Le consulat à Nîmes de 1124 à 1789.

par Philippe Eyssette, 1853

 

Serment des consuls en 1198

 

Le Concile de Limoges, en 1028, excommunie solennellement les chevaliers du pays, parce qu'ils ne veulent point promettre, par serment, de garder la paix ; pendant que la formule d'excommunication est prononcée, les Evêques jettent à terre les cierges qu'ils tenaient allumés et les éteignent. Si les seigneurs persistent dans leur refus, l'interdit sera jeté sur leurs terres, le service divin cessera d'être public, les sacrements ne seront administrés que dans le cas d'absolue nécessite;; tous les jours, au son des cloches, le peuple prosterné priera solennellement pour la paix.

 

Le Concile d'Elme, dans le Roussillon, tenu en 1047, confirme les décrets des précédents Conciles de France sur la Trève de Dieu. La Trève de Dieu était une des variétés de ce qu'on appelait la Paix de Dieu, une concession partielle et restreinte.

 

Ces décrets sont confirmés encore l'année suivante dans le Concile de St-Gilles.

 

Le Concile de Narbonne, en 1054, donne une plus grande extension à la Trève de Dieu, que tous les chrétiens seront tenus d'observer sous peine d'anathème et d'exil perpétuel. Ceux qui auront souffert quelques dommages se pourvoiront devant l'Evêque ou par-devant les juges commis par lui, lesquels, suivant les circonstances, pourront prononcer contre les coupables la peine de l'exil. On reconnaît ici la juridiction encore vivante des Evêques gallo-romains, ces magistrats des municipes, éliminant de l'Eglise ou de la Cité la rébellion persévérante et obstinée. Le même Concile met sous la sauvegarde de la paix les champs d'oliviers, richesse de nos contrées, destinés, disent les pères dans leur sage et patriotique prévoyance, à alimenter le luminaire des églises et à servir aux onctions saintes.

 

Le Concile de Clermont, tenu en 1095, sous le Pape Urbain II, maintient solennellement la Trève du Seigneur, savoir, en tout temps, en faveur des clercs, des moines et des femmes; et pour toute autre personne, les dimanche, jeudi, vendredi et samedi de chaque semaine. C'est à cette époque que la France entière s'ébranle pour les premières croisades. C'est à la voix du Souverain Pontife lui même, que toutes les inimitiés s'apaisent, que les armes se tournent contre les ennemis de la foi.

 

Le Concile de Rouen, en 1098 étend la sauvegarde de la trêve perpétuelle aux pèlerins, aux marchands, aux laboureurs, et en même temps à tous les animaux et instruments employés à la culture, aux champs, au numéraire: toute personne âgée de plus de 12 ans doit jurer la paix sous peine d'excommunication. Les seigneurs qui s'y refusent auront leurs terres mises en interdit, et tous marchands ou artisans qui leur vendront quelque chose seront excommuniés de plein droit.

 

Le Concile de Latran, tenu en 1123, par le Pape Calixte, généralise l'application de tous ces décrets.

 

C'est en ce moment que nous voyons la communauté de Nîmes apparaître et se manifester par de modestes essais et bientôt faire reconnaître ses droits. Elle a acheté en 1124, au prix de 4000 sous melgoriens, de son vicomte Aton IV, l'exemption perpétuelle des questes et toltes exigées quelquefois parce seigneur féodal, quos nos in aliquâ occasione quœrebamus.

 

Les questes et topes étaient les subsides que le seigneur demandait à ses vassaux en certaines circonstances (aliquandò quœrebamus), et qui n'étaient, dans L'origine, que des témoignages de dévouement personnel et de familiarité consacrés par l'usage. Ainsi, les vassaux s'imposaient volontairement dans les cas suivants : si le seigneur était fait prisonnier à la guerre et qu'il fallût payer sa rançon ; quand il mariait sa fille ou faisait son fils chevalier, et plus tard, quand il partait pour la croisade. Ce tribut volontaire et amiable fut ensuite revendiqué comme un droit. Les cités ne tardèrent pas à s'en affranchir.

 

Les quatre mille sous melgoriens furent-ils réellement comptés par nos ancêtres nîmois, ou bien mentionnés au contrat politique pour lui donner toute la force d'un contrat civil et le rendre irrévocable? C'est ce que nous ne pouvons décider.

 

Un mot, qui semble jeté au hasard dans cette transaction, est digne cependant de remarque. Il y est dit que les habitants de Nîmes ont payé la somme COMMUNITER, en corps de commune.

 

Vingt ans après, Aton V, fils du précédent, concédait à la communauté de Nîmes, représentée par ses consuls, les pâturages des garrigues, au prix de quatre mille sous (monnaie de St-Gilles.)

 

La communauté est maintenant constituée. Elle a reconquis son exemption, son territoire. Elle obtient, l'année suivante, la reconnaissance des plus précieuses libertés, celle maintenue à tous ses membres de ne pouvoir être saisis en leur personne ou leurs biens que pour les crimes de trahison au de vol. L'inviolabilité personnelle devait être garantie à son tour.

 

Un document intéressant (Règlement sur l'exercice de la juridiction entre le vicomte et le viguier) nous apprend que le vicomte exerçait la haute justice et pouvait condamner à la mutilation des membres. Le viguier ou vicaire n'exerçait que la moyenne justice et prononçait contre les coupables les peines de la fustigation, du rasement de la tête et de la mise au carcan.

 

Chacun de ces deux justiciers féodaux avait sa cour. La cour vicariale comprenait clos assesseurs pris parmi les chevaliers ou les bourgeois, selon la qualité des parties.

 

C'est même dans une assemblée générale de chevaliers et de bourgeois tenue aux Arènes , sous l'ormeau, en présence de la vicomtesse mère, que ce règlement est dressé en 1161. On y invoque les anciennes traditions constatées par serment, ce qui nous indique que les choses s'étaient toujours ainsi passées.

 

Mais revenons au consulat.

 

Le consulat, expression nouvelle de cette résurrection municipale, était la magistrature des villes d'Italie qui, dans les querelles du sacerdoce et de l'Empire, les longues luttes des Guelphes et des Gibelins, avaient, sous l'étendard de la papauté, repris leurs anciennes franchises. Le consulat de Milan date de 1093, celui de Gênes de 1100, Arles créa le sien en 1130, Béziers en 1134, Montpellier en 1141, Avignon en 1146, Narbonne en 1148.

 

Le consulat de Nîmes ne paraît officiellement qu'en 1144, entre celui de Montpellier et d'Avignon. Mais la transaction de 1124 sur l'exemption des questes et toltes prouve que Nîmes fut une des premières villes de France à suivre le mouvement d'Italie, qui se propagea des côtes maritimes (Arles, Avignon, Montpellier et Béziers) jusqu'à Narbonne et Toulouse, capitale de la Province, car c'est en 1152 que les anciens capitulaires de Toulouse, réunis en commune concilium, commencent à rendre leurs ordonnances de police locale.

 

Ces semences de liberté jetées dans le Midi de la France par les vents d'Italie s'unissaient trop bien à l'esprit de la politique royale et aux exigences de la situation politique, telle que l'avaient faite les Croisades, le morcellement des terres, l'aisance conquise par le travail, pour ne pas activer partout la création de la commune.

Les rois, sans lesquels aucun affranchissement communal, aucun démembrement de fief ne pouvait avoir lieu, donnèrent l'exemple dans leur domaine, en concédant la commune à leurs vassaux. Les seigneurs qui n'étaient, à vrai dire, que leurs lieutenants, ne pouvaient se soustraire aux conséquences de ce grand acte. Il ne s'agissait plus pour eux que de débuter et de régler les conditions d'indemnité.

 

Mais, à part l'initiative royale, une des causes principales de cette salutaire agitation et de cette reconstruction sociale, fut sans contredit la Trève de Dieu, la paix.

 

La paix avait substitué au serment féodal un serment plus sacré encore et plus solennel. L'obéissance du vassal s'arrêtait devant cette nouvelle barrière. Ce n'était pas tout d'ailleurs d'amener les populations entières, sans distinction de dignités ni d'état, à jurer la paix; il fallait régler les droits respectifs, arbitrer les différends, créer des juges pacificateurs ; ce furent, en général, les Evêques ou des hommes de bien commis par eux.

 

Ces juges amenèrent des transactions, des chartes de privilège, dont l'exécution fut confiée à des gardes ou conservateurs. De là une multitude de magistrats populaires, juges de la paix ou juges jurés, à cause du serment qu'ils prêtaient.

 

L'Angleterre, au sein de laquelle le comte de Leicester, fils de Simon de Montfort, devait porter les traditions de nos libertés méridionales, a conservé ses juges de paix, ses officiers de paix, ses jurés, judices jurati. Les commissions que la reine des trois royaumes délivre aux juges de paix des comtés les charge, par une formule non encore entièrement rajeunie, de purger leur terre de sorciers et d'y faire garder les statuts de la paix. Les assises du jury anglais s'appellent encore les sessions de la paix.

 

Toutes les villes du Nord avaient leurs jurati. On peut voir à ce sujet des textes fort curieux, rapportés par Merlin dans son répertoire au mot jurés et extraits d'anciennes ordonnances royales. Les jurés y sont pris tous comme membres de la commune, tantôt comme administrateurs, tantôt comme juges des matières criminelles. Un savant jurisconsulte de Valenciennes, dit M. Merlin , nous a dit qu'il y avait autrefois en cette ville des échevins et des jurés qui portaient le titre de, jurés de la paix; ils ne formèrent plus tard qu'un seul corps.

 

Mais cette institution n'était point particulière aux populations du Nord. Le roi de Majorque, dans une Charte communale, parle des jurés de Perpignan. Bordeaux conserva la juridiction de ces jurats. Saint Louis permit aux habitants de Nîmes de porter leur cause indifféremment devant le juge royal ou devant leurs propres juges, lesquels, dit-il, doivent être annuels et jurés.

 

La coutume d'Albi , citée par M. du Mège (Histoire du Languedoc), parle des prud'hommes chargés de renvoyer les criminels devant le juge supérieur, lequel met les preuves du fait sous les yeux d'autres prud'hommes et leur demande la peine qui doit être prononcée. C'est le jury d'accusation et le jury du jugement.

 

Telle est l'origine de ces statuts de paix prescrits par les Evêques, et en vertu desquels on levait un impôt volontaire, connu sous le nom de commune pacis. Telle est l'origine de ces chartes de paix qui, considérées par les historiens modernes comme signées sur le champ de bataille , ont fait croire que la liberté communale avait été conquise à la pointe de l'épée, était l'oeuvre de la violence et du fait plutôt que celle du droit. Mais qu'on lise ces traités conclus toujours sous les auspices du clergé, et l'on y verra partout la trace de la confédération jurée (si juratus à jurato… si juratus à non jurato accipit injuriam) ; on y verra surtout le respect du droit, car tout s'opère, sauf et entier le droit du seigneur, salvo jure domini. C'est, en effet, la modération du droit ; c'est la force mise au service de la justice et de la paix. Ce n'est qu'en cas de violence, force ouverte et pillage, qu'au son de la cloche paroissiale et sous la bannière des saints patrons, les hommes de la paix, hommes pacis, déploient la force des armes jusqu'à ce que l'oppresseur ait réparé le tort, au dire d'arbitres communs, et donné des sûretés pour l'avenir.

 

De là l'origine des milices communales à l'intérieur, grande et pacifique armée de l'ordre public.

 

On nous saura gré de mettre sous les yeux des lecteurs la formule du serment de cette grande confédération populaire, de cette confrérie religieuse et armée. Nous en avons trouvé le texte dans un ouvrage publié en 1837 par un magistrat de Douai

 

Je jure que dorénavant je garderai fidèlement cet établissement de la trêve de Dieu comme elle est spécifiée, et que je porterai assistance à mon Evêque contre ceux qui refuseraient de la jurer et de s'y conformer, de manière que si je suis averti par lui de marcher sur ces hommes, je ne fuirai, ni ne me cacherai; mais, au contraire, je l'accompagnerai avec mes armes et l'aiderai autant que je le pourrai contre eux, de bonne foi, sans mauvais dessein et selon ma conscience. Qu'ainsi Dieu et les Saints me soient en aide !

 

Des associations religieuses et militaires se constituèrent pour le maintien de la paix. Tandis que les Templiers et les Hospitaliers couvraient de leur épée les pèlerins d'Orient et ouvraient à la chrétienté l'accès des Saints Lieux, des soldats du Christ, plus humbles et non moins dévoués, s'organisaient en confréries pour protéger, au sein même des nations chrétiennes, les faibles, les femmes et les voyageurs. Il se forma de ces confréries sur les bords du Rhin ; il s'en forma en Espagne (la santa hermandad) ; il s'en forma une au Puy-en-Velay, connue sous le nom d'association des chaperons blancs ; elle a une importance historique et locale.

 

Ce fut en 1192 qu'un pauvre charpentier du Puy vint révéler à son Evêque une vision qui l'avait frappé dans son sommeil. Il avait cru voir Notre-Dame du Puy lui apparaître avec son divin Fils, dont la main déroulait une légende ainsi conçue :

 

Agnus Dei qui tollis peccata mundi, dona nobis pacem.

 

Autorisé, non sans difficultés, à publier cette vision, le charpentier devient l'apôtre éloquent et populaire de la paix. A sa voix, à l'aspect de ses larmes, les ennemis abjurent leurs haines et se jettent dans les bras les uns des autres. Une confrérie est formée; des prélats, des chevaliers s'y enrôlent avec les paysans et les bourgeois. Un chaperon blanc, portant une image de la Sainte Vierge en plomb, est le signe distinct des associés, qui se vouent à la défense des voyageurs et au maintien de la sûreté publique ou de la paix. On data les actes de cette époque comme d'une ère nouvelle, ainsi qu'il résulte de plusieurs chartes datées anno à quo incepit pax beatœ Mariœ.

 

Un an ne s'était pas écoulé que le pays s'était purgé des routiers, et que devant l'autel de Notre-Dame du Puy, les comtes de Toulouse et le roi d'Aragon venaient solennellement abjurer l'inimitié dont les déplorables effets avaient ensanglanté et désolé la province.

 

Nous avons cru devoir mentionner en passant ces confréries guerrières et religieuses, ces ordres de chevalerie populaire qui tendaient déjà à reprendre aux classes supérieures le privilège de la défense publique et la mission du soldat chrétien. L'esprit de dévouement et d'abnégation modeste qui distinguait ces associations ne revit-il pas aujourd'hui dans cette milice modèle, auxiliaire infatigable de la justice, si admirable de courage, de patience , d'humanité , soldats dont les armes n'obéissent qu'à la loi et dont la poitrine est le rempart de l'ordre public ? Ne revit-il pas encore dans ces associations d'ouvriers armés qui, de nuit et de jour, au premier signal de la cloche d'alarme, courent à l'incendie pour sauver la vie ou la fortune de leurs concitoyens ?

 

Nous avons dit que les historiens daignent à peine mentionner ce grand mouvement de la paix;mais quand nous voyons la société chrétienne tout entière , par ses conciles généraux et provinciaux, ses papes, ses empereurs, formuler un ensemble de dispositions réglementaires sur la pair, de pace imponendâ ; quand nous voyons dans les législations politiques, dans les institutions, dans le langage, les traces encore visibles de cette grande et salutaire organisation que s'approprie la royauté française, en se faisant elle-même, suivant une belle expression de M. Guizot, le grand juge de paix du pays, il faut, bien reconnaître que ce fait occupe une large place dans l'histoire et dans le droit.

 

L'historien philosophe Mably traite avec un grand dédain les prédications du charpentier vélaisien, espèce d'enthousiaste, homme de la lie du peuple .... Son éloquence grossière eut le succès qu'elle devait avoir sur des hommes ignorants, crédules et amis du merveilleux.

 

 

Le consulat de Raymond.

 

 

L'organisation communale était déjà assez avancée pour qu'en 1177 le concile général de Latran fasse défense à tous recteurs, consuls et autres magistrats des villes, d'imposer les églises pour les frais de fortification et de guerre, sans nécessité reconnue. Le même concile maintient de plus fort l'institution de la paix et proscrit l'établissement de tous nouveaux péages et autres exactions. Il ordonne de dénoncer et excommunier dans les églises, les jours de dimanches et fêtes, les brabançons et cottereaux (soldats mercenaires), qui répandent la désolation partout. L'emploi des armes est autorisé contre eux. Ceux qui les attaqueront seront mis sous la pro­tection de l’Eglise, comme ceux qui visitent le Saint-Sépulcre.

 

Déjà, en 1165, l'Evêque de Nîmes, d'accord avec l'abbé Saint-Gilles et quelques seigneurs voisins, avait affranchi la contrée du péage illégal et vexatoire que le comte de Melgueil, Bernard Pelet, maintenait à main armée dans le diocèse de Nîmes, sur les limites du territoire d'Alais.

 

Après avoir invoqué l'appui du roi, dont les ordres n'avaient pu avoir raison de la résistance féodale, les prélats et le roi lui-même en réfèrent au pape Alexandre III , qui se trouvait alors en France ; ce pontife enjoint aussitôt , par une lettre du 17 janvier 1165 à Pons, archevêque de Narbonne, et aux évêques de Nîmes, d'Uzès, de Mende et de Maguelone, de faire exécuter contre le comte de Melgueil la sentence d'excommunication, et de jeter l'interdit sur la ville d'Alais et tous autres lieux du domaine de la maison de Pelet, jusqu'à ce que les nouveaux péages aient été levés, conformément aux ordonnances de la paix.

 

Un concile de la province narbonnaise tenu à Montpellier en 1193, sous la présidence d'un légat, ordonne expressément l'observance de cette paix et réitère l'injonction relative aux brabançons qui ravageaient la contrée. C'est à cette occasion que Raymond V, comte de Toulouse, devenu seigneur direct de la vicomté de Nîmes, autorisa les habitants de cette ville de la clore de murs et de fossés ainsi et de la manière qu'ils l'aviseraient, tant pour le temps présent que pour l'avenir. Une pareille autorisation ne pouvait être conférée qu'à une administration municipale déjà régulièrement organisée et suppose évidemment la continuité du consulat, bien que dans des actes de 1185 et 1194, confirmatifs des privilèges, il n'en eût pas été fait mention.

 

En autorisant la corporation nîmoise à clore de murs et fortifier la ville, le Comte accorde aux bourgeois, en tout ou en partie (et c'était justice), les privilèges dont jouissaient les chevaliers des Arènes, c'est-à-dire l'exemption de tous frais judiciaires devant les juges du comté.

 

Raymond V mourut à Nîmes, où il avait fixé sa résidence. Son corps fut honorablement enseveli dans la chapelle mortuaire de la maison de Toulouse en l'église Cathédrale.

 

Raymond VI confirma les privilèges accordés par son père. S'étant attiré les murmures du Saint-siège par les exactions qu'il commettait sur le territoire de Saint-Gilles, ce prince dut s'engager à prendre la croix et à faire le voyage de la Palestine.

 

Avant de partir, et sous l'influence de sa réconciliation opérée avec l'Eglise (c'est, en effet, à la même date), Raymond VI concède à la ville l'institution du consulat, ou plutôt confirme et réglemente d'une manière stable et définitive une institution déjà préexistante.

 

D'après cette ordonnance (1198), le peuple réuni à son de trompe, dans les 4 arrondissements ou quartiers de la ville, sous la présidence de l'officier comtal, devait nommer par quartier cinq personnes probes et capables, lesquelles, après serment prêté de voter pour le plus grand avantage de la communauté et du comté, désigneraient quatre consuls. C'était la tradition non encore éteinte de la curie et des quartumvirs.

 

Le nouveau règlement consulaire était à peine mis en vigueur que, par de nouveaux griefs, le comte de Toulouse attirait les foudres de l'Eglise. L'appui direct donné par ce prince aux traitants juifs et aux Albigeois aggravait aux yeux du Saint-Siége une conduite déjà répréhensible. Averti plusieurs fois, il ne tint aucun compte des admonestations et des remontrances. L'excommunication est fulminée contre lui. Nous donnons en entier cette sentence, l'un des documents les plus importants du droit public de l'époque et liée intimement à notre histoire municipale.

 

« Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos frères les archevêques de Narbonne, Vienne, Arles et Embrun, ainsi qu'à leurs suffragants, salut et bénédiction apostolique.

 

Comme les graves excès et abus énormes par lesquels le noble comte de Toulouse, Raymond, offense la paix publique et favorise l'hérésie, ne peuvent plus longtemps, au mépris de l'Eglise universelle et de Dieu, demeurer impunis, nous prescrivons rigoureusement à votre fraternité par ce rescrit apostolique, et vous mandons expressément que, sans égard à toute récusation ou appel et par la voie de censure ecclésiastique, vous fassiez, jusqu'à cligne satisfaction, exécuter dans vos diocèses la sentence que nos chers fils, l'abbé de Citeaux et Pierre Castelnau, légats du Siége apostolique, ont porté comme suit contre ledit comte Raymond:

 

Nous l'excommunions parce qu'il tient à sa solde clos Aragonais et qu'il s'en sort pour dévaster le territoire; parce qu'il viole la trêve du carême, des fêtes et du temps où la sécurité est garantie par le privilège de la paix; parce qu'il ne veut point rendre ni recevoir justice à l'égard de ses adversaires, quand ces derniers lui offrent justice et ont prêté le serment de paix ; parce qu'il donne les charges publiques à des juifs ; parce qu'il enlève le bien des églises ; parce qu'il s'empare des églises fortifiées pour y faire le guet ; nous l'excommunions pour les péages énormément exagérés, pour l'évêque de Carpentras chassé de son siège ; parce qu'enfui , hérétique lui-même, il favorise les hérétiques, contre le serment par lui prêté tant de fois; nous l'excommunions parce qu'il ne veut point jurer la paix, proeo quod nolit pacem jurare.

 

En conséquence, que toutes les terres dudit comte soient mises en interdit, sauf celles où les habitants voudront jurer et garder la paix ; que l'on n'y administre plus les divins sacrements, sauf, par nécessité, ceux de baptême et de pénitence; qu'on ne célèbre le divin sacrifice qu'une fois par semaine, le dimanche, à voix basse et hors la présence des laïques qui n'auront pas juré la paix; que tous les lieux où ledit comte sera présent soient interdits pendant sa présence; qu'ils soient par l'autorité affranchis de tout serment de fidélité et d'hommage ceux qui en sont tenus envers lui, tant qu'il persévèrera dans son opiniâtreté ; que les châtelains, baillis et chevaliers qui, après la publication de cette sentence, prendront les armes pour sa défense ; que toute personne qui remplira auprès d'eux les fonctions de juge, d'avocat, de médecin; que le maréchal qui ferrera son coursier, soient excommuniés. Qu'on exécute contre ledit comte et ses Aragonais le décret du concile de Latran contre les Brabançons.

Donné à St-Pierre de Rome, etc. »

 

Expédition de cette sentence fut délivrée à l'évêque de Nîmes par le légat Castelnau et munie de son sceau. Pour échapper à l'interdit fulminé par le Souverain Pontife, les consuls et les habitants veulent jurer la paix; mais Adhémar, le viguier du comte, veut s'y opposer par la force. On court sus à l'ennemi de la paix et à ses Aragonais ; les chevaliers des Arènes l'abandonnent et marchent unis aux bourgeois. Le palais comtal est détruit; le viguier est tué. Le comte se présente en personne aux portes de la ville pour apaiser l'insurrection, mais l'entrée lui est refusée.

 

Le serment de paix fut solennellement juré par les consuls des Arènes et ceux de la Cité sur les saints Evangiles, entre les mains de l'Evêque, en présence du clergé et d'un aussi grand nombre de chevaliers et de bourgeois que pouvait en contenir le grand palais épiscopal. L'acte porte union et confédération pour la défense commune, le maintien du consulat, ainsi que de la paix.

 

On voit apparaître en cette assemblée des citoyens et des bourgeois, les descendants des anciennes familles curiales ; ceux qui habitaient le centre de la ville, de plateâ civitatis, étaient les cives; les autres, habitants des faubourgs, n'étaient élue les burghenses ; c'étaient encore l'ancienne division entre les curiales et les incolœ.

 

Les principaux articles de la paix sont ceux-ci :

 

Tous ceux, chevaliers ou bourgeois, qui feront acte contre la volonté ou la prohibition des consuls et de la majorité du conseil, seront réputés infâmes, traîtres, parjures, et leurs biens tomberont en commise entre les mains des consuls. II en sera de même de tous ceux qui prêteront aide et assistance à ces rebelles.

 

Cette clause est d'une haute portée. On y reconnaît la formule du serment féodal. Le magistrat populaire est ici substitué au seigneur. La liberté municipale absorbe le fief.

Poursuivons.

 

Celui qui adhère par serment au présent consulat ne fait aucun abandon de ses droits ou de sa seigneurie légitime. (Nouvel hommage rendu au droit.)

 

Celui qui commettra un homicide dans la ville ou le château n'y pourra rentrer jamais, sauf le cas où le meurtre serait commis en temps de guerre. Si quelqu'un a frappé un habitant de la ville ou du château, il ne pourra rentrer que de l'avis et de l'autorisation des consuls qui, seuls, pourront l'introduire et le ramener, après avoir consulté l'offensé. Si l'offenseur rentre en ville sans avoir satisfait à ces conditions, l'offensé ne doit pas en tirer vengeance sans l'avis et l'assentiment des consuls.

 

Une seconde réunion des chevaliers et des bourgeois a lieu le mois de février suivant. On y arrête la forme définitive du consulat, qui se composera de huit membres, quatre pour la ville, quatre pour le château, avec plein pouvoir de statuer, de traiter, corriger tout ce qui peut intéresser l'utilité publique, et notamment de fortifier la ville et le château. Les élections consulaires sont faites et le seront à l'avenir par les consuls et conseillers en exercice, avec l'avis, l'assentiment et le concours de l'Evêque. L'assemblée se tient encore en présence de ce prélat et dans le palais épiscopal.

 

Les droits du comte, bien que suspendus par l'interdit, sont cependant sauvegardés dans cet acte de souveraineté communale. Si, en effet, une partie citée devant les consuls demande son renvoi devant la cour du seigneur comte, les consuls ne peuvent retenir la cause; mais si elle a accepté une fois la juridiction des consuls, elle ne pourra plus s'y soustraire jusqu'à la fin du procès.

 

Ce consulat, ainsi réglé, fut reconnu, sanctionné par Raymond VI en mars 1206, trois mois avant sa réconciliation officielle avec l'Eglise. Le traité fut passé dans l'église de Caissargues, sous les murs de Nîmes. Munis de la charte scellée en bonne et due forme, et après le baiser de paix donné, dato osculo pacis, les consuls ramenèrent Raymond dans son palais comtal aux Arènes, et on donna lecture des actes en pleine assemblée des chevaliers et des bourgeois, sous l'ormeau qui décorait le milieu de l'ancien cirque romain transformé en place publique.

 

Voici les lettres de rémissions d'abord octroyées :

 

L'an de l'Incarnation de Notre Seigneur mil deux cent huit, et le 45e jour des calendes de mars, nous, Raymond, par la grâce de Dieu duc de Narbonne, comte de Toulouse, marquis de Provence, à vous consuls du Château des Arènes et de la cité de Nîmes, Guillaume d'Arènes, Pons de Vézénobres , Guillaume de Geolen et Bernard Feuillechères, et par vous à tous autres consuls, chevaliers et habitants des Arène, citoyens et habitants de la ville de Nîmes, et à tous étrangers unis à vous dans la même fédération, faisons abandon et rémission entière de tous les sujets de légitime courroux que vous nous avez donnés par votre désobéissance, en faisant contre nos ordres, contre ceux de notre connétable et de notre viguier, un pacte de confédération , dans une de nos places de guerre.

 

Nous vous faisons abandon et rémission pour le meurtre de notre viguier Adhémar, dont la maison a été détruite et saccagée ; pour la démolition de notre hôtel situé au-dessous de Nîmes, au quartier du Pré, ainsi que la dispersion de ses pierres et de tout ce qu'il pouvait renfermer.

 

Nous vous pardonnons l'affront que vous nous avez fait en nous refusant l'entrée de la ville et du château, en y recevant nos ennemis; la témérité que vous avez eue d'exercer vous-mêmes nos droits de justice, même en matière criminelle, et de percevoir les amendes qui nous étaient dues.

 

Nous vous pardonnons tout cela et voulons bien que personne à l'avenir ne puisse vous inquiéter à ce sujet, soit par action ou par exception, soit pour réparation civile ou réparation criminelle.

 

Nous vous tenons quittes aussi de tous dommages pour la destruction du moulin comtal, établi sur le fossé de la ville, devant la porte de Sainte Marie Magdeleine, et nous engageons à ne plus en faire établir désormais en pareil lieu.

 

Nous abandonnons enfin toute action contre vous et nous en désistons sans exception.

»

Ainsi Dieu nous soit en aide et les Saints Evangiles que nous touchons de nos propres mains !

 

Cette pièce importante, qui amnistiait des actes fort répréhensibles commis dans le désordre de la lutte, ayant été transcrite par le chancelier du comte et signée tant par le seigneur que par huit de ses principaux chevaliers, les consuls présentèrent à l'adhésion du comte une Charte confirmative du consulat et notamment du droit de justice municipale.

 

En voici le texte :

 

Nous, etc... à vous consuls du Château des Arènes et de la cité de Nîmes, et par vous à tous chevaliers et citoyens y habitant, concédons, approuvons et maintenons le consulat ou confédération consulaire existant entre la ville et le château, de même que les règlements constitutifs de ce consulat, toutes vos bonnes coutumes, y comprises celles que notre père et nous vous avons déjà reconnues. Nous y ajoutons qu'entre toutes personnes qui voudront plaider devant les consuls, la cause pourra être introduite et devra être continuée, mais qu'hors ce cas spécial , il sera permis à toute personne de plaider devant notre cour.

 

Et nous, répondent les consuls, au nom de tous les consuls, au nom de tous les chevaliers et citoyens de la ville de Nîmes, nous nous engageons envers notre seigneur comte Raymond, de ne jamais plus faire d'autre fédération consulaire que celle déjà faite entre la ville et le château.

 

Ces actes furent signés à Caissargues, en l'église Saint Sauveur.

 

Le procès-verbal ajoute que le seigneur, installé dans son Palais et dans son château des Arènes, en présence de tous les consuls, des conseillers et de plusieurs chevaliers et citoyens, renouvela les assurances données et les scella par la baiser de paix et de réconciliation. Après quoi, ledit comte, accompagné des mêmes magistrates, descendit dans la place publique, in plano Arenarum, où ils prirent séance, et deux commissaires délégués renouvelèrent devant le peuple, au nom du seigneur et des consuls, le serment déjà prêté.

 

Lors de la réconciliation du prince avec l'Eglise, les consuls de Nîmes, de leur aveu, s'engagèrent par serment envers le légat à ne plus considérer le comte comme leur seigneur s'il venait à manquer à sa promesse; ensuite de veiller avec soin à la sûreté des chemins publics, d'observer eux-mêmes tous les articles dont l'exécution était prescrite au comte et de renouveler tous les ans leur serment entre les mains de l'Evêque.

 

La soumission du comte de Toulouse n'arrêta pas les soulèvements des Albigeois, qui tenaient encore plusieurs places fortes du Languedoc. Le droit publie de l'époque, attesté par les décrets du concile de Latran et les constitutions impériales, portait que tout seigneur féodal était tenu, à perte de son fief, de chasser les hérétiques de son territoire; que s'il ne pouvait le faire par lui-même, la milice chrétienne lui devait prêter assistance, et après avoir purgé le pays des hérétiques, le rendre à son légitime seigneur, à moins qu'il n'eût fait cause commune avec eux. Le fief n'était, en effet, qu'un office héréditaire, une charge, une fonction, dont le titulaire ne pouvait évidemment abuser contre la république chrétienne, et qui, soumis à plusieurs conditions, pouvait chaque jour tomber en commise:

 

Raymond, dont les possessions étaient convoitées par une foule de guerriers aventureux qui sous la croix des défenseurs de la foi catholique dissimulaient leur ambition personnelle, préféra rompre ouvertement avec l'Eglise et se mettre à la tête de ses vassaux albigeois.

 

Simon de Montfort, élu général des Croisés, s'empara de plusieurs villes, et le pape Innocent lui confirma ses conquêtes, le comte de Toulouse demeurant déchu de tous ses droits. Le même Pontife écrivit dans le même sens aux prélats de la province, aux consuls clos principales villes et de Nîmes en particulier.

 

Il parait que les magistrats nîmois ayant fait sortir de la ville quelques partisans du comte de Toulouse, ces derniers formèrent une conspiration pour rentrer de force et renverser le consulat. Cette conspiration, organisée par les officiers du comte et avec son concours, était recrutée parmi les bourgeois et les chevaliers unis par le serment; on devait s'introduire en armes dans la ville, sonner le tocsin, se débarrasser des magistrats et ouvrir les portes à Raymond. Le complot fut déjoué, ainsi qu'il résulte de la volumineuse information à laquelle procédèrent les consuls.

 

Nous voyons cependant à cette époque, résolues par la médiation de l'Evêque et de quatre arbitres nommés par lui, les difficultés élevées entre les consuls et le viguier de Raymond, qui remplissait encore ses fonctions de juge.

 

Le respect du droit était si puissant à cette époque, que l'officier d'un prince exilé pouvait demander à toute une population, représentée par ses magistrats, le salaire dû à sa fonction pour tous les actes judiciaires auxquels il avait été procédé en son absence et contre son droit. Un parlement général de la cité est convoqué. L'Evêque, juge naturel entre le viguier d'une part et tout le peuple de l'autre, s’adjoint quatre arbitres. Leur décision est pleine de sagesse et à une grande portée. Tous actes accomplis dans l'intérêt public par l'Evêque ou les consuls sont affranchis de droits. Les actes d'intérêt privé seront taxés, et il en sera tenu compte au profit du viguier.

 

Le comte était allé à Rome plaider sa cause auprès d'Innocent III, (1216) qui l'avait admis à se purger des accusations portées contre lui. Mais, sous l'inspiration des légats et des croisés, les conciles de Lavaur et de St-Gilles, portèrent une nouvelle sentence contre le malheureux prince. La guerre civile se ralluma donc dans le Languedoc.

 

Simon de Montfort avait été maintenu par le concile dans la seigneurie des terres conquises par les armes des Croisés ; quant aux autres domaines de Raymond VI, ils avaient été séquestrés par l'autorité de l'Eglise romaine et tenus en réserve jusqu'à ce que le comte eût été absous ou condamné.

 

Le roi de France faisait valoir ses droits de suzerain. Les membres de la famille du comte excipaient de leurs droits éventuels. Montfort et les Croisés demandaient la guerre avec impatience pour conquérir de nouveaux fiefs.

 

En cet état, le comté de Nîmes était tenu, au nom de l'Eglise romaine, par Montfort, en sa qualité de général des Croisés. Mais la ville demeurait indépendante sous l'autorité de son évêque et de ses consuls.

 

Pour rétablir son autorité clans cette place importante et la rattacher à ses domaines, le terrible comte a recours à toutes les arguties du légiste et fait tous ses efforts pour colorer do l'apparence d'un droit des prétentions ambitieuses. Le chef de la milice chrétienne, le victorieux de Muret, cherche à revendiquer furtivement la seigneurie de Nîmes comme une dépendance du fief de Carcassonne, qui lui appartient , et nous voyons que le pape Innocent charge un de ses légats de vérifier ce point de fait. Pour plus de sûreté, Simon se fait consentir par les représentants des anciens vicomtes de Nîmes une donation, entre vifs et en bonne forme, de tous les droits qui pouvaient leur revenir, du chef de leurs auteurs et par suite de substitution, sur la vicomté.

 

Cet acte , rédigé avec un luxe inouï de précautions juridiques, porte en termes exprès que la donation vaudra , bien que non insinuée (car ce titre éventuel devait demeurer secret) et qu'elle ne pourra jamais être révoquée, même pour cause d'ingratitude.

 

Tous ces moyens détournés, ces combinaisons occultes, peu dignes de cette grande et austère figure qui domine une époque de lutte sanglante, de violence, de domination, sont un hommage rendu à l'indépendance de notre cité. Le glaive se reconnaissait impuissant pour l'asservir. Il s'effaçait devant le sac du procédurier et l'écritoire du scribe. Il recherchait l'ombre d'un droit.

 

L’évêque de Nîmes tient donc la ville au nom du Saint Siège.

 

Nous voyons, le 11 août 1213, l'archevêque d'Arles et l'évêque de Nîmes, assistés des consuls de leurs villes respectives, former entre ces deux villes une alliance et une confédération pour maintenir la paix, faire observer la justice et se prêter secours contre ceux qui entreprendraient d'attaquer leurs personnes, leurs biens, leurs droits et leur liberté.

 

Toutes les difficultés doivent être jugées par la médiation des prélats. Le traité est fait sous la réserve de tous les droits, et sauf l'autorité de l'Eglise romaine et des églises d'Arles et de Nîmes, de tous les droits de l'Empire et du royaume, des statuts de paix, du consulat des deux villes, et sauf le droit de celui qui serait commis par le Roi pour régir le comté de Toulouse. Ce respect du droit ne saurait être poussé plus loin.

 

Nous voyons à cette époque un citoyen, nommé Bernard Durand, se présenter devant les consuls pour acquitter l'amende et fournir caution de bonne conduite, coupable qu'il était d'être sorti de la ville pour aller dans le camp albigeois, in terra inimicorum nostrorum, et Jesu-Christi, et pacis.

 

Le Concile de Latran, sur la prière d'Innocent III, qui se souvint que l’Eglise romaine était la tutrice des faibles et des pupilles, rendit au jeune fils du comte de Toulouse la moitié de ses domaines, c'est-à-dire la Provence et le Bas Languedoc.

 

Pendant le siège de Beaucaire, l'évêque de Nîmes et les consuls firent signer, sous la tente de Montfort, la reconnaissance de leurs privilèges. Ce fut le prix de leur neutralité. Repoussé de Beaucaire, Simon de Montfort, vint à Nîmes et confirma le consulat, reconnut les privilèges, mais le jeune Raymond VII était aimé. Sa jeunesse, ses malheurs, ses succès rapides le rendant cher à la population, la mort de Simon de Montfort fit ouvrir devant le jeune Raymond les portes de Nîmes. La restauration de ce Prince bien-aimé fut scellée par la reconnaissance, la confirmation officielle du consulat par Sanche, son épouse, assistée des consuls d'Avignon, Beaucaire, Tarascon qui s'engagèrent avec elle, par serment, envers les consuls de Nîmes, comme caution et garants de sa promesse. C'est devant le parvis de la Cathédrale, en présence de tout le peuple, que la fille des rois d'Aragon, la femme de Raymond VII, prêta le serment en ces termes

 

Moi, Sanche, soeur de l'illustre roi d'Aragon et femme du comte Raymond le jeune, fils de Raymond, par la grâce de Dieu, duc de Narbonne, comte de Toulouse et marquis de Provence, par moi et pour mes seigneurs beau-père et époux, ainsi que nos successeurs, je concède, approuve et confirme, à vous Pierre de Cart., Guillaume de Gealon, Fulcrand Sacat et Guillaume Pailhan, consuls de la Cité de Nîmes, et par vous à la Cité et communauté de Nîmes, à ses habitants présents et à venir, votre consulat dont vous êtes en possession, avec tous vos statuts, coutumes, facultés, libertés, immunités attachées, avec les droits de fossés, murs et fortifications, en un mot, toutes les concessions les plus amples qui aient été jusqu'à ce jour faites à cette ville et qui pourront être imaginées, conçues ou recherchées au profit de la ville par quelque juriste que ce soit.

 

On sait comment le comte de Toulouse eut encore à soutenir la guerre contre les croisés, comment les villes les plus importantes de la province se soumirent au Roi et à l'Eglise. La capitulation de Nîmes fut des plus honorables, car c'est entre les mains de leur propre Evêque, représentant légitime des deux puissances, que les consuls nîmois, avec tout le peuple, firent hommage direct à la couronne de France, dont ils ne doutent point, porte l'acte, que l'appui ne soit à jamais pour la ville un gage de prospérité.

 

La milice des Arènes dut se retirer de la forteresse, occupée dès ce moment par une garnison royale ; elle le fit avec honneur, sur une lettre du Roi adressée à ses féaux et amis chevaliers, les priant de le permettre ainsi, à cause des circonstances. Une seconde missive royale les remercia avec la plus grande courtoisie de cet acte de pure gracieuseté de leur part.

 

Les Chevaliers des Arènes restèrent encore quelque temps, formant une corporation distincte, sous l'autorité de leurs consuls, mais ils finirent par se confondre dans la grande communauté nîmoise, qui les reçut comme les membres les plus Honorés de la famille, et leur désigna les premières places parmi ses magistrats. C'est ainsi que jusqu'en 1789, le premier chaperon consulaire appartint de droit à un chevalier ou à un jurisconsulte, car fidèle aux traditions romaines, Nîmes et toutes les cités du Languedoc, confondaient ces deux professions en une seule et même noblesse.

 

Les 4 consuls de Nîmes en 1226

 

L'Eglise, après avoir transmis aux mains de l'autorité royale le soin de conduire les peuples, se renferma dans le sanctuaire et trouva dans les universités fondées alors par la sollicitude pontificale un nouveau champ pour l'activité de ses membres les plus distingués et les plus dévoués à sa sainte cause. Elle ne regretta de toutes ses grandeurs que le tribunal arbitral et de famille, qui lui fut enlevé avec tout le reste. Le juge royal absorba tout ou presque tout. Saint Louis prenait au sérieux son office de Roi. Il fondait une centralisation puissante. Suzerain, il se réservait l'appel des justices seigneuriales ; protecteur de la paix, il faisait raser les châteaux; disciplinait la noblesse militaire sous l'autorité des sénéchaux, chevaliers de loi et d'épée ; il maintenait la sécurité publique par la Connétablie, dont les chevauchées parcouraient les routes, et dont les prévôts, assistés d'un jury improvisé de sept notables, faisaient bonne et prompte justice de tous les attentats commis, contrà pacem domini regis. Enfin, par l'institution sédentaire des parlements, le respect des franchises provinciales, il reprenait le régime représentatif et préparait les Etats généraux.

 

Philippe Eyssette, 1853

 

En Savoir plus

> Origine des Consuls de Nîmes
> Institution Communale à Nîmes jusqu'en 1789, par J. Igolen
> Chronologie historique des Consuls de Nîmes
> Listes des Consuls de Nîmes
> Le Consulat Nîmois - Histoire de son organistion - Thèse de Doctorat de Armand Angelras, 1912
> Article Midi Libre du 13 février 2005 sur les Consuls de Nîmes

 

> Contact Webmaster