La Bagarre de Nîmes  
les 13, 14, et 15 juin 1790
extrait l’Histoire de Nîmes par Pierre Louis Baragnon père, 1832
Tome III, page 478 à 528


 
NDLR : Dans ce texte excellemment documenté, l’auteur par ses commentaires nous donne une vision très engagée des évènements. En essayant de démontrer que telle ou telle religion est coupable, il oublie de préciser que cette terrible « Bagarre de Nîmes » n’est qu’un ensemble de comportements individuels criminels,  n’ayant rien à voir avec la doctrine originale des deux religions concernées.
En d’autres lieux, d’autres temps et avec d’autres religions,  l'histoire se répète inexorablement.

 
A Nîmes, depuis le 1er du mois de juin 1790, une division bien prononcée s'était mise dans les rangs de la légion. Ce jour avait été destiné aux processions de la Fête-Dieu ; les officiers municipaux n'avaient demandé au major qui la commandait alors (1) que deux détachements, l'un de quatre cents hommes pour border la haie, et l'autre de deux cents au plus pour faire des patrouilles ou former des piquets, et avaient en même temps prié cet officier de défendre à tout garde national qui ne serait pas de service, de sortir en armes, sous aucun prétexte ; mais, loin de se conformer à cette sage réquisition, il avait fait prendre les armes aux quarante-cinq compagnies.
 
(1) Le colonel, M. du Caylar, abreuvé de dégoûts, avait donné sa démission.
 
Plusieurs d'entre elles feignirent de se, croire menacées, se fournirent de munitions et arrivèrent à l'esplanade, lieu du rendez-vous, avec leurs armes chargées. Les autres s'en plaignirent ; on contraignit les coupables à jeter les amorces et à enlever les pierres à feu : l'irritation fut réciproque fut à son comble.
Les dragons étaient surtout l’objet de la jalousie ou de la haine des compagnies des faubourgs. Composés de jeunes gens les plus riches de la ville, à peine comptait-on dix catholiques dans leurs rangs. Couverts de riches uniformes et d'armes éclatantes, ils affectaient de nommer les légionnaires des faubourgs du nom de Cébés, qui signifie mangeurs d'oignons, aliment de la classe pauvre. Cette expression offensait ces derniers, presque tous mal aisés, mal vêtus, dont les yeux étaient déjà blessés par un luxe insolent qui détruisait l'égalité militaire à laquelle ils croyaient avoir le droit de prétendre.
Les compagnies de cultivateurs, presque toutes sans uniformes, se distinguèrent des autres citoyens par une simple houppe rouge au chapeau ; mais il ne serait pas exact de dire que les catholiques l'eussent choisie pour signe de ralliement, car deux compagnies protestantes, commandées par les sieurs Roubel et Rigal, composées de travailleurs de terre, l'avaient arborée les premières, et ne la quittèrent qu'au moment des troubles.
Au milieu de cette disposition fâcheuse des esprits, l'assemblée électorale ouvrit ses séances le 4 juin. Dès le 5, quelques électeurs affectèrent des craintes pour leur sûreté ; la garde tut renforcée, et, sur la demande des commissaires du roi, la compagnie de dragons fut spécialement chargée des patrouilles et du maintien de l'ordre autour de la salle.
Les premières opérations de l'assemblée furent de se constituer et de voter une adresse au roi et à l'Assemblée nationale. Les élections suivirent sans aucun retard ces préliminaires ; et l'on procéda à la formation de l'administration départementale tous les choix furent conformes à l’opinion de la majorité.
Plusieurs jours s'écoulèrent sans évènements fâcheux, malgré l'effervescence des esprits, mais l'insolence des dragons, accrue par la prédilection que l'assemblée électorale montrait pour eux, augmentait chaque jour ; leurs patrouilles parcouraient sans nécessité des rues populeuses, et bravaient la foule épouvantée. Il s'élevait à chaque instant de nouvelles rixes entre eux et le reste de la population. Déjà les travailleurs de terre s'étaient réunis en grand nombre, montés sur des ânes avec le dessein de parodier leurs promenades militaires : la municipalité parvint à arrêter cette dangereuse plaisanterie. Tout présageait une collision.
La commune crut y parer en ordonnant aux dragons de cesser leurs patrouilles, et en les réduisant à conserver un piquet de vingt hommes stationné dans la cour de l'évêché. L'assemblée électorale, qui ne put s'opposer à cette mesure prudente, en détruisit tout l'effet en votant publiquement des éloges aux dragons sur leur conduite, et en ordonnant qu'ils soient consignés dans ses procès-verbaux.
Le 13 juin, époque funeste dans l'histoire de Nismes, était un dimanche, jour de repos, jour que le désœuvrement consacre presque toujours aux émeutes dans les temps de troubles. Dès le matin les officiers municipaux s'étaient aperçus que la compagnie de garde à la commune, composée ordinairement de soixante hommes, était plus que triplée et avait chargé ses armes : un d'eux voulut faire quelques représentations à ce sujet, il fut insulté.
Lauze de Peret prétend que, dans la même matinée, plusieurs compagnies à houppes rouges s'étaient armées et avaient traversé la ville dans un appareil menaçant. Cet écrivain est le seul qui nous ait transmis cette circonstance, et il tombe peu de lignes après, en contradiction avec lui-même, car il assure que tous les bons citoyens s'attendaient si peu aux troubles de la soirée, étaient au nombre de plus de quinze cents réunis au club, sans armes et sans défiance. Quoi qu'il en soit, il n'est que trop vrai qu'une rixe s'engagea vers les six heures du soir entre les dragons postés à l'évêché, et quelques personnes du peuple, et que, semblable au feu mis à des matières combustibles cette rixe devint bientôt un vaste incendie qui embrasa toute la ville.
Si nous en croyons encore Lauze de Peret, les dragons paisibles dans leur poste de l'évêché ne faisaient pas même sentinelle; ils étaient en petit nombre, et ils n'avaient que cinq mousquets à leur disposition; c'est alors, dit-il, qu'un homme à pouf rouge se présente, accompagné de deux des siens, et donne au portier un billet adressé au chef des dragons. Cet écrit est, en effet, remis au sieur Paris, lieutenant, qui commandait le poste et qui veut, conduire à la commune celui qui en était le porteur ; mais, au moment où il part avec quelques-uns des volontaires à ses ordres, son détachement est assailli par plus de deux cents hommes à houppes rouges, qui font pleuvoir sur lui une grêle de pierres et l'attaquent à coups de pistolet. C'est alors, sans doute (dit l'écrivain du club), que la défense devient légitime. Dix dragons poursuivent cette troupe ennemie et font sur elle une décharge de mousqueterie. Les gens à houppes rouges fuient, et les dragons, renforcés par vingt-cinq légionnaires de garde à l'Hôtel de Ville, les chassent jusques à la belle-croix.
Le récit de cet événement prend une couleur bien différente dans les brochures catholiques. Si on les en croit, les dragons avaient maltraité et arrêté sans aucun prétexte un individu qui s'était présenté à la porte de l'évêché ; les camarades de ce dernier, sans armes, se bornaient à réclamer à grands cris sa délivrance, lorsqu'on fit feu sur eux.
Il est, certain qu'un billet ou prétendu, billet, par lequel on signifiait aux dragons l'ordre de sortir de l'évêché, fut le prétexte des, premières hostilités. A-t-il existé ? Que contenait-il ? Il n'a jamais été représenté. Il est certain encore que lorsque les dragons firent feu sur le peuple à la place de l'évêché les légionnaires catholiques n'avaient point d'armes à feu.
Trois officiers municipaux étaient à la commune dans ce moment fatal ; deux d'entre eux, MM. Ferrand et Pontier, revêtus de leurs écharpes, se portent à l'évêché. Ils n'ont d'autre escorte qu'un détachement de la compagnie de garde à la commune, protestante et la même dont plusieurs soldats avaient occasionné les troubles de mai. Ils parviennent cependant à faire entrer les dragons dans l'évêché, et le feu cesse pour quelques instants ; mais, l'escorte des officiers municipaux prend le parti des dragons, d'autres volontaires de la même compagnie accourent et se joignent à eux. Les dragons ouvrent les portes de l'évêché, malgré les observations de M. Ferrand, et la lutte recommence. Les légionnaires à houppes rouges avaient aussi reçu des renforts ; ils s'étaient procuré des armes : dès lors, un véritable combat s'engage, la place de l'évêché, celle de la belle-croix, et les rues voisines en deviennent le théâtre. Les dragons sont forcés d'abandonner leur poste et de se replier sur l'Hôtel de Ville, entraînant avec eux M. Ferrand, qui courut les plus grands dangers. De retour à la commune, on veut le contraindre à se mettre de nouveau à la tête d'un détachement que commandait le major de la légion, dont le projet était de retourner sur la place de l'évêché. Les sabres sont levés sur sa tête ; la pointe des baïonnettes le menace. On le frappe, et il ne doit la vie qu'à l'humanité de M. Paris qui le protège : on lui permet enfin de rentrer dans la commune.
M. Belmond, resté seul en l'absence de MM. Ferrand et Pontier, n'est pas plus heureux ; la compagnie de garde s'en empare ; on l'oblige à prendre le drapeau rouge et à le porter lui-même ; on le frappe ; on le fait marcher à coups de crosse de fusil, et en le force à précéder la troupe. Nous le laisserons raconter lui-même les dangers qu'il a courus, et dont il a dressé procès-verbal.
« À sept heures, à peu près, du soir (dit-il), j'étais avec MM. Pontier, et Ferrand occupé à régler un compte. Nous entendîmes du bruit dans la cour et, du haut de l'escalier, nous vîmes venir à nous plusieurs dragons parmi lesquels était le sieur Paris. Ils nous dirent qu'on se battait à la place de l'évêché, parce qu'un quidam était venu remettre un billet au portier, dans lequel il lui dit de ne plus, admettre les dragons, dans l'évêché, sous peine de la vie. Je leur dis alors qu'ils auraient dû arrêter ce quidam, et fermer les portes. Ils me dirent que cela n'avait pas été possible. Incontinent MM. Ferrand et Pontier mirent leurs écharpes et sortirent.
Peu d'instants après, plusieurs dragons, parmi lesquels je ne reconnus que les sieurs Lézan du Pontet, Paris le cadet et Boudon, ainsi qu'un grand nombre de légionnaires, vinrent me demander que le drapeau rouge sortît. Ils coururent à la porte de la salle du conseil, et la trouvant fermée, ils m'en rendirent responsable. J'appelle un valet-de-ville : on n'en trouve pas. Je demande les clefs à la concierge, qui me dit que M. Berdincq les a emporté : les volontaires travaillent à enfoncer la porte ; les clefs arrivent. On ouvre la porte, on prend le drapeau rouge, on me le remet, on m'entraîne dans la cour et de là sur la place. C'est en vain que je veux faire des observations sur les préliminaires à remplir, sur mon état on me répond qu'il y va de ma vie, et que ma robe imposera aux perturbateurs du repos public. Je représente que ce n'est pas à moi à porter le drapeau, on ne m'écoute pas. Je marche donc, suivi d’un piquet du régiment de Guienne, d’une partie de la compagnie n°1, et de plusieurs dragons. Un jeune homme, armé d’une baïonnette, est toujours à côté de moi. La fureur est peinte sur le visage de tous ceux qui me suivent et ils se permettent envers moi des injures et des menaces auquelles je ne m'arrête point.
Je passe par la rue des Greffes : on trouve que je n'élève pas assez le drapeau rouge, et qu'il n'est point assez déployé. Arrivé au corps de garde de la porte de la Couronne, le détachement se met en ordre de bataille, et l'on dit à l’officier qui commande ce poste de nous suivre. Il répond qu'il ne le saurait sans Une réquisition par écrit de la municipalité. Ceux qui m’entourent me disent de la faire; je demande une plume, une écritoire, et l’on me rend encore responsable de ce que je n'ai ni l’une ne ni l'autre. Les propos insultants que m'adressent, et les gestes menaçants que se permettent contre moi des volontaires et plusieurs soldats de Guienne, m'inspirent de la frayeur. On me rudoie, on me frappe. Le sieur Boudon apporte du papier, et j'écris : je requiers la troupe de prêter main-forte. Alors l’officier du régiment de Guienne se, met en devoir de nous suivre.
À peine ai-je fait quelques pas, qu'on me demande la réquisition que je viens décrire : on ne la trouve pas. On vient à moi, on dit a que je ne l'ai pas faite, et je suis sur le point d'être accablé, lorsqu'un légionnaire la tire toute chiffonnée de sa poche. Les menaces redoublent ; on se plaint avec fureur que je n'élève point assez le drapeau rouge, et l'on me dit que je suis assez grand pour l'élever davantage.
Mais bientôt paraissent des légionnaires à poufs rouges, quelques-uns armés de fusils, le plus grand nombre avec des sabres. On tire de part et d'autre: La troupe de ligne et les gardes nationaux se rangent en bataille dans une espèce d'enfoncement, et on veut me faire aller seul en avant. Je m'y refuse parce que j'aurais été entre deux feux. C'est alors que les injures, les menaces et les mauvais traitements sont portés à leur comble. On me saisit au milieu de la troupe qui m'environne, et, à grands coups de culasse de fusil, on me force d'aller en avant. J'en reçois un entre les deux épaules, me fait venir le sang à la bouche. Cependant, ceux da parti opposé s'approchaient davantage, et l’on ne cessait de me crier d'aller en avant. Je m'avance avec le drapeau rouge, je les atteints, je les conjure de se retirer, je me jette à genoux, je les persuade; mais ils m'entraînent avec eux, et il n'en reste que très-peux ils me font entrer par la porte des Carmes, prennent le drapeau, et me conduisent chez une femme, dont j'ignore le nom. Je crachais le sang à pleine bouche ; a elle me donna tout, ce qu'elle put trouver de plus propre à me remettre, et peu de temps après .je me fis conduire chez M. Pontier. »
 
M. Aigon , autre officier municipal , fut forcé de fuir de la commune après avoir reçu plusieurs blessures , et se :vit sur le point de perdre la vie.
MM. Ferrand et Pontier, de nouveau réunis à l’Hôtel-de-Ville, où s'étaient rendus les commissaires du roi, reconnaissent avec ces derniers la nécessité de faire publier la loi martiale, mais il est indispensable de la faire appuyer par le régiment de Guienne, et le lieutenant-colonel refuse de faire marcher sa troupe sans une réquisition écrite : les deux officiers municipaux la signent. (1)
 
.(1) Au moment où les officiers municipaux signaient cette réquisition, un malheureux volontaire, attaché à une des compagnies catholiques, poursuivi, cherche un refuge dans les bras des officiers municipaux, et pénètre dans la salle du conseil : il y est massacré inhumainement, dit M. de Marguerittes sur les sièges consulaires, traîné dans l'escalier, et laissé à la cour.
 
Le drapeau rouge sort encore une fois de la commune ; il est escorté par des légionnaires :, on dirige vers les casernes où le régiment de Guienne est réuni. L'escorte est renforcée, chemin faisant, par plusieurs compagnies toutes protestantes (1) qui s'étaient rassemblées sur l'esplanade, et poursuit sa route. Sur le point d'arriver à la hauteur du collège, on aperçoit une troupe ennemie retranchée derrière le rempart et une tour qui en dépend.
 
(1) M. de Marguerittes se sert de l'expression compagnies à plumets blancs. Il paraît que les protestants arboraient le panache blanc de Henri IV, par opposition aux catholiques dont ils voulaint comparer la houppe rouge à l'écharpe de la ligue.
 
Le feu s'engage de part et d'autre ; il se soutient ; mais une décharge de mousqueterie, faite à propos, met en fuite tout le détachement, qui se dissipe, abandonnant l'officier municipal et le drapeau confié à sa garde.
Pendant ce désordre, le commissaire du roi et M. Pontier avaient atteint les casernes pour hâter la marche du régiment de Guienne. M. Ferrand resté seul avec celui qui portait le drapeau, les suivait lentement ; mais il se voit cerné par un détachement de légionnaires à houppes rouges qui enlèvent le drapeau, et l'entraînent lui-même dans la maison Froment, attenante aux remparts, d'où il obtient enfin la permission de rentrer chez lui.
Les catholiques qui avaient pris les armes étaient peu nombreux. Dès le premier instant du tumulte, le major avait convoqué toutes les compagnies à plumets blancs elles avaient pris les armes, tandis que quinze compagnies catholiques ne s'étaient pas même réunies, et attendaient les ordres de leurs chefs. Leurs armes étaient en grande partie chez leurs capitaines (1).
 
(1) Un fait certain et digne de remarque, c'est que, le 14 au soir, on trouva chez Descombiés, qui, de sa personne, s'était réuni à Froment, tous les fusils de- sa compagnie sans qu'il en manquât un seul. Il est évident que les volontaires qui la composaient, n'avaient pas suivi leur chef.
 
Les volontaires de trois compagnies seulement s'armèrent, ne prenant conseil que de leur ; plusieurs même des individus qui les composaient restèrent neutres ; les autres s'étaient retranchées dans une tour attenante à la maison Froment, faisant face aux Calquières, près de la porte des Carmes, et dans les tours de l'ancien château (sur la porte Auguste), qui faisait partie du couvent des Dominicains: Ils maîtrisaient de là la place des Carmes et la ligne des remparts, depuis les casernes jusques aux Calquières : leurs détachements avaient occupé dans la journée les petites rues qui aboutissent à la grand'rue et à la belle-croix.
Le régiment de Guienne n'avait pris aucune part à ce qui se passait ; il était renfermé dans la cour des casernes, et n'en sortit que sur la réquisition de M. Pontier et du commissaire du roi. Mais le chirurgien-major arrive dans le même moment ; il annonce que le feu a cessé, que tous les légionnaires se sont retirés dans leurs foyers, qu'en un mot la ville est calme et les rues désertes : son rapport est confirmé par un sergent, et le régiment rentre dans ses quartiers.
La tranquillité, comme on le pense, était loin d'être rétablie. Il est facile de se fixer sur la position des deux partis. Cent vingt catholiques au plus étaient retranchés sur les remparts et dans la maison Froment, la plupart mal armés, ayant contre eux toutes les compagnies protestantes et les auxiliaires qui leur arrivaient à chaque instant. Ces dernières étaient maîtresses de tout le reste de la ville, et assurées de l'artillerie gardée par le régiment de Guienne, qui la leur livra le lendemain, tandis que quinze compagnies catholiques, c'est-à-dire, toute la masse de ce parti, restaient dans l'inaction.
La nuit du 13 au 14 se passa en préparatifs d'une part, et en précautions du côté des assiégés pour se garder. Leurs chefs Froment et Descombiés, ne pouvant espérer aucun secours de la ville, écrivirent à Montpellier à M. de Bouzol, commandant en second la province du Languedoc, et envoyèrent des émissaires dans les villages voisins.
Les deux exprès adressés, à M. de Bouzol furent arrêtés à Uchaud, et leurs lettres interceptées : les protestants de ce village en firent trophée et vinrent les déposer à l’assemblée électorale. On a fait à Descombiés et à Froment un crime de cette démarche, certes bien légitimée par la position critique où ils se trouvaient ; on a voulu y voir l'existence d'un complot formé longtemps à l’avance : nous reproduisons les deux lettres dans leur entier (1). Tout homme impartial qui les lira n'y trouvera qu'un cri de détresse : les signataires réclament des secours, et du moins on ne saurait disconvenir qu'ils s'étaient adressés à la principale autorité de la province. Ceux, qui depuis longtemps réchauffaient le fanatisme de leurs sectaires, et firent envahir Nismes par plus de quinze mille étrangers, furent certainement plus coupables, ou si l'on veut plus prévoyants.
 
(1) Lettre de Descombiés.
« Les dragons protestants ont attaqué, sur les six heures du soir, les catholiques : plusieurs ont été tués et beaucoup de blessés ; le désordre est affreux; l'alarme est générale; le drapeau rouge a été repoussé et arraché des mains du municipal, et la municipalité est dispersée. Vainement ai-je cherché à voir l'un d'eux, ils se sont retirés après avoir fait ce qu'on peut attendre de magistrats patriotes et généreux.
Il est cependant absolument nécessaire de ramener l'ordre dans la ville ; et le seul moyen qu'il y ait , c'est de nous donner un secours assez fort pour en imposer aux ennemis de la paix, quels qu'ils soient.  Je vous prie donc, Monsieur, en ma qualité de notable si de la municipalité, et vu les circonstances, de vouloir envoyer, sans perdre un seul moment, un ordre au régiment du roi, dragons, pour se rendre en cette ville.
Je m'oblige à faire approuver ma réquisition par toute la municipalité, et comme citoyen et comme bon Français.
J'ai l'honneur de vous assurer, Monsieur, que la présence de ce régiment ramènera tous les esprits à la paix, et fera finir tous les malheurs arrivés et prêts à se renouveler, desquels je ne puis avoir l'honneur de vous donner encore un détail circonstancié. Je suis, etc…
DESCOMBlÉS, ancien page du roi, notable , électeur.
 
Lettre de Froment.
Monsieur, vainement j'ai réclamé jusqu'à ce jour l'armement des compagnies catholiques ; malgré l'ordre que vous aviez bien voulu m'accorder, les officiers municipaux ont cru « qu'il était de la prudence de retarder la livraison des fusils jusqu'après l'assemblée électorale. Aujourd'hui les dragons protestants ont attaqué et tué plusieurs de nos catholiques désarmés : vous pouvez juger du désordre et de l'alarme qui règnent dans la ville. Je vous supplie, en ma qualité de citoyen et de bon Français, d'envoyer de suite un ordre au régiment du roi, dragons, pour venir mettre le bon ordre dans la ville, et en imposer aux ennemis de la paix. La municipalité est dispersée ; personne n'ose sortir des maisons ; et, si elle ne vous fait aucune réquisition dans le moment, c'est que chacun de ses membres tremble pour ses jours, et n'ose se montrer. On a sorti deux drapeaux rouges, et les officiers municipaux, sans gardes, ont été obligés de se réfugier chez de bons patriotes. Quoique simple citoyen, je me permets de réclamer auprès de vous, parce que je pense que les protestants ont déjà envoyé dans la Vaunage et la Gardonnenque, pour demander ides secours, et que l'arrivée des fanatiques de ces contrées exposerait tous les bons Français à être égorgés. Daignez avoir égard à ma demande ; je l'attends de votre bonté et de votre justice. Je suis, etc…
FROMENT, capitaine de la compagnie n.° 39. Ce 13 juin 1790, à onze heures du soir.
 
Nos lecteurs peuvent apprécier le ton de la lettre Froment ; à coup sûr ils n'y distingueront pas le style d'un homme accrédité par une protection puissante auprès de M. de Bouzol , et qui fût, depuis longtemps, en relation avec lui.
 
Ils n'avaient pas en effet perdu de temps. Des émissaires envoyés à l'avance et se relayant de proche en proche, faisaient accourir toutes les forces de la Vaunage, de la Gardonnenque et des communes protestantes les plus éloignées. Dès les trois heures du matin, l'esplanade commença de se couvrit de volontaires étrangers : on en attendait de toutes parts.
Plusieurs officiers municipaux avaient passé la nuit à la commune, au milieu des menaces. M. de La Baulme, l'un d'eux, se transporte, à cinq heures du matin, chez M. Vigier-Sarrazin, président du club et de l'assemblée électorale ; il y trouve une partie des électeurs du département réunis, et leur propose de se concerter avec la municipalité et les chefs des troupes déjà arrivées, pour inviter les étrangers à demeurer aux avenues de la ville. Le projet est adopté ; la réquisition est dressée et signée ; un des électeurs offre même d’aller au-devant des volontaires de son canton pour les prévenir. M. de La Baulme, d'accord avec ses collègues, se rend avec M. Vincent Valz sur l'esplanade pour parler aux chefs des corps qui y stationnaient. À peine y sont-ils arrivés, deux groupes différents les entourent et les séparent. M. de La Baulme recoit, au défaut des côtes, un coup qui lui enlève la respiration; les sabres sont levés sur sa tête ; il va périr ; heureusement, M. Vincens-Valz le rejoint, M. Chabanel pare les coups multipliés qui sont portés à l'officier municipal (1), et parvient à conduire MM. de La Baulme et Vincens-Valz dans la maison de M. Mazel, située au bout de l'esplanade ; mais celui-ci craint encore pour leur, vie, il les engage à fuir, et ils s'échappent par les jardins. Il ne fut dès lors plus possible d'éviter l'irruption dont la ville était menacée.
 
(1) Les traits d'humanité dans les sanglantes journées de la bagarre furent rares. Nous nous plaisons à conserver le souvenir de tous ceux que nous ont transmis les récits du temps. On doit remarquer que nous en nommons avec complaisance les auteurs, tandis que, si nous ne pouvons taire les crimes nombreux qui furent commis, nous évitons de désigner les coupables.
M. Chabanel eut encore, dans la journée du 14, le bonheur d'aider puissamment à la conservation du Petit-Couvent : c'est une justice que lui ont rendue les religieuses dans une enquête faite devant les officiers municipaux, le 10 janvier 1791.
 
Bientôt un nombre effroyable de milices étrangères couvrit l'esplanade ; cerna la ville et inonda les rues : on peut, sans exagération, le porter à quinze mille hommes. Les procès-verbaux de l’assemblée électorale constatent l'existence d'un camp fédératif de douze mille hommes ; un écrit publié par le club, intitulé : Vérités historiques, dit que plus de quinze mille hommes offrirent leur secours : les brochures catholiques du temps sont d'accord sur ce point avec les aveux de leurs ennemis. Il est certain que ces renforts arrivèrent aux protestants de plus de douze lieues, et devaient être prêts à marcher depuis longtemps.
Toute cette foule arriva à Nismes, poussée par le fanatisme, la soif du sang et l'ardeur du pillage. Les communes dans lesquelles les protestants dominaient, forcèrent les catholiques à les suivre, en les menaçant de les mettre au premier rang, s'ils éprouvaient de la résistance : il en est dans lesquelles on fit marcher jusques aux curés (1).
 
(1) M. de Marguerittes rapporte, dans son Compte-rendu, que le dimanche 13, avant même que les combats eussent commencé, la garde nationale catholique d'un village qui se trouve sur la route, ayant refusé de marcher sans une réquisition de la municipalité de Nismes, fut menacée, insultée et obligée de suivre le plus grand nombre : voilà comment (ajoute l'orateur) des légionnaires catholiques et même des curés se sont trouvés mêlés avec les pillards.
 
Aucune garde nationale des contrées catholiques ne se mit en chemin : celles de la banlieue et des principaux villages qui environnent Nismes se réunirent cependant et s'avancèrent, le 15 au matin, jusques au pont de Car (pont situé sur le Vistre, route de Beaucaire), sous le commandement de M. de Montval. Un exprès vint en prévenir les officiers municipaux qui se trouvaient encore à la commune ; mais M. Ferrand n'eut rien de plus empressé que de le renvoyer pour engager le rassemblement à se retirer et à ne pas venir aggraver, par des démonstrations impuissantes, le sort des vaincus (1) : il obéit.
 
(1) Le secours qui arrivait dans ce moment était insuffisant : la disposition des esprits de ceux qui le composaient, et le peu d'autorité que le commandant aurait exercé sur eux, le rendaient dangereux. Il se livra à plusieurs désordres dans la campagne, selon le rapport de M. Alquier.
Quant à ce que nous avons dit de la prudence de M. Ferrand, voir le Résumé des procès-verbaux.
 
La milice nationale de Beaucaire s'était mise en même temps en mouvement ; mais on fit marcher des troupes à sa rencontre pour lui fermer le passage si elle persistait à vouloir arriver à Nismes : on lui dépêcha des émissaires chargés de lui persuader que la querelle était purement politique ; que la tranquillité était rétablie, et que sa présence était inutile : elle rentra dans ses foyers.
Ainsi, le champ le plus vaste et le plus libre fut ouvert au désordre. La haine, le fanatisme religieux purent se satisfaire. Donnerai-je le détail des massacres du 14. Donnerai-je la liste des citoyens arrachés à leurs foyers, traînés sur l'esplanade et lâchement égorgés, après avoir été exposés à mille tortures avant de recevoir le coup mortel ? Peindrai-je Louis Deymon, revenant paisiblement de la chasse, poursuivi, blessé, porté sur une chaise à l'esplanade, et auquel on n'ôte la vie qu'après lui avoir coupé les pieds et les mains à coups de sabre ; Claude Daudet, assassiné par celui-là même auquel il avait sauvé la vie peu de jours auparavant ; Bataille, pendu à un réverbère, qui voit casser la corde, conserve un reste d'espoir, se sauve et est percé de mille coups dans une cheminée de la maison de M. Mazel, où il était parvenu à se réfugier ; Gas, coupé à morceaux, dans le sang duquel ses assassins se lavent les mains, et dont on jette les restes mutilés sur les décombres de sa maison que l'on venait de démolir ; un jeune Froment, étendu sur une table, déchiqueté à coups de sabre, et dont la tête est promenée par la ville ; violet, pendu vivant par le menton à un crochet de boucher, endurant pendant plus d'une heure cet horrible supplice, et  criblé de plusieurs coups de feu, quand les cris que lui arrache la douleur fatiguent ses bourreaux ? Faut-il montrer à nos lecteurs un malheureux catholique qui se place sous la sauvegarde d'un de ses voisins, que l'on traîne à l'esplanade, que l'on force d'assassiner un de ses frères, et qui, saisi d'horreur, expire, peu de jours après ; de crainte et de remords ? Notre plume se refuse à décrire des scènes aussi affreuses : Nismes a vu reparaître, dans ces jours de deuil, ceux de la Michelade, et le soleil a éclairé ces nouvelles horreurs, lorsque du moins la nuit avait protégé de son ombre les meurtres du seizième siècle.
Quel était le crime de tous ceux qui furent assassinés le 14 ? Avaient-ils pris les armes ? Non, répondra l'histoire inexorable. Les assiégés de la maison Froment et des tours des Dominicains tenaient encore quand les assassinats ont commencé : mais d'ailleurs, lorsqu'il est certain que quinze compagnies catholiques n'ont eu aucune part aux combats du 13 ; lorsqu'il est bien constaté que toutes leurs armes ont été trouvées chez les capitaines où elles étaient déposées ; lorsqu'il est constant que le nombre des victimes a dépassé, du côté des catholiques, celui des combattants, il est bien évident que les assassinats furent commandés par la haine et le fanatisme, et que le choc des deux partis ne saurait les excuser (1).
 
(1) Avaient-ils pris les armes, Chas , avocat, fils de l'ancien consul, jeune homme de plus haute espérance, qui fut tué, le lundi 14, causant avec des amis sur le seuil de sa porte ; ce jeune Joseph Bouchon, âgé de quinze ans, qui, le même jour, fut frappé d'une balle étant à sa fenêtre où il dessinait ; ce Pierre Bouquet, marchand fripier, qui, venant de tenir un enfant sur les fonts baptismaux, s'arrêta un instant sur sa porte, et reçut un coup de feu ?
Dans ces sanglantes journées, aucun catholique ne pouvait paraître dans les rues, ou même se montrer aux fenêtres, sans qu'on lui tirât dessus. Les assassins se vantaient hautement de leurs crimes ; celui de Chas était connu, et la tête d'une des victimes, du nom de Jean-Baptiste Mercier, portée en triomphe dans les rues, fut clouée, comme un trophée, à la façade de l'Hôtel de Ville.
 
Mais, comment d'ailleurs pallier les tentatives faites pour pénétrer dans le couvent des Ursulines ? Comment excuser le pillage du couvent des Capucins, et le massacre de tous les religieux qui ne purent se dérober par la fuite au sort qui leur était réservé ?
L'esplanade est située entre les deux couvents ; la vue des deux édifices religieux blessa sans doute les regards du rassemblement formé sur la place, et, dès le matin, une compagnie s'introduisit dans le monastère des Capucins, sous le prétexte d'en faire la visite. Elle put se convaincre qu'aucun étranger n'y était caché, et qu'il ne recélait aucune arme. Il paraît même que cette démarche, dirigée par un chef prudent, fut dictée par de bonnes intentions pour contenter le rassemblement et éviter les désastres de la soirée. Dans l'après-midi, plusieurs coups de feu partent du côté de l'auberge du Luxembourg (1).
 
(1) M. de Marguerittes, dans son Compte-rendu, dit :
« L'inexpérience d'un volontaire étranger fait partir un coup de fusil au milieu des troupes campées à l'esplanade, etc. »
Nous lisons dans le Résumé des procès-verbaux de la commune :
« Sous le faux prétexte qu'on a tiré quelque coup de fusil du couvent de ces religieux sur des volontaires campés à l'esplanade, etc. »
Quand nous avons avancé que les coups de fusil étaient partis dans la direction du Luxembourg, nous avons pour garants la déclaration de plusieurs des religieux échappés au massacre, qui ont été entendus comme témoins devant MM. Ferrand et Razoux, et surtout l'attestation verbale que nous a donnée à nous-mêmes un des cénobites, dont nous avons déjà signalé l'existence.
S'il nous est permis de donner notre opinion, d'expliquer la mort de M. Massip, et de faire concorder le récit de M. de Marguerittes avec la déposition des religieux, nous dirons que des malveillants, postés autour du Luxembourg ou dans l'angle de la rue Notre-Dame, tirèrent sur le rassemblement placé à l'esplanade plusieurs coups de feu qui n'atteignirent personne, et n'avaient d'autre but que d'exciter un mouvement; que ces coups de feu mirent l'épouvante dans la troupe, et que, dans le désordre qui en fut la suite, la maladresse d'an légionnaire donna la mort à Massip.
 
Au même instant, M. Massip, officier municipal de Saint-Cosme, qui faisait partie des légionnaires étrangers campés sur l’esplanade, tombe atteint d'une balle : tout fuit et se disperse (1) ; la place demeure déserte. Mais bientôt l'épouvante cesse ; des malveillants répandent le bruit que le coup qui a tué Massip est parti du couvent des Capucins, quoique les fenêtres en soient exactement fermées. Sans autre examen, le monastère est forcé (2).
 
.(1) Un fait bien convenu, c'est que, dès l'instant où les coups de feu se firent entendre, l’épouvante fut telle parmi les légionnaires étrangers, qu'ils s'enfuirent dans toutes les directions. La plupart se précipitèrent dans les fossés qui séparaient alors l'esplanade du couvent des Capucins, et un des religieux, dans sa déposition, dit avec justice qu'ils n'auraient pas choisi ce refuge si les coups de fusil fussent partis du couvent. (Déposition du frère Ignace, du 27 août 1790)
(2) Résumé des procès-verbaux.
Deux sapeurs donnèrent l'exemple et attaquèrent seuls les premiers la porte du couvent.
Le cénobite que nous avons interrogé sonna en vain lui-même le tocsin pour appeler du secours ; il ne vit arriver que des ennemis, et put distinguer un détachement du régiment de Guienne, de garde à la porte de la Couronne, qui, les bras croisés, restait témoin impassible de tout le désordre.
La déclaration de tous les cénobites est uniforme sur un point, c'est qu'il n'y avait chez eux ni étrangers, ni armes; que par conséquent, il était impossible que l'on eût fait feu du couvent : d'ailleurs, la visite du matin prouve cette vérité jusques à l'évidence.
 
On y massacre cinq religieux, dont un, âgé de quatre-vingt-deux ans, retenti dans son lit par une paralysie, est haché à coups de sabre, et cette cruelle exécution ne contente pas ses bourreaux, qui mettent le feu à sa paillasse pour brûler ses restes palpitants : avec les religieux périrent deux jeunes clercs qui balayaient l'église, et un garçon jardinier. Tels étaient les seuls étrangers que l'on trouva dans la maison (1).
 
(1) Nous avons donné ici la version adoptée par M. de Marguerittes dans son Compte-rendu. Nous devons à la vérité de faire connaître les renseignements verbaux que nous avons recueillis, et ce qui résulte de la déclaration particulière des religieux entendus devant M. Ferrand. Il paraît que trois cadavres ont été vus dans le couvent ou dans le jardin, indépendamment des cinq religieux qui furent massacrés. L'un est celui d'un enfant, trouvé à la porte du chœur avec un arrosoir à ses côtés ; le second est celui d'un jeune homme en chemise, étendu à la porte de la sacristie, et le dernier a été aperçu dans le jardin.
L'opinion du cénobite que nous avons interrogé est que l'enfant trouvé à la porte du chœur était attaché au couvent; que le jeune homme dont le corps a été rencontré à la porte de la sacristie n'appartenait point au monastère, et que celui qui fut tué dans le jardin lui était également étranger. Il pense que, dans le désordre affreux qui régna pendant plusieurs heures au milieu d'une foule d'assassins et de pillards qui ne se connaissaient point, ils ont pu, par méprise ou par tout autre motif, se tuer entre eux ; car il est bien positif que tous les religieux qui ont déposé, ont déclaré que le jeune homme tué près de la sacristie leur était inconnu. Le jardinier attaché au couvent s'enfuit dès le commencement du tumulte, avec le supérieur, du nom de père Pascal, et se réfugia dans un des jardins du faubourg de Roussy. Le jeune garçon jardinier se cacha, avec trois religieux, sur les voûtes de l'église : tout le monde, à Nismes, l'a connu sous le nom de Lallemand, concierge du palais de justice ; il n'est décédé que depuis peu de temps.
 
Les autres Capucins n'échappèrent à la mort que par la fuite ou en se cachant pour la plupart sur la voûte de l'église, les plafonds du dortoir et ceux de la bibliothèque : ils purent de leur retraite entendre les cris de mort et les menaces proférées contre eux (1).
 
.(1) Si l'on désire connaître le sort de tous les religieux qui remplissent le couvent, cinq furent tués, trois se cachèrent sur la voûte de l'église, deux sur le plafond de la bibliothèque, trois autres sur celui du dortoir, et trois enfin dans une ruelle ou impasse fermée par un mur qui sépare l'église des Capucins des murs du Luxembourg. Le supérieur, de soixante-dix ans, fut à temps de sortir, entraîné par le jardinier ; six avaient fui en franchissant les murs du jardin, et se sauvèrent à travers les champs ; un des frères était absent de Nismes. La plupart de ceux qui s'étaient cachés dans le couvent, furent recueillis dans la soirée par le sieur Pierre Paulhan, fenassier, qui leur donna asile dans sa maison pendant deux jours et deux nuits, à la sollicitation de sa femme qui était catholique. Roussillon, sellier, contribua puissamment à cette bonne œuvre : ce fut lui qui, dans la soirée du 14, s'introduisit dans le couvent, fit sortir les religieux de leur retraite, et guida leurs pas vers Paulhan
 
Tout est livré au pillage ; tout est détruit, portes, fenêtres, meubles, ustensiles. La bibliothèque, enrichie de celle de l'illustre Fléchiez, et la pharmacie, la plus belle de la ville , le patrimoine des pauvres, sont entièrement dévastées. Quatre calices, leurs patènes, deux ciboires, le linge, les ornements sacerdotaux sont volés dans la sacristie ; les nombreux dépôts que la confiance des peuples faisait remettre entre les mains de ces pieux cénobites (1) sont violés.
 
.(1) Le club, dans sa brochure intitulée : Vérités historiques, convient de l'enlèvement d'un ciboire, et prétend que le voleur fut livré à toute la rigueur des lois. Les officiers municipaux firent signer à chacun des religieux qui reparurent à Nismes, un état de tous les effets et de toutes les sommes qui avaient été pillés dans leurs cellules : il s'élève à une somme considérable.
 
Le couvent des Ursulines fut plus heureux. Dès le matin les religieuses qu'il renfermait avaient pu entendre les menaces dirigées contre elles (1), et en frémissaient encore, lorsque, dans la soirée après la dévastation des Capucins, un étranger placé à la porte de leur monastère, tire un coup de pistolet, et s'écrie que le coup est parti des fenêtres du couvent.
 
.(1) Plusieurs des sœurs entendues en témoignage déclarent qu'elles ont, plusieurs fois dans la matinée, entendu des voix qui disaient : enfonçons la porte de ce couvent ; d'autres répondaient : non, il faut commencer par les Capucins. La sœur converse Combe Saint-Joseph dépose : « Que le 14 juin, vers les huit heures du matin, se préparant à ouvrir la porte à Pourcherol, le boulanger qui leur portait du pain, elle le vit aux prises avec une foule de légionnaires armés, qui voulaient s'emparer du pain, disant : il n'en « faut pas porter à ces b...sses ! il ne faut pas que les b...sses en mangent ! L'un d'eux la couchant en joue, lui ayant dit : c'est toi qui ouvres, b...sse ! elle ferma de suite la porte du couvent, sans recevoir le pain, ce qui porta Mme la supérieure à faire dire au sieur Chabanel, dont la compagnie était de garde auprès du couvent, et qui, de concert avec le sieur Bertrand dit des grignons, avait ,« veillé à sa sûreté, de vouloir bien les faire pourvoir du pain qui leur manquait, ce qu'il fit, et paya en même temps le pain de la première corbeille, que les légionnaires avaient ,pris, etc.
 
Il court au-devant d'une troupe qui s'avance, et l’engage à enfoncer les portes ; mais un des nouveaux arrivants a vu la manœuvre du misérable calomniateur, il le confond en présence de toute la troupe en découvrant le bassinet de son arme à feu qui fume encore. Le peuple est aussi terrible dans sa justice que dans ses vengeances, et l'imposteur est assommé sur la place.
Cependant, le nombre des catholiques retranchés était singulièrement diminué la plupart avaient fui pendant la nuit. Ils occupaient cependant encore la maison Froment, la tour attenante et une partie des remparts (1).
 
(1) Les brochures catholiques les réduisent à quarante-cinq. Cette version semble peu croyable, cependant peu échappèrent à la mort, et le résumé des procès-verbaux ne fait mention que de quatre cadavres trouvés dans la tour des Jacobins, et de vingt-neuf cadavres dans celle attenante à la maison Froment. Cette tour fut leur dernier refuge et le poste où ils se défendirent le plus longtemps : nous devons dire aussi que plusieurs durent parvenir à se sauver avec les chefs.
 
Assiégés par des forces centuples, attaqués avec de l'artillerie (1), ils se défendent avec courage.
 
(1) On peut voir encore les traces de quelques coups de canon mal dirigés dont les boulets ont frappé la façade de l'église des Dominicains, qui sert aujourd'hui de grand temple aux protestants.
 
Un projet de capitulation est proposé et accepté. Il est violé à l’instant même ; la tour Froment est forcée ; tout ce qui s'y trouve est massacré ; les principaux chefs, F. Froment, Folacher et Descombiés , parviennent à se sauver (1).
 
(1) Les deux partis se sont réciproquement accusés d'avoir violé la capitulation. Lauze de Peret, prétend que, lorsque l'on portait des paroles de paix, des coups de fusil partis du côté du rempart firent évanouir toute espérance de conciliation. Nous nous bornerons à rapporter la version présentée à l'Assemblée nationale par M. de Marguerittes. Il atteste dans son Compte-rendu, qu'il fut généralement convenu que tous les assiégés mettraient bas les armes, les feraient porter au palais, et que les chefs s'y rendraient eux-mêmes pour s'y mettre sous la sauvegarde de l'assemblée électorale ; que cette proposition fut acceptée par les capitaines ; qu'à l'instant même la paix fut publiée ; mais que, malgré la capitulation, l'attaque continua : la soif du sang et l’ardeur du pillage rendirent les assaillants sourds à la voix de l'humanité. Froment, receveur -du clergé, ajoute-t-il, avait alors dans sa caisse plus de 36 000 fr. qui devinrent la proie des pillards.
 
Quelques fuyards avaient pénétré dans le collège, à l'insu même du recteur, et s'étaient cachés dans les greniers ; mais ce bâtiment fut visité dans la soirée, trois fugitifs y furent découverts et égorgés; le collège lui-même fut dévasté ; tous les effets des régents et des pensionnaires pillés : le supérieur n'échappa à la mort que par la fermeté de l'officier municipal forcé de présider â la visite.
Le massacre dans les rues et dans les maisons se prolongea pendant toute la journée du 15, jusques à l'arrivée de la garde nationale de Montpellier, qui parvint à ramener un peu d'ordre. Le club, dans un écrit publié en son nom, dit lui-même :
« La journée du 15 ne fut, pour ainsi dire, consacrée qu'à la vengeance ; mais son règne fut trop prolongé et les lois et l'humanité y furent trop souvent outragées. » Quel aveu !
Les écrits du temps varient singulièrement sur le nombre des victimes. La municipalité de Nismes dont le courage et la fermeté ne se sont jamais démentis dans les recherches qu'elle a faites pour faire connaître la vérité, signale dans ses procès-verbaux environ cent cinquante décès, et annonce qu'il lui est impossible de compléter ce tableau. Les brochures catholiques ont porté le nombre des morts, les unes à huit ou neuf cents, les autres à quatre ou cinq cents. M. de Marguerittes, dans son rapport à l'Assemblée nationale, soutient que plus • de trois cents personnes ont été immolées le mardi et le mercredi après le combat, et que l'on avait eu la barbare précaution de remplir de chaux les fosses où l'on jetait les cadavres, pour que l'on ne pût ni connaître, ni compter les victimes. Le club annonce plus de deux cents meurtres. L'humanité frémit à cet affreux calcul ; mais l'histoire doit le transmettre à la postérité, afin que nos descendants connaissent à quels excès peuvent porter le fanatisme et les discordes civiles : nous ne nous écarterons pas de la vérité en fixant à plus de trois cents le nombre des catholiques tués en combattant ou égorgés sans défense. Un plus grand nombre maltraités, arrêtés arbitrairement le 16, remplirent les prisons, et durent s'estimer heureux d'y trouver un refuge. Les protestants n'eurent à regretter que vingt et un d'entre eux, et le nombre même n'aurait point été aussi grand, si des représailles déplorables n'avaient été exercées dans la campagne contre des protestants paisibles (1).
 
(1) M. et Mme Noguier furent tués dans leur maison de campagne à Courbessac. Les plus remarquables de ces victimes furent MM. Maigre père et fils, qui, après avoir fui de leur campagne, furent assassinés à Remoulins, avec des détails qui font frémir l'humanité. Vengeance déplorable, parce que rien ne peut excuser un crime, même à titre de représailles !
 
Nismes, pendant plusieurs jours, fut semblable à une ville prise d'assaut. Indépendamment des Capucins, de la maison Gas et du collège, dont nous avons raconté les désastres, on pilla le couvent des Jacobins. Les religieux, instruits par le malheur des Capucins, avaient fui, mais tout fut détruit dans leur monastère, qui devint inhabitable.
La maison Froment fut non seulement pillée, mais presque démolie ; celle de l'abbé Cabanel eut le même sort ; on n'épargna celle de M. Bragouse, curé de Saint-Paul, que parce qu'elle ne lui appartenait pas, mais on la dévasta (1). Plusieurs maisons de campagne et une foule d'appartements occupés dans le centre de la ville par des catholiques, furent saccagés et dévalisés.
 
(1) Voici dans quels termes on s'exprime au Résumé des procès-verbaux de la municipalité : « Tous les effets, tous les meubles de M. Bragouse, curé de la paroisse Saint-Paul, qui ne purent être volés, sont entièrement fracassés ; ses registres sont mis en lambeaux ; tous les livres d'une bibliothèque Précieuse sont déchirés ou jetés dans le canal de la fontaine ; l'argenterie de M. Bragouse, celle de la paroisse, un ostensoir, une chape de drap d'or, une chasuble précieuse de la valeur de mille écus, et toutes les provisions de cire d'une année pour la paroisse, sont volés. On remarque que les plafonds, la cheminée, les portes, les fenêtres n'ont supporté aucun dégât, aucune détérioration, et l'on ne peut concevoir pourquoi cette maison n'a point été saccagée comme les autres, qu'en se rappelant qu'elle appartient à une protestante, Mme Tansard.
 
Tels ont été les affreux résultats des sanglantes journées connues sous le nom de bagarre, dans lesquelles le parti vainqueur abusa si cruellement de son triomphe, et dont aucun historien n'a tracé un tableau fidèle (1), parce que le gouvernement, entraîné par la marche de la révolution, parut croire à l'existence d'un complot chimérique, et propagea lui-même les versions mensongères que les véritables coupables cherchaient à répandre ; parce qu'enfin les innocents ont été seuls livrés aux poursuites de la justice.
 
(1) Selon Lacretelle, après un détail inexact des combats qui s'étaient livrés, ajoute : « Plus de quatre-vingts catholiques sont massacrés quand il n'y a plus de combat. Parmi eux se trouvaient quelques prêtres auxquels on reprochait leur fanatisme en les égorgeant. Dans les journées les plus funestes de la révolution, on n'avait pas encore compté un si grand nombre de victimes. Qui eut cru, avant la révolution et sous l'empire d'une philosophie qui n'invoquait que l'humanité, que, dans le dix-huitième siècle, il s'exercerait des représailles des massacres commis dans le seizième siècle ? L'assemblée constituante ne vit rien à condamner dans la conduite des vainqueurs, et pendant longtemps on parla encore de faire le procès aux vaincus. Les droits civils leur furent interdits. »
Il est difficile d'entasser plus d'infidélités dans un récit. L'historien réduit à quatre-vingts le nombre des victimes assassinées sans combat, et les écrits du club en signalent deux cents. Il n'y a eu d'autres prêtres égorgés dans les journées du mois de juin, que les Capucins, victimes innocentes et étrangères à tout ce qui se passait. Nous sommes à deviner quelles sont les représailles que les protestants, auteurs, dans le seizième siècle, des massacres de la Michelade et du 15 novembre 1569, épargnés lors de la Saint-Barthélemy en 1572 (où, à Nîmes, il n’y eut aucune victime) avaient à exercer dans le dix-huitième.
 
Une circonstance caractéristique de l'époque prouve que les meneurs, loin de chercher à arrêter les événements du mois de juin, durent réparer comme une crise salutaire sur laquelle ils comptaient. L'assemblée électorale, dirigée par deux commissaires du roi, dont l'un était protestant, et l'autre entièrement dévoué à la secte, présidée par un homme que les suffrages des religionnaires avaient voulu porter à la mairie, n'interrompit point ses travaux. Immobile et impassible devant les combats du 13, elle se borna, dans la séance du 14 , à voter une adresse au roi et à l'assemblée nationale, pour lui rendre compte des événements, adresse dont la rédaction fut confiée à des commissaires désignés par le président.
Bientôt son inaction parut le fatiguer, ou plutôt elle dut en connaître toute la honte ; elle s'empare alors du pouvoir et nomme une commission prise dans son sein, qui, sous le nom de comité militaire et de subsistances, est chargée de pourvoir en effet à la subsistance des troupes qui inondaient la ville, et de faire, conjointement avec les commissaires du roi et les officiers municipaux, tout ce qui pourra contribuer au rétablissement de l'ordre (1).
 
(1) Lorsqu'elle s'empara du pouvoir dans la journée du 14 juin, il restait encore beaucoup de bien à faire. Le couvent des Capucins n'avait point été forcé. Tous les massacres particuliers auraient pu être évités ; mais on ne s'occupa que d'assurer, au contraire, la victoire à un parti. Les commissaires nommés par l'assemblée furent MM. Chabaud-Latour, Combet, Legrand, Du Jonquier, Chanut, Molines , de Gis-sac, Astier et Ribot.
 
Cette mesure prise, elle ne s'occupe plus que de détails indignes d'elle. Elle écoute les déclarations d'un garde national qui vient attester que des coups de fusil sont partis du couvent des Capucins, et les consigne dans son procès-verbal. Un tambour lui rapporte 12 fr. ramassés sous les fenêtres du couvent, et jetés, dit-on, au peuple pour le séduire (1).
 
(1) Le moyen eût été bien trouvé pour arrêter une troupe de pillards et d'assassins ; mais, dans les moments de désordre et de fureur populaire, les fables les plus absurdes sont accréditées.
 
Elle vote gravement des applaudissements en faveur du tambour, et donne les 12 fr. aux pauvres, elle entend un sieur Robin, catholique, que la frayeur emmène dans son enceinte, et qui vient rétracter l’adhésion qu'il avait donnée à la pétition du 20 avril, signée dans l'église des pénitents.
De plus graves intérêts auraient dû occuper rassemblée : le sang des citoyens coulait de tous côtés, le canon grondait à ses portes, et puisqu'elle usurpait l'autorité municipale méconnue, elle aurait dû aussi en assumer et la responsabilité et les devoirs ; elle aurait dû s'élancer au milieu des armes et arrêter le massacre, en usant de l'ascendant incontestable qu'elle avait, et qu'elle seule pouvait avoir sur les volontaires étrangers (1).
 
(1) L'assemblée électorale, composée des citoyens les plus influents de leurs cantons (puisqu'ils avaient été élus par eus), avait et pouvait seule avoir, par l'ascendant personnel de ses membres sur les corps qui arrivaient de toutes parts, le moyen ou d'en arrêter la marche ou d'en diriger l'esprit.
 
Elle sentit, le 15, que sa cruelle immobilité n'était plus excusable, et prit avec emphase une délibération pour se transporter en corps, dès le matin, précédée d'un détachement du régiment de Guienne et d'un drapeau blanc sur l'esplanade, sur le cours, et dans tous les lieux on stationnait l'armée d'occupation, afin de l'engager à s'abstenir de toute effusion de sang. Mais elle se borne à cette stérile démarche de parade (1) ; elle rentre, et le massacre continue, et le club vous dit que le 15 est consacré à la vengeance, et M. de Marguerittes atteste que le 15 et le 16 plus de trois cents personnes périrent, et les assassinats ne s'arrêtèrent que parce que la garde nationale de Montpellier, arrivée le 15 au soir, témoin des excès du lendemain manifesta son indignation et fit connaître l'intention où elle était de faire cesser le désordre.
 
 (1) On frémit d'indignation en lisant, dans le procès-verbal des séances de l'assemblée électorale, que M. le président « a exhorté tous les braves soldats nationaux à continuer leur vigilance, à s'assurer de la personne des séditieux et des coupables, mais à s'abstenir de toute effusion de sang et de toute violence, qui, répugnant sans cesse au cœur humain, le déchireraient plus cruellement après le retour de la tranquillité publique, qui paraît en ce moment combler les vœux des bons citoyens. Ces paroles de modération et de paix, portées de rang en rang, remplissaient l'objet de la démarche de l'assemblée, et devaient lui faire espérer qu'elles atteindraient à leur but. »
Est-ce là le langage de l'homme de bien qui veut rétablir la paix ? Est-ce celui du magistrat courageux qui connaît ses devoirs ?
 
Il est certain que, sans l’heureuse intervention de cette légion, dont on avait cherché à arrêter la marche par les mêmes moyens qui avaient fait rétrograder la garde nationale de Beaucaire, la faux de la mort se serait promenée plus longtemps dans Nismes. Dès le lendemain de son arrivée l'organisation de l'armée fut résolue : il fut arrêté que, sous le prétexte de la récolte, on renverrait tous les habitants des campagnes, qu'il eût été d'ailleurs impossible d'alimenter plus longtemps. Les forces que l'on conserva dans Nismes furent réduites à trois mille hommes d'infanterie et quatre cents hommes de cavalerie. On donna pour général à cette armée M. Aubry, nommé en même temps colonel de la légion nismoise (1), et pour major-général M. de Serre, commandant la garde nationale de Montpellier : M. d'Azémar prit le commandement de la cavalerie, sous le titre de colonel-général.
 
(1) Aubry, capitaine au corps royal d'artillerie, s'était mis à la tête des artilleurs qui attaquèrent la maison Froment. Il remplit dans cette occasion les fonctions d'officier et de simple canonnier ; il dirigea le feu : il méritait une récompense. Le club le fit nommer colonel de la légion nismoise, et général des troupes fédérées ; il lui obtint du ministre de la guerre l'autorisation de remplir ses nouvelles fonctions en conservant son grade dans l'artillerie, et le mit peu de jours après à sa tête, en lui conférant les honneurs de la présidence.
 
Mais on ne put se débarrasser des hordes indisciplinées qui remplissaient la ville, qu'en leur donnant le spectacle d'une revue et d'une fédération à laquelle assista le corps électoral ; et, comme tout devait être contradiction dans ces jours de délire, le serment que l’on fit prêter aux troupes n'est qu'un serment d'amour, de concorde et de respect pour la royauté. Nous devons conserver ce monument bizarre, ce serment prêté par des mains la plupart teintes de sang, si étranger aux lèvres de ceux qui le prononçaient, sitôt oublié quant aux obligations qu'il imposait envers le souverain (1).
 
.(1) « Français patriotes, citoyens vertueux, nous jurons « devant l'Éternel de nous aimer en frères, de ne faire tous qu'une même famille, de nous protéger mutuellement contre les efforts des malveillants que l'erreur aurait mir en place ; de regarder comme mauvais Français et mauvais citoyens tous ceux qui manifesteront par paroles ou par écrit des principes contraires à la nouvelle constitution acceptée ou sanctionnée par le roi, ouvrage célèbre de nos dignes représentants, et que nous promettons de maintenir au péril même de notre vie. Jurons, en outre, de ne jamais donner nos voix pour aucune administration, à tout Français qui persisterait à jeter de la défaveur sur la nouvelle constitution.
Jurons encore de protéger nos propriétés, de payer avec fidélité tous tes impôts établis par la sagesse de nos représentants.
Déclarons traîtres et parjures tous ceux qui osent dire que notre bon roi n'est pas libre , et que le bien inappréciable qu'il fait n'est qu'une suite de la surprise ou de la violence. C'est contre ces traîtres-là que nous promettons de déployer toutes nos forces.
Jurons, enfin d'obéir à nos chefs, de nous retirer paisiblement, et de ne jamais faire usage de nos armes que pour repousser, par la force, ceux qui voudraient tenter de nous ramener sous notre ancienne oppression.
Eternel, souverain des êtres ! toi qui lis dans nos cœurs, vois-y notre amour pour notre bon roi, notre admiration pour ses vertus, et notre profonde reconnaissance pour ses bienfaits. Nous ne chérissons la vie que pour la dévouer à son service, pour coopérer à ses sublimes intentions, et pour la perdre pour lui, s'il le faut, en sauvant sa gloire et son bonheur. Oui ! tels sont nos sentiments inébranlables ; tels sont ceux de tous les Français, amis d'une sage liberté. »
 
Le triomphe complet de la révolution, déjà assuré dans l'assemblée électorale, ne fut plus un instant douteux après ces affreuses journées. Tous les électeurs catholiques, soupçonnés d'aristocratie, prirent la fuite, et fon peut se convaincre par les procès-verbaux, que l'assemblée, qui comptait, le 13 juin au matin, quatre cent trente-cinq électeurs présents, se vit réduite à deux cent cinq le lendemain, et ne put jamais réunir, dans les dernières séances, plus de deux cent quatre-vingt-quinze votants.
Dès le 14 au soir, on avait jugé convenable de faire désarmer toutes les compagnies catholiques, même celles qui n'avaient pris aucune part à l'action. On contraignit la municipalité à requérir tous les capitaines de ces compagnies de déposer leurs armes, et ils obéirent. On fit des perquisitions exactes chez eux, on en fit chez Descombiés, un des capitaines, qui avait payé de sa personne dans les combats du 13 et du 14, et l'on trouva chez lui tous les fusils de sa compagnie, jusques au dernier. Le désarmement s'étendit dans la banlieue, et s'opéra encore par les soins de la municipalité de Nismes. Les prisons regorgèrent de catholiques : il suffisait d'un ordre du colonel de la légion, pour disposer de la liberté des citoyens (1).
 
.(1) M. Vigne fut arrêté sans mandat de justice, et ne fut décrété que plusieurs jours après son emprisonnement.
Un nommé Claude Delon est envoyé au fort avec cette note, signée Aubry : il est certain qu'il sera décrété sous peu de jours. Le malheureux y est oublié pendant six mois : à cette époque on ne trouva pas même contre lui matière à décret et il fut relâché.
 
Le but des protestants fut rempli : ils venaient de conquérir le pouvoir et d'asseoir leur puissance sur les cadavres de ceux avec lesquels ils vivaient en frères deux jours auparavant.
Ils eurent une fausse alarme le 17. Les communes catholiques des bords du Rhône apprirent que leurs coreligionnaires étaient égorgés à Nismes ; elles se réunirent, et déjà s'étaient avancées jusques à Remoulins ; mais, soit qu'elles fussent instruites de l'inutilité du secours tardif qu'elles apportaient, soit qu'on fût parvenu à les tromper sur la cause des troubles, cette troupe se retira : son apparition ne fit qu'augmenter les dangers des officiers municipaux et la rage des vainqueurs (1).
 
(1) On lit dans le Résumé des procès-verbaux : Vers les trois heures de l'après-midi, on bat la générale. Le major de la légion nismoise entre alors avec plusieurs volontaires dans la salle de la maison commune, où sont assemblés les officiers municipaux. Il fait prendre de son pur mouvement les fusils qu'on y a déposés, et, s'adressant à MM. Duroure et Pontier, il leur dit avec fureur : « Je vous préviens, Messieurs, que, s'il y a quelque bagarre, vous serez les premières victimes immolées. » A ces mots il pose deux sentinelles de plus à la porte, et leur donne la consigne de ne pas laisser sortir ces Messieurs.
 
La dispersion de tout ce qu'il y a d'influent dans le parti catholique, le sang qui a coulé, ne contente pas ces derniers. Les formes judiciaires sont bientôt appelées au secours de l'autorité arbitraire. Le procureur du roi, qui avait déjà témoigné tant de partialité dans l'information sur les événements des 2 et 3 mai, reçoit des dénonciations, porte des plaintes, fait entendre des témoins, mais uniquement contre la municipalité et les catholiques. En vain des veuves, des orphelins dont les pères ont été massacrés, s'adressent à lui : ils sont repoussés. Les prisonniers sollicitent plus vainement encore cette justice qui a été si active pour les mettre dans les fers : plusieurs mois s'écoulent, et ils sont livrés à la torture du secret sans pouvoir être écoutés. Les huissiers refusent de signifier des actes de déni de justice ; le seul avocat courageux qui embrasse leur défense, M. Vimont, court vingt fois le danger de perdre la vie : il est obligé lui-même de fuir.
Cependant la municipalité, quoique mutilée reprenait courage ; elle offrait sa démission, mais restait à son poste et on ne put lui arracher aucun acte qui démentît la noblesse de sa conduite (1).
 
(1) Il n'est sorte de vexations que l'on n'ait fait à M. Ferrand, jusques à lui faire saisir ses meubles pour payer les dépenses que les bandes de la Gardounenque avaient faites dans certaines auberges. Nous reviendrons sur cette circonstance.
Nous devons un hommage à la mémoire de cette municipalité courageuse , et c'est ici sans doute le moment de remplir nos obligations ; mais il doit suffire de faire connaître ceux qui la composaient, et de nommer : MM. Murjas ; le baron de La Baulme ; Duroure ; Vincens-Valz ; Razoux ; Ferrand-de-Missol ; Pontier de St-Gervazy ; Gas, négociant ; Gaillard ; Fornier de la Magdelaine ; de Belmond ; chanoine ; de Cabrières ; Grelleau ; Laporte ; Aigon ; Laurent ; Vidal, procureur de la commune ; Boyer-Brun, substitut.
Ceux qui sont resté constamment à leur poste, et que nous voyons figurer dans les délibérations postérieurement à la bagarre sont : MM. Murjas ; le baron de La Baulme ; Duroure ; Ferrand-de-Missol ; Ramona ; Gas ; Gaillard ; Grelleau ; Laporte et Aigon.
M. de Belmond, chanoine, avait vu ses jours si vivement menacés qu'il n'osa reparaître à Nismes après les événements.
Le procureur de la commune, M. Vidal, s'était sauvé au milieu des massacres, en se déguisant sous les habits d'un garde national : il s'était réfugié à Montfrin, où il dressa procès-verbal des dangers qu'il avait courus. Il parait qu'il s'éloigna de Nismes.
M. Boyer fut député à Paris par le parti catholique, pour faire connaître la vérité à l'Assemblée nationale. Il y publia une foule d'écrits, et remplit sa mission avec un courage dont il fut la victime.
Il n'est pas besoin d'ajouter que M. Vincens-Vals ne courut aucun danger, et eut la plus grande influence dans l'administration de la commune.
 
Elle informait et dressait des procès-verbaux ; elle recueillait le nom des victimes ; elle en put bientôt signaler cent cinquante-trois par leurs noms, décrire leurs supplices : un plus grand nombre resta inconnu, la chaux avait dévoré les cadavres. Le parti catholique voulut, de son côté, faire connaître à toute la France les attentats dont il avait été la victime. Les prisonniers élevèrent leurs voix ; la liberté de la presse en donna aux uns et aux autres le moyen, et une foule de brochures, de mémoires, sous divers noms, inondèrent le royaume, mais surtout Nismes et la capitale.
Les protestants cherchèrent séparer entièrement la religion de la querelle qu'ils s'efforcèrent de présenter comme entièrement politique. On rappela les religieux échappés aux massacres ; plusieurs d'entre eux et notamment les Capucins reparurent : l'on mendia inutilement auprès d'eux des certificats pour excuser un crime sans exemple (1). La municipalité, de son côté, reçut leurs déclarations et entendit leurs dépositions : nous sommes assez heureux pour pouvoir en offrir la copie fidèle.
 
(1) On ne put obtenir des Capucins aucun certificat contraire à la vérité ; mais ils rendirent justice à ceux qui les avaient protégés ; ils attestèrent l'hospitalité généreuse qu'ils avaient reçue de Paulhan. Deux d'entre eux, les pères Laval et Bernard, déclarèrent que la compagnie qui s'était présentée le matin pour faire la visite du couvent, s'était comportée avec beaucoup de décence et d'honnêteté.
Ce certificat fut imprimé et répandu avec une note que nous copions littéralement.
« Il résulte bien évidemment de cette pièce que les légionnaires n'avaient aucun mauvais dessein lorsqu'ils entrèrent, pour la première fois, dans le couvent des Capucins, et que ce ne fut que les coups de fusil partis dans l'après-midi du monastère qui provoquèrent la fureur des légions, et furent la cause des malheurs qui s'ensuivirent. »
Il serait plus logicien de dire que, si la visite du matin fut faite avec égard, c'est parce qu'on ne trouva rien qui pût éveiller les soupçons, et que dès lors l'agression de l'après-midi n'eut aucun prétexte.
 
Si la collision eût été purement politique, eût-elle été, aussi sanglante ? Les catholiques qui ne faisaient pas partie des combattants eussent-ils été arrachés de leurs maisons et massacrés ? Aurait-on supprimé et désarmé toutes les compagnies catholiques sans distinction ? Les auxiliaires eussent-ils été tous protestants (1) ? Aurait-on empêché l'arrivée de la garde nationale de Beaucaire ? Aurait-on cherché à retarder la marche de celle de Montpellier ?
 
(1) Le club a répété plusieurs fois dans ses écrits, que de nombreux catholiques se trouvaient dans les rangs des étrangers venus au secours de Nismes. L'énigme s'explique. Voyez ce que nous en avons dit, précédemment du compte-rendu de M. de Marguerittes :
« M. de Marguerittes, dans son Compte-rendu, dit :
« L'inexpérience d'un volontaire étranger fait partir un coup de fusil au milieu des troupes campées à l'esplanade, etc. »
Nous lisons dans le Résumé des procès-verbaux de la commune :
« Sous le faux prétexte qu'on a tiré quelque coup de fusil du couvent de ces religieux sur des volontaires campés à l'esplanade, etc. »
Quand nous avons avancé que les coups de fusil étaient partis dans la direction du Luxembourg, nous avons pour garants la déclaration de plusieurs des religieux échappés au massacre, qui ont été entendus comme témoins devant MM. Ferrand et Razoux, et surtout l'attestation verbale que nous a donnée à nous-mêmes un des cénobites, dont nous avons déjà signalé l'existence.
S'il nous est permis de donner notre opinion, d'expliquer la mort de M. Massip, et de faire concorder le récit de M. de Marguerittes avec la déposition des religieux, nous dirons que des malveillants, postés autour du Luxembourg ou dans l'angle de la rue Notre-Dame, tirèrent sur le rassemblement placé à l'esplanade plusieurs coups de feu qui n'atteignirent personne, et n'avaient d'autre but que d'exciter un mouvement; que ces coups de feu mirent l'épouvante dans la troupe, et que, dans le désordre qui en fut la suite, la maladresse d'an légionnaire donna la mort à Massip. »
 
Cependant, douze cents familles fuyaient loin de Nismes ; leurs cris retentissaient dans les contrées voisines, et il se formait à Jalès un camp fédératif des communes catholiques, qui, imitant dans un autre but l'exemple qu'on lui avait donné, créa un comité permanent, chargé de faire cesser l'oppression de ses coreligionnaires de Nismes, et de solliciter auprès de l'Assemblée nationale la justice qu'ils avaient droit d'attendre (1).
 
(1) Tous les faits ont été dénaturés : le rassemblement de Jalès, que l’on a voulu faire considérer comme un rassemblement séditieux qui avait arboré la bannière de la révolte, n'était qu'une réunion des gardes nationales des contrées catholiques du Vivarais, qui, imitant l'exemple des protestants du Bas-Languedoc, se fédéraient par députations, se donnaient des chefs, et nommaient des commissaires chargés de faire valoir les réclamations du camp en faveur des catholiques de Nismes.
Il ne faut pas confondre cette première réunion avec les levées de bouclier de Charrier et de Saillan, dont nous aurons occasion de parler.
 
C'est alors que l'on s'efforça d'égarer de plus en plus l'opinion sur la nature de la querelle, et que l'on commença cependant à parler de réconciliation et d'amnistie.
Il parut, à la date du 4 juillet, sous le titre Adresse aux Nismois, un écrit qui prêchait la concorde (1) : les opprimés l'ont constamment désavoué. Le directoire du département tint bientôt le même langage (2). Les catholiques, au contraire, ne cessaient de réclamer justice mais, ils demandaient d'être jugés par des magistrats moins partiaux que ceux de Nismes (3).
 
(1) Elle fut imprimée : l’affectation que l'on y met à citer les textes des saintes Écritures, et la touche de l'écrit, ne permettent pas de méconnaître son origine.
(2) Adresse à l'Assemblée nationale, du 3 septembre 1790, imprimée et répandue avec profusion.
(3) Les principaux accusés n'ont jamais tenu d'autre langage. M. Folacher, dans une adresse à l'assemblée nationale pour réclamer justice, disait : « Pour moi, à qui, l'honneur est plus cher que la vie, je proteste de nouveau que je n'accepterai jamais d'amnistie, et que je poursuivrai jusqu'à mon dernier soupir les réparations que j'ai droit de prétendre. Malheur à ceux qui ont intérêt à cacher la vérité, si, en me justifiant, je puis contribuer à la faire paraître dans tout son éclat ! »
M. de Marguerittes, en terminant son discours devant l'assemblée nationale, a demandé « amnistie pour tous à l'exception de la municipalité et de lui », dont il a réclamé la mise en jugement.
 
L'Assemblée nationale fut trompée sur les évènements, ou plutôt voulut les faire tourner au profit de la révolution. Il est impossible de douter de son erreur ou de sa partialité, lorsque l'on voit son président, son organe, écrire, le 6 juillet, à M. Vigier pour le féliciter sur la conduite ferme et courageuse de l'assemblée qu'il avait présidée, de cette assemblée, témoin insensible et partial des massacres, quand un rôle si beau, si humain, se présentait à elle.
De part et d'autre cependant on avait eu recours à l'autorité des représentants du peuple souverain ; mais le rapport de cette affaire fut retardé jusques au 19 février 1791, et les débats se prolongèrent jusques à la fin du mois. Pendant tout ce temps, le club régna à Nîmes en maître absolu ; les vexations continuèrent ; les prisons restèrent encombrées : le parti de la révolution triomphait d'ailleurs avec trop de force à Paris, pour que justice pût être rendue. Les protestants étaient servis à l'assemblée par Rabaud-Saint-Étienne et Barnave. Ils furent protégés aux débats non seulement par ces derniers, mais par Lavie, Merlin et Pétion. La défense de M. de Marguerittes avait fait cependant la plus vive impression : le rapporteur, M. Alquier, qui avait rédigé un projet de décret insultant pour la municipalité, reconnaissait son erreur et consentait à la suppression des motifs qu'il avait donnés ; mais on sut paralyser habilement l'effet du discours de M. de Marguerittes en prolongeant la discussion. Des faits avoués dans une première séance furent déniés peu de jours après ; la discussion fut fermée quand les principaux orateurs du côté droit voulurent prendre la parole ; cette partie de l'assemblée, indignée, déserta en corps la séance : on profita de son absence pour aggraver par des amendements le sort des vaincus, et l'assemblée ajouta à la rigueur des conclusions de son rapporteur (1).
 
(1) M. de Marguerittes, qui dut prévoir le résultat de la discussion, changeant les conclusions de son discours, tel qu'il a été imprimé, instruit d'ailleurs que les vexations continuaient à Nismes, et qu'il aurait fallu, aux membres de la municipalité en fonctions, un courage plus qu'humain pour résister aux outrages dont ils étaient tous les jours abreuvés, offrit sa démission et celle de ses collègues ; mais le parti vainqueur ne s'en contenta pas.
M. l'évêque de Nismes, dans son opinion sur les événements du mois de juin, opinion qu'il fit imprimer, demandait une amnistie générale du passé, une organisation nouvelle de la garde nationale, et des éloges pour M. de Marguerittes et la municipalité. Ce prélat écoutait le cri de la justice sans calculer les obstacles qu'il devait rencontrer dans les passions tumultueuses qui agitaient l'assemblée.
M. de Clermont-Tonnerre adopta les conclusions de M. de Marguerittes : amnistie générale, justice pour les officiers municipaux.
M. Cazalès pensait qu'il fallait laisser un libre cours à l'action de la justice ; que c'était le seul moyen de faire taire les ressentiments particuliers ; il voulait que les deux partis fussent poursuivis devant un tribunal impartial : ce n'eût pas été le compte des vainqueurs.
M.Barnave le sentit. Il prétendit que, s'il fallait poursuivre tous les coupables, le nombre en dépasserait vingt mille, et que ce serait une véritable guerre civile sous des formes judiciaires ; il soutint que la municipalité devait être destituée, alléguant faussement qu'elle avait favorisé le port de la cocarde blanche et la fabrication d'armes dangereuses. Il combattit jusques à l'opinion du rapporteur, qui consentait à la suppression du préambule du décret.
M. Garat l'aîné voulut prendre la parole, et ne fut pas écouté. On refusa d'entendre la réplique de M. de Marguerittes, malgré les réclamations de M. Madier de Montjau, qui voulait que l'accusé eût toute latitude pour se justifier. La discussion fut fermée : le côté droit indigné quitta l'assemblée, et deux amendements proposés par MM. Lavie et Pétion, en termes injurieux pour la municipalité, furent applaudis et adoptés.
Nous devons dire et nous pensons que les événements d'Uzès, qui eurent lieu le 12 février 1791, et dont les récits défigurés parvinrent à l'assemblée nationale pendant que l'on discutait l'affaire de Nismes, durent influer sur la décision de cette dernière.
 
La municipalité fut destituée : une nouvelle élection fut ordonnée, sans qu'aucun des membres destitués ne pût être réélu. Les procédures commencées furent renvoyées devant le tribunal d'Arles, mais avec mandat de n'informer que contre ceux qui, le dimanche 13 juin, avaient donné l'ordre de tirer sur les officiers municipaux et d'enlever le drapeau rouge. Ainsi, les catholiques seuls demeurèrent exposés aux poursuites. La vindicte publique n'eut point à s'occuper de l'assassinat de plus de trois cents compatriotes; leurs meurtriers furent honorés, qualifiés du nom de vrais citoyens, et aucun des maux soufferts par les innocents ne fut réparé.

-oOo-

> Version imprimable PDF


La Révolution à Nîmes, suite d'articles.
> La révolution à Nîmes   Les massacres de juin 1790, la religion, le tribunal révolutionnaire, la guillotine et la Terreur


> Contact webmaster