre de le fusiller. Mais si cet ordre, aussitôt repris que donné, fut substitué celui de maintenir le prince en état d'arrestation. Napoléon semble avoir eu alors la pensée de le garder comme otage. A la réflexion, il changea d'avis une seconde fois, et décida de s'en tenir aux termes de la convention de La Palud. Le duc d'Angoulême fut conduit à Cette par le général Hadet, le même qui avait fait jadis escalader le Quirinal pour arrêter Pie VII, et qui, en prévision de l'avenir, se recommanda au neveu du roi avant de se séparer de lui.
 
III
 
Tandis qu'aux bords du Rhône se déroulaient ces événements, dans Nîmes, chef-lieu du département du Gard, qui avait fourni à la cause royale le plus grand nombre de ses partisans, ceux de l'empereur comme on l'a vu, se déclaraient ouvertement. Recrutés surtout parmi les sous-officiers en demi-solde, appuyés par une partie de la garde urbaine et par les populations protestantes de la Gardonnenque (1), ils n'avaient attendu, que les premiers succès de Napoléon pour se rallier à lui.
 
1. On désigne sous ce nom le groupe des communes situées au nord de Nîmes, dans la vallée du Gardon.
 
Avant, même qu'il fut arrivé à Paris, ils proclamaient le gouvernement impérial. Les troupes de la garnison que le duc d'Angoulême, doutant de leur fidélité, n'avait osé s'adjoindre les secondèrent. Elles prirent la cocarde tricolore et les aigles qu'elles avaient conservées dans leurs sacs. Le mouvement se communiqua aux villes et aux campagnes voisines. Plusieurs milliers de paysans menacèrent Nîmes au nom de Bonaparte ; on n'arrêta leur marche qu'en les persuadant de l'inutilité de leur concours, la ville ayant fait sa soumission. Un peu plus tard, le général Gilly, ayant obligé le duc d’Angoulême à capituler, rentra dans Nîmes, ne s'occupant plus que de rétablir l'autorité de son ancien maître. La cause des Bourbons fut alors perdue. Néanmoins, jusqu'à ce jour, tout s'était borné à la manifestation triomphante d'un parti sur un autre. Aucun excès n'avait été commis, si ce n'est l'assassinat du volontaire royal Lafitte, tué, comme nous l'avons raconté, au moment où il allait rejoindre le duc d'Angoulême mais l'exaltation était trop vive pour qu'on pût on rester là. Les passions dés populations méridionales, fortifiées à cette heure par le souvenir des guerres religieuses et le vieil antagonisme des catholiques et des protestants, étaient déchaînées. Elles vinrent en aide aux haines politiques et dictèrent aux vainqueurs des mesures arbitraires que leur persistance transforma en une véritable persécution contre les vaincus, et qui, selon la juste expression de M. de Viel-Castel, laissèrent dans le parti royaliste, avec tous les éléments d'une insurrection, d'implacables ressentiments. On épura la garde urbaine ; on en fit sortir les royalistes dont plusieurs furent incorporés de force dans des colonnes mobiles. On en arrêta un grand nombre. D'autres n'échappèrent à ces mauvais traitements qu'en prenant la fuite. Partout, les mouvements royalistes furent impitoyablement réprimés, notamment à Saint-Gilles, où quatre personnes furent tuées et un plus grand nombre blessées. On excita les troupes par des distributions d'argent, par les séductions les plus grossières, et l'on fit appel à tant de détestables instincts qu'il devint bientôt impossible de contenir ces masses frémissantes. La convention de La Palud avait promis aux volontaires royaux, qu'on appelait les miquelets, la protection des autorités impériales pour faciliter leur retour dans leurs foyers. Elle n'empêcha pas qu'ils fussent attaqués, au moment même où ils se croyaient on sûreté. Au Pont-Saint-Esprit, qui se trouvait sur leur chemin, on leur disputa le passage du pont du Rhône. Les uns furent massacrés, les autres précipités dans le fleuve. Quand ceux qui avaient échappé à ce guet-apens se présentèrent aux abords de Nîmes, ils y rencontrèrent des bandes de fédérés qui les dépouillèrent et leur firent subir les plus cruelles avanies. Ceux qui, pour rentrer chez eux, étaient obligés de traverser là Gardonnenque, y furent victimes d'actes barbares. Les populations, qui, sous le manteau du bonapartisme cachaient d'anciens préjugés et de vieilles haines, tenaient la campagne et gardaient les villages afin d'en interdire l'approche aux volontaires royaux. Elles s'acharnèrent contre ces malheureux, dont plusieurs trouvèrent la mort dans la commune d'Arpaillargues. Le scapulaire étalé sur leur poitrine, la fleur de lis rouge cousue sur leur uniforme et leur cocarde blanche les firent reconnaître. À l'entrée du village que traversait la route, on les désarma par mesure de précaution, leur dit-on. Ils se laissèrent faire. Mais soit que leur nombre, ils étaient soixante-quatre, eût alarmé les habitants, soit qu'eux-mêmes, par leur attitude et leur langage, les eussent provoqués, on les attaqua. Hors d'état de se défendre, ils se dispersèrent en courant. Les gens d'Arpaillargues s'élancèrent derrière eux à travers champs, armés de fusils et de fourches. On leur donna la chasse comme à des bêtes fauves, disait plus tard, devant la cour d'assises de Nîmes, le procureur général. Sept d'entre eux périront. L'intervention de quelques femmes, plus exaltées et plus cruelles que les hommes, vint ajouter à l'horreur de leur supplice. Quatre, renversés par la fusillade, furent mis à nu, percés de coups dans toutes les parties du corps, déchirés au visage avec des ciseaux. Les archives judiciaires nous ont conservé le récit de ces horreurs, dont les auteurs au nombre de dix-sept, furent poursuivis l'année suivante et condamnés, à l'exception d’un seul, onze à mort, deux aux travaux forcés, trois à cinq ans de prison. Cinq furent exécutés. A ces terribles provocations vint s'ajouter la compression rigoureuse à laquelle fut soumis ce département royaliste, toujours prêt à se révolter.
Puis ce furent des levées d'hommes. Il y eut alors un grand nombre de déserteurs. Ils allèrent grossir les bandes des volontaires fugitifs qui erraient dans la campagne, se cachaient dans les bois, dans les montagnes, dans les marais et jusqu'aux bords de la mer, entre Agde, petit port sur la Méditerranée, dans l'Hérault, et le hameau des Saintes-Maries, à la pointe de la Camargue. Cette population vécut ainsi pendant deux mois, mal vêtue mal nourrie, couchant sur la terre nue, rôdant affamée aux environs de Nîmes, de Saint-Gilles, d'Aigues-Mortes, se glissant parfois dans Montpellier où les royalistes lui distribuaient quelques secours, s'employant dans les métairies, toujours sur Ie qui-vive, toujours menacée par les fédérés qui faisaient dans les champs de fréquentes battues. Cette vie misérable allumait dans les cœurs d'ardents désirs de .représailles. La plupart des fugitifs de condition modeste, étaient honnêtes et courageux ; celui qui devait s'appeler plus tard le poète Jean Reboul se trouvait parmi eux, et plus d'un lui ressemblait par la noblesse des sentiments. Mais il y avait aussi dans leurs rangs des artisans sans éducation aux instincts, grossiers, aux passions violentes, ce Jacques Dupont dit Trestaillons, simple travailleur de terre dont ces tristes jours allaient faire un grand criminel, et avec lui ceux qui se préparaient à devenir ses compagnons et ses émules, forcenés animés de l’esprit de brigandage et de révolte, disait plus tard un des fonctionnaires chargés de les poursuivre, pour qui le royalisme fut un prétexte, le désordre un but, qui devaient attacher au Midi une sinistre renommée et compromettre tout le parti royaliste en disant :
« Il nous faut un roi terrible à qui soient inconnus les mots de bonté, de clémence et de pardon. Faisons-nous justice puisqu'on ne nous la fait pas. Servons le roi malgré lui ! » (1)
 
1. Archives nationale.
 
C'est pendant les Cent-Jours que toutes ces haines prirent feu, on ne saurait trop le répéter, non certes, pour faciliter une justification impossible, mais pour fournir à l’histoire une explication qu’elle réclame, une explication appuyée sur des documents authentiques et qui s'impose aujourd'hui aux adversaires comme aux amis de la Restauration, avec là puissance de la vérité qui n'est pas moins vraie d'ailleurs, c'est que vengeances et représailles dépassèrent do beaucoup les persécutions qui les avaient déchaînées. N’est-ce-pas un des traits ordinaires de la guerre civile dans tous les pays et à toutes les époques ? On a vu qu’une partie des déserteurs et des volontaires vivaient dispersés aux bords de la mer. Moins malheureux que la plupart de leurs compagnons, ils étaient parvenus à former une agglomération suffisante pour tenir en respect les bandes de fédérés et les détachements de la petite garnison d'Aigues-Mortes, qui battaient la campagne afin d'arrêter les réfractaires. Les uns avaient trouvé un abri dans les cabanes des pêcheurs, les autres campaient à la belle étoile, et comme on était au printemps, ils supportaient sans trop de peine les intempéries de l’air. L'espérance d'un avenir meilleur que le présent rendait leurs maux légers. La huit, des barques venues d'Espagne amenaient sur les plages des émissaires mystérieux qui leurs apportaient quelques secours, les instructions du duc d'Angoulême réfugié à Barcelone et leur annonçaient la chute prochaine du régime impérial.
 
1. Nous devons ces curieux détails à un ancien volontaire royal, encore vivant aujourd'hui, M. C..., de Fontvielle (Bouches-du-Rhône). C'est également de lui que nous tenons le texte de la romance suivante, que les miquelets chantaient en chœur, chaque matin, sur l’air de Richard après avoir fait la prière en commun :
Loin de la belle France
Un roi puissant languit
Son serviteur gémit
De sa cruelle absence !
Si d’Angoulême était ici,
Mon cœur n'aurait plus de souci !
O Franco, ô ma patrie,
Que devient ton honneur,
Quand on te sacrifie
Au Corse usurpateur !
 
Pour une cause impie,
On veut armer nos bras,
Préférons le trépas
A cette ignominie.
Louis, tu veux notre foi !
Crions toujours « Vive le roi ! »
Dans ces moments de crise,
Quel que soit notre sort,
Voici notre devise :
« Le Bourbons ou la mort ! »
 
De Cadix, le prince s'était fait conduire en Catalogne où l’avaient suivi plusieurs des partisans de Louis XVIII et où il attendait la défaite suprême de l'empereur, qu'il était dés ce moment facile de prévoir. Il avait conservé, par l’ordre du roi, le commandement des départements du Midi. Dès la fin de la première quinzaine de juin, il jugea les événements assez avancés pour charger des commissaires de se rendre en France et de se tenir prêts à toute éventualité. Ces commissaires étaient, pour l’Hérault, le marquis de Montcalm ; pour la Lozère et le Gard, le comte de Bernis et le marquis de Calvières. Originaires des contrées dans lesquelles on les envoyait ces gentilshommes y étaient connus et estimés. Le comte Charles de Vogüé leur fut adjoint comme inspecteur des gardes nationales. Ils débarquèrent près d'Aigues-Mortes, dans la nuit du 18 au 16 juin malgré les douaniers qui leur tirèrent en vain quelques coups de fusil. (1)
 
1. D'autres commissaires royaux débarquaient au même moment sur divers points des côtes Françaises ; Le Marquis de Rivière à Marseille ; le duc d’Aumont, près de Bayeux ; etc…
 
Puis M. de Bernis se dirigea sur Nîmes, suivi de M. de Calvières, tandis que M de Montcalm se rendait dans l'Hérault.
Ils se trouvaient donc au cœur des populations quand arriva la nouvelle de la bataille de Waterloo. C'était le 28 juin. Le même jour, le marquis de Calvières, revenant sur ses pas, entra dans Aigues-Mortes, a la tête d'une poignée d'hommes désarma la garnison de cette petite place, on faisant les officiers prisonniers. Il fut bientôt rejoint par un chef de volontaires, le capitaine Achard, ayant sous ses ordres une cinquantaine de pécheurs armés par ses soins, et assura par ce coup de main au duc d'Angoulême un solide point de débarquement. En même temps, l'Hérault se soulevait à la voie du marquis de Montcalm. Le 21 juin, le général Gilly commandant la division dont Montpellier était le siège, avait fait afficher la proclamation suivante :
« Napoléon a abdiqué, pour donner la paix à la France des commissaires se sont rendus près des puissances alliées. Si elles ont été franches dans leurs déclarations, la paix sera rendue au monde; si leur dessein a été de nous tromper en déclarant qu'ils n'en voulaient qu'au chef du gouvernement, qu'ils sachent que la France peut être envahie, jamais subjuguée. ».
Ce langage, au lieu d'apaiser les esprits, les excita et la journée du lendemain fut troublée par une sanglante collision entre les royalistes et les fédérés. Les volontaires s'étant portés sur la ville où déjà flottait le drapeau blanc, y tuèrent un mulâtre, capitaine de la garde nationale, qui s'était fait remarquer depuis deux mois par son ardeur à les poursuivre. Ils attaquèrent ensuite la citadelle dans laquelle le général Gilly s'était enfermé avec la garnison. Ils furent repoussés après un combat meurtrier qui coûta la vie à cent dix personnes (1), et quittèrent la ville dont les habitants n'en continuèrent pas moins à fêter par des chants et des danses, le retour des Bourbons.
 
1. Rapport du marquis de Montcalm. (Archives du dépôt de la guerre.)
 
Pendant ces réjouissances, le préfet s'entendit insulter par une foule furieuse à laquelle il n'échappa qu'à grand-peine. Ici, deux versions également vraisemblables sont en présence. Selon l'une, les royalistes se seraient portés à des excès, auraient pillé le café militaire, arrêté un valet de ville, saisi les dépêches dont il était nanti, blessé à coups de pierres trois officiers, dont l'un, chef de bataillon du 13e de ligne, mortellement, et c'est pour réprimer ces tentatives que le général Gilly aurait fait sortir de la citadelle plusieurs patrouilles. Selon l'autre, le calme n'avait pas été troublé et la conduite du général Gilly n'eut pour cause que l'irritation dans laquelle le jetèrent les manifestations de la joie publique. Quoi qu'il en soit, l'une des patrouilles tira sur un groupe de danseurs, Deux femmes furent tuées, trois blessées. Quatre jours après, nouveau conflit, un vieillard attiré à sa croisée par les cris de « Vive le roi ! » que poussaient les volontaires, fut tué d’une balle, entre ses deux filles. Enfin, les royalistes restèrent victorieux. Le général Gilly avait prévu ce dénouement et, laissant une poignée d'hommes dans la citadelle, était rentré dans Nîmes, où il se sentait plus fort qu'à Montpellier. « Tout autour de moi est en pleine insurrection », écrivait-il au ministre de la guerre. Le 30 juin, à Mende, chef-lieu de la Lozère, le peuple se souleva, attaqua la préfecture sous les ordres d’un ancien émigré, arrêta les autorités, et se fit livrer les armes enfermées dans les casernes, qui furent distribuées à trois mille paysans. En moins de vingt-quatre heures, le département se soumit à Louis XVIII, sans que le sang eût coulé. A Agde, on eut à regretter des actes de dévastation dont on essaya plus tard d'atténuer le caractère coupable en imprimant cette phrase :
« Le peuple, en pillant a associé son souverain à son ressentiment ».
La petite garnison de cette place fut désarmée et prit la fuite pour échapper aux mauvais traitements, puis les insurgés marchèrent sur l’Aveyron d'un côté, sur Pézenas et Béziers de l'autre, et firent arborer le drapeau blanc.
Au Vigan, la nouvelle de Waterloo fut apportée, le 28 juin, par des déserteurs qui entrèrent dans la ville aux cris de « Vive le roi ! ». Le sous-préfet fut arrêté et conduit à Montpellier ou il subit une longue détention. C'est dans le récit qu'il nous a laissé de son infortune qu'on voit apparaître pour la première fois Jacques Dupont, dit Trestaillons qu'il accuse d'avoir dit : « Je regrette bien de n'avoir pas rencontré ce sous-préfet. Je lui aurais envoyé un coup de fusil ». Cependant, Beaucaire s'était aussi prononcée pour le roi. Celte petite Ville, à laquelle la foire qui s'y tient tous les ans a assuré une réputation universelle, est située aux bords du Rhône qui la sépare de Tarascon, et à trente kilomètres de Nîmes. Le 26, elle arbora le drapeau blanc, inquiet sur les suites de cette manifestation, le conseil municipal qui connaissait la résolution du préfet du Gard et du général Gilly de maintenir dans Nîmes l'autorité de l'empereur les fit avertir de ce qui venait de se passer, en les adjurant de ne rien tenter pour contenir le mouvement royaliste de Beaucaire, s'ils ne voulaient provoquer une résistance désespérée. Le générai Gilly fil la promesse qu'on lui demandait. Mais, durant la nuit suivante, une troupe de fédérés partit de Nîmes sans ordres, afin d'aller soumettre aux autorités impériales les Beaucairois révoltés. Elle vint se briser contre un détachement de garde nationale qui gardait la Ville. À dater de ce jour, Beaucaire songea à s'organiser pour la défense. Le comte de Bernis s'y rendit et prit en main cette organisation. Les volontaires royaux et les déserteurs lassés de leur vie errante accoururent, ainsi que les habitants des communes voisines dévouées aux Bourbons.
Avec les premiers, on forma un régiment de ligne et un escadron de chasseurs à cheval ; avec les seconds, un bataillon de garde nationale Les receveurs des postes, de l'enregistrement, des contributions directes et indirectes, les fermiers du pont de Beaucaire durent verser huit mille cinq cents francs. On accrut ces ressources par des emprunts. Un agent secret envoyé à Marseille, où le marquis de Rivière s'était installé comme commissaire du roi, obtint par son entremise, des bâtiments anglais qui croisaient en vue du port, des armes et des munitions qu'il rapporta dans Beaucaire, où il ramena en même temps plusieurs officiers emprisonnés au château d'If pendant les Cent-Jours et que le peuple marseillais avait délivrées. Parmi eux se trouvait le colonel Magnier, qui entreprit avec succès de lever un corps de troupes à Tarascon. Enfin, la garnison d'Aigues-Mortes envoya au camp de Beaucaire deux pièces de canon et des artilleurs. L'armée royaliste, forte de plus de deux mille hommes, fut placée sous les ordres du chevalier de Barre, maréchal de camp. En même temps, le comte de Bernis désignait le marquis de Calvières comme préfet provisoire du Gard. De son côté, le général Gilly se préparait à une défense désespérée. Prévoyant le cas où il serait obligé d'évacuer Nîmes, il venait de faire des Cévennes du Gard, on sa qualité de commissaire impérial, le point de ralliement d'une vaste insurrection dont les fédérés d'Avignon, de Marseille et de Nîmes, les populations de la Gardonnenque et de la Vaunage (1), et les troupes rebelles lui auraient fourni les éléments.
 
1. On désigne ainsi quelques communes, entre Nîmes et le Vidourle, dans la vallée de Nage.
 
Appuyé sur la citadelle du Pont-Saint-Esprit, qui tint pour l'empereur jusqu'au milieu de juillet, disposant de populations fanatisées, il aurait pu facilement appeler à son aide celles du Dauphiné et faire du Gard un foyer de résistance à la Restauration, et, comme on disait alors, une Vendée patriotique. Chose étrange, le général Gilly auquel était acquise la majorité des sympathies protestants, était catholique; par contre, le général de Barre, dont les forces se composaient presque en totalité de catholiques, était protestant, ainsi que plusieurs des fonctionnaires qui furent ultérieurement nommés par le commissaire du roi. Ce simple fait permet d'affirmer qu'en ce moment, ce sont bien les passions politiques qui étaient aux prises et que c'est plus tard seulement que les passions religieuses vinrent les envenimer. Le général Gilly avait sous ses ordres cinq cents hommes du 13e de ligne, deux compagnies du 67e, deux cent cinquante chasseurs du 14e, un bataillon composé d'officiers à la demi-solde, désigné sous le nom de « bataillon sacré », neuf cents hommes de garde urbaine et environ seize cents paysans armés. Il y ajouta de l'artillerie qu'il envoya chercher au Pont-Saint-Esprit. Néanmoins, bien qu'il disposât, comme on le voit, de forces supérieures à celles de l'armée de Beaucaire, le général bonapartiste ne pouvait rien au-delà de la résistance. S'il avait tenté de sortir de Nîmes et de porter l'attaque au-dehors, la population royaliste, qu'il tenait comprimée depuis trois mois, se serait soulevée. En outre, il aurait trouvé devant lui, à droite et à gauche, des communes hostiles à Bonaparte, et, parmi les plus importantes, celle d'Uzès, qui avait arboré déjà le drapeau blanc et qui, placée sur la limite qui sépare les centres catholiques des centres protestants, se préparait à se défendre contre ceux-ci. Enfin, à l'armée de Beaucaire seraient venues se joindre, au besoin, les gardes nationales de Provence, réunies par le colonel Magnier entre Arles et Tarascon. Le général Gilly était donc paralysé ; il restait dans Nîmes, attendant avec angoisse les nouvelles de Paris, sourd aux propositions; pacifiques et honorables des représentants du roi, tandis que, libre de ses mouvements, le général de Barre fortifiait ses positions et organisait une expédition pour dégager les bords de la Durance, d'où le menaçaient des bandes de fédérés, sorties d'Avignon.
Composée de volontaires royaux, cette expédition, sous les ordres du colonel Magnier, partit de Beaucaire le soir, vers onze heures et marcha pendant toute la nuit. Au point du jour, elle se trouva à l'entrée d'un gros bourg appelé Château-Renard, voisin de la Durance, et vit devant elle les fédérés postés hors la ville sur les coteaux qui longent la route de Noves. La première balle tirée alla tuer un paysan qui travaillait dans un pré, et dont on essaya de justifier la mort en disant qu'il avait crié « Vive l’Empereur ! » Ce fut d'ailleurs, la seule victime de la journée, car au premier coup de canon, les fédérés se dispersèrent et disparurent. On ne les poursuivit pas. Le chef de l'expédition ayant appris qu'Avignon était depuis le matin au pouvoir des royalistes, donna l'ordre de retourner à Beaucaire. Il ne put empêcher toutefois une partie de ses soldats d'entrer dans Château-Renard, où ils mangeront et burent trop copieusement, sans doute, car après le repas, ils se mirent à piller plusieurs maisons, et à maltraiter des citoyens qu'on leur désigna comme des républicains. Là boutique d'un chapelier rangée dans cette catégorie fut saccagée et les marchandises qu'elle contenait détruites. Après cet exploit, la compagnie se mit en route pour rentrer dans ses quartiers. Mais en traversant Tarascon, elle trouva la ville en proie à la plus tumultueuse agitation. On venait d'y conduire dans trois charrettes des individus arrêtés arbitrairement à Fontvieille, commune de l’arrondissement d'Arles, où ils étaient connus comme d'anciens terroristes. On attendait ces malheureux avec des tombereaux de tessons de bouteilles pour les massacrer. Il y avait parmi eux un vieillard surnommé « l'archevêque » contre lequel la foule s'acharnait avec fureur. Au moment où il arrivait avec ses compagnons, aux abords du château fort qui sert de prison, elle commença à le lapider.
Il reçut tes premiers coups sans se plaindre. Tout à coup, un jeune homme, prisonnier aussi, se précipita en criant et vint se mettre devant lui afin de recevoir les coups à sa place, c'était son fils, qu'on vit alors insensible à ses propres blessures entourer de ses bras et couvrir de son corps le vieillard qui lui ordonnait en vain de s'éloigner. Mais cette lutte de dévouement n'attendrit pas la populace ameutée et les deux malheureux seraient morts broyés, si quelques volontaires émus et indignés ne les eussent soustraits à la fureur en les poussant brusquement dans la forteresse dont les portes se fermèrent aussitôt (1).
 
1. Souvenirs d'un témoin, communiqué à l'auteur.
 
Tels étaient donc les résultats des projets de résistance du général Gilly : il exaspérait les royalistes et fournissait à leurs adversaires, partout où ils étaient assez forts pour soutenir la lutte, un prétexte pour retarder leur soumission et même pour devenir menaçants. C'est ainsi que dans la Gardonnenque, s'étaient formés des rassemblements armés qui envoyaient leur avant-garde jusqu'aux portes d'Uzès, et sommaient les habitants d'avoir à faire disparaître le drapeau tricolore. Ces rassemblements étant devenus inquiétants, les autorités municipales de cette petite ville eurent l'idée de leur envoyer, par un parlementaire, des propositions ayant pour but de faire décider que jusqu'à nouvel ordre, royalistes et impérialistes garderaient leurs couleurs. Un ancien officier, M. Nicolas garde à cheval des eaux et forêts, s'offrit pour porter ces paroles de paix aux émeutiers et se rendit au-devant d'eux, le 3 juillet, suivi de deux, gendarmes. Il les rencontra aux portes mêmes de cette commune, d'Arpaillargues où, trois mois avant, les volontaires royaux avaient été massacrés. D'abord, ils parurent disposés à l'écouter. Mais, à peine eut-il fait allusion aux Bourbons, que sa voix fut couverte par des huées et des cris de « Vive l'empereur ! » Il voulut protester; au même instant, un paysan plus excité que les autres abaissa vivement son fusil et tira presque à bout portant sur M. Nicolas qui tomba mort (1).
 
1. L'assassin se nommait Pénarieu. Il fut condamné à mort et exécuté au mois d'août 1810.
 
La négociation, brusquement arrêtée par ce meurtre inexplicable, fut reprise, le même jour, par de nouveaux députés et aboutit à un armistice, aux termes duquel chaque parti conservait ses couleurs et devait rester dans ses positions. Peu à peu, cependant le cercle se resserrait autour du général Gilly, et, bien qu'il occupât la ville de Nîmes, il ne pouvait plus se faire illusion sur la durée de son pouvoir. S'il résistait encore, c'est qu'il fondait un espoir sur l'arrivée du général Cassan, commandant le département de Vaucluse, qui cherchait à lui porter secours, mais sans pouvoir arriver jusqu'à lui, tandis que, chaque jour, des détachements royalistes venaient aux portes de Nîmes. Le 5 juillet, l'un d'eux apporta une lettre du général de Barre, sommant le général de faire sa soumission au roi. Cette lettre était ainsi conçue :
« Général, les forces supérieures que je commande me mettent à même de me rendre maître de la ville de Nîmes que vous occupez. L'humanité m'a fait différer jusqu'à ce moment de les employer, espérant que vous arboreriez le drapeau blanc et vous déclareriez pour le roi Louis XVIII. Quelques instants vous sont encore donnés, et je vous invite d'en profiter sans délai. Si telles sont vos dispositions, et si vous partagez, comme je m'en flatte, mon désir d'épargner l'effusion du sang et les désordres qui pourraient résulter d'une mesure qui ne serait point concertée envoyez quelqu'un de confiance avec lequel je puisse travailler et parer à ces inconvénients. » (1)
 
.1. Archives du dépôt de la guerre.
 
A cette lettre, Gilly répondit par un refus, et l'on en serait venu sans doute aux mains, sans l'intervention du conseil municipal, qui fit accepter des partis une trêve provisoire à l'effet d'attendre les résultats des événements de Paris. Quelques jours s'écoulèrent ainsi. On apprit enfin le rétablissement de Louis XVIII par l'ordonnance royale qui prescrivait à tous les fonctionnaires destitués pendant les Cent-Jours de reprendre leurs fonctions. Le comte de Bernis fit alors une tentative nouvelle pour obtenir la soumission de la Ville. Le général Gilly répondit en proclamant Napoléon II. En même temps, afin de se débarrasser des exigences royalistes, il préparait un coup de main sur Beaucaire, après avoir envoyé au général Cassan, maître de la citadelle du Pont- Saint-Esprit, l'invitation de marcher de son côté de manière à ce que leur jonction faite à propos, leur assurât la victoire. Un incident vulgaire fit avorter ce projet. L'émissaire qui portait au commandant militaire de Vaucluse les ordres de Gilly se laissa prendre par les patrouilles qui tenaient la campagne entre Beaucaire et Nîmes, et le comte de Bernis, averti à temps, put dicter des mesures défensives contre lesquelles l'expédition échoua.
 
1. Il se nommait Brémond. Envoyé dans la prison d'Uzès, il y fut massacré le 3 août avec d'autres détenus, ainsi qu'on le verra tout à l'heure.
 
Le chef-lieu du Gard fut alors en proie à une véritable terreur, car, menacé à la fois par les troupes royalistes et par les bandes de la Gardonnenque, il avait en outre tout à redouter du général Gilly déterminé à vaincre où à périr.(1)
 
1. C'est sans doute à cette situation que Fouché faisait allusion dans un rapport au roi, en date du 8 juillet : « Le loyalisme du Midi, écrivait-il, s'exhale en attentats, ses bandes armées pénètrent dans les villes et parcourent les campagnes, les assassinats, les pillages se multiplient, la justice est partout muette. Il n'y a que les passions qui parlent et soient écoutées. Il est urgent d'arrêter ces désordres..». (Archives du dépôt de la guerre,)
 
Un grand nombre d'habitants prirent la fuite, se réfugièrent à Beaucaire et y firent un tel tableau des dangers que couraient tours concitoyens que le comte de Bernis se décida à marcher sur Nîmes. L'énergie du dernier avertissement qu'il adressa au général Gilly prouva à ce dernier qu'il ne pouvait plus tenir. Dans la soirée du 16 juillet, après avoir confié au général de Maulmont, placé sous ses ordres, le commandement de la garnison enfermée dans les casernes, il quitta secrètement la ville, accompagné par quatre ordonnances. Un peu plus tard, cent hommes du 14e chasseurs s'éloignèrent aussi. Protégée par une centaine d'officiers et soldats retraités par une troupe de Cévenols, cette sortie eut un caractère terrible. Armés jusqu'aux dents, pâles de rage, prêts à broyer tout ce qui leur aurait fait obstacle, les cavaliers parcoururent le boulevard au galop, en déchargeant leurs carabines, en poussant des cris de colère, et rejoignirent leur général. Il les conduisit sur la route d'Anduze, qui le mettait en communication avec les Cévennes où, comme nous l'avons dit, il espérait défendre longtemps la cause impériale et où, dès le lendemain, menacé par le comte de Vogüé, il se réfugia, Puis il adressa aux populations sur lesquelles il comptait un appel désespéré. Il leur demandait de « s'armer de bon cœur » et de former un corps de vingt-cinq mille hommes, « au nom du bien public et de l'humanité ». Tous les hommes de dix-huit à soixante ans étaient invités à marcher dès que la générale serait battue, à se servir de fusils de chasse, de fourches et de faux. (1)
 
1. Archives nationales. Rapport du préfet du Gard.
 
À cet appel, quatre mille hommes environ répondirent. L'agitation se maintint ainsi durant quelques semaines et causa des malheurs dont on connaîtra bientôt l'étendue. Puis ces bandes se dispersèrent, ne laissant au général Gilly d'autre issue que la fuite. Le lendemain du jour où il quitta Nîmes, le préfet du Gard, baron Ruggieri, se décidait enfin à reconnaître le gouvernement royal. Il disparut après l'avoir proclamé. Un commissaire de police le fit évader de la ville. Le drapeau blanc fut alors arboré ; on vit quelques cocardes blanches. Mais les fédérés étaient encore les maîtres. Ils parcoururent la ville, après avoir enfermé dans leurs quartiers les gendarmes déjà porteurs de la cocarde blanche. Ils firent feu sur plusieurs personnes. Un garçon boulanger fut tué (1) dans cette dernière convulsion du bonapartisme expirant.
 
1. Jean Vignolle.
 
IV
 
Deux jours après, tous les émigrés rentrèrent dans leurs maisons, précédant l'armée de Beaucaire à l'approche de laquelle la garde urbaine se dispersa. Comme toute autorité faisait défaut, dans chaque quartier, les citoyens, à l'instigation des autorités provisoires, s'armèrent pour se protéger contre un retour des fédérés. Ce fut une garde nationale improvisée, à la formation de laquelle présida le plus grand désordre. C'est ainsi que certains individus se trouvèrent revêtus d'un semblant d'autorité. Les documents administratifs et judiciaires nous ont transmis leurs noms. Mais nous ne citerons que ceux qu'une condamnation solennelle ou la notoriété publique a livrés à l'histoire. Parmi eux, se trouvaient Truphémy, un boucher, jeune encore, que les dépositions nous dépeignent comme un personnage redoutable, à cheveux crépus, et gros favoris rouges, et Jacques Dupont, surnommé Trestaillons, petit homme brun, nerveux et frêle, nommé capitaine d'une compagnie à l'aide de laquelle il commit d'abominables crimes dont il ne nous a pas été possible de retrouver des preuves décisives dans les pièces officielles qui ont passé par nos mains, mais dont il existe ailleurs un témoignage irrécusable et décisif dont nous allons reparler. Ces deux hommes répandirent la terreur dans les faubourgs et dans les environs de Nîmes, parmi ce peuple d'artisans dont ils faisaient partie. Ils eurent des complices que les tribunaux acquittèrent ultérieurement, à l'exception d'un seul, Jacques Servent dit le Camp, qui fut condamné en même temps que Truphémy.
Les historiens royalistes n'ont pas plaidé les circonstances atténuantes pour ce dernier. Tous reconnaissent que c'était un scélérat. Ils se sont efforcés au contraire d'en trouver pour Trestaillons dont, pour un motif ignoré, la veuve recevait encore une pension en 1830. Ce misérable avait fait partie des volontaires du duc d'Angoulême. Il possédait trois lopins de terre (1), et, pour expliquer les actes auxquels il se livra, on raconta d'abord que pendant son absence, des individus appartenant au parti bonapartiste avaient dévasté sa petite propriété, arraché ses d’oliviers et ses vignes. C'était la version la plus répandue en 1816.
 
1. Cette circonstance lui valut son surnom de Très Taillons, ce qui veut dire trois morceaux
 
Puis, comme ces faits dénués de toute preuve ne pouvaient justifier le caractère odieux des représailles exercées, on ajouta que la femme de Trestaillons avait été outragée ; de telle sorte que, malgré la plupart des dires contemporains qui l'accusent d'avoir été un sinistre bandit, il ne serait en réalité qu'une victime des ennemis de la royauté, qui aurait tiré vengeance de ceux dont il avait à se plaindre.
L'histoire ne saurait se contenter de cette assertion et peut y opposer l'assurance que Jacques Dupont mit la main dans la plupart des crimes commis à Nîmes les 18, 21, 24, 27 juillet, 1er et 19 août, crimes qui presque tous restèrent impunis parce que personne n'osa dénoncer leurs auteurs. Sa culpabilité résulte.de l'aveu qu'il fit, en 1819, au baron d’Haussez, préfet du Gard, et duquel ressort la preuve qu'après les Cent-Jours, il avait tué six- individus :
« J'ai cherché ceux qui m'avaient déshonoré, dit-il, je les ai tous tués. Je ne m'en suis pas caché. C'était en plein jour, dans les rues, dans les maisons, partout où je les ai rencontrés ; si l'un d'eux m'avait échappé et qu'il fût là, je le poignarderais sous vos yeux ». .
Elle résulte encore d'une lettre trouvée dans les archives de la petite commune d'Aubussargues, lettre écrite au maire, qui dépeint à merveille le personnage qu'une gravure du temps nous représente en uniforme d'officier de la garde nationale, portant son tricorne en bataille, avec une énorme cocarde blanche, et qui s'en allait dans les campagnes, dépouillant les habitations, maltraitant les gens, menaçant ceux qui n'obtempéraient pas sur- le-champ à ses exigences. Cette lettre dont le texte est sous nos yeux, toute criblée de fautes d'orthographe, fait allusion aux mauvais traitements que le signataire a subis à Aubussargues, après la capitulation de la Palud, et réclame cinquante francs qui lui auraient été dérobés et cent cinquante francs pour l'indemniser de la perte de son équipement. Elle se termine comme suit :
« Monsieur le maire, au défaut de ne vouloir pas me faire restituer, cet que je réclame et qui m’a été volet, je me permétré de venir en personne avec ordre, et de force, je me ferait rendre pièce à pièce et pour éviter cette incendie, veulliet bien me l'envoyer de suite : Le capitaine dit TROIX TAILLION, JACQUES DUPONT. »
Voilà bien le langage du chef de bandes qui dicte ses conditions. Il n'est question là ni des propriétés ravagées ni de la femme outragée. On est en présence d'un brigand qui ne sert la cause royaliste que pour faciliter l'exercice de son criminel-métier (1), dont il faut voir l'inspiration dans presque toutes les atrocités qui ensanglantèrent Nîmes à dater de ce jour, et qui plus qu'aucun de ses pareils a contribué, son impunité aidant, à donner aux événements que nous racontons l'odieuse physionomie qu'ils ont gardée jusqu'à nous.
 
1. Il est à remarquer que M. Bouy, maire d'Aubussargues, auquel cette lettre est adressée, était un homme d'une honnêteté scrupuleuse, qui s'était employé avec la dernière énergie pendant les Cent-Jours à protéger les catholiques habitant sa commune, ou ceux qui la traversaient. Le souvenir de ses services dura longtemps, puisque nous voyons en 1816 les femmes de la halle de Nîmes, se faire l'organe de la reconnaissance publique en refusant, quoiqu'il fut protestant, de recevoir le prix des denrées qu'il achetait les jours de marché. Quant aux prétendus outrages dont la femme de Jacques Dupont aurait été victime, on doit faire observer qu'on ne trouve pas un seul crime de ce genre parmi tous ceux qui furent commis en 1815 dans le Midi.
 
Nous avons dit qu'en quittant Nîmes, le général Gilly avait laissé dans les casernes, où elle s'était fortifiée, une partie de la garnison composée de soldats attachés à l'empereur, enivrés du souvenir de sa gloire dont ils avaient leur part et que sa chute exaspérait. Témoins de l'irritation qui s'empara de la ville délivrée et qu'aggravaient leur résistance et leur attitude menaçante, ils en subissaient le contrecoup. Une collision devenait imminente entre eux et la population dont un grand nombre de paysans royalistes était venu exciter les ardeurs. Les hommes modérés qui conservaient encore quelque autorité entreprirent d'apaiser les esprits et ouvrirent avec le général de Maulmont, disposé à entrer dans leurs vues, des négociations ayant pour but d'éviter l'effusion du sang et de faire disparaître une batterie d'artillerie dressée devant les casernes. Le général de Maulmont consentit à livrer ses canons à une compagnie d'élite de la garde nationale, qui s'était formée sous le commandement du maire pour assurer le maintien de l'ordre, Mais dans la journée du 17 juillet, devant la foule houleuse massée sur la place des casernes et que ne parvenaient pas à contenir quelques gendarmes effrayés de leur petit nombre, les soldats placés aux croisées, soit que cette foule les ont provoqués, soit que la convention consentie par leur général les eût affolés, sauteront sur leurs fusils et firent, sans avoir reçu des ordres, une décharge générale. Douze personnes tombèrent, onze tuées sur le coup, une blessée mortellement. (1)
 
1. Voici les noms des victimes : Mazoyer, Bressant, Castor, Aimé, Maurice, Nouvel, Aigon, Sadoul, Daussac, Française, Rouvière, Claude Philippe.
 
La place fut vide en un instant. La foule, réfugiée dans les rues voisines, poussait des cris do vengeance. Il y eut encore des coups de feu, qui blessèrent plusieurs personnes et tuèrent deux soldats. Le tocsin sonnait à toutes les églises. La municipalité envoyait en toute hâte des messagers à Beaucaire et à Uzès, sollicitant des secours afin d'arrêter la guerre civile. Grâce à l'intervention du général de Maulmont et à la fermeté de quelques officiers, la garnison capitula vers le soir. Les soldats brisèrent leurs armes, déchirèrent leurs drapeaux, enclouèrent les canons, jetèrent les munitions dans un puits, tandis que le général stipulait que les officiers garderaient leur épée. Le départ de la garnison devait avoir lieu dans la nuit. A trois heures, elle sortit des casernes en bon ordre ayant à sa tête le général de Maulmont, et défila silencieusement devant un assez grand nombre de spectateurs.
Tout à coup, des hommes de mauvaise mine se mirent à injurier les sous-officiers en leur disant qu'ils n'avaient pas le droit de conserver leurs sabres, et deux détonations se firent entendre comme un signal. Aussitôt, on se précipita sur ces soldats sans défense; trente environ furent tués ou blessés, et parmi eux plusieurs officiers dont un commandant, qui d'ailleurs reçut des soins et fut sauvé (1).
 
1. Nous n'avons pu retrouver l'état des morts et des blessés. Les chiffres que nous donnons sont ceux des documents judiciaires.
 
Les malheureux; s'enfuirent de tous côtés. Plusieurs furent recueillis chez des habitants d'où on les fit partir déguisés. Le général de Maulmont, dont la vie avait été menacée, parvint à en rallier un grand nombre et à atteindre avec eux le Pont-Saint-Esprit, où ils reçurent des secours du comte de Vogüé devenu, depuis vingt-quatre heures, maître de la citadelle sans coup férir, le général Cassant qui s'y était réfugié, lui ayant livré cette position qu'il ne pouvait plus défendre. Le regrettable événement des casernes est le dernier auquel on puisse attribuer le caractère de fait de guerre civile. Les meurtres subséquents furent do véritables assassinats commis par des bandes isolées que commandaient les sinistres personnages que nous avons nommés et qui ne rencontrèrent que trop d'adhérents dans la lie du peuple et parmi les nombreux individus étrangers à la ville, venus, à la faveur des troubles, pour piller et voler. L'armée de Beaucaire fit son entrée le lendemain suivie des gardes nationales d'Arles et de Tarascon ainsi que d'un grand nombre de paysans. Les hommes de désordre n'attendaient que ce moment. Ils étaient libres ; ils se répandirent dans la ville sans qu'on pût les arrêter, Plusieurs maisons appartenant les unes à des catholiques, les autres à des protestants, furent pillées, notamment celles des généraux Gilly et Merle. On alla briser les meubles du café militaire. Chez un banquier royaliste, quoique protestant, dont le fils avait suivi le duc d'Angoulême pendant les Cent-Jours, les bureaux furent envahis. On y trouva un coffre-fort que l'on crut rempli d'or et qui ne contenait en réalité que des pièces de deux sous. On tenta vainement de l'ouvrir. Le comte de Bernis étant accouru le fit transporter à la mairie. Les honnêtes gens épouvantés songèrent alors à se défendre et parvinrent à pacifier l'intérieur de la ville. Mais les émeutiers allèrent continuer leurs excès dans les faubourgs. Deux cultivateurs (1), auxquels on attribuait des opinions bonapartistes, furent massacrés dans leur vigne ; des femmes protestantes, au nombre d'une douzaine, insultées et frappées. (2)
 
1. André Chivas et Antoine Chef.
2. Il nous a été impossible de découvrir dans les documents du temps une seule trace des sévices qu'auraient eu à subir des dames protestantes, qu'on a représentées comme fustigées à coups de battoirs armés de clous dessinant des fleurs de lys. Nous croyons qu'il faut ranger ce trait parmi les légendes.
 
Puis les assassins portèrent la terreur dans les villages environnants. Ils pillèrent dans la commune de Bouillargues la maison d'un magistrat, qui fut lui-même arrêté et ramené à Nîmes en voiture, entouré d'une bande d'énergumènes ; à Vaqueyrolles, une propriété qu'ils essayèrent d'incendier et où, croyant découvrir un trésor, ils déterrèrent le cadavre d'une petite fille de dix ans, dont l'odeur arrêta leurs recherches sacrilèges. Ces méfaits nécessitèrent l'intervention de la force armée. Le général de Barre se rendit sur les lieux avec des gardes nationaux, lesquels ayant aperçu en route un fédéré qui fuyait devant eux (1), tirèrent sur lui et le tuèrent.
 
1. Imbert, dit la Plume.
 
Ce meurtre accompli par des hommes auxquels était confié le maintien de l'ordre et dont leurs officiers ne pouvaient détourner la main suffit à révéler l'état anarchique de ce malheureux pays. Que les autorités se montrassent impuissantes à apaiser l'exaltation des royalistes, à contenir l'agitation de la Gardonnenque et des Cévennes, cela peut à la rigueur se comprendre; mais qu'avec l'appui d'une ville remplie d'honnêtes gens armés, elles ne soient point parvenues à arrêter une poignée de malfaiteurs, comment l'expliquer, si ce n'est par un regrettable défaut d'énergie, par la peur que leur inspiraient les éléments violents de la garde nationale ou par une complaisance naturelle qui les disposait à ne voir dans les assassinats qu'elles auraient voulu arrêter qu'une regrettable initiative du peuple se faisant justice ?
Le 21 juillet, deux autres individus (1) périrent sous les coups des associés de Truphémy et de Trestaillons.
 
1. David Chivas et Rembert.
 
La journée du 24 fut encore signalée par un meurtre qu'une troupe armée commit sur la personne d'un garçon boulanger absolument inoffensif (1).
 
1. Jacques Combes.
 
Le 27, un ancien sergent de ville (1), arrêté chez lui par des gardes nationaux, conduit devant le commissaire de police et renvoyé par ce dernier à la mairie, fut tué on route, malgré les supplications et les larmes d'une jeune fille, sa nièce, qui s'efforçait d'attendrir les exécuteurs.
 
1. Louis Dalbos.
 
Enfin, le lendemain matin, le conseil de guerre institue par les autorités provisoires pour atteindre quelques bonapartistes, condamna à mort un capitaine à la demi-solde, qui fut exécuté le mémo jour (1), quelques heures avant l'arrivée à Nîmes de l'ordonnance du 24 juillet, qui, sauf diverses exceptions qu'elle émanerait, amnistiait les actes accomplis pendant les Cent-Jours.
 
1. Déféraldi. Le jugement du conseil de guerre avait été cassé; mais l'exaltation publique fut si violente que les autorités se crurent obligées de l'exécuter. (Archives nationales.) Le général de Barre n'osa annoncer au gouvernement son exécution.
 
Durant les jours précédents, le maire avait retiré à Trestaillons le commandement de sa compagnie et incorporé celle-ci dans la garde nationale. Malheureusement, il n'osa éloigner l'ancien miquelet qui garda son uniforme et ses épaulettes et put continuer ses exploits dans la ville et surtout dans les environs, à la faveur des nombreuses expéditions qui avaient lieu dans la Gardonnenque, afin de soumettre et de pacifier cette contrée. Cependant, le gouvernement qui avait hâte de substituer partout un état définitif à l'état provisoire créé par les commissaires extraordinaires du roi, et qui comprenait que ceux-ci n'étaient que trop disposés à partager les passions des populations parmi lesquelles ils vivaient, révoqua leurs pouvoirs, ce qui causa dans la plupart des départements un conflit presque immédiat. Il désigna pour aller occuper la préfecture du Gard le marquis d'Arbaud de Jouques, ancien préfet de La Rochelle, dont on vantait la modération et la fermeté. Ce fonctionnaire, arrivé à son poste le 29 juillet, se heurta contre un obstacle inattendu : la résistance du comte de Bernis et du préfet provisoire, marquis de Calvières, lesquels tenant leurs pouvoirs du duc d'Angoulême, ne voulurent pas s'en dessaisir. Dès le 21 juillet, M. de Calvières en apprenant qu'un successeur lui était donné, écrivait au ministre de l'intérieur ; « Nommé par M. le commissaire à la même préfecture, le 3 juillet courant, j'ai tout exposé et tout sacrifié pour le service du roi et le bien de mon pays. Je supplie votre Excellence de me faire parvenir les ordres du roi à cet égard. Je pense de mon devoir, dans les circonstances présentes, d'attendre la décision de Sa Majesté (1) ».
 
1. Archives nationales. Dossier des événements du Midi en 1815.
 
Le marquis d'Arbaud de Jouques arriva à Nîmes avant la réponse sollicitée par le marquis de Calvières, et ce dernier refusa de lui céder son poste. Au lieu d'exiger une soumission immédiate, M. d'Arbaud de Jouques résolut de se rendre à Toulouse auprès du duc d'Angoulême, afin de le faire juge des prétentions du préfet provisoire. Il partit en même temps que M. de Bernis, après avoir fait afficher une proclamation rappelant énergiquement tous les citoyens au respect des lois, et dans laquelle malheureusement, il semblait reconnaître, sinon la légitimité des crimes commis au nom do la cause royale, mais la légitimité des colères qui les avaient fait commettre. Son départ, qui fut ultérieurement blâmé comme un acte de faiblesse par le ministre de l'intérieur, favorisa de nouveaux désordres. La population ne prenait pas aisément son parti de la révocation du marquis de Calvières qu'elle considérait comme une manœuvre révolutionnaire et une injure aux chefs royalistes qui possédaient sa confiance. Plusieurs crimes ensanglantèrent la ville, le 1er août, journée funeste qui vit tomber plusieurs victimes, et de laquelle un témoin, dont les lettres figurent dans les documents officiels, écrivait :
« J'ai vu, le 1er août, trois hommes arrachés de leur demeure par la garde nationale et fusillés sur le seuil de leur porte.... On ne leur donnait pas le temps de faire leur prière. Le sous-préfet estime à quinze le nombre de personnes qui ont péri ».
C'est ce jour-là que Truphémy commit le meurtre qui le fit plus tard condamner. Il y avait à Nîmes un grand nombre d'officiers en retraite, et parmi eux, un ancien capitaine des armées de la république, nommé Bouvillon, que Truphémy résolut de mettre à mort, bien qu'il ne le connût même pas. Accompagné d'un peloton de six hommes, armés comme lui, il se présenta dans la maison où l’ex-officier, qui se savait menacé, s'était réfugié avec sa femme et la sœur de celle-ci. A midi, heure du dîner, Truphémy entra brusquement dans la salle où Bouvillon prenait son repas avec sa famille. « Est-ce bien celui-là ? » demanda-t-il à l'un des compagnons. Sur la réponse affirmative de ce dernier, il somma Bouvillon de le suivre, sans lui permettre même de mettre ses guêtres. Les personnes présentes s'interposèrent, mais Truphémy les menaça, maltraita la femme de l'ancien capitaine, qui s'était jetée devant son mari et arrêta ce dernier en disant :
« Marche, coquin, et ose crier maintenant : Vive l'empereur ! - Je n'ai jamais servi l'empereur, répondit Bouvillon; je suis en retraite depuis douze ans. »
On l'entraîna à travers les rues. Truphémy, que deux de ses compagnons venaient d'abandonner quand ils avaient su qu'il s'agissait de fusiller un innocent, précédait son prisonnier qu'entouraient quatre hommes et obligeait, avec force injures, les gens qu'il rencontrait, à s'éloigner au plus vite. Quand la petite troupe fut arrivée sur la promenade de l'Esplanade, Truphémy se retourna vers sa victime ; « Va en avant », lui cria-t-il, Bouvillon obéit. Dès qu'il eut fait trois pas, le boucher lui tira un coup de fusil dans le dos; plusieurs détonations retentirent, mêlées aux cris de « Vive le roi ! » Bouvillon tomba mort. Truphémy s'avança vers le corps, prit le chapeau dont il se coiffa, laissant le sien à la place ; puis il s'éloigna avec ses complices, et le cadavre resta là, pendant plusieurs heures, tandis que pour le voir se succédaient nombre de gens dont les uns exprimaient leur horreur pour cet assassinat, dont les autres l'approuvaient, tous désignant Truphémy comme le coupable, sans que l'autorité songeât à l'arrêter, quand il eut été si facile de constater le flagrant délit. Nous avons raconté ce fait avec quelques détails, parce qu'il donne une idée de tous les autres. Le même jour, un compagnon de Bouvillon, François Saussine, ancien capitaine au 11e de ligne, retraité depuis l’an IX (1801) fut tué au moment où il sortait de la ville, l'auteur du meurtre resta inconnu ; toutefois, il est permis de croire que ni Truphémy ni Trestaillons n'y furent étrangers, car ils chassèrent de chez elle la veuve Saussine, et le second installa sa sœur dans le logement devenu vacant. Cinq autres individus, cultivâtes?&et ouvriers, périrent le même jour victimes de Vengeances analogues, sans qu'aucune poursuite vint mettre un terme à l’effusion du sang et arrêter l'œuvre des criminels. Cette inertie ne peut s'expliquer que par la terreur qui pesait sur la ville et dont, en l'absence du préfet, les autorités ressentaient les effets. Ce qui le démontre, c'est que le 19 août, au moment même où le marquis d'Arbaud de Jonques revenait de Toulouse et prenait définitivement possession de la préfecture, et cette fois avec le concours dévoué de MM. de Bernis et de Calvières, dix personnes furent encore assassinées dans les faubourgs, les unes à coups de fusil, les autres à coups de sabre. Dans le nombre se trouvaient deux femmes (2), que la rumeur publique accusait d'avoir dénoncé des royalistes pendant les Cent-Jours.
 
1. Courber, Heraud, Domeson, lmbert, Leblanc,
2. La veuve Bosc, et la femme Bigot, sa sœur, Antoine Rigaud, l'ex-sergent-Major Lhéritier, Dumas, dit Poujade, et cinq individus dont nous n'avons pu retrouver les noms, périrent aussi cette nuit-là. Il faut ajoutera à cette liste le nom d'un ancien banquier, Affourtit, deux fois failli, dont la mort ne saurait s'expliquer par des causes politiques.
 
Des paysans envahirent leur domicile dans la nuit L'une d'elles s'empara d'un pistolet et les menaça. Elle fut tuée d'un coup de sabre, et comme l'autre injuriait les assassins, ils la frappèrent aussi. Les crimes de cette nuit, contre lesquels protestèrent les officiers de la garde nationale et dont ils s'efforcèrent d'empêcher le retour, non en recherchant les coupables, mais en faisant eux-mêmes des rondes durant les nuits suivantes, eurent par toute la France un profond retentissement. Ce qui les caractérisait, c'est qu'ils avaient été commis à la Veille des élections, comme si les royalistes, redoutant des candidatures rivales, eussent voulu éloigner, par la terreur, les électeurs protestants. Le 23 octobre suivant, M. Voyer d'Argenson dénonçait à la Chambre introuvable ce qu'il appelait le massacre des protestants du Midi. Plus tard, le 20 mars 1819, M. de Saint-Aulaire prétendit que les élections du Gard, en 1815, avaient été faites sous les poignards et qu'un grand nombre de protestants n'avaient osé voter. Enfin, en 1820, dans une pétition fameuse, M. Madier de Montjau, alors conseiller à la cour de Nîmes, faisant allusion aux mêmes événements, accusa le parti royaliste de s'être fait complice de seize assassinats commis contre les protestants et traça de la nuit du 19 août le plus sinistre tableau, à travers lequel circulait un tombereau trois fois chargé de cadavres. Depuis, les historiens se sont emparés de ces assertions, les uns pour les affirmer, les autres pour les contredire. Des électeurs protestants ont déclaré qu'ils avaient voté librement ; d'autres, que l'accès du scrutin leur avait été interdit. La vérité est entre ces affirmations contraires. Dans les huit jours qui précédèrent et suivirent les élections, douze individus moururent de mort violente, onze, le. 19 août, ceux dont nous avons parlé, et un, le 28, l'abbé Desgrigny. Ce dernier seul était électeur ; c'est même en revenant de Nîmes, où il s'était rendu pour voter, et en rentrant chez lui, à la campagne, qu'il fut frappé par une main inconnue. Aucun électeur protestant ne périt. Il est cependant difficile de croire que tant de sang versé par des mains royalistes, n'ait pas eu pour résultat de retenir dans leur retraite ceux qui se croyaient menacés. Comment expliquer d'ailleurs que, sans motifs avouables, sans provocation, de si nombreux crimes aient été commis le même jour, quand on espérait que la période des réactions sanglantes était close ? N'est-on pas en droit de prétendre que les scélérats, contre lesquels l'autorité n'osait sévir, trouvèrent un prétexte dans l'approche des élections pour ajouter à leurs précédents forfaits ceux de la nuit du 19 août, et que dans la Gardonnenque, où les protestants étaient en majorité, où la présence des réfugiés de Nîmes et d'Uzès entretenait une extrême fermentation, l'abbé Desgrigny tomba sous les coups d'une réaction, hélas, trop naturelle ? L'étude impartiale des récits et des documents contemporains enlève toute vraisemblance à une autre appréciation.
 
V
 
Tandis que ces événements se déroulaient dans Nîmes, la petite ville d'Uzès, à quelques lieues de là, était aussi le théâtre de tragiques péripéties. Plus rapprochée que Nîmes des communes dans lesquelles la population protestante est en majorité, elle ressentait plus vivement le contrecoup de leur agitation, qui se traduisait, nous l'avons dit, par des rassemblements qu'on accusait le général Gilly d'avoir formés. En outre, Uzès avait aussi son terroriste. Il se nommait Jean Graffand et ne tarda pas à être désigné sous le sobriquet de Quatretaillons, par allusion au bandit Nîmois dont il sur passa la cruauté. Ancien soldat, il avait quitté le service en 1810, était devenu garde champêtre dans l'une des communes de l'arrondissement d'Uzès, puis garde des eaux et forêts. Volontaire dans l'armée du duc d'Angoulême, il se trouvait à Uzès dans le courant de juillet et prit une part active aux premières exactions dont cette ville fut témoin, après la seconde rentrée du roi, comme aux Crimes qui l'ensanglantèrent en août et qui eurent un caractère plus odieux que ceux de Nîmes. « Ce fut pour l'exécution, a dit un témoin, le personnage le plus marquant dans l’histoire de nos malheurs. Chef de ces brigands audacieux qu'aucun frein n'arrêtait, dont la présence était le signal du carnage, de la dévastation et de la mort, catholiques et protestants furent également victimes de sa férocité. » (1)
 
1. Documents judiciaires. Archives de la cour de Riom
 
Il se contenta d'abord de s'associer aux malfaiteurs qui pillèrent en moins de dix jours trente-six maisons, puis il prit goût à ce métier lucratif. Dans la journée du 3 août, au milieu de troubles qui précédaient une nuit tristement mémorable, laquelle apparaît à trois siècles de distance comme une réduction de la Saint-Barthélémy (*), on vit Jean Graffand, suivi de quelques individus armés, dociles à ses ordres, violant le domicile dé plusieurs citoyens, y prenant de force des objets à son gré, exigeant de ses victimes des sommes qui variaient de cinquante francs à deux mille francs, procédant à des arrestations arbitraires, tirant sur un individu qui lui échappait, lui criant ; « Coquin, tu n'auras rien perdu pour attendre » (1), bravant le sous-préfet, le maire, le commandant de place, tous les fonctionnaires affolés par la peur, et ameutant la populace contre les citoyens qui avaient manifesté quelque sympathie pour le gouvernement impérial.
 
(*) NDLR : Correction : Il n’y a eu aucune victime à Nîmes le jour de la Saint-Barthélémy !
1. Documents judiciaires. Archives de la cour de Riom
 
Enfin, une femme, à laquelle il voulait extorquer une somme considérable, trouva moyen de se dérober à sa surveillance, tandis qu'il dévastait sa demeure, courut à la mairie, réclama du secours et fit rougir de leur faiblesse les autorités qui se décidèrent à agir. Un adjudant-major de la garde nationale arrêta Jean Graffand et le conduisit à la maison d'arrêt, déjà remplie de prisonniers, paysans des environs ou habitants de la ville, détenus depuis quelques jours par le parti vainqueur, à la suite des rassemblements de la Gardonnenque. Mais dès que la nouvelle de cette arrestation fut connue dans Uzès, une foule furieuse se porta devant la mairie et devant la prison, réclamant Graffand à grands cris, exigeant sa mise en liberté. Le maire s'y refusa d'abord ; puis, le tumulte grossissant, il céda, à la condition que le prisonnier serait conduit à là caserne et y resterait sous la surveillance du peuple. On feignit d'accéder à cette condition et d'enfermer Graffand ; mais au bout de quelques instants, il fut remis en liberté et put reprendre la série de ses méfaits, qui ne faisait que commencer quand on l'avait interrompue. Il était environ huit heures du soir. Les passions, surexcitées par les incidents de la journée, par des provocations involontaires ou voulues, semblaient chercher un prétexte et un but, quand le bruit se répandit qu'un ouvrier royaliste (1) venait d'être tué d'un coup de fusil.
 
1. Pascalet. Le meurtre de ce malheureux, dont l’auteur ne fut connu qu'ultérieurement, paraît avoir été le résultat d'une erreur.
 
La populace attribua ce meurtre à un boulanger nommé Meynier, qui, depuis la fin des Cent-Jours avait été l'objet des plus mauvais traitements de la part des forcenés par lesquels le parti royaliste était déshonoré. A la fin de juin, il avait été obligé de s'enfuir ; puis, quand il était revenu dans la ville, on l'avait emprisonnée. Sa femme réclamant sa mise en liberté, un fonctionnaire avait eu la cruauté de lui répondre : « Va, n'y compte plus; il est perdu. » Et à la prière même du prisonnier, elle s'était réfugiée dans les environs. Meynier cependant était parvenu à sortir de prison. Libre depuis quelques jours, le meurtre de Pascalet dans la soirée du 3 août, le désigna aux fureurs de la foule. Elle envahit sa maison, dans laquelle il se trouvait avec son père et son frère. Une femme qui partageait leur repas essaya de démontrer leur innocence. Elle fut pourchassée, obligée de fuir, se vit refuser asile chez des voisins, et ne se sauva qu'en allant se cacher au fond d'un puits desséché, après avoir reçu un grain de plomb dans le corps. Pendant ce temps, on massacrait Meynier père et ses deux fils. L'un de ceux-ci n'expira qu'au cinquième coup de fusil. L'autre ayant demandé un prêtre : « Les brigands ne se confessent pas » (1), lui répondit-on.
 
1. Documents judiciaires. Archives de la cour de Riom.
 
Le lendemain, la veuve de Meynier, rentrant dans la ville après avoir erré plusieurs jours dans les environs, apprit son malheur de la bouche de femmes qui la cherchaient pour la rassurer et qui la prirent sous leur protection, mais en lui déclarant que le supplice des siens était mérité et qu'elle porterait le deuil « de trois brigands ». Elle arriva enfin chez elle, et put constater le pillage de sa demeure. Dans la même soirée, un vieillard nommé Court fut assassiné dans son lit. Son fils, ancien soldat, avait le matin même quitté Uzès pour se rendre aux eaux de Vals, dans l'Ardèche. Quand il revint deux mois plus tard, il rencontra Graffand, son ancien camarade de régiment, qui lui devait la vie et qui, après lui avoir dit qu'il n'était pour rien dans la mort de son père, lui offrit aide et protection, et ajouta :
« Tous les bonapartistes, protestants ou catholiques, mourront de ma main, y compris les enfants.
- Je suis protestant, répliqua le fils Court ; ta protection ne peut être franche.
- Voici deux pistolets. Il y en a un pour toi, un pour les autres.
- Donne donc, tu verras, si je sais mourir.
- Tu ne m'as pas compris, reprit Graffand, ce pistolet est pour te défendre et non pour te tuer. Je n'oublie pas qu'autrefois je t'ai dû mon salut. »
C'est le seul trait que los documents officiels nous fournissent à l'éloge de Graffand. En revanche, que de crimes ils nous révèlent ! Dans la même nuit, un homme et trois femmes sont encore assassinés (1); les pillages s'étendent à dix maisons ; de toutes parts fuient des malheureux poursuivis et menacés.
 
1. Pierre Roche, veuve Roche, femme Artaud, demoiselle Gautier.
 
La part de Jean Graffand est considérable dans ces forfaits, constatés par des actes judiciaires qui sans doute ne les ont pas tous relatés (1).
 
1. Il est à remarquer que les écrivains locaux ont essayé de laver Graffand de ces crimes odieux comme de ceux qu'il nous reste à raconter, et d'en attribuer la responsabilité a un protestant, David Daumont. Cet individu ne figure dans là volumineuse procédure qui a passé sous nos yeux que comme témoin à décharge, ce qui permettrait tout au plus de supposer qu'il a été l'un des complices de Graffand, mais n'enlèverait rien à l'infamie des actes qui ont valu à Quatretraillons sa réputation.
 
Les détails qui précèdent permettent de se rendre compte de la terreur qui régna dans Uzès durant cette nuit. Le matin venu, ce fut pis encore, et crime plus épouvantable vint en accroître l’horreur. En quittant la prison dans laquelle il était resté détenu pendant quelques heures, Graffand avait proféré des menaces contre les prisonniers qui s'y trouvaient et qu'il avait terrifiés. Le portier de la prison. Un honnête homme nommé Pichon, partageait leurs appréhensions. Elles furent confirmées par la visite du commissaire de police qui se présenta au milieu de cette nuit terrible, afin d'obtenir la mise en liberté d'un prisonnier auquel on n'avait rien à reprocher et qu'on n'avait emprisonné que pour le soustraire aux fureurs populaires déchaînées contre lui parce qu'il n'était pas royaliste. Ce magistrat ne dissimula pas les périls qui, selon lui, menaçaient les détenus. Aussi, après avoir remis entre ses mains, au risque de se compromettre, l'individu qu'il s'agissait de sauver, le portier Pichon se décida à aller invoquer pour les autres la protection du commandant de place (1).
 
1. Cinquante-six ans plus tard, sous le régime de la commune, le brave Pichon, dont nous sommes heureux de restituer le nom a l'histoire, devait avoir de courageux imitateurs dans les prisons de Paris; ainsi que M. Maxime Du Camp nous l'a appris dans un récit pathétique. Quant au commandant de place, la mort le préserva du châtiment qu'avait mérité son insigne lâcheté.
 
Admis en présence du représentant de l'autorité militaire, Pichon lui fit part de ses craintes, et le dialogue suivant eut lieu entre eux :
« Pichon, voulez-vous périr ?
- Non, monsieur.
- Eh bien ! ni moi non plus. Ces gens doivent être fusillés à dix heures.
- Par quel ordre ?
- Sans ordre; mais n'essayez pas de l'empêcher; il y va de votre vie.
- Si je les livre, je me compromettrai.
- Le peuple le veut ; vous n'avez rien à craindre. »
A dix heures précises, des gens armés, conduits par Graffand, vinrent pour s'emparer de six personnes, - trois catholiques et trois protestants, - qu'on désigna par leurs noms à Pichon. (1)
 
1. C'étaient les nommés Jean Armentier, Th. Ribaud, P, Martin, Jean Dupiac, cultivateurs, François Béchard, ancien maire d'une commune voisine, et Brémond, le messager du général Gilly.
 
Le portier se défendit, exigea un ordre écrit, et se fit traîner chez le commandant de place qui le lui refusa en disant :
« Obéissez, le peuple le veut. »
Dépourvu de tout moyen de défense, Pichon dut laisser emmener ces malheureux qui furent conduits au supplice, deux par deux, et fusillés sur l'esplanade (*), sans que personne tentât de les arracher aux mains des assassins, à l'exception d'un prêtre, l'abbé Payen, qui se traîna aux pieds de ceux-ci, mais ne put les attendrir.
 
(*) NDLR : Précision, il s’agit de l’Esplanade d’Uzès.
 
Pendant qu'on mettait à mort les deux premiers prisonniers, un des autres était parvenu, avec l'aide de Pichon, à se cacher dans une cellule. Il fut dénoncé par un détenu condamné à un an d'emprisonnement pour escroquerie et qu'on menaça de mort pour le faire parler. Quand les exécutions furent terminées, les assassins revinrent vers la prison pour y trouver d'autres victimes, en disant : « Il ne faut pas qu'un seul de ces brigands puisse s'échapper ». Mais, cette fois, Pichon fut assez heureux pour sauver les individus confiés à sa garde, en alléguant que le juge d'instruction ne les avait pas encore interrogés. « On n'aura rien à nous reprocher, objecta Graffand en se retirant ; il y avait trois catholiques et trois protestants. »
A la suite de cet événement, la ville resta sous l'empire d'une stupeur qui se prolongea pendant plusieurs jours. Ainsi, à Uzès comme à Nîmes, la faiblesse des autorités favorisait la criminelle audace des scélérats. Elle justifiait en même temps l'irritation des communes voisines. Une conflagration devenait imminente, car les masses étaient prêtes à en venir aux mains.
Les Autrichiens occupaient alors la Provence et le Languedoc ; mais ils n'avaient pas encore pénétré dans le Gard. L'état du département les décida à intervenir. Le département des Bouches-du-Rhône étant écrasé par l'occupation, le préfet de Marseille ne fit aucun effort pour les détourner d'un dessein qui donnait à la cause de l'ordre dans le Gard un pareil secours et allégeait les contrées provençales de l'entretien de cinq mille ou six mille hommes. M. d'Arbaud de Jouques protesta en déclarant que ses administrés, obérés, ne pourraient pourvoir aux dépenses de l'occupation. Mais les Autrichiens ne tinrent aucun compte de ses plaintes, et, le 23 août, ils entraient dans Nîmes, sous les ordres du général prince de Stahremberg, précédés d'une proclamation de ce dernier, disant qu'il venait « pour assurer la tranquillité et la sécurité, dans toutes les parties du département, à chaque bon habitant du Languedoc, de quelque classe et de quelque religion qu'il fût ». Le préfet se vit obligé de lever aussitôt une contribution additionnelle de 20 centimes au principal de l'impôt foncier. Mais, quelques jours après, il parvint, par son énergie, à épargner au département la lourde charge de l'habillement de cinq mille hommes que le comte Choteck, intendant général, entendait lui imposer.
« Vous me ferez un bien sensible plaisir, disait le comte Choteck, à la fin d'une lettre d'ailleurs très courtoise, en m'épargnant des mesures de force désagréables auxquelles j'ai été autorisé et que je devrais employer, bien malgré moi sous ma responsabilité personnelle. »
À cette mise en demeure, le préfet répondit par une fin de non-recevoir que justifiait la misère publique constatée par la chambre de commerce. Puis il ajoutait :
« Il me serait impossible de jamais présumer que de si braves troupes et d'une nation renommée pour sa loyauté, qui se sont présentées au milieu d'une population accablée de tous les maux comme des protecteurs et des alliés, et ont été reçus et traités comme tels, puissent abandonner un rôle si honorable et même si utile pour elles. Quant à moi, premier magistrat, institué par le roi mon maître, chef de ce département, lorsque j'ai accepté une mission si pénible, dans des circonstances si orageuses, j'ai dévoué totalement dès lors au service de mon roi et au salut de la portion de ses peuples qu'il confiait à mon administration mes intérêts personnels, mon indépendance, ma liberté, ma vie même, et à côté de si grands devoirs, tous ces objets m'ont paru bien peu de choses et me sont devenus fort indifférents ! »
Aussi habile que l'autorité civile était ferme, l'autorité militaire put faire partir pour Cette (Sète) tout le matériel militaire qui se trouvait sur le passage des Autrichiens et dont ils étaient pressés de s'emparer. Malgré leurs exigences, qui ne cessèrent que lorsqu'ils partirent, le préfet du Gard dut se féliciter dès le lendemain de leur arrivée d'avoir à sa disposition cette force imposante, étrangère aux passions des deux partis. Ce jour-là, un escadron des chasseurs d'Angoulême, dirigé de Nîmes sur Alais, afin de faire de la place aux troupes étrangères et commandé par M. de Saint-Victor, fut menacé en route par une bande de paysans de la commune de Ners, située à cinq lieues du chef-lieu, rendez-vous des divers détachements des gardes nationales de la Gardonnenque et des Cévennes. Le capitaine de Cabrières s'avança au-devant d'eux pour les haranguer et les inviter à se disperser. L'ancien maire de Ners s'était joint à lui. Ils tuèrent ce dernier ainsi qu'un cavalier et blessèrent assez grièvement l'officier. L'escadron composé de jeunes soldats n'osa tenter de passer. Les uns se réfugièrent à Uzès, les autres revinrent à Nîmes où l'on craignit une marche en avant des bandes exaltées par ce facile succès, et poussées par quelques chefs inconnus. Le préfet publia alors un arrêté dans lequel signalant, comme la cause de ces désordres, la présence dans la Gardonnenque d'un grand nombre de déserteurs et de fédérés de Nîmes, de Montpellier, d'Avignon, d'Arles et de Tarascon, il prescrivait l'envoi sur les lieux d'une force royale, appuyée par les Autrichiens, chargés de chasser des communes les étrangers et de réorganiser partout les gardes nationales. En exécution de cet arrêté, huit cents Tyroliens, sous les ordres du général de Stahremberg, sortiront de Nîmes, avec les chasseurs d'Angoulême. Au-delà de Ners, ils trouvèrent les rebelles rangés en bataille, qui tirèrent sur eux on les voyant, leur tueront quatre soldats et en blessèrent neuf. Une charge générale dispersa ces guerriers improvisés. Ils laisseront soixante des leurs sur le sol et trois prisonniers aux mains des Autrichiens. Ramenés à Nîmes le 25 août au matin, jugés en quelques instants par une cour martiale, ces trois individus furent fusillés sur l'ordre du général de Starhemberg qui prévint le marqis d'Arbaud de Jouques qu'il les avait traités conformément au code militaire autrichien, non comme des prisonniers de guerre, mais comme des révoltés. Pendant ce temps, la colonne autrichienne parcourait la Gardonnenque et la Vaunage, en chassait les meneurs, et désarmait les bandes. Quatorze individus furent encore fusillés pour avoir voulu leur résister. (1)
 
1. Rapports du préfet. Archives nationales.
 
Les Autrichiens qui, sous prétexte d'aider à rétablir le calme dans les contrées du Midi, ne cherchaient qu'à s'avancer jusque vers les Pyrénées, occupaient à; la fin du mois d'août tout le département du Gard; menaçant l'Hérault et la Lozère. Pour arrêter leur marche, il fallut l'intervention ferme et directe du duc d'Angoulême qui obtint d'abord qu'ils n'iraient pas plus loin, et ensuite qu'ils évacueraient le département. Cette même journée du 25 août fut signalée à Uzès par un nouveau crime de Jean Graffand. Durant la soirée de la veille, Trestaillons était arrivé dans cette ville, et son arrivée coïncidant avec la marche des Autrichiens sur Ners, les autorités craignirent avec raison qu'elle servit de prétexte à quelque conflagration, surtout si, à la faveur de l'agitation générale, Jacques Dupont et Jean Graffand parvenaient a s'entendre pour frapper encore des innocents, n’osant arrêter ce dernier, elles résolurent de l'éloigner. A dix heures du soir, il reçut l'ordre de se porter à la rencontre des Autrichiens et de se mettre à leur disposition comme éclaireur. Il accepta cette mission, s'adjoignit trente-cinq hommes, se fit délivrer dix paquets de cartouches, un drapeau blanc et partit, monté sur le cheval d'un pasteur protestant, qu'il venait de dérober. Au-delà d'Uzès, il changea d'itinéraire, et au lieu de chercher à rejoindre les Autrichiens, il se porta sur la commune de Saint-Maurice, dont les habitants avaient organisé des patrouilles pour se garder. Une de ces patrouilles entendit le bruit de la troupe de Graffand et se replia sur le village ; mais elle fut poursuivie et atteinte avant d'y rentrer.
« Rendez-les armes, lui cria-t-on, on ne veut, vous faire aucun mal. »
Six de ces pauvres gens se laissèrent désarmer et arrêter, tandis qu'au cri de « Qui vive » qui leur était adressé, les autres répondaient : « Patrouille de Saint-Maurice »
A ces mots, Graffand ordonna une décharge générale qui ne les atteignit pas. L'un d'eux fit alors quelques pas en avant pour reprocher à Graffand sa conduite :
« Qui êtes-vous ? demanda celui-ci.
- Je suis royaliste.
- Bah ! vous vous dites tous royalistes aujourd'hui »,
répliqua le brigand. Il déchargea son pistolet sur le paysan qui tomba baigné dans son sang. Ses compagnons prirent la fuite. Graffand ne jugea pas opportun de les poursuivre et se dirigea, suivi de ses prisonniers, vers la commune de Montaren où il arriva au lever du jour et où ses hommes voulurent s'arrêter pour manger. À défaut d'auberge, ils envahirent une maison où ils ne trouvèrent qu'une femme qui leur déclara qu'elle était hors d'état de les nourrir.
« Donne toujours ce que tu as lui répondit-on ; il t'en restera bien assez pour vivre jusqu'à demain. Nous viendrons te chercher ton mari et toi, et vous subirez le sort de ceux que nous conduisons. »
Elle dût obtempérer à leur volonté, tandis qu'elle les servait, elle reconnut un de ses cousins parmi les prisonniers et eut le courage de demander sa mise en liberté.
« Allons donc ! s'écria Graffand, c'est le pire de tous ! »
Un de ses compagnons ajouta :
« Nous allons les fusiller ici ! »
Cette menace répandue dans le village fit accourir le curé, l'abbé Goirand de Labaume, qui intercéda pour les prisonniers.
« On ne doit pas se faire justice soi-même, dit-il ; s'ils sont coupables, la justice les punira,
- Ils ont mérité de mourir, monsieur le curé, s'écria Graffand, mais par égard pour vous, je consens à retarder leur supplice jusqu'à Uzès. »
Puis, il remonta à cheval et donna l'ordre du départ, après avoir enjoint au crieur public de marcher devant lui, avec son tambour. On se mit en route. Les prisonniers étaient attachés deux par deux, à l'aide d'une corde que Graffand s'était fait donner par un épicier, en lui disant : « L'empereur te payera quand il passera. » La troupe arriva dans Uzès à sept heures, Au bruit du tambour, la foule accourut, et comme Graffand disait qu'il allait en finir avec les ennemis du roi, elle suivit ces malheureux, en les couvrant de menaces et d'injures. Quelques chasseurs d'Angoulême qui se trouvaient là, formèrent l’état-major de Jean Graffand. Le cortège arriva ainsi sur l'une des pièces publiques d'Uzès, où une fusillade générale dirigée brusquement dans le tas des prisonniers les mit à mort. Un témoin a tracé devant le juge d'instruction un tableau saisissant de cette scène, qui nous montre les victimes expiant dans d'atroces convulsions, au milieu des cris de joie d'une plèbe féroce et une douzaine de cavaliers caracolant autour d'eux dans un nuage de poussière et de fumée (1).
 
1. Ce récit, qui dément toutes les versions précédentes, a été rédigé à l'aide des documents judiciaires qui ont passé dans nos mains. Le même dossier contient une lettre indignée du préfet du Gard au sous-préfet d'Uzès, s'étonnant que dans une ville ou d'honnêtes gens, au nombre de six cents, étaient armés, personne n'ait osé arrêter Jean Graffand avant ou après le crime, et que pour l’empêcher de troubler l’ordre, on n'ait rien trouvé de mieux que de lui mettre en main les moyens de consommer de nouveaux meurtres.
 
Cette tragédie marqua la fin des désordres d'Uzès, où les Autrichiens qui occupaient la Gardonnenque envoyèrent, le 28 août, un détachement. Le marquis d'Arbaud de Jouques prit publiquement l’engagement de réprimer les passions dans tous les partis, et de punir les actes arbitraires quels que fussent leurs auteurs. Il ordonna au comte de Vogüé d'arrêter Jean Graffand et de l’envoyer à Montpellier, de dissoudre les bandes armées, de réorganiser la garde nationale. Ces mesures, hélas ! trop tardives, appuyées par la proclamation royale du 1er septembre, mirent un terme aux collisions. Quant à Jean Graffand qui s'était retiré d'abord chez sa mère, et puis dans la commune de Pougnadorès qu'il habitait, il y resta un mois, sans être inquiété. Ce ne fut que vers la fin de septembre qu'on se décida à l'arrêter. Le 27, dans la nuit des gendarmes se présentèrent à son domicile. À leur approche, il se mit à une croisée de sa maison, armé d'un fusil et de deux pistolets, en criant qu'il ne se rendrait pas. On l'eut cependant, sans coup férir, et on le dirigea sur Montpellier où il fut mis en détention.
À Nîmes, la fin d'août et le mois de septembre s'étaient écoulés sans trouble, ce qui ne voulait pas dire que les esprits fussent apaisés. Le préfet écrivait alors au Ministère de l'Intérieur :
« L'autorité royale est partout reconnue ; il n'y a plus un hameau où ne flotte le drapeau blanc. Mais tous les esprits y sont partout dans la plus vive agitation et les partis s'observent avec une profonde inquiétude. Chaque changement d'autorité, chaque acte de sa part, quelque mesure que ce soit excite une passion ou fait naître une inquiétude. Ce département est le seul du royaume où le protestantisme forme un parti politique. Il renferme dans son sein d'excellents royalistes ; mais la généralité de ce parti est antiroyaliste. Je ne dois pas l'abandonner aux fureurs d'une réaction qu'il n'a que trop provoquée et les efforts que je fais pour arrêter ces éléments réactionnaires peuvent éloigner de moi la confiance de la majorité dans la classe du peuple et lui faire méconnaître dans l'autorité du préfet celle du roi ». (1)
 
1. Archives nationales. Dossier des événements du Midi en 1815.
 
Le 5 septembre, toutes les communes étaient désarmées, envoyaient des adresses de soumission et le préfet ajoutait :
« Tout est aujourd’hui soumis et calme ; mais rien n'est éteint. Un souffle peut rallumer le double incendie de la révolte chez les factieux et de brigandage dans la population oisive et misérable qui, sous le prétexte de vengeances réactionnaires, s'est livrée à des excès de pillage qui ont tant d'appas pour elle ».
Puis il annonçait qu'il avait fait arrêter quelques-uns des coupables ; mais il déplorait l'absence des tribunaux, l'inaction du ministère public. En même temps, il prodiguait les proclamations :
« Rendez votre monarque heureux ; mais soyez assurés qu'il ne peut l'être qu'en voyant habiter parmi vous la paix et la justice. Les cheveux du roi ont blanchi sur sa tête sacrée, agités pendant vingt-cinq ans par les orages de vos adversités. N'est-il pas temps enfin de verser quelques consolations dans le cœur de notre père ! Immolons à ses pieds le souvenir de nos maux qu'il veut finir, nos passions que ses royales vertus condamnent, nos ressentiments désormais inutiles, puisque le repentir trouve grâce à ses yeux ; nos vengeances désormais sans honneur, puisqu'il n'y a plus de résistance. »
Ce tangage n'avait que le tort de, manquer d'énergie et attirait à son auteur cette observation ministérielle :
« J'ai lu votre proclamation. J'aurais désiré un stylo un peu plus nerveux et l'expression plus prononcée du mécontentement de l'autorité et de sa sévérité. » (1)
 
1. Archives nationales. Dossier des événements du Midi en 1815.
 
Quelques jours après, il recevait encore une lettre confidentielle ayant pour but d'exciter son zèle et dans laquelle nous relevons ce passage :
« On m'assure qu'un des principaux auteurs des troubles qui ont eu lieu dans votre département est encore en pleine liberté et qu'il se promène dans votre ville. Son nom est Trestaillons. Il paraît qu'il est coupable de grands crimes. Si les faits sont tels que la voix publique les indique, je pense que vous vous occuperez de prendre les mesures convenables pour le faire arrêter et traduire devant les tribunaux. » (1)
 
1. Archives nationales. Dossier des événements du Midi en 1815.
 
L'autorité n'osa obtempérer immédiatement à cet ordre, tant elle redoutait l'influence de Trestaillons et des personnes qui le défendaient. Comment aurait-on osé l'arrêter quand des royalistes se plaignaient de voir « les ennemis du roi impunis », et menaçaient de se faire justice ; quand, tous les jours, on menaçait la citadelle dans laquelle quelques malheureux étaient enfermés comme suspects d'esprit révolutionnaire ; quand, en un mot, une partie de la population ne respirait que vengeance. (1)
 
1. Des officiers de l'armée impériale détenus en prison ayant été par prudence transportés à Montpellier, furent attaqués au sortir de Nîmes. Une de leurs voitures fut brisée et leur vie courut de sérieux périls. Le général de Briche commandant la division n'osait faire fusiller quelques scélérats, ne sachant quel effet produirait cette exécution. Tout le département était en proie à la même anarchie. Le registre du commissaire général de police révèle chaque jour des pillages et des excès odieux.
 
On était alors à là fin de septembre. Depuis dix jours, les Autrichiens avaient à l'improviste évacué la ville de Nîmes et le département, pour retourner en Provence, se contentant de laisser quinze cents hommes au Pont-Saint-Esprit et à Beaucaire, afin de garder le passage du Rhône. On pouvait craindre que leur brusque départ ne donnât lieu à de nouveaux troubles. Il n'en fut rien cependant. Il est vrai que le commandement militaire avait été confié à un soldat énergique, le comte Auguste de Lagarde (1) dont la carrière militaire s'était passée au service de la Russie, en qualité d'aide de camp du duc de Richelieu.
 
1. Daniel Stern (Mme d'AgouIt) a laissé dans ses Souvenirs un touchant portrait de ce général qui fut aussi un habile diplomate, et qui dans l'âge mûr, conçut pour celle qui s'appelait alors Mme de Flavigny, une passion profonde, presque partagée, à en croire ce cri de Mme d'Agoult vieillie et désenchantée : « Avec quelle amertume, dans le long cours des ans, je me suis accusée et repentie de n'avoir pas écouté la voix de mon cœur »
 
Le dévouement de l'autorité n'avait jamais été plus nécessaire. Vers le 15 octobre, le bruit se répandit que Trèstaillons allait être emprisonné ; en même temps, le procureur du roi, cédant, par une faiblesse injustifiable, aux sollicitations incompréhensibles de plusieurs citoyens honorables, faisait mettre en liberté, sans en avertir le général, dix individus arrêtés, le mois précédent, comme pillards, dans les environs de Nîmes, et que ce dernier avait donné l'ordre de traduire devant un conseil de guerre, et de fusiller dans les vingt-quatre heures, s'ils étaient condamnés. Leur retour coïncidant avec une rumeur menaçante pour le plus compromis des fauteurs de désordre provoqua un commencement d'émeute. Le 16 au matin, une maison protestante fut pillée dans un faubourg. Des patrouilles parcoururent la ville, et dans la soirée, elles essuyèrent plusieurs coups de feu. A dix heures, la générale fut battue sans ordre, les rues se trouveront subitement remplies d'hommes armés qui ne savaient vers quel lieu ils devaient se transporter. Le général de Lagarde étant monté à cheval, parcourut le faubourg où il apprit qu'un faiseur de bas (1) venait d'être assassiné dans sa maison, littéralement haché à coups de sabre.
 
.1. Lafond.
 
On parvint enfin à réunir les détachements errants de la garde nationale et lorsqu'on se fut convaincu que la sécurité publique n'était pas menacée, on les renvoya dans leurs quartiers. Un autre crime, connu seulement le 17 octobre au matin vint accroître les appréhensions causées par cette nouvelle tentative d'émeute. Une bande do six hommes s'était présentée au domicile d'un ouvrier en soie (1), marié et père de quatre enfants, l'avait entraîné loin de son domicile et fusillé malgré les prières et les larmes de sa famille. (2)
 
1. Lichaire.
2. C'est en 1820 seulement que Servant, dit le Camp, reconnu coupable de ce meurtre, fut condamné à mort et exécuté.
 
Cette bande avait voulu arrêter aussi un cultivateur et, ne l’ayant pas trouvé chez lui, s'était vengée sur sa femme en la blessant grièvement.
L'effroi des habitants fut profond ; mais il s'apaisa quand ils .apprirent que, durant cette même nuit, Trestaillons avait été mis dans l'impuissance de nuire. Peu de temps avant, assistant à une course de taureaux dans les arènes, il avait été provoqué par un individu qui, ayant ou à souffrir de ses violences, voulait le tuer. Comme il refusait de se battre, on se retranchant derrière son grade de capitaine de la garde nationale, l'autre l'avait blessé au ventre avec la pointe d'un sabre. La blessure n'était pas grave (1), mais elle avait cloué TrestailIons au lit pendant cinq semaines et les troubles du 16 octobre coïncidèrent avec son rétablissement.
 
1. Rapport du baron Larrey. Archives du Gard.
 
On le vit durant la journée et le soir dans divers quartiers de la ville. Le comte de Lagarde voulut en finir avec le scélérat, et, profitant du déploiement des forces mises sur pied cette nuit-là, il donna l'ordre de l'arrêter, après avoir au préalable fait braquer une pièce de canon sur le boulevard où l'arrestation paraissait devoir être opérée. Co fut là, en effet, qu'on trouva Trestaillons, sortant d'un cabaret, tenant les propos les plus violents contre ceux qui essayaient d'entraver les vengeances royalistes. Appréhendé au corps avec un garde national qui plus tard fut reconnu seulement coupable de s'être trouvé en sa compagnie, il fut mis en voiture séance tenante, et expédié à Montpellier sous bonne escorte. Le lendemain, comme on redoutait que la nouvelle de cette arrestation n'engendrât de nouveaux désordres, on emprisonna les pillards précédemment mis en liberté, et avec eux Truphémy qu'on eut le tort de laisser sortir de prison peu après, et qui n'expia ses crimes que cinq ans plus tard. C'est à l'occasion des événements du 16 octobre que le général de Briche écrivait do Montpellier :
« Je vois clairement les moyens affreux que la canaille, sous le manteau du royalisme, emploie pour se porter à tous les excès et en rejeter le blâme sur les bonapartistes qui ont déjà bien assez de leurs propres fautes... Le but bien connu de ces prétendus royalistes et faux partisans du roi n'est autre que le pillage et le sac des maisons protestantes qui seules font plus des deux tiers des affaires commerciales de cette ville et entretiennent par leur fabrication une population de douze à quinze mille âmes » (1)
 
1. Archives nationales. Dossier des événements du Midi en 1815.
 
Le ministre de la guerre lui répondait :
« Dans de semblables circonstances, toutes les autorités locales devront réunir leurs efforts pour le maintien de l'ordre, bien sûres d'être approuvées par le gouvernement dans les mesures de rigueur qu'elles auront prises. L'intention de Sa Majesté est qu'on poursuive avec sévérité, sans acception d'opinion, tout individu qui aura attenté à la tranquillité publique » (1)
 
1. Archives du dépôt de la guerre.
 
Dans la longue série de crimes que nous venons de raconter, les protestants du Gard avaient été cruellement éprouvés. Sans affirmer qu'ils eussent été les seules victimes des passions locales, on peut dire que c'est leur sang surtout qui avait été versé. L'Europe s'était émue ; plusieurs voix s'étaient élevées pour demander vengeance. Le gouvernement comprit qu'il devait une éclatante réparation à des citoyens injustement frappés et longtemps menacés dans leur vie et dans leurs biens. Par l'ordre du roi, le duc d'Angoulême se rendit à Nîmes, afin de prêcher la concorde. Le consistoire protestant se présenta à lui, invoqua sa protection et obtint la promesse que les temples fermés depuis plus de quatre mois seraient enfin rouverts. Le prince, en faisant cette réserve, demanda à tous les citoyens « d'obéir aveuglément au roi et de concourir par leur soumission au maintien de la paix publique ». Il se prononça avec énergie contre toute réaction nouvelle.
Malheureusement, le jour même où il quitta Nîmes une rixe, survenue dans la commune de Calvisson entre des gardes nationaux et des paysans, qui coûta la vie à un homme, vint démontrer l'inefficacité de ses conseils. Le général de Lagarde, qui l'avait accompagné à Montpellier, revint à Nîmes le 12 novembre pour présider au rétablissement du culte protestant fixé à ce jour. Des précautions militaires avaient été prises. À dix heures, on vit le pasteur Juillerat, président du consistoire, traverser la ville, en compagnie du maire, pour se rendre au temple. Tous les protestants se dirigeaient du même côté ; quelques-uns, en signe de joie, portaient des branches de laurier. Une grande foule stationnait aux abords de l'édifice ; elle était malveillante, et, malgré les gendarmes, insulta les fidèles, les menaça, en disant : « Entrez, entrez ! vous ne sortirez pas ! » Néanmoins, la cérémonie commença, et le pasteur Juillerat était en chaire quand tout à coup les cris du dehors se transformèrent en railleuses vociférations. Puis une troupe de forcenés pénétra dans le saint lieu, la menace dans les gestes et sur les lèvres. Les femmes, éperdues, se précipitèrent vers la sacristie pour y chercher un refuge. Malgré les efforts du pasteur pour les rassurer, il y eut un moment de panique. Heureusement, les gendarmes entrèrent dans la nef et chassèrent les fauteurs de désordre. (1)
 
1. Archives nationales. Dossier des événements du Midi en 1815.
 
Pendant ce temps, au dehors, le comte de Lagarde, accouru à cheval essayait de rétablir l'ordre et haranguait le peuple, que le maire n'avait pu apaiser. C'est dans ce moment et comme il était pressé par la populace dans une rue étroite, qu'un courtier en soierie nommé Boissin dirigea sur lui un pistolet et tira à bout portant. La balle entra dans la clavicule. Le général se crut perdu, il put cependant regagner l'hôtel de la subdivision et s'alita ; après avoir confié le commandement au colonel de gendarmerie. L'exaltation des esprits était telle que le général de Briche, accourut de Montpellier à Nîmes à la nouvelle du malheur dont le général Lagarde était victime, se vit arrêter aux portes de la ville, par un poste de gardes nationaux avec les façons les plus acerbes et des paroles injurieuses. Ce douloureux événement épouvanta même les plus ardents meneurs et prévint sans doute des malheurs plus grands. Le comte de Lagarde fut la seule victime de cette journée, mais les attroupements ne se dispersèrent pas. Les protestants, rentrant chez eux, furent insultés une fois de plus. Leurs femmes durent cacher le Saint-Esprit d'or qu'elles portaient sur leur poitrine. Quand le temple fut vide, quelques énergumènes enfoncèrent la porte, déchirèrent les livres saints, brisèrent les chaises, et l'on entendit ces exaltés dire :
« C'est à recommencer ! Trop de précipitation a tout fait manquer ».
A la nouvelle de ces événements, le duc d'Angoulême, qui se dirigeait vers Toulouse, s'était hâté de revenir sur ses pas. Il arriva dans Nîmes le 15 novembre, fit entendre des paroles sévères, refusa les honneurs qu'on voulait lui rendre et renvoya l'escouade de gardes nationaux qui venait se mettre à son service. Sa présence permit de désarmer les compagnies irrégulières de reconstituer définitivement la garde nationale et de rendre au culte protestant une entière liberté. L'agitation devait se prolonger longtemps encore; mais du moins le règne des excès était fini.
 
VI
 
Le récit rigoureusement exact qu'on vient de lire serait incomplet si nous n'indiquions en le terminant, quelle suite fut donnée par la justice aux crimes qui, du mois d'avril au mois de novembre 1815 avaient ensanglanté le département du Gard. Bien qu'il soit impossible d'établir d'une manière précise le nombre des victimes de cette époque, on arrive, en calculant avec la modération qui convient a la recherche de la vérité, à un total d'environ cent trente personnes, y compris, d'une part, les volontaires royaux tués pendant les Cent-Jours, et, d'autre part, d'abord les individus assassinés par les bandes de Trestaillons, de Quatretaillons et de Truphémy, ensuite ceux qui tombèrent sous les balles autrichiennes, et ceux enfin qui périront dans les combats où les forces des deux partis se trouvèrent aux prises. Ce chiffre, encore qu'il diffère essentiellement des évaluations exagérées de divers historiens, est néanmoins tristement éloquent, surtout si l'on songe que les protestants parmi lesquels figuraient les ennemis du roi, y comptent pour la plus large part et eurent pour bourreaux des hommes qui parlaient et agissaient au nom des royalistes. Il donne la mesure des passions déchaînées en ces jours néfastes.
Cependant, quelle qu'eût été l'ignominie de tant de forfaits, un châtiment solennel, une répression immédiate, auraient dégagé le gouvernement de la Restauration de la responsabilité qu'on entendait faire peser sur elle. Il lui était aisé de démontrer qu'elle n'avait rien négligé pour arrêter l'effusion du sang et pour rétablir l'ordre public. Les lettres ministérielles en font foi, et c'est avec raison que le marquis d'Arbaud de Jouques, préfet du Gard, dans la brochure qu'il publia ultérieurement pour justifier sa conduite, invoque à sa décharge le vote du conseil général qui, en juin 1816, approuva ses actes à l'unanimité de ses treize membres, dont six étaient protestants. Mais ce qui souleva la conscience nationale, ce qui a pesé lourdement depuis un demi-siècle sur les hommes mêlés à ces dramatiques péripéties, c'est la lenteur avec laquelle vint le châtiment et la faiblesse qui le rendit incomplet. Tous les faits de la réaction de 1818 ont mérité une critique analogue. Les assassins de Marseille demeurèrent impunis ; ceux de Toulouse ne furent traduits devant les tribunaux qu'à la fin de 1817 ; ceux d'Avignon qu'en 1821. Quant aux chefs des bandes du Gard, le châtiment pour eux fut encore plus lent a venir. Sans doute les parquets avaient reçu l'ordre de poursuivre d'office. Mais ils exigèrent que les familles des victimes se portassent partie civile.
Ce fut pour, les criminels un titre à l'impunité. En outre, il y avait entre cette manière de procéder et celle qu'on employait vis-à-vis des adversaires de la Restauration une différence inique et révoltante. Ney, Labédoyère, Mouton-Duvernet, Chartran, les frères Faucher, étaient tombés depuis longtemps sous l'ardeur de colères impitoyables, et les meurtriers du Midi goûtaient toujours les bienfaits de la liberté ; les meurtriers d'Arpaillargues étaient montés sur l'échafaud ; on avait exécuté cinq gardes nationaux de Montpellier accusés d'avoir tiré sur le peuple royaliste le 30 juin 1818, et Trestaillons, Quatretaillons et leurs complices semblaient s'être mis au-dessus des lois et n'avoir plus rien à redouter d'elles. Empressés à frapper les uns, les tribunaux n'osaient poursuivre les autres que protégeaient, il est vrai, des complaisances qui ne peuvent s'expliquer que par l'effroi que, même après tant de sang versé, les assassins inspiraient encore. Une étude rapide des procédures fournit à cet égard des arguments péremptoires et justifie ces paroles prononcées un jour à la tribune française : « La terreur avait glacé les témoins ». Les crimes commis dans Nîmes et dans Uzès étaient, pour la plupart, des crimes anonymes. On désignait tout bas ceux qui y avaient participé, mais personne n'osait les dénoncer publiquement, et quand quelques hommes de cœur avaient le courage de les signaler a la vindicte publique, il se trouvait des fanatiques pour les défendre. C'est ce qui arriva pour le courtier Boissin, l'auteur de la tentative d'assassinat commis sur le général comte do Lagarde. Depuis le 12 novembre, il avait disparu, et, bien que le préfet eût promis trois mille francs à quiconque le livrerait à la justice, il put pendant neuf mois rester caché chez des paysans do l'arrondissement d'Arles et se soustraire à toutes les recherches. Enfin, en 1816, il fut arrêté dans cette ville et enfermé dans le château de Tarascon. L'instruction commença aussitôt, et il est remarquable que l'inculpé trouva des protecteurs qui tentèrent, mais en vain, de plaider sa cause à Paris. Renvoyé devant la cour d'assises du Gard, il y comparut le 2 février 1817. Les membres du jury avaient été choisis avec soin parmi des fonctionnaires que l'on croyait étrangers aux passions locales et au nombre desquels on voit figurer plusieurs protestants. Mais ardemment royalistes, ils étaient accessibles aux prières des uns, aux menaces des autres. L'excitation qui régnait dans la ville avait nécessité les plus énergiques mesures. Tant que dura le procès, les troupes, sous divers prétextes, restèrent sur pied, et le commandant de la division vint s'établir a Nîmes pendant ce temps.
Ces précautions aboutirent à un résultat tout opposé à celui qu'on avait espéré. L'accusation stipulait une tentative de meurtre avec préméditation. L'avocat de Boissin plaida le cas de légitime défense, et, soit que les jurés eussent subi les influences du dehors, soit que la manière dont les questions furent posées entraînât une condamnation trop rigoureuse à leur gré, ils prononcèrent l'acquittement.
Cette affaire a été menée le plus adroitement du monde par le parti, écrivait le général de Briche à la date du 10 février 1817 ; rien n'a été oublié, il n'y a pas jusqu'aux gendarmes qui ont déposé à décharge. La leçon avait été si bien faite à un qu'il a dit avoir vu le général donner à Boissin quatre coups de plat de sabre, tandis que Boissin lui-même ne s'est plaint que d'en avoir reçu un ou deux. On a aussi écarté l'homme qui avait eu le courage de déposer qu'il avait entendu dire à Boissin, après avoir tiré sur le général : - Ah ! Coquin, je ne t'ai pas brûlé la cervelle. (1)
 
1. Archives du dépôt de la guerre.
 
Dix questions furent posées au jury. La réponse fut affirmative sur deux, négative sur huit. Trois d'entre elles méritent d'être citées ici :
« L'accusé a-t-il été provoqué par des coups et violences graves sans motifs légitimes ? - Oui. - Était-il porteur d'une arme cachée ? - Oui. - Est-il coupable d'avoir blessé un agent de la force publique pendant qu'il exerçait son ministère et à cette occasion, par un coup do pistolet qui a produit l'effusion du sang, blessure et maladie, et d'où il est résulté une incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours ? - Non. »
Ainsi que le fit remarquer le procureur du roi, les réponses du jury auraient dû avoir pour conséquence la mise on accusation du général de Lagarde lui-même. Depuis, pour justifier ce jugement scandaleux, des écrivains royalistes ont tenté de faire croire que le coupable avait été menacé et provoqué par le général de Lagarde ; mais ils ne l'ont pas prouvé ; ils n'ont pu expliquer surtout comment et pourquoi Boissin se trouvait sur le lieu du crime, armé d'un pistolet chargé. Au surplus, le lendemain même de l'acquittement, le marquis do Vallongues, officier de marine et maire de Nîmes, fit appeler Boissin, et, après lui avoir reproché sa conduite, exprima le regret de ne pouvoir l'expulser d'une ville que sa présence déshonorait. Boissin se fit justice en s'expatriant. Le préfet, auquel on reprochait, non sans quelque raison, son indulgence, fut destitué. (1)
 
1. Replacé plus tard, il était en 1830 préfet des Bouches-du-Rhône.
 
Le garde des Sceaux Pasquier provoqua et fit prononcer l'annulation de l'arrêt, dans l'intérêt de la loi, et « dernière protestation de la justice méconnue », a écrit M. Guizot.
En même temps, le gouvernement ordonnait d'instruire contre Jacques Dupont et Jean Graffand, toujours détenus à Montpellier. À peine arrêtés, ils avaient été l'un et l'autre l'objet d'une manifestation ayant pour but de les faire mettre en liberté.
Une pétition fut même signée en faveur de Graffand par plus de deux cents personnes appartenant à toutes les classes de la société, qui rendaient hommage à son « bon royalisme ». Ce singulier document existe au dossier de la procédure, et l'on ne peut se défendre de penser que des menaces terribles ont seules pu réunir tant de signatures honorables sous l'affirmation d'un mensonge. Des démarches analogues furent faites pour Trestaillons. Toutefois, la justice tint bon et les deux scélérats furent renvoyés d'abord à Lyon, puis à Riom, devant le juge d'instruction.
Malheureusement, les faits firent défaut à l'accusation. Contre Trestaillons, contre cet homme qui avouait plus tard avoir mis a mort six personnes, et, qui, - toute la ville de Nîmes le savait, - avait eu la main dans la plupart des meurtres et des spoliations que nous avons racontés, il n'y eut qu'une plainte de violation de domicile à main armée et d'arrestation arbitraire. Contre Quatretaillons, la plainte n'existait même pas. Il s'agissait seulement de savoir s'il avait ordonné l'exécution des six paysans de Saint-Maurice, fusillés à Uzès le 18 août, ou si, comme il le prétendait, la foule les lui avait arrachés et les avait frappés, malgré ses efforts pour les sauver. Dans ces conditions, l'instruction était impossible. Lé 18 février 1816, le procureur du roi à Uzès écrivait :
« Les éléments d'une procédure sont au pouvoir de M. le procureur général de Riom. Il n'a qu'à faire informer et il obtiendra la preuve des divers faits dont Graffand est prévenu. Mais je doute fort qu'on obtienne des dépositions directes contre un et contre ceux de sa bande. Cette affaire, je l'ai toujours dit et écrit est du nombre de celles qu'il ne faut pas activer le temps la rendra chaque jour plus facile à instruire. Mais les têtes ne sont point encore assez calmes pour qu'on puisse se promettre un résultat conforme à la vérité. » (1)
 
1.Documents judiciaires. Archives de la cour de Riom.
 
Le 31 mai suivant, le garde des Sceaux Dambray écrivait à son tour :
« Comme il paraît que ces crimes sont de notoriété publique, mais qu'ils n'ont pas été constatés d'une manière légale, et qu'on supposant que les officiers de police pussent indiquer des témoins, il serait fort douteux que ceux-ci voulussent dire la vérité, je sens combien il sera difficile d'obtenir dans cette affaire des preuves complètes. Quoi qu'il en soit, je vous recommande de faire commencer sans délai l'instruction sur le peu de renseignements et de pièces quo vous avez déjà, sauf à demander au procureur du roi à Uzès de vous indiquer quelques témoins. Le défaut de poursuites serait encore plus scandaleux que l'impunité, quand celle-ci ne résultera pas du défaut de la justice, mais de la faiblesse ou de la lâcheté des témoins. » (1)
 
1.Documents judiciaires. Archives de la cour de Riom.
 
Ces prévisions ne furent que trop justifiées. En ce qui concernait Trestaillons, les menaces retinrent les témoins à Nîmes, et, faute de preuves, une ordonnance de non-lieu fut rendue en sa faveur au mois de mars 1816 :
« Il est à croire, disait le juge d'instruction, que si Dupont a la réputation qu'on lui a faite, les personnes qui ont à se plaindre de lui ne veulent pas se présenter. »
Trestaillons rentra à Nîmes, y, vécut méprisé, mais impuni, sans que ni la pétition indignée de l'avocat Barbaroux, en date du 14 mai 1820, ni celle de M. Madier de Montjau, ni les discours de M. de Saint-Aulaire pussent lui enlever le bénéfice de la décision judiciaire. La poursuite fut continuée contre Jean Graffand. On trouva en effet cinq témoins ayant consenti à se présenter, mais c'étaient des témoins à décharge parmi lesquels figurait un individu qui avait été, au dire de quelques contemporains, le complice le plus actif de Graffand. Leurs témoignages confirmèrent les dénégations du prévenu ainsi que les renseignements recueillis sur son compte, et force fut au juge d'instruction de rendre encore une ordonnance de non-lieu. Rien ne sert mieux à peindre l'état des esprits que cette conspiration du silence au profit d'un homme qui avait tant fait de victimes. Il rentra à Uzès. Un riche propriétaire le prit à son service, et ses forfaits semblaient destinés à l'oubli, lorsqu'on 1819, il fut poursuivi pour un délit de droit commun et condamné. Il n'était plus à craindre. Il y eut alors une explosion de plaintes dont l’unanimité obligea la justice à reprendre l'instruction à Riom, en mars 1821. Cette fois, les témoins abondèrent. Nous avons ou sous les yeux le volumineux dossier de cette seconde procédure. Le bandit y apparaît dans toute son horreur. Sur dix-neuf chefs d'accusation, l'instruction on retint onze. Renvoyé devant la cour d'assises du Puy-de-Dôme, Jean Graffand fut condamné à mort par contumace et exécuté en effigie. Quinze mois avant, sur la plainte de la veuve du capitaine Bouvillon, assassiné à Nîmes, le 1er août, Truphémy avait été poursuivi. L'instruction ne visait que cet unique fait, sans chercher à savoir si le prévenu n'avait pas participé à d'autres. C'était assez d'ailleurs pour entraîner une condamnation capitale qui fut en effet prononcée. Mais la Cour de cassation ayant annulé l'arrêt pour vice de forme, celle de la Drôme, jugeant la cause à nouveau, condamna le coupable aux travaux forcés à perpétuité. Truphémy fut exposé au poteau et flétri publiquement sur la place du Marché à Valence, le 21 avril 1820.
A la même époque, d'autres individus étaient poursuivis pour avoir pris part aux événements de Nîmes ; ils furent tous acquittés, à l'exception d'un seul, Servent, dit le Camp, que la cour de Valence condamna à mort, sur la plainte de la veuve Lichaire, dont le mari avait été massacré dans la nuit du 16 au 17 octobre. L'exécution eut lieu à Valence, La tête de Servent tomba, malgré les efforts de quelques personnes convaincues de son innocence, laquelle aurait été ultérieurement prouvée, s'il faut on croire l'affirmation du baron d'Haussez, préfet du Gard à cette époque. (1)
 
1. A en croire cette version, c'est le frère de Servent qui avait assassiné Lichaire.
 
Pour compléter le tableau des poursuites auxquelles donnèrent lieu les événements du Gard, nous devons signaler celles qui furent exercées contre le général Gilly. Après avoir tenté de soulever les Cévennes, il avait disparu. Le bruit se répandit alors, cette version est accréditée encore aujourd'hui, qu'il était parvenu à s'embarquer pour les États-Unis. La vérité, c'est qu'il n'avait pas quitté le département du Gard. Réfugié dans la commune de Topezargues, aux environs d'Anduze, chez un paysan protestant nommé Perrier, qui ne lui avait pas même demandé son nom, il ne le lui révéla que lorsqu'une somme de dix mille francs eut été offerte par le gouvernement à quiconque le dénoncerait. Ce paysan était pauvre ; mais à dater de ce jour, Gilly lui devint encore plus sacré, et il parvint à le soustraire a toutes les recherches. Pendant ce temps, un conseil de guerre prononçait contre le général contumax la peine capitale. Un jour, lassé de sa vie de misère et préférant la mort, il alla se livrer. Mais alors, à la requête de la comtesse Gilly, sa femme, il lui surgit un protecteur puissant. C'était le duc d'Angoulême. Déjà, en 1818, ce prince avait fait gracier le général Radet, qui l'avait arrêté en 1815. En 1820, il couvrit de sa protection le général Gilly et lui fit obtenir sa grâce pleine et entière.
 
-oOo-

PIÈCES JUSTIFICATIVES


Voici quelques notes géographiques propres à expliquer les dénominations de la Gardonnenque et de la Vaunage, qui reviennent si souvent dans notre récit :
Le département du Gard, situé dans le bassin de la Méditerranée, est traversé dans la partie ouest par la chaîne qui sépare le bassin de cette mer de celui de l'Océan, c'est-à-dire par les montagnes des Cévennes. Les ramifications du faîte sont loin de descendre graduellement jusqu'à la mer. Deux lignes idéales , passant, l'une par Saint-Ambroix, Alais, Anduze et Saint-Hippolyte, l'autre par Beaucaire, Nîmes et Sommières , divisent le département en trois étages distincts, en quelque sorte superposés les uns aux autres, à partir de la mer.
Celui qui comprend le faîte de séparation des deux grands bassins se compose de montagnes élevées, à configuration très accidentée, dont les cimes ou les plateaux sont séparés par de profondes vallées. C'est toute la portion du territoire située à l'ouest de la première des lignes idéales précitées, c'est-à-dire la région montagneuse, qui est connue sous le nom général de Cévennes.
La région moyenne est mamelonnée et ne se compose guère que d'ondulations et de plateaux peu élevés. On y remarque toutefois trois grandes dépressions dont il sera parlé plus loin.
Enfin la région basse ne comprend que de vastes étendues de plaines, séparées par quelques collines de sable.
Les deux premiers étages sont découpés transversalement par quatre cours d'eau, sensiblement parallèles dans leurs directions, l'Ardèche, la Cèze, le Gardon et le Vidourle. Les trois premiers sont des affluents du Rhône, et le dernier, un fleuve qui franchit aussi, pour se rendre à la mer, le dernier étage ou partie basse du département.
Le bassin du Gardon, cours d'eau central du département, occupe une très grande partie de son territoire , par suite des nombreux affluents qui contribuent à sa formation. En effet, la branche principale, dite Gardon, se compose de deux autres, le Gardon d'Alais et celui d'Anduze. Ce dernier Gardon lui- même se compose aussi de deux autres branches, le Gardon de Saint-Jean-du-Gard et celui de Mialet.
Dans les parties hautes du bassin du Gardon, on est dans l'habitude de distinguer les diverses vallées, par le nom du cours d'eau qui en occupe le thalweg, auquel on ajoute la terminaison en que. Ainsi pour désigner le territoire du bassin de la Salindre, affluent du Gardon, les habitants emploient la dénomination de Salindrenque ; pour désigner la vallée du Liron, affluent de la Salindre, celle de Lironenque, etc. De là, la dénomination de Gardonnenque pour désigner le territoire de la vallée du Gardon. Cette appellation, probablement limitée dans l'origine à la partie haute de la vallée, s'est étendue depuis à la partie inférieure.
Il a été dit plus haut, que la région moyenne se présentait sous forme d'ondulations ou de plateaux, et qu'il s'y rencontrait trois grandes dépressions ou plaines très accentuées. La première s'étend, au pied des Cévennes, au-devant des villes d'Auduze, d'Alais et de Saint-Ambroix ; elle est limitée au levant par une sorte de falaise facile à distinguer de Marvéjols à Ners, très confuse de Ners à Bouquet, et très accentuée de ce point à l'Ardèche. La seconde s'étend de Saint-Mamert à Uzès, et occupe les territoires des cantons de Saint-Mamert et de Saint-Chaptes. Enfin la troisième se trouve située au midi du département, entre Mmes et le Vidourle, au bord de la seconde des lignes idéales indiquées ci-dessus. C'est une sorte de creux au milieu d'un vaste plateau, qui a reçu la dénomination de Vaunage (vallée de Nages) du nom du village de Nages, l'une des localités qui s'y rencontrent. Les autres localités de la Vaunage sont Caveirac, Clarensac, Saint-Cornes, Calvisson, Saint-Dionisy et Langlade.

II

Pour permettre au lecteur d'embrasser la physionomie exacte des tragiques événements d'Arpaillargues, il nous a paru bon de reproduire ici un extrait du réquisitoire du procureur royal chargé de porter la parole contre les assassins :
« ...La capitulation de la Palud, disait ce magistrat devant la cour d'assises de Nîmes, fut signée le 8 avril 1815. Par l'article 1er, l'armée royale était licenciée et les volontaires royaux devaient rentrer dans leurs foyers après avoir déposé leurs armes ; les officiers devaient cependant garder leur épée. Cet article garantissait, par une disposition expresse, aux volontaires royaux pleine et entière sécurité pour leurs biens, et surtout pour leurs personnes. Environ soixante-quatre volontaires royaux, la plupart de Nîmes, se retirant dans leurs familles, avaient pris la route qui passe à Arpaillargues. Les habitants d'Arpaillargues exigèrent qu'ils remissent ,leurs armes. A peine furent-ils désarmés qu'une fusillade en renversa quatre. Les volontaires royaux épargnés par les premiers coups de feu cherchent leur salut dans la fuite ; ils sont poursuivis, à travers champs, fusillés, assassinés ; « on les poursuit comme des chiens,» a dit le témoin Henri Ribaud; on les met nus. Quatre d'entre eux, Fournier, Calvet, Chambon et Charrai avaient été abattus et étaient restés au pouvoir de leurs assassins. Lorsqu'on s'apercevait que le malheureux Fournier faisait quelque mouvement, on se hâtait de lui donner des coups de fourche, dans toutes les parties du corps. Une femme lui plongea si profondément sa fourche dans le ventre, qu'elle fut obligée d'employer tous ses efforts pour la retirer. Une autre lui lança des coups de ciseaux dans le visage. Après l'avoir déchiré dans tous les sens, on le dépouilla, on le mit à nu, le procès-verbal de levée de son corps le constate, et on le jeta au coin d'une rue ; on refusa de le transporter à un hôpital, sous prétexte qu'il n'en valait pas la peine. Il conservait cependant encore un reste de vie, et il en donna quelques signes pendant la nuit. On lui écrasa la tête avec une grosse pierre.
« Calvet, habitant de Nîmes, marié depuis peu, avait été aussi blessé à mort ; étendu à terre et baigné dans son sang, il reçut encore plusieurs blessures ; un individu que les témoins n'ont pas connu le déchira avec sa faux. Une femme, la Coulourgole, lui enfonçait, de temps en temps, sa fourche en fer dans le corps. Sur les dix heures du soir, il fut jeté dans une charrette, étant alors dans la plus douloureuse agonie. Il expira bientôt en effet. Fournier et Calvet ne furent pas les seuls qui perdirent la vie dans cette funeste soirée ; mais il n'a pas été possible de faire le dénombrement exact des volontaires royaux qui n'ont plus reparu et qui, par conséquent, sont présumés avoir péri. Claude Chambon fut une des plus malheureuses victimes de cette journée ; il se sauvait à travers champs, après avoir échappé à la première fusillade, lorsqu'il fut arrêté par un habitant d'Arpaillargues. D'autres habitants armés l'entourèrent bientôt ; l'un lui donna deux coups de baïonnette, un autre un coup de broche, un autre un coup de fourche dans les reins; un autre habitant lui perça la cuisse droite. Ils allèrent ensuite chercher le corps de Fournier qu'ils croyaient mort, couvrirent l'un et l'autre de ronces et d'épines qu'ils foulèrent aux pieds.
« ...Ce fut un massacre d'hommes qui étaient sans défense, à qui on avait fait déposer les armes , en leur promettant de les accueillir. »

III

Le combat des casernes, à Nîmes, dans la journée du 17 juillet, et le massacre de quelques-uns des soldats qui formaient la garnison constituent un des évènements les plus dramatiques de la guerre civile dans le Midi en 1815, mais aussi l'un des plus obscurs. Pour l'élucider et arriver à y voir clair parmi des assertions contradictoires, nous avons dû parcourir les pièces de l'enquête qui fut faite par un juge de paix, deux jours après ce grand malheur, pièces enfouies jusqu'à ce jour dans les archives de la préfecture du Gard. Parmi ces pièces, la déposition de l'adjudant-major Lefebvre, qui avait été assez grièvement blessé, se fait remarquer par son accent de vérité, et présente un saisissant tableau de la ville de Nîmes pendant ces heures de troubles et d'anarchie. C'est à ce titre que nous la reproduisons :
Du 19 juillet 1815. - Le juge de paix du lIe arrondissement de Nîmes s'est rendu à l'hôpital et a interrogé le sieur Charles-Stanislas Lefebvre, adjudant-commandant de l'état-major, qui a déclaré : - que le 15 du courant, vers environ deux heures du matin, M. le préfet, ayant reçu par estafette une circulaire de M. de Vitrolles, portant que le roi était rentré à Paris et injonction de le faire reconnaître, s'empressa de communiquer cette lettre au général Gilly ; que, comme elle était sans signature et sans désignation du titre de celui de qui elle émanait, il y eut une conférence entre le général Gilly, le général de Maulmont et le colonel de la gendarmerie, pour déterminer la marche qu'on devait suivre envers MM. les commandants de l'armée royale de Beaucaire, attendu qu'il avait été expressément convenu qu'on obéirait aux ordres du gouvernement, dès qu'ils parviendraient d'une manière officielle ; - que le général Gilly députa, lui déclarant, auprès de M. le préfet pour connaître son opinion à cet égard, et l'engager en même temps à venir assister à la conférence, a quoi il adhéra ; - qu'en retournant chez le général Gilly en compagnie de M. le préfet, ils rencontrèrent le général Maulmont qui leur apprit que le général Gilly avait pris une détermination définitive à cet égard, et qu'après avoir dit qu'il s'en rapportait pleinement à la prudence et à la sagesse du préfet et du général sur la manière de donner connaissance aux commandants des troupes à Beaucaire de la dépêche reçue, et d'exécuter l'ordre qu'elle renfermait, il avait ajouté que sa sûreté personnelle exigeait qu'il quittât de suite la ville, ce qu'il a sur-le-champ exécuté : ­qu'alors le préfet et le général Maulmont firent convoquer le conseil municipal pour lui faire part de la lettre reçue; que lui déclarant fut instruit qu'il avait été décidé au conseil qu'on écrirait à Beaucaire ; - que la nouvelle officielle de l'entrée du roi à Paris ayant été annoncée par le Moniteur, qui arriva vers les dix heures du matin du même jour, toute indécision fut levée et il fut décidé qu'on prendrait les arrangements et précautions nécessaires pour préparer les troupes au changement de couleur qui devait avoir lieu ; - qu'en conséquence, le général Maulmont et lui déclarant se rendirent au quartier des casernes pour haranguer la troupe, lui faire part des nouvelles reçues et l'exhorter à l'obéissance ; - que l'infanterie de ligne parut d'abord assez bien disposée, mais qu'elle fut bientôt ébranlée par l'opposition insurrectionnelle que manifestèrent les chasseurs à cheval ; - que plusieurs officiers de ce corps parcoururent les rangs des soldats en disant qu'on les trompait, que les nouvelles n'étaient pas telles qu'on les annonçait, et en s'efforçant d'engager les plus déterminés d'entre eux à les suivre pour aller prendre position hors de la ville, dans l'idée où ils étaient qu'il allait incessamment arriver des troupes de Beaucaire avec lesquelles il faudrait se battre, - que les chasseurs manifestèrent d'abord l'intention d'emmener avec eux les canons à l'aide de quelques canonniers vétérans, de quelques gardes urbains et gardes nationaux qui s'étaient rangés de leur parti au nombre d'environ une centaine ; que le général Maulmont et lui déclarant employèrent tous les moyens de persuasion pour empêcher l'infanterie de ligne de partager ce mouvement séditieux ; qu'elle parut ébranlée, mais que les chasseurs à cheval, sourds à leur voix, partirent avec tous ceux qui s'étaient attachés à leur sort ; - que comme les dispositions de l'infanterie de ligne n'étaient point encore pleinement rassurantes, le général Maulmont jugea prudent de renvoyer la proclamation au lendemain ; - que rendu chez lui, il se hâta de faire son ordre du jour dont il donna connaissance à la troupe dans la même soirée et qui fut affiché le lendemain ; - que le restant de la journée se passa assez tranquillement ; - que, le lendemain matin 16, toute la troupe de ligne arbora la cocarde blanche et assista en grande tenue à la proclamation qui se fit sur les neuf à dix heures du matin; qu'à suite de la double ration qui fut donnée, elle passa cette journée avec autant de tranquillité que de gaieté ; - que le général Maulmont et lui déclarant tâchèrent d'entretenir l'harmonie entre les citoyens et la troupe en parcourant plusieurs fois la ville, et qu'ils eurent la satisfaction de recevoir les témoignages les moins équivoques de l'estime publique ainsi que de la confiance et de l'intérêt qu'inspirait leur conduite ; - que, dans l'après-midi de cette même journée, la garde urbaine ne put se réunir sur l'esplanade, ainsi que l'ordre en avait été donné, attendu qu'on avait tenté dans divers quartiers de la ville de désarmer isolément quelques individus de cette garde, qu'on désarma pareillement le poste entier composé de douze hommes de la garde nationale soldée de l'Ardèche, qui se trouvait au palais ; - que le lendemain 17, vers environ cinq heures du matin, il se forma sur la place d'armes un rassemblement considérable de paysans, dont quelques tinrent des propos qui alarmèrent la troupe et lui persuadèrent qu'on avait l'intention de la désarmer ; - qu'aussitôt le commandant fit rentrer les soldats dans les casernes où il les consigna, et ne laissa dehors que des patrouilles qui tentèrent vainement de dissiper les divers rassemblements qui s'étaient formés ; - que, dans le courant de cette matinée, on vit successivement passer sur la place d'armes des hommes armés qui n'appartenaient pas à la garde urbaine et qui tous se réunissaient dans les diverses rues de l'enclos Mathieu, qui aboutissent à la place d'armes ; - que le général Maulmont et lui, jugeant qu'il importait à la tranquillité publique de dissiper ces rassemblements armés, se rendirent sur les lieux, et sur leurs représentations, il leur fut répondu par certains de ces individus qu'on les avait désarmés précédemment et qu'ils voulaient user de représailles en se procurant des armes, ajoutant qu'ils n'avaient pas l'intention d'en faire un mauvais usage ; - que le général Maulmont ordonna de nombreuses patrouilles de gendarmerie dans les divers quartiers de la ville et les faubourgs pour le maintien de l'ordre et empêcher les rassemblements de grossir.
Interruption et renvoi au lendemain, attendu l'heure de dix heures et demie du soir et l'état de souffrance de M. Lefebvre. Le juge de paix fait placer des factionnaires aux portes des salles où sont les soldats blessés avec la consigne de ne laisser sortir personne.
 
(Suite de ta déposition de l'adjudant-commandant Lefebvre.)
 
Du 20. - Que le 17 du courant, à l'heure d'environ midi, il commença à régner une très grande agitation dans la ville, qu'on répandit le bruit qu'il arrivait un très grand nombre de troupes de Beaucaire, et que ces bruits inquiétants pour l'infanterie de ligne se fortifiaient par l'arrivée de quelques hommes isolés qui étaient déjà entrés dans la ville et qui se disaient suivis du gros de leur colonne en marche ; - que vers les quatre heures et pendant que lui déclarant était à table chez le général Maulmont, on entendit pousser des cris de « Vive le roi ! » plus forts qu'à l'ordinaire et on vint avertir le général qu'il venait d'arriver des compagnies armées qu'on disait venues d'Uzès, et qui entourées d'un peuple immense s'étaient mises en bataille sur la place d'armes ; - que le général Maulmont et lui déclarant sortirent de suite pour aller voir ce que c'était. Le général se porta au-devant de cette troupe et demanda quels étaient ses projets; il lui fut répondu tumultueusement qu'on voulait avoir les canons parce qu'on savait qu'il devait descendre des troupes du côté d'Alais et qu'on voulait aller au-devant. Le général, ayant vainement tenté de leur faire entendre raison, pria lui déclarant d'aller à la mairie pour engager le maire à se transporter sur la place avec quelques membres du conseil municipal pour calmer cette multitude. Le maire s'y rendit en effet avec quelques habitants et répéta à peu près les mêmes paroles que le général Maulmont. Incontinent après, le commandant d'une de ces compagnies fit par le flanc droit et prit le chemin du Cours comme s'il voulait se porter en position.
Pendant que ces choses se passaient, les troupes de ligne étaient vigoureusement renfermées dans les casernes pour éviter toutes les provocations qui pouvaient avoir lieu. Le général Maulmont et lui déclarant se promenèrent pendant quelque temps sur la place d'armes, parlant aux uns et aux autres, après quoi le général entra dans le quartier suivi de lui déclarant pour parler aux troupes dans la vue de les calmer. Les soldats disaient hautement qu'ils ne souffriraient pas qu'on les désarmât et le général promit de faire tout ce qui dépendait de lui pour ne pas compromettre leur honneur. - Il y avait à peine une demi-heure que le général et lui déclarant étaient dans le quartier qu'on entendit tirer quelques coups de fusil ; on cria de suite : Aux armes ! Le général Maulmont dit d'abord à la troupe que ce n'était rien et qu'il ne fallait pas riposter, d'autant mieux que ces premiers coups avaient été tirés en l'air. Cependant les coups redoublaient : tout le monde cria alors qu'il fallait envoyer quelques hommes aux croisées pour faire feu sur les assaillants, ce qui fut exécuté. - II s'engagea dès lors une fusillade assez vive des deux côtés : un homme fut tué dans le quartier et trois autres blessés. Les soldats et leurs officiers, exaspérés au dernier point, voulaient absolument mettre les pièces en batterie pour repousser cette attaque; plusieurs fois le général et lui déclarant se mirent au-devant des pièces pour arrêter l'effervescence des canonniers, qui avaient constamment la mèche allumée et voulaient faire feu. Il fut alors question de sortir en' masse, en faisant feu de tous les côtés, et de se faire jour pour sortir de la ville et gagner une route quelconque. Le général Maulmont représenta que cette tentative à une pareille heure ne pouvait s'exécuter sans répandre du sang, et il vint à bout, avec ses intentions pacifiques, de persuader aux troupes qu'il fallait attendre onze heures ou minuit. C'était beaucoup, puisqu'il tendait à gagner du temps. Il pria de nouveau tous les officiers de cesser de faire feu ; il promit qu'à onze heures, si les choses ne changeaient pas, il se mettrait à leur tête pour sortir. Effectivement, on fit tous les préparatifs de départ. On attela les deux pièces qu'on devait emmener et on encloua les autres. Pendant ce temps, se prolongeaient au dehors des vociférations terribles qui n'annonçaient pas des dispositions à une pacification. Chacun se mit aux fenêtres à écouter pour savoir ce qui se passait en ville, et cet état de très grande agitation dura jusque vers dix heures et demie du soir. Les canonniers furent les premiers qui commencèrent à raisonner sur ce fâcheux événement, en disant que leurs chevaux n'étant pas habitués au feu, ils ne répondaient pas de conduire leurs pièces avec succès. Cette hésitation se répandit parmi les autres soldats, qui se disaient entre eux pourquoi l'on ne cherchait pas à entrer en pourparlers pour voir s'il y avait moyen de faire des arrangements. - Le général Maulmont mettant de suite à profit ces heureuses dispositions monta à l'une des croisées du premier étage, parla à quelques-uns des gardes nationaux qui étaient au dehors et leur dit avec beaucoup de douceur qu'on avait tort de se monter ainsi la tête réciproquement ; il fut interrompu par le cri de « Vive le roi » que les soldats commencèrent à répéter dans le quartier, et quelques instants après, on convint qu'on ne ferais point feu pendant une heure et jusqu'à ce qu'on se fût expliqué. - Vers onze heures, le colonel de la gendarmerie se présenta à la porte du quartier en parlementaire accompagné d'un sergent de la troupe qui était devant le quartier. On lui ouvrit de suite et il déplora avec le général le fâcheux malentendu qui venait d'avoir lieu. Il fut aussitôt convenu qu'on prendrait tous les moyens possibles pour en venir à un arrangement. Le général Maulmont proposa de rendre les pièces et de faire sortir la troupe de la ville dans telle direction qu'on voudrait lui donner ; le colonel Rivaud sortit de suite pour aller porter ces paroles et promit de revenir clans une demi-heure au plus tard. Il revint effectivement accompagné de M. de. Lahoudès, chef d'état-major de M. le général de Barre. Le général Maulmont fut accueilli de la manière la plus flatteuse par M. de Lahoudès, qui lui dit qu'il ferait tout au monde pour l'obliger, mais il ajouta que la troupe du dehors, qui ne connaissait pas beaucoup les usages et le point d'honneur militaires, exigeait de la manière la plus péremptoire qu'on mît bas les armes. Le général Maulmont, qui de son côté ne goûtait point du tout cette proposition humiliante, appela les officiers des corps et une députation des sous-officiers et soldats, et il n'y eut qu'une voix : tous dirent qu'ils ne voulaient point être désarmés, et qu'ils trouveraient moyen de se faire jour si on les humiliait à ce point. M. de Lahoudès voyant cette détermination, conféra encore pendant quelque temps et offrit ensuite d'aller faire une nouvelle tentative auprès de ses troupes. Il sortit en effet et laissa tout le monde au quartier dans une grande inquiétude, car le temps se passait et l'on s'apercevait que dans le cas où les propositions faites ne seraient pas acceptées, il ne serait déjà plus temps, attendu le jour qui approchait, de faire le mouvement qu'on avait projeté. -Vers deux heures du matin, M. de Lahoudès écrivit au général Maulmont que les troupes qui étaient en ville ne voulaient point entendre raison, et qu'elles insistaient absolument pour qu'on mît bas les armes. Le général consulta de nouveau les officiers des corps, et après une très courte délibération, il pria l'officier qui avait apporté la lettre de prier M. de Lahoudès de venir encore une fois au quartier. Il se rendit à cette invitation et arriva à deux heures du matin du 18 du courant. Il fit sentir de son mieux que la proposition de déposer les armes n'était pas faite dans le dessein d'humilier la troupe, mais dans la vue de sa sûreté. Il fut alors convenu qu'on partirait sans armes, que les officiers conserveraient leurs épées, les sous-officiers leurs sabres, et qu'on prendrait la route d'Uzès, où tout le monde serait reçu comme amis. Les officiers, sous-officiers et soldats protestèrent de leur désir de servir le roi. M. de Lahoudès donna sa parole qu'il ferait écarter ses troupes, et que celles de ligne défileraient, en sortant du quartier, sous l'escorte de la gendarmerie. Les officiers supérieurs du régiment prièrent le général Maulmont de ne pas les abandonner ; il promit de les accompagner jusqu'à Uzès et de revenir de suite à Nîmes pour conférer avec M. le général de Barre qui devait y arriver à dix heures. M. de Lahoudès eut même l'obligeance d'offrir d'accompagner le général Maulmont jusqu'au sortir de la ville. - On commença donc à défiler au point du jour, et dès lors, se passa la catastrophe la plus déplorable. Le général Maulmont était en tête avec quelques officiers et lui déclarant qui le suivait à quelques pas de distance et qui le perdit de vue un instant après, observant qu'il avait cru devoir rester un peu en arrière pour attendre que la troupe défilât ; mais qu'au même instant, il vit plusieurs hommes de la garde nationale quitter leur rang et se porter au-devant des sous-officiers en leur disant qu'ils n'avaient pas le droit de conserver leurs sabres. Lui déclarant continua alors sa route et, à peine avait-il dépassé le détour du quartier, qu'il fut assailli par une décharge de coups de fusil tirés par des hommes qui lui criaient : « Arrête, brigand, arrête ! » qu'il s'arrêta de suite dans la crainte d'être fusillé, et qu'au même instant, il fut entouré par une demi-douzaine d'hommes qui le maltraitèrent de la façon la plus cruelle ; que l'un lui arracha ses épaulettes et son sabre, l'autre lui pris sa montre et un autre son argent ; qu'on fouilla toutes ses poches et qu'on lui prit jusqu'à un petit nécessaire d'argent qu'il portait toujours avec lui ; qu'il reçut un coup de crosse de fusil sur la tête et un léger coup de baïonnette ; qu'enfin, ayant échappé à ce groupe il continuait sa route, lorsqu'à trente pas plus loin il fut arrêté par un autre qui le maltraita encore davantage, probablement parce qu'il ne restait plus sur lui de quoi satisfaire la cupidité de ceux qui le formaient; qu'il reçut à l'instant une balle dans le bras gauche, qui le lui fractura ; que le chef de cette bande lui mit alors le pistolet sur la gorge en lui disant de le suivre ; que d'autres le poussaient avec leurs baïonnettes dans les reins, et qu'il eut le bonheur de tomber entre les mains d'un petit garçon qui lui avait paru d'abord des plus furieux, mais qui, le voyant blessé aussi grièvement, le prit sous sa protection et empêcha ses camarades de le tuer ; qu'il le conduisit ensuite à travers toute la ville jusqu'à l'hôpital, où il arriva vers les quatre heures du matin, absolument dépouillé de tout ce qu'il possédait ; que le lendemain matin, 19, son domestique vint le voir et lui annonça qu'un officier de dragons dont il ne sait pas le nom, mais qui est venu plusieurs fois chez lui déclarant, il y a quelque temps, avait enlevé ses chevaux d'autorité à l'hôtel du Petit-Saint-Jean où il loge, malgré les remontrances du maître de l'auberge, qui fit tout ce qu'il put pour lui conserver le peu qui lui restait de son avoir ; que la perte qu'il a éprouvée s'élève à 800 francs en argent, 600 francs sa montre à répétition avec chaîne et cachets, et 800 francs au moins ses deux chevaux, soit 2,200 francs au moins, sans comprendre son sabre et ses épaulettes.
Signé : RABANIS, juge de paix. - LEFEBVRE, adjoint-communal. - POUSSIGUE, greffier.
 
Du 21 juillet.
- Le juge de paix croit devoir faire les observations suivantes :
D. - L'adjoint Lefebvre, en racontant les événements, n'a donné aucune idée des principes qui dirigeaient ceux qui les ont provoqués : il n'a pas parlé des vues de l'ex-général Gilly dans l'exécution des violentes mesures qu'il employait, des fréquentes discussions que ces mesures devaient amener entre les officiers supérieurs et l'autorité civile, des espérances que laissait entrevoir l'ex-général et de sa correspondance avec les autres généraux rebelles. - La franchise et la loyauté militaires vous obligent, si vous êtes sujet fidèle du roi, à faire connaître tout ce que vous savez avoir été tramé contre son autorité en cette ville, et à signaler avec impartialité les vrais amis du trône et ceux qui cherchaient à le renverser ; je vous invite à répondre à ces observations :
R. - Je réponds qu'il est hors de doute que l'ex-général Gilly n'agit dans le sens du gouvernement qui vient d'être renversé, encore plus en sa qualité de commissaire extraordinaire de ce gouvernement que comme chef militaire. Il n'y avait aucun plan de campagne déterminé, et ce général ne consultait que lui-même et les pouvoirs dont il était investi ; il n'y avait pas même de conseil de guerre ou conférences entre lui et les généraux qui lui étaient subordonnés parce qu'ils étaient tous en fonctions dans les chefs-lieux de leurs départements respectifs. Je déclare n'avoir eu directement ni indirectement aucune connaissance des, actes que fit l'ex-général Gilly lors de sa tournée dans les départements de la 9e division en sa qualité de commissaire extraordinaire, et je n'ai su là-dessus que tout ce que le public a pu apprendre comme moi : j'étais d'ailleurs à cette époque à Montpellier, où je remplissais les fonctions d'adjudant-commandant chef d'état-major. Je n'ai jamais connu la correspondance civile de l'ex-général : il ne m'a communiqué que sa correspondance militaire avec le ministre de la guerre et les généraux qui étaient sous ses ordres
D. - Ne savez-vous pas que des hommes de cette ville ou d'ailleurs aient cherché à corrompre la troupe de ligne depuis son arrivée à Nîmes, en la poussant à persister dans la révolte et si l'argent n'a pas été un des moyens de corruption par eux employés ?
R. - Lefebvre l'ignore absolument ; si le fait a eu lieu ce ne peut être que par l'intermédiaire des chefs de corps, et il ne tient à aucun. Du reste la troupe était assez mal disposée, sans qu'il fût nécessaire d'employer la séduction.
 
22 juillet.
D. - Ne savez-vous pas que dans ces derniers temps il ait été apporté de la ville dans le quartier un grand nombre de flacons de vin et des comestibles?
R. - Je n'ai aucune connaissance de ce fait.
D. - N'avez-vous pas eu occasion de voir souvent dans le quartier des personnes de cette ville s'entretenant avec les officiers et soldats, s'efforçant par leurs discours à les maintenir dans la révolte et à leur inspirer des sentiments défavorables pour la famille des Bourbons ?
R. - Mon ministère ne m'appelait pas dans le quartier, et c'est par la plus malheureuse des fatalités que je m'y suis trouvé dans la nuit du 17 au 18 ; c'est la seule et unique fois, depuis mon arrivée à Nîmes, que j'y ai mis les pieds. - J'oubliais de dire que j'y étais entré un moment, le 16, avec le général Maulmont.
D. - Quelles sont les personnes de cette ville, militaires ou autres, que vous avez vues le plus habituellement chez le général Maulmont et l'ex-général Gilly ?
R. - Je n'ai vu chez ces messieurs que le maire et les membres du conseil municipal que les généraux faisaient souvent appeler.
D. - Connaissez-vous les personnes de cette ville qui prenaient le nom de membres du conseil fédératif ? R. - Nullement.
D. - Connaissez-vous le motif qui porta l'ex-général Gilly à faire placer des canons sur les hauteurs où se trouvent les moulins à vent ?
R. - Ce fut le général Maulmont qui ordonna cette mesure, prescrite par la sagesse; il avait en vue de prendre une position militaire pour se mettre en garde contre toute surprise, qu'on avait lieu de craindre de la part des troupes qui se trouvaient à Beaucaire.
D. - Je vous invite à me dire, au nom du bien public, qui doit être toujours mis au-dessus de toutes les considérations particulières et de toutes les illusions d'une délicatesse mal entendue, si vous avez été instruit directement, indirectement ou de quelque manière que ce soit, que l'ex-général Gilly, soit dans la vue d'assurer l'exécution de ses plans de rébellion, soit pour se livrer à quelque mouvement de vengeance envers les nombreux sujets fidèles du roi que Nîmes renferme dans son sein, ait conçu , annoncé, confié, préparé ou ordonné pendant son séjour en cette ville, au moment de son départ, et même après, quelques dispositions et mesures militaires ou de toute autre nature par suite desquelles la sûreté de la ville de Nîmes et la vie de ses habitants pussent être compromises ?
R. - Je crois pouvoir assurer que l'ex-général Gilly n'a jamais eu aucun projet de vengeance particulière et que je ne lui ai jamais connu aucun plan contre la sûreté de la ville de Nîmes , contre ses habitants, ni contre qui que ce soit ; je suis persuadé même que c'est dans l'intérêt de la ville qu'il suspendit le projet qu'il avait d'abord eu de marcher contre les troupes de Beaucaire. Au reste, il n'ordonna en partant que des mesures de douceur, chargeant le général Maulmont de la publication des ordres du jour.
D. - Savez-vous le nom d'un officier de chasseurs à cheval qui, dans l'après-midi du 16, portait si évidemment les troupes à l'insurrection ?
R. - Je ne le sais pas ; mais cet homme est bien coupable à mes yeux ; il a failli occasionner de grands malheurs.
D. - A votre entrée dans cet hospice, n'essuyâtes-vous pas quelques reproches de la part des officiers, sous-officiers et soldats blessés qui étaient entrés à l'hôpital avant vous ?
R. - Aucun; personne ne m'adressa la parole.
Après ces réponses, l'adjudant Lefebvre demande un passeport après son rétablissement, pour aller à Paris y recevoir les ordres du ministère de la guerre, ayant des droits, comme le reste de l'armée, aux bontés du roi énoncées dans sa proclamation du 28 mars; il demande à être transporté en ville et enfin la restitution de ses chevaux enlevés, d'après l'assurance du sieur Brunei , aubergiste du Petit-Saint-Jean, par le sieur Chapelle, chef d'escadron dans les chasseurs royaux.
Signé : RABANIS, LEFEBVRE, POUSSIGUE.
 
A cette déposition, nous ajoutons la copie d'un rapport du commissaire-général de police qui présente les faits autrement et avec moins d'impartialité :
 
6 août 1815, huit heures du soir.
AU MINISTRE DE LA POLICE GÉNÉRALE.
Je suis très occupé, mais je quitte tout dans le premier mouvement d'une juste indignation pour mettre sous les yeux de Votre Excellence l'exposé rapide de quelques faits méchamment dénaturés et falsifiés d'une manière perfide par l'auteur d'une prétendue lettre particulière, écrite de Nîmes le 22 juillet et insérée dans le Journal des Débats le 30 :
Il est faux que le samedi 15 juillet le drapeau blanc ait été arboré à Nîmes sans le moindre trouble. Il ne fut placé au balcon de l'hôtel de ville qu'à la tombée de la nuit. Avant, et dès quatre heures de l'après-midi, quelques gendarmes, qui avaient paru avec la cocarde blanche au chapeau sur.une place voisine des casernes, furent chargés par les chasseurs à cheval du 14e et des soldats du 13e de ligne, qui les forcèrent de rentrer dans leur quartier, d'où ils ressortirent quelque temps après avec la cocarde tricolore. Ces chasseurs et soldats menaçaient de tirer sur la ville les canons qu'on avait placés deux ou trois jours auparavant sur les hauteurs qui dominent la caserne. Ils en furent empêchés par le général Maulmont, par le maire et plus encore par le sieur Durand, lieutenant d'artillerie urbaine, qui arracha des mains d'un canonnier la mèche et les étoupilles et qui se précipita devant une des pièces. Ces mêmes chasseurs et soldats, les retraités, les fédérés et nombre d'urbains, de gardes nationaux de la Vaunage parcoururent ensuite les boulevards en criant : « Vive l'empereur, l'empereur ou la mort. » Ils se répandirent dans la ville, tirèrent sur le peuple et blessèrent à mort, dans la rue du Pont-de-Sigalon et près de la porte de son bourgeois, un garçon boulanger appelé Jean Vignolle. A la chute du jour, un peloton d'urbains descend de l'esplanade, courant en désordre vers la caserne ; quelques-uns voient un drapeau blanc au balcon de la maison Martin, boulevard des Calquières ; ils tirèrent plusieurs coups de fusil à ce drapeau ; ceux de leurs camarades qui se trouvaient à quelque distance croient être attaqués par des ennemis, font feu à leur tour et tuent un des leurs appelé Gibelin. Ce ne fut qu'à huit heures et demie du soir que les chasseurs du 14e sortirent de la ville au grand galop, sabre en main et faisant de continuelles décharges de leurs carabines. Ils se retirèrent d'abord sur les hauteurs , au couchant de la ville, et ensuite dans un lieu appelé Vallongue, distant d'environ une lieue et demie. Ils furent suivis dans la soirée, pendant la nuit, par certains habitants, par des fédérés, par des retraités et par les gardes nationales des Cévennes et de la Gardonnenque.
Par ce récit bien succinct, Votre Excellence peut juger si le drapeau blanc fut arboré sans le moindre trouble ; elle peut juger également si la troupe de ligne ne songeait nullement, comme le dit la lettre particulière, à troubler notre tranquillité.
Il est faux que le lundi matin, des pelotons plus ou, moins nombreux d'hommes armés venus de la Provence, suivis d'une foule immense, se portèrent dans les maisons, se disant munis d'ordres pour désarmer la garde nationale, et qu'elle fut désarmée avant que l'on connût l'imposture.
Des postes ayant été abandonnés le lundi par les urbains, nombre de royalistes de la ville, parmi lesquels plus de jeunes garçons et d'enfants que d'hommes faits, s'emparèrent de ces postes. Ils s'occupèrent ensuite du désarmement, mais avec si peu d'exactitude qu'ils n'obtinrent pas le tiers des fusils et que, depuis, on y est revenu plusieurs fois. Ils n'ont point d'ailleurs désarmé près de 200 urbains qu'on sait être dans les rassemblements qui existent dans la Gardonnenque et dans les Cévennes.
Il est faux que la troupe qui s'était retirée dans la caserne ait été provoquée et qu'elle n'ait fait que riposter à une grêle de balles qu'on fit pleuvoir sur elle.
Voici la vérité : il était arrivé dans l'après-midi du lundi, entre quatre et cinq heures, et successivement l'un après l'autre trois détachements de gardes nationales des communes voisines et forts d'environ 350 hommes. Ils firent halte sur la place des casernes où se réunit insensiblement une foule de curieux. A peine les dernières personnes du troisième détachement avaient tourné le coin de l'île de l'Orange qu'on tira quelques coups de fusil des fenêtres de la caserne. La place fut en un instant balayée et il ne resta plus que les cadavres de deux royalistes et d'une femme. Les gardes nationaux étrangers se retirèrent dans la ville où ils se réunirent avec les royalistes de l'intérieur. Ils vinrent ensuite prendre position dans les environs de la caserne. Les soldats et quelques fédérés ou retraités qui étaient restés à Nîmes et qui étaient enfermés dans ce bâtiment continuèrent à faire feu jusque vers minuit. On ripostait du dehors, où furent encore tués deux gardes royaux. La fusillade ayant cessé de part et d'autre on entra en négociations, et après deux différentes sommations il fut convenu entre le général Maulmont et M. Lare, officier de l'armée royale, que la troupe sortirait sans armes. Ce fut à la sortie qui eut lieu au point du jour que nombre de coups de fusil furent tirés sur elle. Plusieurs officiers ou soldats furent tués ou blessés. Le mal fut moins grand qu'il n'aurait pu l'être grâce aux soins de M. Layre, qui se portait partout, et à ceux de la majorité des royaux qui ne cessaient de faire des représentations à ceux que la mort récente de quatre de leurs camarades avaient irrités, et qui préservèrent de tout danger la presque totalité des militaires (1).
 
(1) Nous avons dit qu'il y eut environ trente hommes tués ou blessés.
 
L'armée royale , organisée à Beaucaire, n'arriva que le lendemain mardi à dix heures du matin, précédée de M. le commissaire du roi et de M. le préfet. Des désordres, suite d'un premier mouvement d'effervescence et qu'on ne put arrêter sur tous les points, eurent lieu pendant la journée, et se renouvelèrent le lendemain et certains des jours suivants. Quoi qu'en dise la lettre particulière : que les chefs des bandes féroces ont été sabrés par elles, que ces chefs sont désolés , qu'ils rallient à eux les bons citoyens et qu'ils font ensemble tous leurs efforts pour ramener le bon ordre, mais qu'ils m'ont pas encore réussi, il n'en est pas moins vrai qu'ils n'ont reçu aucune blessure, qu'ils ont empêché beaucoup plus de mal qu'il ne s'en est fait, qu'ils l'empêchent encore, et qu'une grande quantité d'effets qui avaient été pris dans différentes maisons ont été restitués à leurs propriétaires, ce qu'ils n'ont pas fait, eux, des effets qu'ils volèrent dans la maison de M. Baron, conseiller à la cour royale de Nîmes, à Saint-Gilles, à Bouillargues et dans la maison de campagne des sieurs Vigne qui avaient suivi le duc d'Angoulême. Il paraît surprenant qu'en parlant des diverses maisons qui ont été dévastées, l'auteur de la lettre particulière se borne à dire pour distinguer le café dit de l'Ile-d'Elbe que c'était le rendez-vous des plus mauvais sujets de la ville. Mauvais sujets est ici une épithète trop générale. Il devait ajouter, ce qui est parfaitement vrai, que ce café était le réceptacle de ce qui composait la crasse du parti bonapartiste, que dans le nombre de ceux qui s'y rendaient se trouvaient les assassins de plusieurs royalistes tués ou blessés même avant la révolte du 3 avril, et par conséquent ceux du sieur Lajutte, garde royal de Montpellier, frappé d'un coup de couteau dont il mourut quelques heures après. Il devait ajouter que les habitués de ce café, formés ensuite en compagnie et commandés par des chefs bien dignes d'eux, ont volé, pillé dans plusieurs communes ou métairies des environs et excédé certains habitants de ces communes. Il devait ajouter enfin que cette bande vraiment féroce a poursuivi avec cette constance qui accompagne toujours la haine et avec le plus cruel acharnement les défenseurs de la cause royale appelés par eux miquelets , et qui ont échappé aux massacres qu'on en a faits dans le territoire de plusieurs communes et notamment dans celle d'Arpaillargues.
Il est essentiel , plus que Votre Excellence ne peut le croire, que le gouvernement, qui aura toujours la volonté et le pouvoir de s'instruire de la vérité, se méfie des récits tels que celui qui fait l'objet de la présente et plus encore de celui que le rédacteur du journal intitulé l'Aristarque a inséré dans sa feuille. Ce n'est point dans la seule vue du bien public et Pour obtenir de l'autorité qu'elle redresse les torts portés par telle portion des habitants d'une ville à telle autre portion, que l'auteur de ce dernier écrit a mis la main à la plume, il a des intentions plus perfides ; il veut rallumer la guerre civile, lorsque nous avons tout fait pour l'éteindre. Votre Excellence pourra en juger par une adresse du 20 juillet aux habitants du Gard, que je joins ici ; il a encore d'autres intentions d'intérêt local ; il les a si peu masquées que tous ceux qui l'ont lu l'ont deviné.
Pourquoi ne s'adressait-il pas au roi ou à ses ministres ? Pourquoi signaler comme infâme et rebelle une des villes du royaume le plus véritablement amies du roi ? Pourquoi a-t-il réveillé les questions religieuses, fouillé dans des époques déjà reculées ?
Je dois relever une erreur bien grossière dans l'Aristarque du 21 juillet ; il porte : qu'un arrêté d'un commissaire de police ordonne, sous peine d'être considérés comme émigres, aux malheureux qui après avoir tout perdu ont cherché à sauver leur vie, de rentrer dans leurs foyers sous quarante-huit heures. Il est faux que j'aie rendu cet arrêté; il est l'ouvrage de messieurs les commissaires du roi. J'ai rendu le'20 juillet un arrêté qui enjoint à tous les étrangers qui sont dans Nîmes, depuis le 3 avril, de se présenter devant moi pour répondre à mes questions. Cet arrêté produisit l'effet que s'en attendais. Environ deux cents fédérés ou retraités cachés dans Nîmes l'évacuèrent pendant la nuit qui suivit.
Le perfide auteur de cet article de l'Aristarque attribue les désordres arrivés à Nîmes aux autorités royales, tandis qu'elles ont fait , pour les empêcher ou les arrêter, tout ce qui était en leur pouvoir.

IV

Parmi les documents qui ont passé par nos mains il en est peu qui donnent une idée plus exacte de l'anarchie qui régna dans le département du Gard, pendant les mois de juillet, août et septembre 1815, que le registre du commissaire-général de police. Là, se trouve écrite, jour par jour, dans des ordres, des procès-verbaux, des dénonciations, des plaintes, l'histoire locale ; là, se trouve éclatante, indéniable, la preuve que ce malheureux pays fut terrorisé par quelques bandits qui se disaient royalistes et ne souhaitaient que le pillage et le vol. Nous aurions voulu reproduire ce curieux document qui est bien le tableau du Midi en 1815. Sa longueur nous oblige à nous borner à des extraits. Nous avons choisi les plus curieux.
 
27 juillet.
AU GÉNÉRAL COMMANDANT LE DÉPARTEMENT.
L'on vient de m'informer qu'un rassemblement d'environ 600 hommes existait dans les environs d'Anduze, et que le principal moteur est un nommé Jacques Teissier, de Nîmes.
Des témoins oculaires m'ont rapporté qu'une autre réunion d'individus armés existait dans les bois qui avoisinent la métairie de Bouvière, appartenant au sieur Goujoux.

28 juillet.
AU MAIRE DE BERNIS.
Le fermier de MM. Coste frères, du domaine appelé la Cagarde, a été menacé d'incendie. Disposez de vos forces pour protéger ce domaine. Sans exception, faites arrêter tout perturbateur de l'ordre public.
 
AU COMMANDANT DE PLACE.
La métairie du sieur Blaclin a été menacée par des gens armés qui s'y sont portés en nombre. Ces gens ne doivent pas faire partie des forces royales qui toutes doivent savoir que toutes les armes qui se sont trouvées clans cette métairie ont été enlevées.
Envoyer six hommes de confiance.
 
AU PROCUREUR DU ROI.
Des gardes royaux ont arrêté et conduit par-devant moi le sieur Bernard Fontaine, maçon, signalé comme ayant dépouillé plusieurs défenseurs de la cause royale.
 
AU COMMANDANT DE PLACE.
Quelques individus parcourent en armes les quartiers voisins du cours Neuf, s'introduisent dans les maisons et en font contribuer les ton du duc d'Angoulême.
A quatre heures du soir, les ordres furent donnés pour mettre la garde nationale sous les armes avec ordre d'arrêter tout homme armé sans ordre.
Étant instruit que ces hommes exaltés menaçaient de forcer la citadelle et les prisons pour égorger les prisonniers, je requis des mesures sûres pour s'opposer à ces crimes.
De concert avec le préfet et vingt-quatre officiers d'état-major, à neuf heures du soir, nous parcourons tous les faubourgs jusqu'à minuit.
Pour calmer la fureur de ces égarés, les autorités royales ont pensé que la commission militaire devait dans la journée prononcer sur le sort des coupables traduits devant elle depuis sept jours.
Proclamation du préfet annonçant la mesure et défendant de parcourir les rues avec des armes et ordonnant à toute force armée d'arrêter les contrevenants.
 
AU MARÉCHAL DE CAMP COMMANDANT LE DÉPARTEMENT.
Envoi d'un procès-verbal, dressé le 30 juillet, contre deux habitants de Sommières, qui ont crié publiquement : A bas le roi ! Vive l'empereur.
 
3 août.
AU GÉNÉRAL COMMANDANT LA GARDE NATIONALE.
Hier soir, vers les onze heures, une bande de pillards a absolument pillé la maison du sieur Paulet sur le chemin de la Bastide. Le sieur Delon, domestique de confiance, établi par le sieur Paulet pour veiller à la conservation de la maison a été menacé. Ce désordre tient à l'abandon du poste de la barrière de Saint-Gilles. Le rétablir.
Invitation aux capitaines des compagnies, des sections 5 et 9, de prêter main-forte au sieur Vidal, instituteur, l'un des commissaires de quartier, pour s'opposer aux entreprises des malveillants contre les personnes et les propriétés.
 
5 aout 1815.
AU COMMISSAIRE-GÉNÉRAL DE POLICE DES 7e, 8e, 9e, 10e ET 11e DIVISIONS DU MIDI.
Votre existence politique ne m'est connue que d'hier : une estafette m'a remis votre circulaire du 31 juillet.
Le 3 et le 4, la ville a été tranquille : la garde nationale a contribué à ce résultat. Mais les arrestations arbitraires ont continué dans la ville et la campagne.
Sept individus de Bouillargues avaient été arrêtés comme prévenus de pillage. Ils étaient prisonniers au palais depuis huit jours. Le 29, je fus informé que la grande majorité des hommes armés dans Nîmes allait forcer la prison, que la garde était d'accord avec eux, que les jours de M. le général de Barre étaient menacés jusque dans la cour de la préfecture où il était, n'ayant pas de forces disponibles à opposer à ce projet séditieux. Je crus qu'il était plus politique de mettre provisoirement ces prisonniers en liberté: je la leur donnai le 29 au soir, à la charge par eux de se présenter à réquisition et de l'action civile au profit de ceux qui avaient été pillés.
Une grande partie des habitants de Bouillargues et de Garons continua le pillage dans les campagnes voisines ; ils se portèrent aux villages de Générac et de Beauvoisin, habités par des hommes notoirement connus par leur haine contre la royauté et leur dévouement à Napoléon ou à la fédération. Là, sans désordre, ils demandèrent une contribution de 20 000 francs à Générac et 2 000 à Beauvoisin ; les habitants promirent 10 000 francs.
Instruit de ces faits dans la nuit du 3 au 4, je me suis décidé à partir avec douze gendarmes, à quatre heures du matin, pour Bouillargues et Garons, précédé de deux gendarmes pour faire battre l'assemblée de tous les hommes armés.
Une partie de ceux de Bouillargues est sortie sans armes. Sur la place publique, j'ai annoncé que je venais comme ami, comme pacificateur et que chacun pouvait se présenter avec sécurité. Tout le monde se rendit à ma voix, en armes. Là, j'ai rappelé à ces hommes égarés les services qu'ils ont rendus à la cause royale et je me suis fortement élevé contre les désordres : j'ai fait connaître la volonté du roi et du duc d'Angoulême, et leur horreur contre les désordres. Des larmes de repentir ont coulé de toute part, des cris de « Vive le roi I Vive notre bon prince le duc d'Angoulême ! » ont retenti dans tout le village pendant plusieurs minutes. Après avoir reçu le serment de rentrer dans l'ordre, je suis parti pour Garons, précédé d'un détachement de la garde nationale et accompagné de tous les hommes armes. Arrivé à Garons à neuf heures, j'ai troué la garde nationale sous les armes avec son drapeau. Là, j'ai répété mon discours et j'ai obtenu le même résultat. J'ai demandé une députation de quinze hommes de Bouillargues et de deux de Garons pour se rendre auprès du général de Barre, à la préfecture, où je suis arrivé avec cette escorte, à dix heures du matin. Les députés ont été présentés au général à onze heures. Ce brave et loyal militaire les a accueillis avec bonté, et, après un discours qui a attendri tous les cœurs, a reçu le serment des députés de rentrer dans l'ordre, de protéger les propriétés et les personnes, et leur a pardonné. J'ai la conviction que cette mesure produira un bon effet dans cette partie du département.
Des avis indirects mais qui paraissent certains m'ont annoncé à huit heures du soir qu'un royaliste a été assassiné à Uzès. Les royalistes indignés se sont portés à des excès. Neuf napoléonistes ont été égorgés et plusieurs maisons dévastées. Lorsque j'aurai reçu un rapport officiel, je vous le ferai connaître.
 
10 août.
Ordre aux individus qui se trouvent sans ordre dans le domaine de Saint-Serre-de-Combenac d'en sortir immédiatement. Menace de les faire arrêter et traduire devant les tribunaux.
 
AU MARÉCHAL DE CAMP COMMANDANT LE DÉPARTEMENT.
Envoi du rapport d'un sergent au 1er bataillon des volontaires royaux, constatant l'arrestation de deux hommes armés trouvés dans la métairie du sieur Moline, où ils s'étaient transportés avec d'autres pour faire contribuer le propriétaire sous menaces d'incendie. Les deux coupables sont transférés au palais, à la disposition de la justice militaire.
 
AU MAIRE DE REDESSAN.
Vous n'avez pris aucune précaution pour protéger la propriété de M. Presson à Curboussot. Vous seriez personnellement responsable du mal qui pourrait arriver aux propriétés.
 
AU PROCUREUR DU ROI.
Relativement à l'assassinat commis le 10 août au territoire de Gallagne, sur la personne de la nommée Servière, veuve Arnaud, par trois individus de Lunel. L'un des assassins est arrêté.
 
AU COLONEL DE LA GARDE NATIONALE A NIMES.
Il ne m'a été porté aucune plainte qu'un magistrat respectable eût été requis par un officier de la garde royale de payer une somme d'argent, ni par lettre ni verbalement. Il doit donc y avoir erreur et j'aime à croire qu'il n'existe pas d'officier capable de manquer à l'honneur.
 
14 août.
AU MAIRE DE BOUILLARGUES.
M. de Castelnau vient de se plaindre à moi des menaces d'incendie de son domaine que lui a faites le sieur Sabatier, pour le remboursement du prix d'une maison vendue par expropriation. M. de C... prétend que le sieur Dupont, dit Troistaillons, est complice dans ces menaces. Faites appeler Sabatier et faites-lui les remontrances nécessaires.
S'il est vrai que le sieur Troistaillons s'est permis de faire des menaces à M. de C... ou à ses fermiers et qu'il soit dans votre commune, faites-le appeler et donnez-lui les ordres que les circonstances commanderont. Dites-moi à quel titre le sieur Troistaillons est dans votre commune et la conduite qu'il y tient.
  
AU PROCUREUR DU ROI.
Envoi du procès-verbal dressé le 24 juillet contre le sieur Sabot, Hongrois d'origine, et Louise Guiot, veuve Gase, prévenus de dévastations dans une métairie du sieur Sauty.
 
14 août.
AU MARÉCHAL DE CAMP COMMANDANT LE DÉPARTEMENT.
Envoi de procès-verbaux contre deux individus prévenus de dévastations et de vols, à main armée, dans le territoire de Beaucaire. Ils sont détenus à Beaucaire.
 
15 août, six heures du matin.
AU MINISTRE DE LA POLICE.
J'ai suspendu mes rapports à cause de l'incertitude où m'ont jeté votre lettre du 3, m'ordonnant de cesser mes fonctions et l'ordonnance du duc d'Angoulême de les continuer.
Le 30 juillet, M. Espérandieu, capitaine, reçut ordre du général de se porter à minuit sur Aiguesvives, de la cerner et d'arrêter trois agitateurs qu'il lui signala. A trois heures du matin du ler août, Aiguesvives fut cernée par soixante-dix hommes d'infanterie et vingt chasseurs. A quatre heures, ce détachement entra dans le village. Les habitants non prévenus crurent que cette troupe marchait sans ordre et firent feu sur elle par les fenêtres : les royaux rendirent quelques coups de fusil et battirent en retraite, emmenant avec eux deux de leurs blessés. Instruit à huit heures du matin du mandat de ce détachement, le maire témoigna ses regrets au général et tout fut pacifié à midi.
Dans la nuit du 5, incendie de la campagne du sieur Ducamp, par sept à huit individus. Je n'ai pu découvrir si c'était l'effet d'une vengeance particulière ou de l'opinion politique du sieur Ducamp, partisan de Bonaparte et du fédéralisme.
Le 6 août, un coup de feu partit d'une fenêtre de la maison Didier, au levant de la caserne ; la balle arriva par une fenêtre de la caserne jusqu'à un garde qui était caserné et le blessa légèrement. Instruit de cet attentat, le peuple entra en fureur, se porta dans cette maison, la fouilla sans trouver personne ; de là, se porta dans le verger attenant, arriva au pavillon qui en dépend, brisa ou pilla tout ce qui s'y trouvait. Un incident fortuit augmenta le désordre. Un convoi de vingt fusils, portés chez l'armurier pour les faire réparer par ordre du général, passa devant la maison de la dame Didier. Le bruit se répandit que ces armes avaient été trouvées dans la maison de cette darne suspecte par son opinion napoléonienne. La multitude, aigrie par ces deux circonstances, cribla de balles une femme également suspecte. Bientôt après, l'erreur sur la destination des fusils reconnue, l'ordre se rétablit.
Dans plusieurs fermes, à une, deux et trois lieues de Nîmes, il a été fait plusieurs tentatives pour contraindre les propriétaires à contribuer. Ces maraudeurs ont été déjoués par la surveillance de la police et des gardes nationaux.
Le 9, à six heures du matin, le sieur Molines-Martin et son valet m'avertirent que la veille, à l'entrée de la nuit, des hommes armés s'étaient introduits dans son domaine près de Caissargnes, avaient demandé au bayle une contribution payable le lendemain à huit heures du matin, sous peine d'incendie. Je défendis à M. Martin d'entrer en composition avec ces brigands et l'invitai à se retirer paisiblement chez lui. Je fis appeler sur-le-champ le capitaine Espérandieu, logé près de la préfecture, je lui demandai six fusiliers et un sergent avec ordre de se porter promptement sur ce domaine, à une lieue de Nîmes. Deux de ces brigands y entrèrent à sept heures et demie et demandèrent à déjeuner ; à peine étaient-ils à table que le détachement se présente à la porte, les désarme après une légère résistance et les amène prisonniers à dix heures. Ce sont : J. Chauvel, natif de Montfrin, qui avait servi sept ans dans la ligne et avait déserté après le retour de Louis le Désiré sur le trône de ses ancêtres. - P. Givolde, né à Zabier (Haute-Loire), avait fait partie de la levée de trois cent mille hommes, avait servi sept mois et déserté à la même époque. Ces deux individus n'appartiennent à aucun corps militaire ni de garde nationale; ils sont fortement soupçonnés de napoléonisme. Ni l'un ni l'autre n'avait fait la campagne du duc d'Angoulême.
Le 3 août, à l'entrée de la nuit, le nommé Pascal, à Uzès, était de garde ; il se rendait, accompagné d'un brasseur de ses camarades, chez le chef de poste; arrivé rue du Mas-Bourguet, il reçoit un coup de feu à bout portant et reste mort. Pascal avait le premier arboré le drapeau blanc à Uzès. Meynier, boulanger, fut désigné comme l'auteur de ce crime : sa famille a figuré dans la révolution. Le peuple irrité se ramasse en tumulte : il rencontre deux femmes bonapartistes, un nommé Court qui a figuré dans la révolution du 3 avril, et les crible de balles. Pendant toute la nuit, ce même peuple se porta dans dix-huit maisons, brisa ou pilla tout ce qui s'y trouvait. La maison de M. S. Roux fui en partie incendiée, le reste fut sauvé par la garde nationale qui S'employa vainement pour empêcher ce désordre. A quatre heures du matin, le peuple se porta dans la maison de Meynier père : il fut trouvé caché dans son grenier avec son plus jeune fils ; ils furent fusillés sur-le-champ. De là, le peuple se porta aux prisons, enleva six prisonniers signalés comme napoléoniens et fédéralistes, et les fusilla sur l'esplanade. Après ces horribles attentats, le calme se rétablit à Uzès et n'a pas été troublé depuis. Pendant la nuit, les autorités d'Uzès avaient fait appeler les gardes nationaux des lieux voisins : ils arrivèrent lorsque le mal était consommé; ils furent renvoyés, leur présence ayant paru inutile.
Le 10 août, des maraudeurs armés ont pillé le domaine de Bions au sieur Salagnier, ils pillèrent celui du sieur Seyne, entre Beaucaire et Bellegarde, quand les gardes nationaux de Bellegarde, qui avaient arrêté déjà une grande partie des objets pillés à Bions, arrivèrent, bientôt secondés par un détachement d'Autrichiens de Beaucaire. Après une légère fusillade, deux brigands furent blessés, il fut fait deux prisonniers, les autres Prirent la fuite.
Trois soldats autrichiens du détachement s'en éloignèrent, se portèrent sur une petite ferme près de Beaucaire, demandèrent de l'argent au fermier qui leur donna 50 francs, et lui prirent une veste et une culotte. Le fermier devança ces trois pillards et les consigna au poste, sur la route en avant de Beaucaire. Le commandant les fit arrêter, fit rendre l'argent et les effets et les fit conduire au général autrichien, qui les a fait passer, dit-on, par un conseil de guerre.
Nîmes est tranquille : la plupart des proscrits cachés se produisent sans aucune insulte de la part des royalistes, la garde nationale mérite de grands éloges.
La publicité des journaux de Paris, qui parlent des événements de Nîmes d'une manière si contraire à la vérité, a exaspéré les royalistes. Sans une active surveillance, il y aurait eu encore de grands malheurs. A la lecture de ces libelles, le bas peuple a menacé pendant trois jours sourdement de forcer les prisons et d'assassiner les prisonniers. J'ai pris des mesures. Cependant aucune tentative n'a été faite.
Plaintes de plusieurs habitais de Saint-Césaire pour excès commis par des maraudeurs. Envoyer un détachement d'hommes sûrs.
Quatre cents chasseurs du 14e, repoussés de la Provence, ont trouvé bon accueil à Fougues. Le 11., cent quarante-six de ces chasseurs ont été mis en garnison à l3ellegarde, deux cents à Saint-Gilles et le reste à Foucques ; ils se conduisent avec sagesse, mais sont toujours suspectés de napoléonisme.
 
28 août.
AU COMMANDANT DE LA PLACE.
La dévastation et le pillage de quatre maisons au cours Neuf , le 27 de ce mois, démontrent la nécessité d'établir deux postes dans ce quartier. Les officiers de police recherchent les auteurs de ces désordres pour vous les signaler, afin que vous les fassiez arrêter. Le major de la garde nationale en a fait arrêter trois ; donnez-moi leurs noms. Il faut une punition exemplaire.
 
29 août.
AU COMMANDANT DE LA PLACE.
Je suis accablé de réclamations pour la mise en liberté des prévenus de vol et de pillage. Il faut établir une hiérarchie de pouvoirs. La justice doit suivre les formes prescrites par les lois pour absoudre les innocents et punir les coupables.
 
30 août.
AU PROCUREUR DU,ROI.
Pillage de la maison Camuzat, dénoncé par le colonel d'Anglas, de la garde nationale de Nîmes.
 
AU MAIRE DE MILHAUD.
Mme Teuton se rend à Milhaud avec une force armée pour enlever les meubles et denrées qui ont été pris dans la maison de son mari ; lui fournir les moyens d'exécution et arrêter les auteurs de ces vols, si vous les trouvez.
 
AU MAIRE DE FONS.
Quelques-uns de vos administrés prétendent que l'ancienne maison curiale doit être rendue à sa première destination ; le propriétaire actuel a été sommé de déguerpir. Désabusez vos administrés ; empêchez qu'il soit fait aucune insulte au propriétaire actuel.
 
AU MAIRE DE JONQUIERES.
M. Albert est menacé de voir ses vignes ravagées par nommé La Prudence, de Jonquières, s'il ne lui compte 1,200 francs. Donnez une bonne mercuriale à La Prudence, et dites-lui qu'il sera rigoureusement poursuivi si ses menaces sont suivies de la plus légère .exécution.
 
3 septembre.
AU MAIRE DE BELLEGARDE.
On a tenté de démolir la partie du bâtiment de M. Salaquière, que les flammes ont épargnée; on vole publiquement les raisins de ses vignes. Les misérables qui se livrent à ces horreurs osent se dire royalistes. Le général commandant le département va envoyer vingt-cinq hommes de l'armée autrichienne pour rester stationnés à Bions et à Brounau; il faudra pourvoir à leur nourriture. M. Salaquière est décidé à supporter moitié des frais.
6 septembre.
 
AU PROCUREUR DU ROI.
Menace d'incendie au sieur A. Laudé, caporal à la 8e compagnie, par le sieur Augier, travailleur de terre. Réprimer.
 
7 septembre.
AU PROCUREUR DU ROI.
Procès-verbaux contre :
1° Bromet fils, mère et fille, et la nommée Monge, pour excès prétendus commis par eux sur la nommée Rose Malvieille, femme Vallois ;
2° Joseph Layale et Catherine Bernard, accusés d'avoir forcé à une contribution de 12 francs Élisabeth Aubert, femme Gibelin;
3° Jean Ponge et un inconnu, accusés d'avoir tiré plusieurs coups de fusils sur François Briac, fermier de la Bastide, travaillant sur son aire avec des ouvriers, avec menaces de le tuer une autre fois, se retirèrent en criant : « Vive l'empereur ! »
4° Jean Delon, Certain, Barthes, Carton, Durand, Paulet, Bernard, accusés d'avoir dévasté la maison de Catherine Roche, femme Bachale.
 
11 septembre.
AU SOUS-PRÉFET D'ALAIS.
Le sieur Nouvel, adjoint au maire de Mauraissargues a été dénoncé au préfet comme s'étant mis à la tête d'un rassemblement armé, les 10 et 11 août dernier, composé de rebelles de Lédignan et autres villages.
Nouvel a voulu justifier ce rassemblement en disant qu'il ne s'était formé que pour s'opposer au pillage de sa maison. J'ai interrogé Nouvel; il le dément. Je l'ai conduit au préfet et nous l'avons interrogé ensemble, et nous n'avons pu obtenir de réponse positive et satisfaisante. Prenez des mesures propres à éclairer notre religion.
 
13 septembre.
AU PROCUREUR DU ROI.
Vol de seize bêtes à laine, fait à main armée par cinq à six hommes, le 3 septembre au soir, sur le troupeau de M. Magne, au Grand-Mas de la Roque, territoire de Nîmes.
 
AU PROCUREUR GÉNÉRAL.
Donnadieu, dit Pichet, de Saint-Geniès, est prévenu d'avoir parcouru les rues en criant : « Vive l'empereur ! vive Bonaparte! Je veux être le premier à faire une révolution dans Saint-Geniès ; on tue les protestants à Nîmes ; il faut ici tuer tous les catholiques, .etc. » Ces cris séditieux se seraient fait entendre le 21. août, au moment où les ennemis du gouvernement royal se disposaient, dans les Cévennes et la Gardonnenque, à lever l'étendard de la révolte, d'accord avec quinze à dix-huit cents réfugiés nîmois, fédérés ou déserteurs de l'armée de la Loire, accueillis dans ces contrées par les rebelles locaux. De pareils cris séditieux se firent entendre sur tous les points dans ces mêmes contrées, accompagnés de rassemblements armés, prêts à se réunir au moyen de signaux convenus pour fondre à l'improviste sur Nîmes le 25 août. Ces cris étaient le prélude de la révolte qui éclata à Ners le 21 août, où des gardes royaux furent attaqués, et le lendemain où huit cents hommes de troupes autrichiennes de toutes armes furent aussi attaqués par les mêmes rebelles entre Boncoirean et Ners : dans ces attaques, plusieurs Autrichiens furent tués et plusieurs blessés, et notamment le lieutenant de Cabrières, qui reçut une balle au bras; M. l'abbé Desgrigig fut assassiné à Marvéjols-le-Gardon, le 27, avec des circonstances qui font horreur.
 
AU PROCUREUR DU ROI.
Donnadieu, dit Pichet, figure également dans un procès-verbal dressé le 1er juin dernier par le maire de Saint-Geniès, sur la déclaration de la dame Julie Guizot, épouse de Louis Pougel.
  
15 septembre.
AU PROCUREUR DU ROI.
Procès-verbal tenu, le 12 septembre, par le commandant de place, duquel il résulte que, le premier dimanche du mois de mai dernier, trois hommes arrachèrent un ruban parsemé de fleurs de lis que portait Marie Barthélemy, et l'excédèrent de coups dont elle se ressent encore. Le nommé Mandarin, présumé être l'un des trois, a été arrêté.
 
AU MÊME
L'adjoint de Saint-Cosmes m'a adressé le 5 un rapport duquel il résulte que le sieur J. Plouttier, berger de la métairie de Guiraud , a été pillé par quelques individus armés. Il signale le nom de plusieurs personnes qui pourront donner des instructions. J'ai tenté vainement d'en acquérir la preuve et je vous envoie ce rapport.
 
AU PROCUREUR GÉNÉRAL.
Procès-verbal tenu, le 10 septembre, par le commissaire militaire du roi, relatif à l'arrestation du sieur Jean Favier, propriétaire du café, à Nîmes, portant pour enseigne à l'Ile d'Elbe, avec le portrait de Napoléon surmonté d'une aigle, avec inscription en gros caractères : Il a été rendu à nos vœux. Vous y verrez, suivant la déclaration de la femme Favier, que ce café était fréquenté par la garde urbaine et notamment par la compagnie des collets jaunes.
 
17 septembre.
AU PROCUREUR GÉNÉRAL.
Des assassinats inouïs ont été commis sur des fidèles sujets du roi à Arpaillargues. Je vous envoie les procès-verbaux des commissaires de police.
Il en résulte que soixante-quatre soldats royaux ont été spoliés, maltraités et volés de tout ce qu'ils avaient; que Gaspard Fournier fut horriblement assassiné et mené sur la place; que le sieur Calvet fut également assassiné et mourut à l'hôpital d'Uzès aussitôt qu'il y fut arrivé; que les nommés Claude Charray, Nicolas Mérie, Aimé et Martin, furent plus ou moins gravement blessés, et que parmi les assassins, les nommés Gaste, faiseur de bas à Nîmes, un boulanger aussi de Nîmes , dont il est facile de ravoir le nom, et un nommé Béchard, qui, à ce qu'on croit, demeure à Uzès, ont été reconnus. Il résulte du deuxième procès-verbal que, la veille de l'événement dont il vient d'être parlé, les nominés Dominique Rainaud , cordonnier de Nîmes, Servent, travailleur de terre, Lambat, passementier, et deux autres Nîmois, qui avaient également fait partie de l'armée royale, après avoir été désarmés à Montaren, furent par trahison dirigés sur Arpaillargues, et là, ils furent spoliés, frappés, blessés, menacés d'être fusillés après avoir été forcés de se mettre à genoux, et que parmi les auteurs de ces attentats on reconnut le sieur Boucaron , adjoint du maire, et les deux maréchaux, oncle et neveu, d'Arpaillargues.
 
AU PROCUREUR DU ROI.
Procès-verbal dressé les 15 et 17 septembre par le commissaire de police Maignaud :
Dans la première quinzaine d'avril, dix-huit à vingt miquelets, revenant de Pont-Saint-Esprit par des chemins détournés, furent arrêtés autour du domaine appelé le Petit-Mas d'Assas; plusieurs d'entre eux furent désarmés, volés et dépouillés de ce qu'ils portaient par quatre brigands signalés sous les noms de Louis Aurivel, Payera, Imbert et Durieux.
 
AU PROCUREUR DU ROI A UZÈS.
Une douzaine de malfaiteurs se sont portés à Sanilhac le 13 et ont forcé divers habitants à des contributions : dix de ces brigands ont été arrêtés le 14 à Uzès : ils portaient l'uniforme de la garde nationale de Nîmes.
 
26 septembre.
AU PROCUREUR DU ROI.
Deux procès-verbaux du 23 septembre, sur menaces et excès commis dans la nuit, du 21. au 22, dans les maisons des nommés Margarot, Bourjoly et Crouzet et sur leurs personnes. J. Dupont, dit Trestaillons, est prévenu d'être l'auteur de ces attentats avec Lavie et un inconnu. J'ai vainement tenté de faire amener Dupont devant ' moi. Voyez s'il ne conviendrait pas de nous assurer de sa personne.
 
AU MÊME.
Je vous transmets :
1° Une lettre du 24, signée Letouche, au commandant de place ;
2° Un rapport du 24. au 25, par le sieur Pourtain, lieutenant, sur l'invitation faite le 24 à dix heures du soir du sieur Laguilla par le sieur Letouche, soldat dans le régiment des gardes royaux, comme prévenu d'être l'un de ceux qui ont tenté d'assassiner le sieur Dupont;
3° Le procès-verbal du commissaire de police Maignaud du 25.
Vous verrez que les nommés Adrien Laguilla, Bouvière, dit Colin, et Firmin père et fils furent arrêtés le 24 par le nommé J. Dupont, dit Trestaillons, conduits devant le commandant de place qui ordonna de les déposer dans les prisons du palais. Cette arrestation et les circonstances qui l'ont accompagné méritent toute votre attention. Vous verrez que J. Dupont aurait commis un acte arbitraire à dix heures du soir et aurait violé l'asile du sieur Boustot, où ce dernier était à souper avec Laguilla et Firmin père et fils ; le sieur Dupont l'a fait sans ordre légal. D'autre part, qu'un assassinat aurait été tenté sur la personne de Dupont. Lesdits Laguilla et Firmin sont prévenus d'être les ennemis du roi : par quels actes, par quels faits ? Rien ne prouve l'affirmation. Au milieu de ce désordre vous verrez à découvrir les vrais coupables et sans égard aux opinions, vous provoquerez l'exécution des lois.
 
14 octobre.
AU COMTE DE LAGARDE, COMMANDANT LE DÉPARTEMENT DU GARD.
Depuis quelques jours, des militaires ont introduit l'usage de soumettre à une rétribution (sic) les particuliers qu'ils trouvent sans cocarde; à défaut de paiement ces particuliers sont constitués prisonniers au corps de garde. L'exigence de ces militaires est illégale, elle amène de fâcheuses discussions. Il est même possible qu'elle ait été inspirée aux soldats par quelques ennemis du bien public.
 
19 octobre.
AU PROCUREUR DU ROI.
Procès-verbal de Paulin , constatant l'incendie de meubles au préjudice de J. Faure, rue du Portail-Rouge. Auteurs inconnus.
Procès-verbal sur la déclaration de Françoise Faubert, relative à l'assassinat de sa mère, Anne Paugé, et les dévastations faites dans la maison de son père, près le puits Conchoux, dans la nuit du 16 au 17. Auteurs signalés.
Procès-verbal relatif aux vols et pillages commis dans la même nuit chez le sieur Thérond, près le puits Conchoux.
Procès-verbal de Maignaud constatant l'assassinat du nommé Lafont cadet, faiseur de bas, et le pillage de sa maison au cours Neuf : on l'accuse d'avoir tiré sur la patrouille, on l'a trouvé armé d'une broche sur l'entresol de son appartement : on a trouvé trois cocardes tricolores dans son armoire.
Le nommé Lichaire a été trouvé mort près les terres du fort au-dessous de la maison Durand : il a perdu la vie par suite d'un coup de feu ; comme il respirait encore, les assassins l'ont achevé à coups de baïonnette.
Le nommé Chabrier, demeurant île du Cyprès, a reçu un coup de pointe de sabre au côté : on l'a conduit, pour le mettre à l'abri, au violon de l'hôtel-de-ville, puis à l'Hôtel-Dieu.
Les deux frères Payen sont signalés comme bonapartistes, assassins de miquelets ; ils habitent la même île qui fut cernée par un détachement; ils ont été conduits l'un au violon de l'hôtel-de-ville, l'autre au palais.
 
20 octobre.
AU MÊME.
Louis Maurin, tambour de la garde nationale, a été arrêté par une patrouille dans la nuit du 16 au 17, emportant des effets volés dans une maison située près la place de Bachalas, qui venait d'être pillée.
Procès-verbal constatant que 'Fr. Froment, garde urbain, étant de service, avait fait feu sur Julian cadet, miquelet.
 
AU PROCUREUR DU ROI.
Le nommé Lavie fut signalé comme le chef d'une bande d'environ trois cents hommes, qui commirent les désordres, dévastations et assassinats qui eurent lieu du 20 au 27 août, et notamment les nuits du 20 au 21 et du 2'l au 22, aux faubourgs entre le chemin de la Bastide et celui de Caissargues, à Bernis, Milhaud et Mahaud. Arrêté, il s'évada. Il établit son domicile près du jeu de mail, vis-à-vis la petite porte du cimetière. 11 avait échappé à la police sous un faux nom. Il a été arrêté aujourd'hui. Son nom véritable est Pierre Lavie, passementier.
 
21 octobre.
AU MÊME.
Procès-verbal du '18, sur le vol d'une malle au sieur Gautier, capitaine retraité, fait à main armée à dix heures du soir du 16, par une bande d'hommes, parmi lesquels Castillon père et fils , Reboul, portefaix,
Roche, etc.
 
AU MÊME.
Procès-verbal du 17 : déclaration du sieur Arnal, quai de la Fontaine ; après s'être levé à l'appel de la générale dans la nuit du 16 au 17, il ouvrit sa porte à huit hommes armés qui se présentèrent chez lui et le sommèrent de les suivre; il leur fit observer qu'ils se trompaient, et ils se retirèrent après avoir accepté un verre de vin sans rien demander.
Procès-verbal : déclaration de P: Hours, soldat de la première compagnie de miquelets, dans le clos d'Aligon, maison Verdeil. Un attroupement se porta sur la maison du sieur Verdeil en demandant le propriétaire. Hours ayant répondu qu'il était absent, la foule, ne pouvant ouvrir la porte, se retira après avoir cassé des vitres à coups de pierres.
 
AU PROCUREUR DU ROI.
Relativement à la fabrication et au colportage des cocardes tricolores à Anduze, Alais, Uzès, Saint-Jean-du-Gard.
 
23 octobre.
AU MÊME.
Procès-verbal de l'arrestation de Payen aîné, Pierre et Léon Payen et Scipion Chabrier, prévenus d'excès envers les miquelets.
Procès-verbal du 18 sur la déclaration du sieur Pierre Boulle, ancien entrepreneur de travaux publics à Nîmes, rue des Barquettes. J. Cabanet se présenta en armes à son domicile dans la nuit du 17, avec huit à dix hommes armés de fusils et lui demanda avec menaces 25 louis sous prétexte qu'il lui avait fait tort de cette somme dans les ouvrages qu'il lui avait fait faire.

V

Le général Gilly était catholique. Toutefois en 1815, quand la réaction éclata, c'est chez un paysan protestant de Topezargues, aux environs d'Anduze, nommé Perrier, qu'il alla demander asile. Ce pauvre homme l'accueillit, ne lui demanda pas son nom et le fit passer pour son cousin. Plusieurs mois s'écoulèrent ainsi. Des patrouilles faisaient chez les protestans de rigoureuses visites domiciliaires, qui obligeaient le général à se lever au milieu de la nuit, à aller, à demi vêtu, chercher un refuge dans les champs.
Un jour Perrier arriva, et, pour rendre courage à son hôte inconnu, il lui dit :
- Ne vous plaignez pas. Il en est de plus à plaindre que vous. J'ai entendu mettre leur tête à prix, et, parmi eux, le général Gilly à 10 000 francs.
Ému d'abord par cette nouvelle , Gilly se remit bientôt et répondit :
- Je suis las de la vie que je mène et je veux en finir. Toi-même, tu es pauvre et tu dois désirer gagner de l'argent. Je connais Gilly, je sais où il est caché. Allons le dénoncer ; pour récompense, je demanderai ma liberté et tu auras pour toi les 10 000 francs. Perrier resta anéanti.
Son fils, ancien soldat du 117e, présent à l'entretien, se leva et reprit : - Jusqu'à, présent, nous vous avons cru honnête homme ; mais, puisque vous êtes un de ces misérables dénonciateurs qui veulent la mort de leur prochain, retirez-vous ou je vous jette par la fenêtre.
Le général Gilly continua son rôle, parut vouloir s' expliquer ; mais le soldat marcha sur lui : - Eh bien ! c'est moi qui suis le général Gilly, - s'écrie ce dernier.
La joie de ces braves gens fut aussi vive qu'éloquente leur protestation. Le général resta chez eux longtemps encore, et ce ne fut que bien longtemps après qu'ils acceptèrent une récompense.
Quant à lui, c'est le 13 février 1820, que fut signée, sur la proposition de M. Simeon, garde des sceaux, l'ordonnance qui prononçait sa grâce. Les démarches de sa femme et de son avocat, M. Dupin aîné, dont les mémoires nous ont fourni ces détails, le concours bienveillant du comte Decazes, et enfin la protection du duc d'Angoulême avaient eu raison, au bout de cinq ans, des colères déchaînées contre lui. Il dut s'estimer heureux d'être délivré à cette date du 13 février ; car, quelques jours après, le duc de Berry était assassiné, et il est vraisemblable qu'au moment où les rigueurs contre les ennemis de la Restauration redoublaient, il n'eût pas obtenu facilement sa mise en liberté.

Ernest Daudet, 1878.

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La Révolution à Nîmes, suite d'articles
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