Tribunal criminel de Nîmes
de
1793 à 1795
extrait de « La Justice Révolutionnaire » page 363 à 378
par Berriat Saint Prix, 1870.
D’après des documents originaux, la plupart
inédits.
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Le tribunal à l'époque révolutionnaire, face aux Arènes
Établi dans une contrée limitrophe, dans une ville d'une
population égale, le tribunal criminel de Nîmes l'emporta, et de beaucoup, sur
celui de Montpellier, par le nombre des condamnations capitales : cent
trente-cinq au lieu de trente-deux ; et il y eut des fournées qui approchèrent
de celles de Fouquier-Tinville.
La première audience est du 13 mai 1793. Un jugement, à
cette date, ordonne « qu'un des deux placards affichés dans Nîmes et portant :
« Vive le roi Louis XVII Mort aux 745 tyrans ! » sera lacéré et
brillé sur la place publique par les mains de l'exécuteur des arrêts criminels.
»
Le 27 mai, le tribunal appliquait la loi humaine du 3
septembre 1792, sur l'abolition ou la commutation des peines appliquées avant
le Code pénal de 1791. Une veuve Durand obtenait la conversion, en 8 années de
réclusion, finissant en juillet 1794, de la détention à vie à l'hôpital de la
Grave, à Toulouse, prononcée contre elle, pour vol, par le Parlement de cette
ville. De semblables décisions n'étaient pas rares ; j'en ai vu plusieurs dans
d'autres tribunaux de la Révolution.
A la fin de mai commencèrent les affaires d'opposition au
recrutement et de provocation au rétablissement de la royauté. Le tribunal,
siégeant sans jury, prononça plusieurs acquittements. Il se montrait juste; il
n'avait pas encore rendu de jugements emportant la mort ; les affaires lui
manquaient et son président était un Guizot.
Les tribunaux voisins, ceux de la Lozère, de l'Ardèche, de
Vaucluse, étaient plus occupés ; et, entre tous, ils n'avaient qu'une seule
guillotine, celle du Gard ! Ce dénuement fâcheux se prolongea durant plusieurs
mois. On a des lettres des citoyens Dalzan accusateur public, à Mende ;
Barjavel, accusateur à Avignon ; Marcou, accusateur à Privas, qui, tour à tour,
réclament, avec insistance, la guillotine et l'exécuteur de Nîmes. « Les
besoins sont toujours « bien pressants, » écrivait de Villeneuve de Berg,
dans l'Ardèche, le commissaire national
Delière.
Cependant le gouvernement étant devenu révolutionnaire, le
représentant Rovère trouva qu'il était à propos de renouveler le personnel du
tribunal du Gard : c'est ce qu'il fit, par un arrêté du 15 frimaire ; ce
tribunal fut ainsi composé :
- Eynard, de l'Isère,
président;
- Augustin Bertrand, du
Gard, accusateur public ;
- Million, greffier
Les trois juges étaient,
tous les trimestres, pris dans les tribunaux de district.
Ainsi reconstitué, le tribunal, en six semaines, condamna
trois personnes à mort : le 2 nivôse, Pierre Dumas, maître de danse ; le
lendemain de l'exécution, son cadavre était encore sur l'Esplanade ; deux
officiers municipaux durent, à ce sujet, écrire à l'accusateur public ; le 6
nivôse, Fabre, cultivateur ; le 16 pluviôse, le prêtre Decroy.
Le 19, un citoyen Périllier, accusé de fédéralisme, était en
jugement, et son acquittement paraissait probable ; l’accusateur Bertrand fit
une démonstration héroïque; il se leva et dit :
Citoyens juges, le
jugement que vous allez rendre m'est connu par vos opinions. Ma surprise égale
mon indignation ; je sais le respect que chaque individu doit porter aux
jugements du tribunal ; je sais l'impression que fait à l'humanité toute la
sévérité qui est inséparable de mon caractère, mais je sais aussi toute la
latitude de mon devoir... Je ne dois pas taire que la clémence qui peut avoir
seule enfanté votre décision, est capable d'assassiner ma patrie. Je demande
donc, au nom de son salut, la suspension de votre jugement; qu'il en soit
référé au représentant du peuple, attendu que je vois dans votre décision la
violation la plus manifeste de la loi. Au surplus, je demande qu'il me soit
donné acte de mon dire.
Le tribunal donna acte et acquitta Périllier, ordonnant sa
détention comme suspect jusqu'à la paix. Bertrand rédigea un long mémoire,
ayant pour objet le renvoi de l'affaire devant le tribunal de Paris. Il paraît
qu'il n'y fut pas donné suite ; Périllier resta dans les prisons et, plus tard,
fut rendu à la liberté.
A Marseille, nous verrons bientôt que, le 3 pluviôse,
Maillet et Giraud, du tribunal révolutionnaire, étaient envoyés à Paris, à
Fouquier-Tinville, pour n'avoir pas assez condamné à mort ; cet acte énergique
ne fut peut-être pas étranger aux démonstrations de Bertrand, à Nîmes.
Le tribunal d'Eynard ne pouvait pas subsister. Par des
arrêtés des 8 ventôse et 13 germinal, le représentant Borie « procéda à son
épuration. »
Considérant, dit-il, que le tribunal criminel actuel du Gard
est en même temps chargé de juger révolutionnairement les crimes d'État et que,
d'après les renseignements pris à la Société populaire du Gard, aucun des
juges, qui le composent actuellement, n'a assez de force de caractère pour un
tribunal révolutionnaire; que leur faiblesse pourrait compromettre les grands
intérêts de la République, dans les circonstances actuelles ; arrête que le tribunal criminel du Gard actuel qui est, en
même temps, le tribunal révolutionnaire, demeurera composé de :
- Pallejay, de Rochefort
(beau frère du maire Courbis) ; président ;
- Beaumet, juge à Beaucaire,
vice-président;
- Giret, juge à Nîmes,
Juge ;
- Boudon, électeur, juge ;
- Pélissier, ouvrier en
soie, juge suppléant ;
- Augustin Bertrand, accusateur
public ; conservé
- Million, greffier ; conservés.
Parmi les juges, choisis, d'abord, par Borie, se trouvaient
Méyère et Fauvety, alors jurés au tribunal révolutionnaire de Paris ; ils
déclinèrent l'honneur qu'il leur était fait.
On a de Fauvety, à ce sujet, la lettre suivante :
Paris, 25 ventôse, l'an II, etc.
Fauvety, juré au tribunal révolutionnaire de Paris, à
l'accusateur public du Gard :
Citoyen,
J'ai reçu ta lettre du 14
du courant, ensemble l'arrêté du représentant du peuple; je ne puis qu'être
flatté de la confiance dont il vient de m'honorer, et mes efforts tendront à la
justifier. Nommé par la Convention nationale elle-même, sur la présentation des
comités de salut public et de sûreté générale réunis, aux fonctions que je
remplis du mieux' qu'il m'est possible, depuis environ 6 mois, il ne m'était
sans doute pas permis de quitter mon poste au tribunal de Paris, pour me rendre
à Nîmes, sans prévenir la Convention par l'intermédiaire de ses deux Comités.
Je leur ay donc communiqué
et ta lettre et l'arrêté du représentant du peuple; j'ay demandé ce qu'il
fallait que je fisse ; j'ay dit que je n'avais aucune volonté, si ce n'est de
travailler constamment au bien public.
Les comités délibéreront
sans doute, sur ma demande, et ce ne sera qu'alors qu'il me sera permis de
t'apprendre si je puis profiter de cette occasion pour revoir mes pénates et
travailler avec mes compatriotes à la destruction de la malveillance.
Je te prie de communiquer
ma lettre au représentant Borie, etc.
Signé : Fauvety.
Le 30 ventôse, les membres du comité de sûreté générale
écrivaient à Fauvety :
Que, dans les
circonstances présentes, le moindre changement qu'éprouverait, dans sa
composition, le tribunal révolutionnaire de Paris pourrait être
très-préjudiciable à la chose publique; que cette vérité ne pouvait rendre
douteux le parti auquel Fauvety devait céder; et qu'il penserait, à son tour,
qu'il n'était pas possible qu'il quittât son poste pour occuper celui auquel il
était appelé à Nîmes.
Le 2 germinal, Fauvety envoyait cette réponse à Bertrand et
lui exprimait ses regrets.
En effet, Fauvety était l'un des jurés solides de
Fouquier-Tinville; on le conserva au tribunal de Paris jusqu'au moment où
Robespierre le choisit pour aller présider la commission populaire d'Orange;
nous l'y retrouverons plus loin.
Le tribunal de Nîmes était saisi par un acte d'accusation,
dans le style du temps, et le jugement ne se faisait pas attendre; il était
rendu ordinairement le surlendemain de l'acte, quelquefois le jour même ; c'est
ce qui arriva aux prêtres Pèlerin et Bruno, condamnés le 1er germinal et le 6
messidor.
Les juges opinaient à haute voix ; les témoins à décharge
étaient rares ; la terreur paralysait la défense ; les jugements, rendus sans
jury, sans recours en cassation, s'exécutaient dans les 24 heures, même dans la
journée ; l'échafaud, en permanence, était sur l'Esplanade, en face du palais
de justice, à côté de l'arbre de la liberté.
Sous le président Eynard les accusés avaient été assistés
d'un conseil : d'abord de Me Dupin père (plus tard, conseiller à la cour
impériale), qui était avocat des pauvres; il eut pour suppléant M.
Guizot-Ginhoux ; poursuivi, par les jacobins et par Bertrand, obligé de fuir,
M. Guizot n'entra pas en fonctions.
L'accusateur public recevait le tribut des comités
révolutionnaires, des municipalités du pays, composés, comme par tout, des
sans-culottes les plus violents et les moins éclairés; les sentiments et
l'instruction de ces autorités se révèlent dans les deux pièces suivantes :
Le comité de surveillance
de la commune de Combas, réuny dans le lieu de leurs séance ordinaire, a
unanimement délibéré qu'il serait fait une dénonce contre le nommé Freuguière,
curé, et Marie sa servante vu la mauvaise conduite de tous deux.
1° Le dit Freuguière curé
n'a pas voulu prêter le serment civique, le quatorze juillet 1791 ;
2°' Ils n'a pas voulu
représenter le jour de la plantation de l’arbre de la liberté ; malgré une
députation de la garde nationale ;
3° Ils a fallu lé ménacher
pour luy faire porter la cocarde nationale ;
4° Ils a fait observer à
ses paroissiens fanatisoient la fete si devant apelés les Roys;
5° Ils na pas craint de
cétenir cachés toute la journée dans son répaire, lé jours que les braves
sanculottes célébrée la fette de la victoire de Toulon, et Marie sa servante
pour avoir dit que la fette de la victoire été la fette du diable ; d'après la
dénonce faite par Seuson... habitante de la même commune.
(suivent sept signatures.)
On recherche le vicaire Desnoves, en vertu d'un mandat
d'arrêt ; procès-verbal, à ce sujet, de la municipalité du lieu :
Nous, officié municipal de
la comine d'Est-Martin-de-Valgualgues, sertifions qu'il a parut un muresat de
logi et trois juindarmes dans sete comine périr un servye estraordine ; nous
avon peyet letape, conformément à la loi et l’ezcution de la mision que ledi
ordre porté de la dite persone, le dit jean dermes ont fa reserse et
perquisietion san avoir peu le découvrir. La reson e que le diviquere de sete
comune nai pointa paru depui environ hui jours.
Fait à Saint Martein de
Valgalgues, le 27 octobre 1793, l'an II, etc. Suit la signature.
Voici maintenant une lettre d'un juge de paix sans-culotte,
à l'accusateur public :
Ce 7 thermidor an II. (25
juillet 1794)
Reçois, mon ami Bertrand,
le denier de la veuve ; malgré mes occupations, j'ai sorti aujourd'huy et j'ai
tué deux cailles et un cocu, dont je t'envoye, comme les prémices de la chasse
que j'ay fait cet été ; en attendant que je te fasse passer quelques perdreaux,
ne crois pas au moins que ce soit à titre d'obligation. C'est seulement à titre
d'amitié et de frère Sans-Culotes.
Je te fais passer aussi
deux déclarations de témoins à la charge du scélérat M... fils aîné ; délivre
la République de cet ennemi déclaré ; je t'en conjure au nom de tous mes frères
Sans-Culotes de S... , qui béniront le jour
que ce monstre sera
guillotiné. M..., le traitre, doit être aussi son compagnon de voyage...
Cathalan de Ledenon a sùrement aussi de quoy faire honneur à la sainte
guillotine ; tout ce que j'ai à te prier, c'est que lorsque tu fairas juger ces
antropophages, de faire assigner tous les membres du Comité de S... Mais au
moins que ce ne soit pas long, je t'en prie... Adieu, je suis toujours ton
frère Sans-Culotes. (Suit la signature.)
Les deux hommes essentiels de la justice révolutionnaire du
Gard étaient, en dehors du tribunal, le maire Courbis, et, dans le tribunal, le
juge Giret.
Ancien procureur au présidial de Nîmes, Courbis, surnommé « le
Marat du Midi, » devint, en septembre 1793, maire de cette ville. Pendant
son administration, ses propres acolytes l'accusèrent de despotisme et de
malversation. Il fut destitué et mis en arrestation par le représentant Boisset
; puis relâché, le 9 pluviôse an II (28/01/1794), par Borie. Les jacobins de
Mmes, représentés par Giret et Moulin, le soutinrent devant la Convention, où,
le 21 ventôse an II (11/03/1794), sur le rapport de Voulland, prodigue d'éloges
envers Courbis, celui-ci fut réintégré dans ses fonctions et ses deux
dénonciateurs mis en état d'arrestation.
Dès ce moment, dans le Gard, à Nîmes, surtout, la Terreur
fut à l'ordre du jour. Courbis, victorieux, le cœur ulcéré donna un libre cours
à l'exaltation de ses idées politiques, à ses rancunes, à ses vengeances.
Intelligent, habitué aux affaires, d'un caractère sombre, énergique, il dicta
des ordres et agit en maitre. Il dominait la municipalité, le comité
révolutionnaire, le club, le district et le tribunal criminel. A Nîmes, le
représentant Borie ; à Paris, le député Voulland ; Meyère, Fauvety, Subleyras,
du tribunal révolutionnaire, le soutenaient de leur autorité.
Les listes de proscription étaient, en général, dressées
chez Courbis. Les juges, avant l'audience, se rendaient chez lui. Sa maison
était située à côté du palais de justice ; des fenêtres s'ouvraient sur
l'esplanade, où se faisaient les exécutions, auxquelles assistaient parfois
ainsi ses complices et ses convives. « Voyons, disaient-ils, si la tête d'un
tel sautera bien ! »
Courbis conduisit des farandoles autour de l'échafaud, en
compagnie de Borie, Giret, Moulin, etc., et de filles de joie.
Nul ne fut plus redouté ni plus adulé que Courbis. Cet homme
était l'un des principaux pourvoyeurs du tribunal ; on trouva, dans ses
papiers, des listes contenant les noms de 300 citoyens de Nîmes, par ordre de
sections, avec les noms des rues et les numéros des maisons ; ces listes
étaient, rédigées par des commissaires.
Les citoyens y étaient classés par catégories : Aristocrates
; Fanatiques ; Feuillants ; Fédéralistes ; Contre-révolutionnaires ; Égoïstes ; Modérés
; avec l'indication de leur fortune : à son aise, riche; très-riche;
l'orthographe indiquait l'instruction des commissaires de Courbis qui
écrivaient : insousien, écoiste, comisère, lan segon de la République unne
et indivigible, première clasce, etc.
L'autre personnage essentiel était le juge Giret, prêtre
défroqué, secrétaire du club, et marié. Intelligent, passionné, énergique, il
fonctionna pendant toute la durée du tribunal révolutionnaire ; son vote fut
impitoyable ; il dictait ses volontés au président et à l'accusateur public ;
parfois il insultait les témoins et les accusés.
On a des notes, de sa main, sur nombre de suspects de la
ville d'Alais
Giret avait aussi ses auxiliaires ; entr’autres le citoyen
Pélissier, faiseur de bas, et que fera connaître la lettre suivante, adressée
à. Borie, pour lui exprimer son refus des fonctions de juge :
Citoyen représentant,
d'apprès la connaissance que j’ay eut de la démission de Fovetty et Meillère
des fonctions de juge au tribunal révolutionnaire du département du Gard, que
tu at organises par un de les aretées, les fonctions de juge me viendroit de
droit ; mais comme je t'ai témogné dans plusieurs circonstances de nommé un
juge a ma place et me laisser a la place de suppléant tu obligeras un républiquain.
Salut et fraternité.
L. PÉLISSIER.
Ainsi composé et assisté, le tribunal de Pallejay, du 1er
germinal au 14 thermidor, tint trente séances et condamna 132 personnes à mort
.
Du 9 floréal au 5 prairial, ses opérations furent suspendues
par suite du décret du 27 germinal, qui attribuait au tribunal de Paris le
jugement des conspirateurs de tous les points de la République ; un arrêté du Comité de salut public, du
26 floréal, ordonna que le tribunal de Nîmes, avec les mêmes membres,
reprendrait ses fonctions ; ce qui eut lieu avec un redoublement d'ardeur.
Le tribunal ne quitta pas Nîmes, heureusement pour les
détenus des autres villes du Gard, notamment ceux du Vigan, où Borie avait
autorisé son transport, et d'Uzès-la-Montagne. Dès le 27 prairial, le district
de cette dernière ville réclamait énergiquement la présence du tribunal, « afin
que la tête des conspirateurs tombât au lieu même où ils tramaient des complots
pour assassiner la patrie. » Le tribunal annonça son arrivée pour le 1er
fructidor ; le 9 thermidor le retint à Nîmes.
Comme à Bordeaux, la sainte guillotine avait dû être réparée
; l'accusateur public avait reçu de l'exécuteur l'épître suivante :
Citoyen Bertrand,
accusateur publy, je vous demande en grace de faire venir le menuzier sur
lechafau pour visiter la guilotine, elle ne pas en règle, pour voir dou vien
cet défau quil reste que la tette et coupé, et la tete reste atachée à un
mouseau de bois et cella ne pas de ma faute parce que je fait toute mes
attentiont posyble.
Je vous prie, citoyen,
quauparaven de me maittre en ouvrage, d'avoir la bonté de me faire aranger sel
défaut et le tranchant a bezoint d'ettre afillet et donc vous la paine de me
doner un ordre que le coutelier à qui je la porteray ne set refuge pas de me
lafiler, le menuzier set refuge dit monter, moy y étant présant. Cependant il
et a propos que git soy presant pour lui faire conetre le defau.
Sy vous voules, me
permetre de vous dire mes raizont à vous même je m'expliquerés encore mieux.
Comme à Angers et ailleurs, les louanges, les félicitations
officielles ne manquèrent pas au tribunal de Nîmes. Le Directoire du
département écrivait à l'accusateur public, le 23 messidor :
Nous avons reçu les
jugements des 6 et 15 messidor, rendus par le tribunal révolutionnaire du Gard
; tous les vrais amis de la République applaudissent à vos glorieux travaux.
Continue, de concert avec tes collègues, à purger le sol de la liberté des
scélérats qui l'infestent, et la reconnaissance nationale et les bénédictions
du peuple vous attendent au bout de votre carrière révolutionnaire.
Salut et fraternité.
Et le 9 thermidor de l’an II (27/07/1794) (jour de la chute de Robespierre) :
Le directoire du
département a reçu les cinq exemplaires que tu lui as adressés, relatifs aux
jugements rendus par le tribunal révolutionnaire du Gard (du 18 au 29
messidor). Le directoire voit avec plaisir les ennemis du peuple tomber sous la
hache de la loi. Enfin, grâce à l'énergie d'un tribunal aussi juste que
terrible, la terre de la liberté purgée des scélérats qui l'infectent, ne
renfermera désormais que d'anciens amis de la vertu et de la République, une,
indivisible et démocratique.
Salut et fraternité.
Le 29 messidor an II (17/07/1794) et le 1er thermidor (le
moment de la délivrance approchait) furent les jours les plus néfastes ; 48
victimes en deux fournées ; Autard père et 30 autres, la plupart de Beaucaire,
tous condamnés ; Arnaud et 19 autres, de Nîmes : dix-sept condamnés.
L'affaire Autard se rattachait à des événements dont la
Convention s'était occupée. Le ler avril 1793, à Beaucaire, les jacobins,
grossis de ceux de communes voisines, avaient attaqué le corps municipal et la
garde nationale, laquelle avait dû faire feu. Ils avaient eu des morts et des
blessés. Le 6 juillet, sur le rapport de Jullien (de Toulouse), l'Assemblée
décréta d'accusation treize Beaucairois et ordonna une enquête. Mais, le 12
frimaire suivant, le décret du 6 juillet fut suspendu, sur le rapport de
Poultier, qui déclara que la Convention avait été trompée par des « pièces
falsifiées et de faux témoignages. » Après un tel décret, on n'osa plus mettre
en avant l'affaire du 1er avril. Mais les jacobins de Beaucaire, étant devenus
les maîtres, envoyèrent Autard père et ses 30 prétendus complices, à Nîmes,
pour « complots et conspiration tendant à. renverser la Convention
nationale, à troubler l'État par une guerre civile, » etc..
Je n'oublie pas, cependant, un louable décret de la
Convention, appliqué deux fois par le tribunal. D'après ce décret, du 19
brumaire an II, les enfants, dont les père et mère avaient subi un jugement
emportant la confiscation de leurs biens, devaient être reçus et élevés dans
les hospices destinés aux enfants abandonnés. Les personnes qui élevaient chez
elles de ces enfants avaient droit à l'indemnité accordée par un décret du 19
août 1793.
Le 24 germinal, le tribunal, ayant condamné à mort et à la
confiscation des biens, Massabiau et six autres accusés, ordonna, en exécution
de la loi du 19 brumaire, que leurs enfants seraient reçus et élevés dans les
hospices. Le 5 prairial suivant, semblable décision pour les enfants, « s'ils
en ont, de Balmelle et Tortilia , » condamnés aux mêmes peines.
Le 14 thermidor, 5 condamnations capitales : cinq
propriétaires de Pont-Saint-Esprit ; ce sont les dernières ; la nouvelle de la
chute de Robespierre était en chemin. Un arrêté du Comité de salut public, du
13 thermidor, envoyé par un courrier extraordinaire, défendit l'exécution des
jugements rendus.
Après, le tribunal siégea, révolutionnairement, deux ou trois
fois encore, mais ne prononça que des acquittements. Il y en avait eu, avant
thermidor, seulement une quarantaine contre 135 condamnations à mort.
Le Couvent des Capucins, emplacement église Ste Perpétue et Atria
La chute de Robespierre sauva la
vie, dans le Gard, à une masse de détenus. A Nîmes, la citadelle, le palais, le
couvent des capucins, en renfermaient près de 800. Dans la nuit du 28 prairial
, on avait arrêté 152 personnes. A Uzès il y avait environ 350 détenus ; à
Beaucaire, plus de 200.
Après le 9 thermidor, le représentant Perrin fit mettre en
liberté un nombre considérable de religieuses et de prêtres. Son prédécesseur
Borie, de son propre aveu, avait, de Mende, envoyé 71 prêtres, en réclusion, à
Nîmes.
A Nîmes, Bertrand avait songé à la sépulture de nouvelles
victimes. Au cimetière du Jeu de mail, une fosse était commencée, par ses
ordres, de dimension à recevoir 45 cadavres ; la nouvelle du 9 thermidor fit
cesser le travail.
Cependant le tribunal voyait se former l'orage ; ses membres
essayèrent de le conjurer. Ils accusèrent réception au Comité de salut public,
de son arrêté de défense, du 13 thermidor, dans une lettre qui se termine ainsi
:
Les membres composant ce tribunal applaudissent aux mesures
sages et rigoureuses qu'a prises la Convention nationale à l'égard du nouveau
dictateur et de ses infâmes complices. Ils déclarent vouloir rester
inviolablement attachés à la représentation nationale.
Le 19 thermidor, Giret et Boudon étaient au club ; ils
demandèrent la parole qui leur fut, à plusieurs reprises, refusée; Boudon,
désespérant de se faire entendre, s'écria :
Giret, il est temps, et,
tirant un pistolet de sa poche, il ajouta : je meurs pour ma patrie, et
il se fit sauter la cervelle. Giret ne l'imita point, quoique armé de même.
Dans la nuit suivante, le district de Nîmes fit arrêter
plusieurs robespierristes, parmi lesquels le maire Courbis ; Pallejay ,
président ; Giret et Beaumet , juges; Pélissier, suppléant ; Bertrand ,
accusateur public ; Bertrand , des Grignons ; Allien, gardien de la prison des
Capucins; Moulin, un des séides de Courbis, Nogaret, ex-prêtre, membre actif du
Comité révolutionnaire. Il fallut doubler l'escorte qui les conduisait aux
prisons, de crainte que le peuple ne se fît justice.
La plupart eurent une fin tragique et affreuse.
On trouva, quelque temps après, Giret pendu dans son cachot,
à la citadelle.
Plus de neuf mois s'étaient écoulés sans décision annonçant
la mise en jugement de ces terroristes, lorsque, le 6 prairial an III
(25/05/1795), la Convention décréta le renvoi, devant le tribunal criminel de
Vaucluse, des membres de la ci-devant commission d'Orange.
Courbis, Allien et Moulin furent, le 10 prairial, massacrés
dans la citadelle de Nîmes, par des furieux armés d'outils aratoires et qui en
forcèrent les portes ; la mort de Courbis fut attribuée à un jeune homme dont
le père était monté sur l'échafaud.
Le 19 prairial, Beaumet, les deux Bertrand et Nogaret,
transférés de la prison du palais à la citadelle, furent massacrés sur la
promenade du Grand-Cours.
Voilà sept meurtres de la réaction, à Nîmes ; quant à ceux
de l'action, combien y en avait-il eu, à ne prendre que les tournées des 29
messidor et 1er thermidor ? Sur cinquante-un accusés, quarante-huit envoyés à
l'échafaud, en deux séances, par Pallejay, Giret et Beaumet; on peut se
demander si ces juges, soi-disant, n'avaient pas, et de sang-froid, commis bien
plus de meurtres que les furieux de prairial an III.
A la fin de messidor, Pallejay et Pélissier, avec onze
autres accusés, parurent devant le tribunal qui, après thermidor, avait été
reconstitué et complété d'un jury. Là, ils reçurent de la réaction, toutes les
garanties que l’action avait refusée à ses victimes; au lieu d'une seule
séance, les débats en occupèrent vingt ; on entendit leurs témoins et leurs
défenseurs. Déclarés coupables, par le jury, « d'assassinats judiciaires, »
Pallejay et Pélissier furent condamnés à mort ; quatre autres à la déportation
ou aux fers ; sept furent acquittés.
A la suite d'un pourvoi en cassation, les condamnés furent
renvoyés devant le tribunal criminel de l'Isère; il est probable que le décret
d'amnistie de brumaire an IV, amena leur mise en liberté.
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TRIBUNAUX CRIMINELS A NÎMES
1793, 1794, 1795
PENDANT LA TERREUR ET APRÈS
Extrait de « Pièces et Documents Officiels pour servir à
l’Histoire de la Terreur à Nîmes », 1867, pages 43 à 68.
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Le cinq décembre 1793, Rovère, représentant
du peuple, rendit l'arrêté suivant :
Au nom de la Nation française, Rovère,
représentant du peuple dans les
départements méridionaux de la République.
Considérant qu'un devoir impérieux oblige les
représentants du peuple de renouveler
les autorités constituées et notamment les Tribunaux criminels ;
Considérant que le citoyen Eynard, président
de la Société populaire de Nîmes, a
rendu des services importants à la chose publique depuis le commencement de la Révolution ;
Considérant que la Société populaire de Nîmes
est un des plus fermes appuis du
patriotisme dans les départements méridionaux et qu'elle peut être considérée comme le dépôt du feu sacré de la liberté et de l'égalité dans une partie de la République ;
ARRÊTE :
Le citoyen Eynard, natif du département de
l'Isère, exercera provisoirement les
fonctions de président du Tribunal criminel du Gard, vacantes par la défection du nommé Vigier, ex-président du Tribunal criminel, et par la non-acceptation du citoyen Courbis, maire de Nîmes.
Ce tribunal, à l'exception du président et de
l'accusateur public, était renouvelé de 3 en
3 mois et composé de juges choisis dans les divers tribunaux de district ; y siégèrent successivement et par ordre de date :
- Eynard, président
;
- Bertrand, accusateur public ;
- Cambon, juge ;
- Anthouard, id.;
- Baumet, id. ;
- Bondurant la Roche id. ;
- Lézand id. ;
- Brunei, id. ;
- Larguier, id. ;
- Million, greffier
commis ;
Ce tribunal, essentiellement révolutionnaire,
rendait ses décisions en matière politique sans le concours des jurés. Les
juges, au nombre de quatre, opinaient en public et à haute voix, en commençant
par le plus jeune. Les accusés étaient toujours assistés d'un défenseur, mais
le jugement devait être exécuté dans les vingt-quatre heures, sans recours en
cassation (telle était la loi).
Le nombre des condamnations à mort prononcées
par ce Tribunal donnait pleine satisfaction à l'accusateur public Bertrand ; mais
à ses yeux, les juges eurent un jour de défaillance ; un accusé fut absous, une
tête fut sauvée. Bertrand indigné protesta publiquement contre cette décision.
Il dénonça les juges et le proconsul Borie, alors à Nîmes, les chassa de leur
siège par une destitution qui honore leur mémoire ou du moins, les réhabilite
Affaire Périllier
de Nîmes, 7 février 1794.
Bertrand s'est levé et a dit :
Cytoyens juges, le jugement que vous allez
rendre m'est connu par vos opinions. Ma surprise égale mon indignation ; je
sais le respect que chaque individu doit porter aux jugements du Tribunal, je
sais l'impression que fait à l'humanité toute la sévérité qui est inséparable
de mon caractère, mais je sais aussi toute la latitude de mon devoir. Je ne
dois pas taire que la clémence qui peut avoir seule enfanté votre décision, est capable
d'assassiner ma patrie. Je demande donc, au nom de son salut, la suspension de
votre jugement, qu'il en soit référé au représentant du peuple, attendu que je vois dans
votre décision la violation la plus manifeste de la loi. Au
surplus, je demande qu'il me soit donné acte de mon dire.
Le Tribunal, séance tenante, donne acte, acquitte
Périllier, mais ordonne son arrestation comme suspect et sa
détention jusqu'à la paix.
Bertrand rédigea un long mémoire, aux fins du renvoi
des pièces et de Périllier devant le Tribunal criminel
séant à Paris. Il parait qu'il n'y fut pas donné
suite. Périllier resta dans les prisons et
plus tard fut rendu à la liberté.
Tribunal criminel
révolutionnaire.
Arrêté de Borim :
Le cinq ventôse an II (23/02/1794), Jean Borie,
représentant du peuple, délégué dans les départements de la Lozère et du Gard,
procédant à l'épuration du Tribunal criminel du
Gard, conformément à là loi du 14 frimaire, relative au
gouvernement révolutionnaire, après avoir
pris des renseignements sur chacun des
juges actuels qui composent le Tribunal soit de la Société populaire du Gard,
soit d'ailleurs ;
Considérant que le Tribunal criminel du Gard est en
même temps chargé de juger révolutionnairement les crimes
d'Etat, et que, d'après les renseignements, aucun des juges,
qui le composent actuellement, n'ont assez de force de
caractère pour un Tribunal révolutionnaire, que
leur faiblesse pourrait compromettre les
grands intérêts de la République, dans les circonstances actuelles,
arrête que le Tribunal criminel actuel du Gard,
qui est en même temps le Tribunal révolutionnaire, sera
remplacé et demeurera composé de…..
Deux juges nommés par Borie : Meyère, de Laudun, et
Fauvetty, d'Uzès, n'acceptèrent pas ; l'un et l'autre étaient
alors à Paris, jurés près le Tribunal criminel
révolutionnaire.
Après divers incidents et à la date du 19
germinal de l'an II, le Tribunal fut
définitivement composé de :
- Président : Pallejay, de Rochefort, âgé de 51 ans, ex-président du district de Beaucaire
; Vice-Président :Baumet,
de Montfrin, ex-juge au Tribunal du district de Beaucaire ;
- Juge ; Joseph-Louis Giret, de
St-Quentin, ex-juge au Tribunal du district de Nîmes
;
- Juge : Boudon, de Saint-Jean-du-Gard, ci-devant électeur ;
- Juge suppléant : Louis Pélissier, de Nîmes, âgé de 30 ans, ouvrier en soie ;
- Accusateur public : Augustin Bertrand, de Bagnols, accusateur public conservé ;
- Greffier : Million.
Les fonctions de ce Tribunal furent suspendues par un
décret du 27 germinal an II (16/04/1794), et reprises par
ordre du Comité de Salut public de Paris, le 26
floréal an II (15/05/1794); un mois d'interruption.
A ce sujet, l'agent national de Pont-sur-Rhône écrivit à l'accusateur public la lettre, suivante
:
« Si mes
loisirs me le permettaient, je féliciterais la Société populaire de Nîmes d'avoir fait
rendre aux sans-culottes du Gard, le Tribunal qui va les délivrer
des ennemis de la patrie. Enfin, nous voilà vainqueurs au dedans
comme au dehors. Le sage Borie n'a pas peu contribué à cette réussite. Il faudrait que ce
brave homme nous fût
laissé encore deux mois dans notre département ; son ouvrage n'est pas encore
achevé. Si ton tribunal est terrible pour les aristocrates, il doit
être la joie et l'espoir des sans-culottes. »
Les juges du Tribunal révolutionnaire, presque
toujours au nombre de quatre, opinaient à haute voix, en
commençant par le plus jeune, les témoins à décharge étaient rares, la terreur
paralysait la défense et régnait en souveraine,
arbitraire, despotique ; les jugements rendus en audience
publique, sans jurés, sans appel, s'exécutaient dans les
vingt-quatre heures, et même le plus souvent
dans la journée ; l'échafaud en permanence était dressé sur l'Esplanade, en
face du Palais-de-Justice, à côté de l'arbre de la
liberté.
Parfois, mais rarement, les accusés étaient
assistés d'un défenseur officieux. le Dupin, le père, plus tard Conseiller
distingué près la Cour de Nîmes, était chargé de cette
honorable mission, en sa qualité d'avocat
des pauvres.
Suit sa nomination :
Cejourd'hui
26 frimaire an II de la République (16/12/1793). Le Tribunal criminel assemblé
dans la salle de l'auditoire, l'accusateur public a dit :
« Que
depuis longtemps on avait institué un défenseur pour les pauvres, c'est le citoyen Roque
lequel n'est jamais venu au Tribunal servir de défenseur aux
pauvres ; que la déclaration faite par le citoyen Dupin qu'il a
suppléé et qu'il supplée le citoyen Roque dans l'exercice de ses fonctions, ne
peut point être un titre pour Roque, nul ne pouvant être autorisé à se faire
constamment suppléer dans l'exercice de fonctions publiques aussi
importantes que celles de défenseur des pauvres et des accusés ; il
requiert en conséquence
que le citoyen Dupin soit nommé par le Tribunal à la place de Roque, qui n'a
jamais paru au Tribunal pour défendre les pauvres, et qui en retire néanmoins
les émoluments, et que le jugement que le Tribunal va prononcer soit communiqué aux
trois corps
constitués, afin qui ils donnent leur adhésion à cette nomination.
Le
Tribunal, faisant droit à la réquisition de public, considérant que le
citoyen Dupin a constamment rempli avec zèle les fonctions de défenseur des
pauvres ; considérant que le citoyen Roque ne s'est jamais présenté pour servir
de défenseur
à aucun accusé, déclare que le citoyen Dupin remplira provisoirement les fonctions de
défenseur des pauvres, jouira des émoluments qui y sont attachés,
et que la présente déclaration sera présentée aux trois corps constitués, pour
y être statué ce qu'il appartiendra. En conséquence, le président a requis
le citoyen
Dupin de prêter le serment de défendre la liberté, l'égalité, la République une et indivisible
et la Constitution de 1793.
Le
citoyen Dupin a prêté ce serment et acte a été donné par le Tribunal. EYNARD, signé. »
Boisset, représentant du peuple, en mission
dans le Midi, confirma la nomination de
N. Dupin et nomma en même temps, sur la
proposition de MM. Bonicel et Teste, M. Guizot-Ginhoux, avocat des
pauvres suppléant, annulant par là un mandat d'arrêt que le comité
de surveillance de la Société populaire avait lancé contre ce
dernier. Cette mesure irrita les Jacobins qui y répondirent par un
nouveau mandat d'arrêt, lancé cette fois par l'accusateur public
Bertrand, le 24 nivôse. M. Guizot, obligé de prendre la fuite,
n'entra jamais en fonction.
Le dernier jugement rendu par le Tribunal
révolutionnaire est à la date du 14 thermidor an II (01/08/1794),
cinq jours après la chute de Robespierre. Vu les
retards dans la transmission des dépêches et « papiers-nouvelles », onze condamnés
qui auraient été sauvés de nos jours, grâce au
télégraphe électrique, montèrent sur l'échafaud.
Le 13 thermidor, le Comité de salut public, à Paris,
rendit un arrêté portant que les pouvoirs des commissions
révolutionnaires établies dans les départements
de Vaucluse et du Gard sont provisoirement
suspendues. Les membres du Tribunal
criminel du Gard, désireux de se maintenir au
pouvoir ou de détourner l'orage qu'ils sentaient
gronder sur leur tête, répondirent au Comité de salut public
par la lettre suivante, sans date :
« Le
Tribunal criminel reçut hier votre arrêté qui suspend ses fonctions révolutionnaires ; il
fut ensuite enregistré et exécuté ponctuellement. Nous avons cru
qu'organisé par le représentant Borie pour être tribunal criminel et révolutionnaire
tout-à-la fois,
rétabli ensuite par le Comité de salut publie pour les fonctions révolutionnaires, nous
devions également suspendre l'une et l'autre de ces fonctions,
jusqu'à ce que vous ayez approuvé notre organisation pour les fonctions
de tribunal criminel, lequel, d'après la loi, doit être composé de trois juges, pris par
trimestre dans
différents tribunaux civils du département.
Les
membres composant ce Tribunal applaudissent aux mesures sages et rigoureuses
qu'a prises la Convention nationale à l'égard du nouveau Dictateur et de ses infâmes complices. Ils
déclarent
vouloir rester inviolablement attachés à la représentation nationale.
A
partir du 22 décembre 1793 jusqu’au, 1er août 1794, (14 thermidor), dans un
espace de sept mois (déduction faite d'un mois de suspension), le
Tribunal criminel du Gard, président Eynard (celui-ci dans
des proportions infimes, 3 seulement), et ensuite le Tribunal
révolutionnaire, président Pallejay, condamnèrent à mort, pour
faits politiques, 135 citoyens. Cette peine ne fut prononcée contre
aucune femme. »
Causes et motifs apparents des Jugements :
1°
Pour avoir fait partie du pouvoir exécutif, s'être livré à des excès contre les citoyens en
1792 et 1793 : 10
2°
Contre-révolutionnaires, fédérés, officiers municipaux et administrateurs du
département, à l'époque du fédéralisme : 87
3°,
Ayant pris part à la bagarre de Beaucaire : 34
4° Prêtres
hors la loi pour refus de serment, ou fédérés (sans compter les déportés) : 7
5°,
Pour avoir scié et abattu l'arbre de la liberté : 1
Total :
135 (prochainement liste détaillée)
Catholiques :
87
Protestants :
47
Israélite :
1
A cette liste, il faut ajouter vingt autres
citoyens du Gard, dit Lauze du Perret ,
condamnés à mort dans diverses villes ; bornons-nous à citer les noms de Boyer-Brun, Desconibiés, le baron de
Marguerittes, Rigel, Etienne Meynier, Allut, Rabaut-St-Etienne.
Le nombre des victimes protestantes aurait été plus considérable, si plusieurs n'avaient fui à temps et si les principaux négociants ne s'étaient réfugiés à Gènes ou à Genève.
Vu le nombre restreint des protestants dans le
Gard à cette époque, lequel, d'après les
statistiques, ne s'élevait pas au tiers de la population, celui de leurs victimes dépassait les proportions de la population des deux cultes, surtout si l'on soustrait les chiffres de sept prêtres mis hors la loi pour refus de serment, et des trente-un Beaucaire, tous catholiques, condamnés pour fait de bagarre.
Cette différence est facile à expliquer.
En premier lieu, la révolution de 1789 fut accueillie
avec enthousiasme par les protestants. Au nom de
l'égalité devant la loi, ils avaient acquis la
liberté de conscience et d'action et tous
les droits du citoyen français dont ils avaient été privés. Ainsi,
libéraux avant la mort du Roi l'infortuné Louis XVI, certains devinrent
Girondins après sa chute ; mais tous se montrèrent amis ardents de la
Révolution de 1789 et ne restèrent pas spectateurs
insouciants des grands événements de cette époque.
2° Pendant les funestes et déplorables journées de
juin 1790 (la bagarre de
Nîmes), la population catholique, entraînée au combat
par des chefs aussi courageux qu'imprudents, fut écrasée par
une force supérieure, habile et bien dirigée. Le parti vaincu et
proscrit courba la tête, et dès cette année et les années suivantes,
l'administration passa entre les mains des protestants unis et
d'un nombre restreint de catholiques, qui, soit par conviction politique, soit
par calcul intéressé, s'associèrent ou parurent s'associer
au mouvement révolutionnaire ; ils voulaient et rêvaient une
république sage, honnête, modérée, une république modèle ; mais
la Convention marchait à pas de géant et courait à la destruction.
Paris en délire menaçait les provinces, les provinces humiliées
se levèrent, le fédéralisme s'organisa ; les protestants, quelques
catholiques se rangèrent sous ce drapeau, et lorsque la faction
de Robespierre triompha, le despotisme sanguinaire de ses agents
en immola à Nîmes un plus grand nombre, parce qu'un
plus grand nombre d'entr'eux s'était compromis.
La chute de Robespierre sauva la vie à une
masse de détenus. La Citadelle, le Palais,
le Couvent des Capucins converti en prison en renfermaient près de huit cents. Dans la nuit du 16 juin 1794 (28 prairial) on avait arrêté 152 habitants; deux huissiers, assistés de commissaires et gardes nationaux, se chargèrent de cette exécution, rendue facile par l'absence de toute résistance ; parfois, et sur le vu d'une simple sommation, le Citoyen se constituait prisonnier volontairement et sans escorte, confiant qu'il était en son
innocence.
Les individus incarcérés étaient obligés de payer, de leurs propres
deniers la somme de 36 livres à l'huissier qui les arrêtait,
leurs biens étaient aussitôt placés sous le séquestre et leurs revenus
mis à la disposition de l'autorité.
Le 13 germinal an II, Borie avait rendu l'arrêt suivant :
Considérant que les diverses dépenses qu'occasionnent
les gens suspects surchargeraient le trésor public, si
les détenus jouissaient et disposaient de leurs biens, et qui il
est nécessaire d'en conserver la jouissance à la
Nation, en conformité du décret du 8 ventôse, qui ordonne le
séquestre de tous lesbiens des ennemis de
la Révolution au profit de la République ;
ARRÊTE
:
Les biens
des individus détenus comme suspects seront régis provisoirement, et leurs
revenus perçus par les receveurs de l'enregistrement, dans les mêmes
formes que les biens nationaux.
Les scellés
seront apposés sur les effets de tous les détenus.
Les
dépenses pour indemnité dues aux Comités de surveillance, frais de garde et d'arrestation,
nourriture et entretien des détenus entretien et établissement des
maisons d'arrêt et ainsi que les sommes nécessaires pour pourvoir
aux besoins des femmes et enfants des détenus qui n'ont pas d'autres
ressources, seront pris sur les biens en régie.
Tout
citoyen qui sera reconnu ne pas être l'ennemi de la révolution reprendra dans
la caisse de la régie le montant de son entier revenu, sauf déduction des frais
de régie et des sommes payées à sa famille.
Dans la
prison des Capucins, dont le concierge était un nommé Allien, ancien tonnelier, lequel
fut plus tard massacré par la populace, les détenus eurent à se plaindre des excès de cet
homme ; c'était,
au reste, l'agent dévoué, l'intime, le seïde de Courbis, Moulin, Giret et consorts.
Enfin, par
suite d'un mandat lancé par le district de Nîmes, à la date du 20 thermidor an II
(07/08/1794), à trois heures après minuit, tous les membres du Tribunal révolutionnaire
furent successivement arrêtés.
Mandat d'arrêt contre
Courbis et consorts.
Vu le suicide de Boudon, juge du tribunal
révolutionnaire, et les inculpations contre lui et contre Courbis, sur des faits contre-révolutionnaires,
dont on les a accusés, ainsi que, tonales membres du Tribunal
révolutionnaire, pour être des conspirateurs complices de
Robespierre ;
Le
Conseil, l'agent national entendu,
Arrête que Courbis, maire de Mmes, Giret, juge du
Tribunal révolutionnaire, Moulin, inspecteur des convois
militaires; Pallejay, président du Tribunal révolutionnaire ; Baumet, juge dudit tribunal ; C*** Bertrand,
accusateur public ; Pellissier, juge suppléant ; R***,
garde magasin de l'hôpital ; C*** père , C***fils
; Bertrand fils aîné du marchand de grignons, au chemin de Montpellier ; Jean Allien, gardien de la maison d'arrêt
dite des Capucins et Nogaret, ci-devant prêtre, seront de suite mis en
état d'arrestation et conduits dans la maison
d'arrêt de cette commune, savoir
:
Courbis à la maison de justice dans une pièce à part ;
Giret à laeitadelle ; Moulin à la citadelle, tous deux dans une pièce à
part, séparés; Pallejay, président du
Tribunal révolutionnaire ; Baumet, juge audit tribunal, et C*** seront
mis dans la maison des Capucins et les autres à la ci-devant citadelle;
Ordonne au commandant de la garde nationale de
mettre sur-le-champ en exécution le présent arrêté et d'en certifier
de suite le district.
Fait au conseil administratif du district de Nîmes,
le 20 thermidor, à trois heures après minuit, en séance permanente.
Pour copie conforme : PEYRE, secrétaire, signé.
Mais déjà Boudon, juge, s'était brûlé la cervelle
d'un, coup de pistolet, à la tribune de la
Société populaire, le 19 thermidor, (06/08/1794).
Plus tard, Giret, juge, se pendit dans son
cachot, à la Citadelle, Baumet, vice-président, et
Bertrand, accusateur public, furent tués par la populace pendant leur transfert
de la prison du Palais à la citadelle, ainsi que.
Nogaret et Bertrand. des ,grignons.
Courbis, Allien et Moulin furent massacrés
dans leur cachot, à la citadelle.
Extrait des registres du Tribunal de première instance.
Le 19 prairial an III (7/06/1795),
un juge de paix dit dans son rapport : Sur la
promenade du Grand-Cours, j'ai trouvé quatre cadavres, meurtris, salis et dévalisés.
Les
deux cadavres enchaînés par le col étaient ceux de Baumet et de Bertrand des grignons.
1° Baumet,
deux blessures à la tête, crâne fracassé, sans compter un nombre infini de contusions ;
2° Bertrand des grignons,
tête fracassée ;
3° Bertrand,
accusateur public, fracture du crâne, plaie pénétrante dans la poitrine avec
épée ou couteau ;
4° Nogaret,
blessure à la tête, avec fracture du crâne, plaie pénétrante dans la poitrine.
Le 16 prairial an III, le même juge de paix se
rend à la citadelle, apprend que des gens armés ont forcé la porte d'entrée.
Deux
cadavres gisent par terre dans une cour, c'étaient ceux de Courbis et d'Allien;
dans un cachot le cadavre de Moulin.
5° Courbis,
plaie profonde pénétrant par l'épigastre dans la poitrine, les deux mains fracassées et une plaie sur le crâne ;
6°
Allien, figure toute fracassée, un doigt coupé, une plaie au côté gauche.
7° Moulin, une pioche
implantée dans le crâne, à une profondeur de cinq pouces ; la jambe droite
fracassée, une plaie au cou et plusieurs autres sur le corps.
29 messidor an III (17/07/1795), un an après
leur arrestation et par suite de délais peut-être
calculés, Pierre-Marie Pallejay, président, et Louis.
Pélissier, juge-suppléant, comparurent devant le tribunal criminel de cette
époque, avec onze autres accusés de crimes révolutionnaires.
En tout : 13.
Les débats de ce procès durèrent onze jours;
135 témoins à, charge et de nombreux
témoins à décharge furent entendus. Chaque accusé fut pourvu
d'un défenseur ou présenta lui-même sa défense. Toute
garantie leur fut accordée, mais en étaient-ils dignes ces deux juges qui
condamnèrent à mort, sans les entendre et presque sans examen, les 31 de Beaucaire et tant d'autres ? Pallejay et Pélissier furent Condamnés à mort, quatre accusés à la déportation ou aux fers, sept acquittés ou condamnés correctionnellement.
Voici l'acte d'accusation et le verdict du
jury :
« Le
directeur du jury expose qu'une faction, qui fondait sur la dépopulation de la
'rance, ce système de lois agraires dont elle ne flattait, l'avidité
du peuple que pour le porter à seconder avec fureur des vues
ambitieuses, semblait vouloir creuser le tombeau de la société entière;
les propriétaires, les hommes les plus éclairés, les citoyens les plus utiles,
les patriotes les plus purs devaient être impitoyablement sacrifiés;
quelques scélérats devaient seuls survivre; dans leurs rêves
atroces, ils dévoraient en espérance les biens de tant de victimes,
et ils se flattaient de couler des jours heureux; sans mœurs, sans lois, sans
culte, sans contrainte et sans remords, ils poursuivaient, comme fédéralistes tous les amis de l'ordre et des lois,
et ils formaient eux-mêmes une confédération de brigands.
Cette
faction dont les attentats ont ravagé la France et l'ont inondée d'un déluge de sang, n'a
pas épargné ce département. Nous ne pouvons retracer qu'une faible esquisse des
horreurs dont il a été le théâtre : la terreur et la mort planaient sur
ces contrées.
Une
horde de meurtriers avait distribué à ses agents les rôles propres à hâter
l'effusion du sang et l'extermination générale; ils étaient ou dénonciateurs, ou témoins, ou huissiers, ou
guichetiers, ou juges, ou main-forte, tous assassins et
bourreaux.
Trois
immenses maisons d'arrêt dans cette cité, une infinité d'autres dans toute l'étendue
du département regorgeaient de prisonniers de toutes les classes, l'âge et le sexe
n'étaient pas respectés, le patriotisme, les lumières, surtout la fortune
étaient autant de motifs d'incarcération, la modération qui fut de tous
les temps la vertu
des âmes sensibles était érigée en crime, la violence et la frénésie en vertu.
Un tribunal
de sang plongeait chaque jour dans le deuil des milliers de famille. Ses
jugements, rendus sans acte d'accusation et sans jurés ne dépendaient ni de la
nature des preuves, ni du langage des témoins, ni de la défense des prévenus. Ces
infortunés étaient
enlevés dans les prisons, quelquefois dans leurs maisons, mis hors des
débats, jugés et conduits à l'échafaud dans une heure.
C'était
dans leurs orgies que les suppôts de cette faction exterminatrice désignaient
leurs victimes et réglaient le nombre de têtes qui devaient tomber.
Leur table était dressée en face de l'échafaud, dans la maison
d'un homme qui n'est plus, de Courbis, maire de Nîmes, dont le
nom ne peut être prononcé qu'avec horreur. L'heure de leurs
repas coïncidait avec celle des exécutions.
Là, les
cannibales, ivres de liqueurs et de sang, jouissaient d'un spectacle digne
d'eux; là, ils apposaient leur sceau à un nouveau rôle de ceux qui devaient périr
le lendemain, là ils rayaient qui bon leur semblait de la liste
des vivants. Tandis que la cité offrait l'aspect d'un vaste cimetière,
la jubilation éclatait dans le repaire de ce monstre qui, s'avançant au
milieu des fanfares, menait les danses autour de l'échafaud.
»Des juges
assez lâches pour déférer aux ordres qu'on leur prescrivait consentaient à
prêter les couleurs et les formes de la justice, à des assassinats déterminés
d'avance.
D'autres,
également lâches et perfides, étaient prêts au besoin à servir de témoins dans
toutes les affaires.
Les
accusés, déconcertés par leur impudence et par les railleries et les invectives des
juges, ne pouvaient point se défendre, et s'ils osaient ouvrir la bouche,
des voix terribles leur imposaient silence. Les défenseurs finirent
par être écartés.
Les
formes juridiques étaient même trop lentes au gré de ces assassins; un massacre
général de tous ceux que leur fureur entassait dans les prisons
ou quelques barils de poudre devaient hâter le moment où ils
recueilleraient le fruit de tant d'horreurs.
Les
ramifications de cette faction destructive de tout principe de sociabilité s'étendirent
jusque dans les campagnes. Des bandits qui passaient leur vie dans
les cabarets et dans la débauche, supposaient des crimes aux
paisibles cultivateurs, les tenaient sous le joug, les traînaient dans les
prisons et recueillaient sans avoir semé ni contribué aux labeurs ;
ils trouvaient dans les fonds d'autrui d'inépuisables ressources
pour alimenter leur fainéantise, ils consommaient dans quelques
jours les vivres d'une année, ils s'annonçaient hautement comme
les héritiers de tous les propriétaires. Les autres classes
n'étaient pas plus respectées; le manouvrier qui, content d'un gain
légitime, témoignait son horreur pour le pillage et pour le
meurtre, celui que d'antiques préjugés n'avaient qu'égaré, l'homme
irrésolu et timide qui, dans des temps très critiques, et dans ce
perpétuel conflit des factions affectant toutes le même langage, avait
paru n'embrasser aucun parti et ne s'était signalé que par sa
soumission aux lois, étaient enlevés à leurs ateliers et à leurs familles, et
plongés dans des cachots ; toute communication au dehors
leur était interdite, les fenêtres étaient hermétiquement scellées,
l'air et l'aspect du ciel étaient interceptés, leurs femmes, leurs
enfants erraient de loin, comme des ombres plaintives, autour
de ces vastes tombeaux et craignaient de tourner leurs regards
vers cette enceinte. Les guichetiers et les geôliers rançonnaient, volaient,
maltraitaient les détenus, et les hommes les plus
recommandables étaient traités comme de vils scélérats, ceux qu'on conduisait
au supplice y trouvaient du moins la fin de leurs maux.
Quand la
toute-puissance de la Convention et l'énergie nationale foudroyèrent cette faction,
l'indignation publique éclata, dans ce district et dans cette cité,
contre ses principaux agents, plusieurs furent arrêtés, quelques-uns-ont
péri, et nous sommes obligés de considérer avec tous les bons citoyens leur immolation
comme une
violation des lois.
Giret, l'un des juges du
tribunal, prévint par un suicide la vengeance des lois.
Bertrand, accusateur public ; Baumet, juge du Tribunal révolutionnaire; Bertrand des grignons et Nogaret furent
égorgés au milieu de
l'escorte qui les conduisait du Palais à la Citadelle.
Courbis, maire ; Allien, gardien de la maison-d'arrêt des
Capucins, et Moulin ont été massacrés dans les
prisons. Il n'est plus possible de s'occuper d'eux, mais il sera quelquefois
nécessaire de les nommer dans cet acte d'accusation.
Ceux qui
restent et qui sont dénommés dans les procédures remises au greffe sont :
lesdits Pallejay, Pélissier, ***, R***, Beniqué, ***, ***,***, ***, R*** et G***, ***,
***, et *** non détenu.
Il
résulte des pièces remises, notamment des interrogatoires prêtés par tous les
susnommés, sauf G***, devant les citoyens Cazalis, président, et
Chauvard, accusateur public du Tribunal criminel du Gard, à ces fins-commis par
arrêté des représentants du peuple délégués dans les départements du Gard,
Avignon, Hérault et Vaucluse, en date du 1er vendémiaire an III, signé Perrin ; les 4
vendémiaire, 9, 12, 13, 23 frimaire, 7, 8, 11, 13 14 pluviose, suivant des
interrogatoires prêtés par feu Bertrand, Baumet, Moulin et
Courbis, devant les mêmes commissaires ; de l'interrogatoire prêté
cejourd'hui, par ledit G*** devant le directeur du jury, des pièces ci joies, de l’information
faite par le juge de paix du ler arrondissement le 11 prairial ; de celle faite
par le juge de paix du 2e arrondissement le 10 ; le tout annexé au présent acte d'accusation
:
1° Que
Pierre-Marie Pallejay, beau-frère de Courbis, maire, était président du
Tribunal révolutionnaire; que Courbis et Moulin s'enfermaient avec lui
et les autres juges dans le greffe du Tribunnal révolutionnaire;
qu'il n'agissait que d'après leurs instigations ; qu'on voit, par le
jugement rendu, le 28 messidor an II (16/07/1794), contre 31 citoyens de Beaucaire,
et annexé au procès, qu'ils furent jugés sans jury et que la peine
de mort fut prononcée contre eux, quoiqu'il y en eût deux,
Chardon et Rouvière,
dont aucun témoin n'avait parlé ; qoique la suspension du décret
contre Beaucaire, des 22 juillet et
ler août 1793, à raison des
événements du 1er avril précédent, eût été
ordonnée par décret du 12 frimaire an
II ; quoique par l'article 20 du .décret du 22 juillet et
premier août 1793, il eût été accordé une amnistie aux portefaix et aux marins, trois desquels furent mis en jugement,
savoir : Jacques Autard, portefaix ; Nicolas Bernard et Alphonse Conil, mariniers ; enfin, sans donner le
temps à une foule de témoins,
assignés à décharge, de se rendre à Nîmes, lesquels témoins ont déclaré devant le juge .de paix de Beaucaire qu'ils apprirent sur la route la condamnation de
leurs concitoyens et qu'on leur notifia
que, s'ils se rendaient à Nîmes, ils courraient risque eux-mêmes d'être arrêtés ; qu'il résulte encore d'une lettre écrite par Pallejay au président du Comité
révolutionnaire de Villeneuve-lez-Avignon,
qu'il exhortait à ne rien oublier pour découvrir
les malveillants ; que tous ceux qui venaient à leur tribunal étaient sûrs d'être sévèrement punis et que
très-assurément aucun n'échapperait
au glaive de la loi ; qu'il ne signait souvent les jugements que le lendemain de l'exécution ; que, par son interrogatoire, Pallejay dénie toute influence de
la part de Courbis et autres ; qu'il s'excuse sur la sévérité des lois et dit
qu'il n'en a jamais fait
l'application qu'en frémissant et avec répugnance, et qu'en prononçant la
condamnation des prévenus, il n'a jamais cherché à satisfaire ses ressentiments ni ceux d'autrui ;
2° Que
Louis Pélissier, ex-suppléant du Tribunal révolutionnaire, est prévenu d'avoir été
influencé par Courbis, Giret et Bertrand, de s'être enfermé avec Courbis
et Moulin dans le greffe du tribunal, d'avoir assisté comme suppléant à plusieurs
jugements rendus en
la même forme, d'avoir été employé comme témoin dans d'autres affaires, d'avoir
assisté aux conciliabules qui se tenaient dans la maison de Courbis,
notamment à une conférence nocturne du 30 prairial an Il (18/06/1794), lors de
laquelle on dressa, d'après les registres des sections, la liste des personnes
prétendues suspectes ; liste où furent inscrits les noms de 152 citoyens,
qui furent arrêtés
dans la même nuit par G*** et ***, huissiers, à la tête d'une escorte de 300 hommes, et
qui furent englobés dans un même mandat d'arrêt lancé sur cette simple liste par
l'accusateur public du tribunal ; d'avoir été présent et adhérent à la
proposition qui fut faite par Courbis d'arrêter les membres de l'administration
du district ; d'avoir assisté aux orgies qui étaient célébrées dans la maison de cet homme ; d'être
auteur d'une motion faite à la Société populaire, que ceux qui
déposeraient en faveur des citoyens traduits en jugement seraient
guillotinés à leur place ; d'avoir dit que le citoyen Desmont, qui
signait une dénonciation contre des sans-culottes, signait sa
sentence de mort ; d'avoir dit, en présence du citoyen L***, de sa femme et
de leur domestique, que l'humanité était un crime et qu'il fallait encore 40 000 têtes;
que dans une
mission dont il fut chargé avec Giret et R*** dans le district d'Alais, ils se livrèrent à des
actes arbitraires et à des violences envers des patriotes ; qu'ils
firent arrêter, après avoir cerné le village d'Yeuset et donné ordre de
faire feu sur quiconque s'écarterait ; d'avoir signé un mandat d'arrêt sans le lire contre
le citoyen Lagorce, à
qui il en témoigna son regret ; d'être convenu, au café Jean-Louis, en présence
du citoyen César Paulhan, que des innocents avaient été condamnés, sur quoi il
fut apostrophé en ces termes : « Monstre,
pourquoi donnais-tu ta voix, lorsque tu voyais qu'ils n'étaient
pas coupables ; » que, depuis, son incarcération, il a dit que ce n'était pas aux fanatiques
pauvres qu'ils en voulaient, mais aux riches et aux marchands, qui
étaient des conspirateurs et des contre-révolutionnaires ; que
dans son interrogatoire il a dénié les propos et les actes arbitraires qui lui
sont attribués et dit qu'étant suppléant du Tribunal criminel, il insista pour qu'il ne
fût pas nommé
Juge ; que, forcé d'en faire les fonctions en la qualité qu'il conserva, et placé entre
la loi, son devoir et sa sensibilité, il ne s'est jamais décidé que
d'après sa conscience, mais que l'humanité a souffert en lui plus d'une fois ;
3° Que ***,… Acquitté;
4°
Que R***, ex-administrateur du département, est prévenu d'avoir instruit de
ce qui arriverait sa mère et ses parents qui se vantaient, d'après
ses instructions, de savoir quinze jours à l'avance quels étaient
ceux qui devaient être guillotinés ; d'avoir menacé et tenté de
diviser les patriotes de St-Laurent-d'Aigouze ; d'avoir dit que s'ils
n'avaient pas pu réussir à faire décréter la loi agraire, ils avaient du
moins trouvé un moyen pour.l'établir et que, sous peu de temps,
elle serait en vigueur ; que Reynaud-Génas pouvait être
irréprochable, mais qu'il avait un fort témoin contre lui, sa fortune ; d'avoir été employé comme
témoin dans diverses affaires ; que, dans son interrogatoire, il dénie
tous les propos qui lui sont attribués ;
5°
Que Jacques Béniqué, ex-administrateur du directoire du district de Nîmes, est
prévenu d'avoir provoqué, tant dans la Société populaire que
dans l'administration du district, l'adhésion à l'adresse tendante au
rétablissement du Tribunal révolutionnaire ; d'avoir traité de
modérés ceux qui s'opposaient à cette mesure ; d'avoir menacé de la
guillotine les administrateurs et les commis du district ; d'avoir assisté à un
repas chez Courbis, où les convives, se levant précipitamment,
s'avancèrent de la fenêtre pour voir sauter une tête et
s'écrièrent : Elle a bien sauté,
allons boire ; d'avoir applaudi avec éclat aux exécutions journalières,
d'avoir été employé
comme témoin au Tribunal révolutionnaire, d'avoir tenu, à diverses reprises, les
propos suivants: Plus il tombe de
têtes, plus la mienne et la République s'affermissent ; vous n'avez encore rien
vu, vous verrez des choses qui vous feront frémir et dont on ne peut se faire une idée ; d'avoir dit, à l'occasion
de l'exécution de Dumas : Cela
vous fait peur ? ce sera bien autre chose quand vous en verrez périr dix,
quinze, vingt à la fois : ce n'est qu'un commencement ; d'avoir dit à des femmes qui pleuraient : Vous êtes des apitoyeuses, il viendra un temps où l'on vous forcera d'aller voir ; vous serez enfermées; quand on aura coupé les têtes des hommes, on sciera celles des femmes ; d'avoir proposé à l'administration du district de mettre de nouveau en
jugement neuf individus du comité central qui avaient subi un
premier jugement ; d'avoir dit à ceux qui lui remontraient
qu'il y avait des lois : Bah ! bah !
des lois, nous sommes dans un
moment révolutionnaire ; d'avoir exigé; 1 290 livres pour une mission à
Alais, à l'effet du recrutement, plus, de L***, pour le même
objet, 400 livres ; plus, du département, pour le même objet, une
autre somme ; d'avoir. été présent à la formation de la liste,
sur laquelle 152 citoyens furent enlevés dans une seule nuit ; d'avoir
informé de ce qui se passerait Marie Théron, sa servante, qui
désignait d'avance, d'après ses instructions, les victimes qui
devaient périr : Guizot, de St-Geniès ; Brès, Fléchier, Floutier,
marchand, lequel, quoique élargi par Boisset, serait de, nouveau arrêté et
guillotiné; d'avoir dit que 500 citoyens de la ville d'Alais fédéralisés par
Rabaut-St-Etienne, porteraient leurs têtes sur l'échafaud, les seuls Lanteyrès
et Rovère exceptés ; que le Tribunal se transporterait pour cette
expédition à Alais ; qu'il ne devait rester que des sans-culottes ; que
dans son interrogatoire, Béniqué rappelle sa conduite patriotique ; que, dans
la nuit
du 19 au 20 thermidor, il fut le premier à dénoncer la tyrannie de Courbis ; qu'une
cabale vint le perdre et tout rejeter sur lui, qu'on a recueilli
jusqu'à ses moindres propos, jusqu'à ceux qu'il a pu adresser en
riant à des femmes ; que la plupart sont faux, controuvés ou
envenimés, que Ceux qui les lui attribuent en ont tenu de plus violents
encore, et qu'une circonstance bien propre à dévoiler la méchanceté
de ses détracteurs, c'est qu'à l'époque qu'on lui impute d'avoir
dit qu'on en verrait périr 10, 15, 20, le, Tribunal
révolutionnaire n'était pas encore établi ; qu'il dénie les autres faits qui lui
sont imputés ;
6°, 7°,
8°, 9°, acquittés.
10°
Que R***, ex-garde magasin de l'hôpital militaire, est prévenu d'avoir été l'un
des témoins le plus fréquemment employés au Tribunal
révolutionnaire ; d'avoir assisté, avec Allien, Moulin, aux orgies
célébrées dans la maison de Courbis, de s'y être trouvé à l'époque
où les convives se levant spontanément manifestèrent leur joie
de voir sauter des tètes ; d'avoir coopéré à la formation de la liste sur
laquelle les huissiers arrêtèrent dans nuit une nuit 152 citoyens ; de s'être mis, dans cette même nuit, à la
tête d'une escouade pour cette expédition, d'avoir dit que les riches et les
négociants paieraient les pots cassés et d'avoir ajouté : « il faut que
les petits y passent après les gros » ; d’avoir fait proposer à Antoine Roule,
monteur de métiers, de déposer contre Claude Paulhan, et de l'avoir menacé de
l'envoyer à sa place à l'échafaud s'il ne faisait pas une dénonciation centre
lui ; d'avoir menacé divers particuliers de la guillotine ; d'avoir dansé
autour d'elle ; d’avoir dit à table, en présence de *** et de *** , greffier du
juge de paix : « Vous avez vu bien des têtes à terre, vous en verrez bien davantage.
Il y a beaucoup qui sont tranquilles, qui ne devraient pas l'être, car avant
deux mois nous les ferons tous péter. Vous avez bien entendu parler du c**** de
B***, qu’on fut chercher à sa métairie comme un sacré animal qui ne savait pas
ce qu’on lui voulait. Eh bien ! le lendemain sa tête l'était à bas ; c'est
comme cela que nous ferons de tous, nous ne voulons pas de témoins, irons les
chercher, et dans moins de deux mois, ils seront tous f……. » ; d'avoir commis
plusieurs vexations et dilapidations ; d'avoir mis en réquisition dans les
villages circonvoisins, au nom de la loi, la volaille et les œufs ; d'avoir
passé la nuit avec ses beaux-frères pour arrêter les gens à cheval, requérir
leurs chevaux ou les forcer à main armée à contribuer ; de s'être emparé, sans
inventaire, des malles et des effets des détenus condamnés ; que dans son
interrogatoire, il dénie les, propos, les vexations et les menaces qu'on lui impute,
qu'il soutient s'être toujours bien conduit et avoir poussé la délicatesse
jusqu'à faire payer la Volaille qui avait été enlevée sans ses ordres.
11° Que G***, huissier
au Tribunal révolutionnaire, est prévenu d’avoir rançonné, conjointement avec son
collègue, en exigeant d’eux ou de leurs femmes de fortes contributions pour
être traduits ou laissés à la citadelle plutôt qu’aux Capucins ; d’avoir en
outre exigé, avec menace, de chaque détenu trente-six livres pour son
arrestation ; ce qui forme, pour les 152 citoyens arrêtés dans même nuit, une
somme de 5 472 livres, et d'avoir commis d'autres vexations et concussions ;
que dans son interrogatoire il dénie d'avoir fait contribuer les citoyens
envers lesquels il exécutait les mandats d’arrêt, convenant que s'il a reçu d'eux
au-delà des 33 livres, qu'il
était autorisé à prendre pour chaque arrestation, c'est d'après leur
libre volonté et en compensation des égards • qu'il avait eus pour
eux lors de leur arrestation.
12°,
13° acquittés.
De tout le contenu ci-dessus, le directeur du jury
conclut qu'il résulte des pièces remises au
greffe et annexées au présent acte d'accusation, qu'il s'agit
d'actes d'oppression multipliés envers une infinité
de citoyens, de menaces de détruire des communes entières, de
prévarications, de concussions, de rapines et d'exactions faites au
nom de la loi, de témoignages captés et dictés par esprit de passion,
de menaces tendantes à écarter les témoins à décharge, d'assassinats
juridiques, en violant toutes les formes et déterminés d'avance
dans des Comités où les juges et quelques témoins assistaient
et dressaient les listes de proscription, de jugements publiquement
annoncés longtemps à l'avance et rendus sans jury.
Fait à Nîmes, le 24
prairial an III. Le directeur du
Jury Roustan, signé.
Déclaration
du jury :
1° Il est
constant que par une suite de la conspiration de Robespierre, il a été commis à Nîmes
des assassinats judiciaires, par des jugements rendus sans assistance de jurés,
sans lecture et sans communication préalable d'aucun acte d'accusation et
en violant les
formes.
Pallejay
et Pélissier sont convaincus d'être complices desdits assassinats... ces assassinats
ont été commis avec préméditation.
2° Il est
constant que lors des jugements rendus par le Tribunal révolutionnaire, il y a eu des
témoignages captés et dictés par l'esprit de passion.
R***,
R***, Pélissier et Béniqué sont convaincus de ce délit... Ce crime a été commis
méchamment et à dessein.
3°
Il est constant qu'il y a eu des menaces tendant à écarter les témoins à décharge. Pallejay
et Pélissier sont convaincus d'être les auteurs de ce délit... Ce délit a été
commis méchamment et à dessein.
4° II est
constant qu'il a été commis des actes d'oppression multipliés envers une infinité
de citoyens. • Pallejay, Pélissier, R***, R***, Béniqué et B*** sont
convaincus d'être les auteurs de ce délit Ces
délits ont été commis méchamment et à dessein.
5°, 6° Il
est constant qu'il a été commis des actes de concussion, G*** est convaincu
d'être l'auteur de ce crime Ce crime a été commis méchamment et à dessein.
7° ll est
constant qu'il a été commis des actes de prévarication, de rapine et d'exaction
faits au nom de la loi. Pélissier est convaincu d'être l'auteur de
ces délits... Ces délits ont été commis méchamment et à dessein.
8° Le
Tribunal, après avoir entendu l'accusateur public sur l'application de la loi, chaque
juge ayant émis son opinion à haute voix , a condamné et condamne Pierre-Marie Pallejay
et Louis
Pélissier à la peine de mort, en conformité de l'article onze, titre deux, première section, et
de l'article premier, titre trois du Code pénal.
Le
tribunal condamne G*** à la peine de six années de fer, en conformité de l'article
quatorze , cinquième section du titre premier du code pénal, ainsi conçu : ordonne que
ledit G***' sera
préalablement conduit sur la place publique de Nîmes, où le jury d'accusation, a été convoqué, qu'il y sera attaché à un poteau, qui sera
placé sur un échafaud où il demeurera exposé aux regards du
peuple pendant six heures, au-dessus de sa tête un écriteau...
conformément à l'article vingt-huit, titre premier 'du code pénal ;
Attendu
que les crimes dont sont convaincus R***, R*** et Béniqué ne sont point
classés dans le code pénal, et que dans ce cas le tribunal, en conformité
de la loi du 7 juin 1793, peut appliquer la peine de la déportation ; surtout,
comme dans ce cas, la résidence sur la territoire de la République
serait un sujet de trouble et d'agitation, le tribunal condamne
lesdits R***, Béniqué et R*** à la déportation pour la vie, en conformité de la
susdite loi du 7 juin 1793 et de celle du 5 frimaire an II, ainsi conçu : Ceux qui
seront convaincus
de crimes ou délits qui n'auraient pas été prévus par le code pénal et lés
lois postérieures, ou dont la punition ne serait pas déterminée
par les lois, et dont l'incivisme et la résidence sur lé
territoire de la République auraient été un sujet de trouble
et d'agitation.
Article 1er de la loi du 5
frimaire :
A compter
du jour de la publication du présent décret, la peine de la déportation ne
pourra être prononcée, soit par le tribunal révolutionnaire,
soit par les tribunaux criminels ordinaires que pour la vie entière
de celui qui y est condamné, et il est dérogé quant à ce à la
loi du 7 juin 1793.
Attendu
qu'aucune loi n'inflige de peine contre les délits dont est convaincu B..., vu la
nature des délits qui lui sont imputés, le tribunal le condamne
à la détention jusqu'à la paix ;
Et
demeurant la déclaration du jury de jugement, relativement aux autres accusés, le
tribunal déclare qu'ils sont acquittés de l'accusation contre eux
portée, et néanmoins ordonne que, par Mesure de sureté
générale, ils tiendront prison close pendant trois mois.
Balthazar,
président ; Troussel,
Cessenat et Chamboredon, juges; Thoulouse, greffier, signés.
Profitant du bénéfice de la loi, les
condamnés se pourvurent en cassation ; par jugement,
à la date du 18 messidor an IV, un an après la condamnation, et par des considérants nombreux, le Tribunal de cassation renvoya les parties devant celui de l'Isère pour statuer ce que de droit.
Tout porte à croire que, successivement, ils
furent tous rendus à la liberté ; dans
l’intervalle une loi d’amnistie avait été rendue.
Appréciations sur le
Tribunal révolutionnaire.
Un écrit publié par la commune de Nîmes, après
le 9 thermidor (dit Baragnon, dans son
Histoire, tome IV, page 108), accuse Borie d'avoir créé cette commission,
parce que le tribunal ordinaire n'immolait pas assez de victimes à son gré et
d'avoir fait arrêter les juges du tribunal criminel par le seul motif qu'ils
avaient acquitté
un prévenu de fédéralisme (Périllier.)
Ils furent bientôt remplacés, dit ce même écrit, par des hommes pénétrés des
principes de leur créateur, complaisants et dociles à ses
impulsions : aussi le sang coula-t-il à grands flots, un crêpe funèbre couvrit
l'horizon, le meurtre et l'assassinat furent érigés en pratique ;
l'industrie, les talents, la probité, le patriotisme, la vertu furent
immolés. C'était l'aliment journalier de la tombe ; elle dévorait souvent plus
de trente citoyens à la fois. En vain, la loi des 27 et 28 germinal avait-elle voulu
réformer cette horrible commission, Borie, de concert avec
Voulland, obtint pour son Tribunal révolutionnaire le, privilège de
continuer à égorger. Tout ce qui s'était refusé à le solliciter fut
destiné à être sa proie. Sa réinstallation devint l'époque où toute
pudeur s'évanouit, où la plus cruelle ironie présidait à l'instruction de la procédure. Quatre hommes
en carmagnole et en bonnets rouges, sans autre règle que leur volonté, sans autre forme
qu'une apparence de débats, sans assistance de jurés, mais avec le concours de témoins officieux
(toujours les mêmes) et qui accusaient avec acharnement au lieu de
déposer avec impartialité, s'abreuvaient à longs traits du sang
des meilleurs citoyens. Descendus de leur siège, ils allaient insulter à
leurs victimes, en, dansant autour de l'instrument du supplice et
en suivant Borie qui, le plus souvent, conduisait lui-même le
branle.
.Les
listes de proscription étaient dressées dans des orgies où présidait le maire Courbis,
dépositaire des intentions funestes, organe des volontés secrètes,
investi de la confiance et dé la toute-puissance de Jean Borie.
A.
côté de cette appréciation de la commune de Nîmes, il est nécessaire de placer celle de
Bertrand, accusateur public. De sa prison, il écrivit à la Société populaire de Bagnols et à
ses concitoyens deux lettres dont nous extrayons quelques passages :
« J'ai dit, dans le mémoire envoyé au Comité
de salut public, à Paris, par
l'intermédiaire de Peschaire, toute la vérité; j'ai dit que, depuis plus de deux mois, je ne portois que le nom
d'accusateur public, que Courbis et
consorts en faisoient les fonctions, que j'étois
dans l'esclavage le plus affreux sans que je pus me plaindre parce que j'aurais été perdu , comme tant
d'autres, et que je ne pouvais pas
même donn.er ma démission sans être enfermé aux Capucins, ainsi que le voulait le représentant
Borie. La vérité est que je n'y étais pas ; que j'ai manqué perdre là tète ;
que Courbis me maltraitait quand
quelqu'un n'était pas jugé à sa fantaisie ; que Courbis à sa volonté
faisait décerner des mandats d'arrêt contre
qui bon lui semblait; que j'avais pris le parti de ne plus mettre personne aux débats; que c'étoient Giret,
Boudon et Pélissier qui faisaient toutes mes fonctions lorsque j'étais à
l'audience. On impute encore à Courbis et consorts, c'est-à-dire des associés qu'il avait, et desquels je ne suis pas, ni le
pauvre Baumes, nombre d'horreurs qui
font dresser les cheveux.
... Au surplus, que l'on revise les jugements du Tribunal et l'on apprendra que, grâces à mes efforts, Nismes
est le lieu où les
lois ont eu le moins leur exécution, 'et que je me suis souvent opposé, quoique la loi parlât, à plusieurs
jugements. »
Et ailleurs il dit
:
« Tout
invite à croire que Giret, Boudon et
Pélissier étaient de connivence avec
Courbis. Une preuve bien claire de cette vérité,
c'est qu'ils faisaient tous les quatre partie du Conseil général de la commune; que Gourbis les avait fait
placer là par le représentant Borie.
Baumet et moi nous n'avons jamais été influencés
par Courbis. Nous avons été tyrannisés, sans qu'il nous fût possible de nous plaindre. Je le
prouverai !... ».
Suivent deux pages d'explications, puis il ajoute :
« Combien de fois ne pouvant plus supporter ma situation,
ai-je dit aux membres
du Tribunal, en présence des secrétaires, que je ne voyais d'autre moyen de me tirer de mon poste qu'en me
cassant une jambe ou un bras, et me mettre
par là dans l'impossibilité d'agir.
Voilà comment, mes
concitoyens, j'ai coulé dans l'amertume la plus affreuse le temps que le Tribunal a exercé
ses fonctions révolutionnaires.
J'ai eu sans cesse le précipice ouvert devant moi, et la mort inévitable par derrière si j'avois
résisté un instant. Sans cesse
venoit se reproduire à mes yeux l'échafaud
de Bertrand et Langlois, victimes de la haine de Courbis…. Tout cela, je l'avoue, avoit égaré mon
esprit et me faisoit marcher depuis trois mois à l'aventure et
abandonné au gré du sort. Ah ! Borie, que ne me laissais-tu le pouvoir
d'abandonner mon poste ? »
Il finit par ces mots :
« J'atteste à la face de l'Être-Suprême
que Baumet
et moi n'avons été que les instruments forcés de Courbis. Je ne dirai rien de
Palejay, parce que Palejay n'a jamais parlé et qu'il n'a jamais sçu même prononcer le
jugement le plus
simple. Je ne sçais donc pas ce qu'il tient. »
A propos de Bertrand, citons quelques-uns de ses
actes d'accusation :
« Jean-Baptiste-Etienne-Augustin
Bertrand , Accusateur public près le Tribunal criminel du département du Gard,
expose qu'il résulte des pièces et des procès-verbaux remis par
le. Directeur du Juré du Tribunal du district d'Alais, que, dans
la nuit du 22 au 23 août dernier, après une chanson où l'on disoit :
A bas la patrie
! vive l'Espagne et Louis XVII ! l'arbre de la Liberté qui étoit planté à la place
publique de Charnavas fut abattu ; que, dans la journée dudit
jour 23, l'arbre ayant été redressé par certains habitants dudit
Charnavas, la nuit suivante, celle du 23 au 25 dudit mois d'août, les
mêmes propos inciviques : A bas la patrie ! vive l'Espagne
et Louis XVII ! furent chantés par les mêmes personnes ; l'arbre fut
de nouveau renversé et scié en deux ; que Jean-Antoine Fabre,
dit Terras, habitant audit lieu de Charnavas, détenu, dans la
Maison-d'Arrêt du district, est l'un des prévenus, non-seulement
d'avoir abattu et scié l'arbre de la Liberté, mais encore
d'avoir crié et chanté des propos contre-révolutionnaires,
tendants à provoquer quelques émeutes et le rétablissement de la
royauté. Qu'à la vérité, ledit Fabre a déclaré au Directeur du juré,
qu'il n'avoit pas commis les entreprises dont s'agit ni, chanté
les autres propos ; mais comme il résulte de tous ces détails,
attestés par le susdit procès-verbal et autres pièces, que les délits
sont constants ; c'est pourquoi et en conformité des lois des 19 et
27 mars, 9 avril et 3 octobre 1793 , l'accusateur public requiert
qu'il soit procédé à l'audition des témoins produits contre l'accusé,
pour être ensuite statué ce que de raison, conformément aux
susdites lois.
Fait
à Nîmes, le 5 nivôse, an II de la République une et indivisible.
BERTRAND, signé. »
-oOo-
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