Passage à Nimes de « Monsieur »
frère de Louis XVI, en 1777
par L. Aillaud, 1927.
 
 
Palais épiscopal, où résidera Monsieur, lors de son séjour à Nîmes.
 
Nimes reçut la visite de Monsieur, frère puîné de Louis XVI, le futur Louis XVIII, au mois de juin 1777 et non 1778 comme l'indique par erreur Baragnon dans son histoire de Nimes. Ce Prince venait de parcourir les provinces méridionales en s'arrêtant à Toulouse, St-Papoul, Carcassonne, Béziers et Cette. Il avait alors 22 ans.
 
Le jeudi 12 juin le Conseil ordinaire et extraordinaire de Nimes fut réuni pour apprendre la nouvelle de la visite de Monsieur et pour fixer les détails du séjour du Prince. M. Lagarde, premier consul-maire, exposa qu'il avait reçu une lettre de M. le vicomte de St-Priest, intendant de la province, annonçant l'arrivée à Nimes de Monsieur pour le 28 juin, son séjour le 29, et ajoutant « qu'il était expressément chargé de la part du ministre de défendre aux corps de ville de faire aucuns préparatifs qui puissent retarder la marche du Prince, ni occasionner de la dépense dans les villes et bourgs de son passage non plus due dans les villes où il séjournerait, et de leur permettre seule­ment de lui présenter leurs respects et leurs hommages. » De St-Priest joignait à sa lettre une copie de celle du ministre. Le conseil enregistra la défense de l'intendant en exprimant ses regrets en ces termes : « Il est fâcheux pour la ville de Nimes et pour ses citoyens, que des ordres aussi précis les forcent à réprimer les mouvements et les transports d'une joie qui éclate déjà dans tous les coeurs et qu'il leur eût été si satisfaisant de manifester au dehors avec toute la pompe et la dignité convenable à un si grand Prince, que flattés du séjour qu'il veut bien faire dans cette ville, ils ne puissent lui donner des témoignages éclatants de leur reconnaissance et célébrer avec ostentation une préférence qui est bien propre à les enorgueillir. » (Arch. communales 44-43.)
 
Néanmoins, une commission très nombreuse, composée des principaux conseillers politiques, tant du conseil ordinaire qu'extraordinaire de la communauté, fut organisée pour présider aux détails de la réception du prince. La commission fut d'avis de « se borner à une illumination générale dans la nuit du 28 au 29 juin, à faire tapisser la rue qui conduisait du Cours à l'évêché (rue des Lombards), la faire sabler et autres, selon qu'il serait jugé nécessaire et à faire faire un drapeau et deux étendards aux armes et chiffre du prince pour 3 corps, l'un d'infanterie, le second de cavalerie, le troisième de hussards que les jeunes gens, principalement du commerce et du barreau, s'empressaient de former à l'uniforme de Monsieur, pour devenir auprès de ce prince l'expression des sentiments d'amour et de respect de tous les citoyens. »
 
Les corps d'infanterie et de cavalerie furent richement habillés. L'infanterie était commandée par le marquis de la Fare, MM. de Possac et de la Calmette. La cavalerie fut divisée en deux corps, cavalerie et hussard. Le premier eut pour chef MM. Henri Lacoste, Girard fils, Marc Antoine Ribot, Sabonnadière, Laurent procureur et le fils de Pierre Sujette. Les hus­sards furent commandé par MM. de Chazot, Cabrune et Roustan. Baragnon fait observer que l'union la plus intime entre les protestants et les catholiques présida à la formation de ces corps.
 
II s'était formé peu de jours avant l'arrivée du prince, un quatrième corps sous la dénomination de coureurs. Ils étaient habillés de vestes vertes, culottes et bas blancs, attachés par des rubans bleus; chapeaux gris ronds, surmontés d'un plumet blanc et bleu. Précédés de hautbois et de tambours ils coururent devant la voiture du prince dans toutes ses sorties. Le corps était commandé par M. Maumenet, maître écrivain.
 
Le drapeau et les étendards furent donnés en grande pompe aux fantassins et cavaliers. Le Cérémonial des consuls raconte ainsi la double cérémonie :
« Le 22 juin, le corps d'infanterie commandé par M. de la Fare, chevalier de l'ordre royal et militaire de St-Louis, étant venu se ranger devant l'Hôtel de Ville et s'étant fait annoncer par un officier, MM. le Maire et les Consuls revêtus de leurs robes et chaperons et nombre de conseillers politiques se sont placés sur la grande porte. M. Lagarde premier consul maire, a fait un compliment auquel M. de Possac­Gênas le fils a répondu en recevant le drapeau des­tiné à ce corps qui a défilé ensuite devant MM. le maire et Consuls.
Le mercredi 25, le corps de cavalerie commandé par M. Lacoste, négociant, et l'escadron de hussards commandé par M. le baron de Chazot, de la ville d'Aubenas, étant venu se ranger au devant de l'Hôtel de Ville, et s'étant fait annoncer par ses officiers, MM. le Maire et Consuls, revêtus de leurs robes et chaperons avec MM. les Conseillers politiques, se sont rendus sur le seuil de la grande porte. M. Lagarde premier consul-maire a fait un compliment à chaque corps. M. Gaillard, le fils, guidon de la cavalerie et M. Etienne Gaillard, guidon des hussards ont répondu très éloquemment en recevant chacun l'étendard qui leur était destiné, après quoi, les deux corps ont défilé deux à deux devant MM. le Maire et Consuls. »
 
Le Maire et les Consuls firent publier et afficher une ordonnance de police concernant l'illumination le Jour de l' arrivée et le séjour de Monsieur, et portant défense de tirer des serpenteaux. En même temps, le Conseil ordinaire et extraordinaire délibérait de faire le présent de Ville à Monsieur, ainsi qu'il avait été pratiqué à l'égard de tous les princes et princesses du sang. On verra plus loin de quelle façon fut accueilli ce cadeau.
 
Le samedi 28 juin, le Maire et les Consuls, en chaperons, et précédés de la livrée consulaire rendirent visite aux Consuls et députés de la Ville d'Avignon, arrivés à Nimes pour présenter leurs hommages au Prince. Puis le Maire et les Consuls, dans le même apparat allèrent visiter le Vice-Légat d'Avignon, venu également pour saluer Monsieur.
 
Une heure après, le Vice-Légat, les Consuls, échevins et députés de la Ville d'Avignon, rendirent leur visite au Maire et aux Consuls nimois qui les reçurent en robes et en chaperons sur le seuil de la grande porte de l'Hôtel-de-Ville et les conduisirent dans la Salle du Conseil. Après échange de politesse, les autorités avignonaises furent accompagnées jusqu'à la porte d'entrée.
 
Ce même jour, sur les six heures du soir, les Consuls revêtus de leurs robes et chaperons, suivis des Conseillers politiques en habit noir, se rendirent à la porte de la Bouquerie où ils avaient fait porter un dais. Le régiment du Dauphiné, en quartier dans notre ville formait la haie ainsi que le corps d'infanterie bourgeoise depuis l'évêché jusqu'à la porte de la Ville.
 
Ce ne fut que vers huit heures et demie que l'on vit paraître les hussards, la cavalerie et une troupe de coureurs qui étaient allés a la rencontre de Monsieur. L'intendant de Saint-Priest arrivait en même temps et apercevant les cadeaux des Consuls destinés au Prince, manifesta hautement son mécontentement. Il rappela aux Consuls sa défense de faire toute dépense à l'occasion du passage du Prince et ordonna de rapporter aussitôt a l'Hôtel-de-Ville les présents de la Communauté. Ces présents furent revendus avec perte.
Ils consistaient en :
25 flambeaux de cire blanche,
25 bougies de table,
25 bouteilles vin rouge du pays,
25 bouteilles muscat de Lunel,
25 bouteilles de vin clairet de Calvisson,
50 demi-bouteilles de différentes liqueurs.
Le tout était arrangé dans des caisses ornées de rubans et de gaze aux couleurs du Prince.
 
Monsieur étant arrivé à la porte de la Ville, le Maire, les Consuls et les Conseillers politiques s'approchèrent avec le dais jusqu'à la portière du carrosse dont les glaces étaient baissées. Le premier Consul harangua le Prince qui lui répondit simplement : « Je suis très sensible, Monsieur, à tout ce que vous m'avez dit d'obligeant. »
Monsieur refusa les honneurs du dais, et resta dans son carrosse, fit son entrée dans la ville au bruit du canon, au son des cloches et aux acclamations d'une foule innombrable. Arrivé à l'évêché où il devait loger, il fut reçu au bas du perron par l'évêque, M. de Bec-de­Lièvre qui le conduisit à l'appartement qui lui était préparé. Après un moment de repos, le Prince admit le corps des officiers. Puis il fut harangué par l'abbé de Saint-Marcel à la tête du chapitre, ensuite par M. Meynier au nom de l'Académie. Le Présidial se présenta aussitôt après ; mais le Prince étant rentré dans ses appartements, cette visite fut renvoyée au lendemain.
 
Monsieur soupa en public, comme il était d'usage à la Cour. Son appartement était gardé par la cavalerie, le perron par l'infanterie bourgeoise et les grenadiers du régiment de Dauphiné, et la porte extérieure par les hussards. L'illumination générale fut très réussie et une foule considérable circula en ville fort avant dans la nuit.
 
Le dimanche 29, à neuf heures du matin, Monsieur alla visiter le Pont du Gard. La cavalerie et les hussards l'escortèrent jusqu'à une certaine distance de la Ville. Le cortège suivit la rue des Prêcheurs (la rue des Lombards) qui était tapissée comme la veille; les troupes formaient la haie. Les habitants firent une nouvelle ovation au Prince. Au retour du Pont du Gard, à midi et demi, Monsieur mit pied à terre à la porte de la cathédrale pour assister à la messe. L'évêque, M. de Bec-de-Lièvre, en rochet et camail, à la tête du chapitre en surplis, présenta, dans l'église, l'eau bénite au Prince et le harangua. La messe fut dite par l'abbé de Cabrières, grand archidiacre. Pendant l'office la musique de la cathédrale exécuta plusieurs motets. Le Maire et les Consuls en robes et en chaperons étaient à leur banc. Après la Messe, le chapitre reconduisit processionnellement le Prince jusqu'à la porte du tambour de l'église « dont la voûte, dit une relation, retentissait des battements de mains des assistants. »
 
Rentré dans ses appartements, le Prince reçut les membres du Présidial arrivés trop tard la veille, puis le Maire et les Consuls présentés par M. le Marquis de Lévi, capitaine des gardes ; il remercia chaleureusement les Consuls de leur attention à son égard, puis dîna en public.
 
Vers cinq heures du soir, le Prince monta en carrosse pour aller visiter les curiosités de la Ville. Il se fit conduire d'abord au cabinet de Séguier dont il admira les belles collections, puis aux Arènes. Le Maire et les Consuls l'attendaient à la porte principale du Monument.
 
L'attention du Prince fut attirée, continue la relation, « sur beauté de l'édifice, ainsi que sur l'affluence des dames qui bordaient les galeries des portiques, qui exprimaient leur joie par des battements de mains. »
 
La visite des Monuments se continua par la Maison-Carrée. Après avoir longuement admiré ce joyau d'architecture, le Prince entra dans l'église pour faire sa prière (1).
 
(1) La Maison Carrée servait alors d'église aux Augustins,
 
Monsieur trouva à la Fontaine une foule innombrable qui l'accueillit par de bruyantes acclamations. « Le Prince, dit le Cérémonial, arrivé sur la terrasse, a éprouvé de nouveau l'amour et la vénération de cette multitude dont les voix et les mains se sont réunies pour exprimer ses sentiments. Le Prince attendri a témoigné sa sensibilité et sa satisfaction en disant : Vive le peuple ! Vive les Nimois ! »
 
Le compte-rendu du Cérémonial continue ainsi : En quittant la Fontaine, le Prince est rentré dans le jardin de M. Rey, occupé par M. le Vicomte de Pons, colonel du régiment de Dauphiné, qui l'a reçu au son de la symphonie du régiment et lui a offert des rafraîchissements. Pendant ce temps, quelques grenadiers du régiment se sont exercés à jeter des grenades. La nuit étant survenue, le Jardin a été très bien illuminé ainsi que la porte de la Bocarié, les maisons qui bordent le Cours à droite et à gauche, et la rue depuis le Cours jusqu'à l'évêché où Monsieur s'est rendu à pied, toujours aux acclamations d'un peuple innombrable, et a soupé en public.
Le soir même, on donnera Olympie (tragédie en 5 actes de Voltaire, 1764) au Théâtre, situé à l'époque place des Arènes.
 
Le lundi 30, Monsieur se rendit à la cathédrale, à huit heures, pour entendre la Messe et partit à neuf heures, escorté de la Maréchaussée et aux acclamations du peuple. Comme à l'arrivée, la rue était tapissée et bordée de troupes.
 
La cavalerie et l'infanterie bourgeoises, après avoir rendu une dernière fois les honneurs au Prince sur le chemin de Beaucaire, se dirigèrent vers l'Hôtel de Ville pour remettre leurs drapeaux au Maire qui entouré des Consuls les reçut sur le seuil de la grand porte avec les remerciements des guidons, de Possac le fils, et Gaillard oncle et neveu.
 
Enfin le Cérémonial signale une dernière visite faite par le Maire et les Consuls, toujours en robes et en chaperons, le ler juillet, à l'intendant de la Province, logé chez M. de Chazel.
 
Le jour même où le Prince se rendait au Pont du Gard, arrivait à Nimes, l'Empereur d'Allemagne voyageant en France sous le nom du Comte de Falkestein. Arrivé vers les trois heures, accompagné d'une suite nombreuse, il descendit à l'hôtel du Louvre. Après avoir visité rapidement les Arènes, la Maison-Carrée et la Fontaine d'où on avait écarté la foule des curieux, l'Empereur repartit le soir même pour Tarascon. Sur sa demande, aucun honneur lui fut rendu.
 
La ville de Nimes ne reçut plus aucune visite princière jusqu'à la Révolution.
 
L. AILLAUD.
 

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