POLLUTION DES SOURCES DE NIMES
Moyens pour rendre la Fontaine de Nîmes plus salubre
proposés par RABAUT-POMMIER, le 27 décembre 1800
 
 
La Fontaine de Nîmes, vers la fin du XVIIIe siècle, n'était pas ce quartier si élégant et si aristocratiquement habité, qu'apprécient les étrangers visitant notre ville. Là, ne vivait alors, nous apprend un document officiel, que nous avons l'honneur de communiquer à l'Académie, qu'une population peu aisée, subissant les conséquences morbides qu'engendrait l'état d'insalubrité de l'air, chargé des miasmes délétères que dégageaient les eaux de la source, en stagnation, pendant l'été et l'automne, dans les canaux et bassins contournant la promenade.
 
De cet état de choses, officiellement constaté, il semblerait résulter que l'ingénieur Maréchal, tout en créant, avec art, la promenade que nous admirons, en nous apparaissant sous un lointain reflet de Versailles, aurait oublié, ou bien n'aurait pu, en son temps, assurer, d'une manière efficace, l'écoulement des eaux de la source, pendant son étiage et en prévenir la corruption. Cette regrettable lacune fut signalée, avec certains moyens d'y remédier, par le citoyen Rabaut-Pommier, dans un mémoire qu'il présenta au préfet du département et où sont formulés, en quatre propositions, ci-après transcrites, les moyens d'assainir la Fontaine.
 
1° Construire un barrage empêchant les eaux d'aller du bassin dit des Romains dans le canal et le grand bassin de la plateforme ;
 
2° Creuser des canaux latéraux et un canal central ou égout dans le radier des grands canaux et de les louer à des industriels qui en utiliseraient les eaux ;
 
3° Faire servir le grand bassin de la promenade de jardin potager; d'y planter des arbres, qui assainiraient l'air, et donneraient un aspect riant en ce point;
 
4° raire exécuter les travaux par une compagnie d'actionnaires en leur abandonnant les produits pendant un certain nombre d'années.
 
Il nous semble que la simple lecture de ces questions dut frapper d'étonnement, étant donnée la matière d'être des canaux et des bassins contournant la promenade, et notamment la différence de hauteur existant entre le radier des canaux et le sol environnant.
 
C'était bien le cas de reconnaître l'utilité d'un contrôle à appliquer à tout projet émanant de l'initiative privée, aussi, est-ce pourquoi, le 18 pluviôse an IX, le préfet du département communiquait à l'ingénieur en chef du département, chef du contrôle central, le mémoire de Rabaut-Pommier, auquel il répondit par un rapport daté du 7 nivôse de la même année, dont suit le dispositif
 
L'ingénieur en chef Grangent, observe :
 
Que les causes développées dans le mémoire sur l'insalubrité de l'air qu'on respire à la Fontaine pendant l'été sont exactement vraies; que cette insalubrité provient, en premier lieu, de la grande étendue des canaux et des bassins, par rapport à la petite quantité d'eau fraîche que fournit la source pendant l'été et l'automne ; en second lieu, de la stagnation des eaux dans les bassins et les canaux, où elles sont contenues sans aucun. moyen d'écoulement par les déversoirs construits en différents endroits et qui sont établis à une telle hauteur que les eaux ne peuvent les surmonter que lorsque la source est très abondante.
 
Dans cet état des choses les eaux stagnantes étant, sans aucune exception, un principe corrupteur de l'air, les quartiers voisins de cette fontaine doivent être malsains, peu populeux et habités en général par une classe de citoyens peu fortunés; quoique, sans contredit, ces quartiers soient dans la position la plus agréable de la ville de Nîmes : de manière que la seule promenade on l'on puisse trouver, pendant l'été, un peu de verdure et de fraîcheur, devient déserte et dangereuse même pour les citoyens qui habitent dans son voisinage, et la ville de Nîmes en fait chaque année la malheureuse expérience, surtout lorsque les étés sont secs.
 
La cause d'un mal étant connue, il n'est rien de plus facile que d'y porter remède, surtout dans le cas dont il est ici question. Donner un écoulement facile aux eaux de la source et les contenir dans un espace proportionné à leur volume, voilà le problème à résoudre pour prévenir un fléau dont la ville de Nîmes est affligée, et les moyens pour le résoudre sont aussi simples que les résultats sont assurés.
 
Le citoyen Rabaut-Pommier propose :
 
1° de murer le côté droit du bassin des Romains qui conduit les eaux par le canal à gauche de la promenade dans le grand bassin du côté de l'ouest. Cet objet est déjà rempli. Un batardeau en pierre de taille construit sous les arceaux de droite du troisième bassin et élevé jusqu'au niveau des pleines eaux de la source empêche les eaux fraîches du bassin des Romains de se rendre dans ce canal, et c'est là précisément ce qui rend cette partie si dangereuse, attendu que les eaux retenues par le premier reversoir construit sous le pont de la grille de fer, placée vis-à-vis la grande allée du cours Neuf, et le batardeau dont il est ici question croupissent dans cette immense étendue, et les herbes aquatiques ainsi que les feuilles des arbres se putréfiant sur leur surface, lors des grandes chaleurs de l'été, produisent des miasmes et des exhalaisons délétères, qui ne peuvent que nuire à la santé, en corrompant l'air qu'on respire aux environs. Cette communication étant donc interceptée, il est inutile de s'en occuper;
 
2° Le citoyen Rabaut propose l'établissement de deux canaux latéraux et d'un canal du centre ou d'égout, pour recevoir et contenir les basses eaux. II propose d'utiliser les canaux latéraux pour des objets industriels, et de les louer à divers particuliers pour les produits en être appliqués au remboursement des avances faites.
 
D'abord cette construction serait très dispendieuse et nous parait même inutile, en ce que le plafond des canaux étant pavé à deux revers avec une rigole dans le milieu, les eaux s'y réuniront d'elles-mêmes lorsqu'elles seront basses et auront un écoulement facile par les ouvertures faites aux reversoirs actuels, ce qui prévient toute espèce de stagnation. Mais l'établissement des divers objets industriels dans un pareil emplacement nous parait très difficile et plus préjudiciable qu'utile.
 
Difficile par les difficultés ou l'impossibilité de descendre au fond des canaux et préjudiciable en ce que les eaux seraient sales et corrompues avant d'arriver au dernier épanchoir, au-dessus duquel est le seul abreuvoir que nous ayons dans l'été pour les troupes de cavalerie en garnison dans la ville, et pour .le service de plusieurs particuliers et aubergistes. Abreuvoir pour lequel il faut nécessairement des eaux claires et limpides. D'ailleurs quel coup d'oeil dans une promenade publique qu'une réunion de laveuses, de teinturiers et autres moyens d'industrie ! Nous pensons au contraire qu'il est indispensable de conserver les eaux de la source très pures jusqu'à l'abreuvoir placé au-dessus du dernier épanchoir.
 
Quant aux produits qui pourraient résulter de ces divers établissements, ils ne peuvent être assez conséquents et les dépenses à faire sont trop modiques pour que la ville de Nîmes ait besoin, dans cette circonstance, d'avoir recours à des ressources étrangères à ses revenus.
 
Eh bien, nous ferons remarquer que la ville de Nîmes, pendant longtemps, ne put suivre le sage avis donné par l'ingénieur en chef Grangent. Privée d'eau, elle autorisa la création au bas des murs du quai, entre le dernier déversoir et la tête amont du pont, de bassins destinés aux teinturiers, qui préparaient en temps de moyennes et basses eaux de la source, les teintures aux couleurs fines et délicates que recherchaient les fabricants de tapis et de foulards de notre ville.
 
L'abreuvoir, existant en aval du pont, dut subir lui-même une autre affectation. La Ville, pressée par la nécessité de pourvoir aux besoins de propreté de la population, le transforma en lavoir, et ce ne fut que plus tard, entrant dans la voie des améliorations et des embellissements, qu'elle décida la suppression, faisant tache sur le boulevard, du bassin circulaire, peuplé de laveuses, au battoir retentissant, pour créer, sur son emplacement, le gracieux et élégant square au centre duquel s'est élevée, en octobre 1874, la statue de l'empereur Antonin, due au ciseau du sculpteur Bose, enfant de Nîmes, et l'ensemble du projet au crayon de l'architecte Henry Révoil.
 
Mais revenons au rapport de l'ingénieur Grangent, objet de notre entretien.
 
3° Le citoyen Rabaut-Pommier propose de faire servir le grand bassin de promenade, de, jardin potager, d'y planter des arbres qui assainiraient l'air et donneraient un aspect riant à un lieu où l'on ne voit en été que des eaux stagnantes.
 
Ce projet nous parait impossible à exécuter. Quel serait le jardinier qui irait mettre son temps et ses soins à fertiliser une portion de terrain qui serait submergée après la première pluie et qui resterait une partie de l'année sous l'eau ?
 
Quel moyen le public aurait-il de descendre dans un jardin aussi bas, si ce n'est en construisant des rampes qui détruiraient la régularité de la promenade et qui coûteraient fort cher ?
 
Quel .moyen de végétation dans une enceinte dont le sol est pavé en gros moellons et où la chaleur de l'été, concentrée par la réflexion des murs environnants , sécherait, brûlerait tout et s'opposerait constamment aux efforts de l'industrie et des travaux les plus soutenus?
 
Ainsi ce projet est réellement inadmissible.
 
Il nous semble, en effet, que sa simple exposition devait le faire rejeter de plano. A notre avis, il ne méritait pas même le travail de la plus simple critique, et on se demande si le citoyen Rabaut-Pommier, qui a joué un rôle très important dans les événements qui se sont déroulés à la fin du XVIIIe siècle, avait bien le cerveau sain, quand il proposait de semblables expédients, pour améliorer le quartier de la Fontaine, quelle que fût l'intention louable dont il était animé.
 
Mais revenons à la quatrième question et voyons ce qu'en dit Grangent.
 
4° Le citoyen Rabaut-Pommier propose, en dernier lieu, de faire exécuter les travaux par une compagnie d'actionnaires, en leur abandonnant le produit pendant un certain nombre d'années. Ce mode d'exécution a de très grands inconvénients, surtout pour un projet d'aussi peu de conséquence que celui-ci. D'ailleurs, ayant démontré les difficultés et les vices des travaux et des établissements proposés, il parait inutile de discuter cette dernière proposition.
 
La ville de Nîmes est assez riche aujourd'hui en apportant du choix et des économies dans ses dépenses pour suffire elle-même aux moyens bien simples d'assainir cette promenade, moyen que nous croyons devoir proposer et soumettre à l'examen du préfet. .
 
Terminant là la critique du mémoire Rabaut-Pommier, l'ingénieur en chef Grangent indique les travaux à exécuter pour assurer en été l'écoulement des basses eaux, fixant ainsi leur cours, tel qu'on le voit aujourd'hui, dans les canaux et les bassins.
 
Pour atteindre ce résultat, qui ne nécessita pas l'organisation d'une compagnie financière, l'ingénieur en chef estime à 600 francs le montant approximatif de la dépense à appliquer au perfectionnement des barrages qu'avait construits l'ingénieur Maréchal, sur divers points du cours d'eau, afin de lui donner l'apparence d'une voie d'eau importante, dont l'illusion, jointe au murmure de l'eau, tombant en cascade, est bien un des charmes grandioses de la promenade.
 
Profitant de l'occasion qui lui est offerte de s'occuper de la promenade, au point de vue de la salubrité, l’ingénieur en chef, à qui est confiée la mission d'assurer la viabilité des voies de communication, signale au préfet l'état déplorable des quais du canal soumis au roulage des charrettes et voitures venant d'Alais, de Sauve et Saint-Hippolyte.
 
Pour remédier à cet état de choses, il propose de barrer à. nouveau certains points au moyen de bornes ou piliers avec chaînes, fixant ainsi la direction et les limites de la grande voirie, telle d'ailleurs qu'elle est aujourd'hui.
 
Plusieurs d'entre nous se rappellent certainement encore l'existence de ces bornes placées, notamment sur toute la largeur de la promenade du Cours-Neuf, entre la maison Benoît-Germain et la manufacture de tapis des frères Flaissier, forant ainsi le roulage à s'engager dans la rue en prolongement de celle de Sauve.
 
Les deux bornes placées en tête de la rue Grétry, réunies par une chaîne, ce qui avait fait donner par le public le nom de rue de la Chaîne à cette communication.
 
Enfin, celles existant en tête du pont de Vierne, rive droite du cours d'eau, ayant double fonction interdire d'abord tout passage de voiture sur cet ouvrage, qui, bien évidemment, n'avait pas été conçu en vue de faire face aux fatigues d'un roulage de grande route, et, ensuite, intercepter par là toute communication entre les deux quais.
 
Ces bornes, obstacle réel apporté à la libre circulation, ont été définitivement enlevées sous l'administration de M. Margarot.
 
Le rapport de l'ingénieur en chef va, d'une façon plus précise, nous indiquer l'importance du mal auquel il fallait apporter un prompt et efficace remède.
 
« Puisque nous venons de parler des moyens propres à assainir l'air qu'on respire à la Fontaine, nous croyons devoir parler ici de ceux propres à conserver cette promenade et la, préserver des dégradations journalières qui s'y commettent depuis qu'une partie de ses quais est devenue grande route pour toutes les voitures et charrettes qui vont ou viennent d'Alais et de Saint-Hippolyte. Des piliers et une chaîne de fer placés à l'entrée des deux quais de la Fontaine, vis-à-vis la maison du citoyen Verdier, empêcheraient les charrettes de passer sur ces quais, d'y former des ornières profondes et de les mettre dans l'état où on les voit aujourd'hui.
 
Les murs de quais ne peuvent que souffrir beaucoup de l'humidité constante que les terres entretiennent, à cause du défaut d'écoulement des eaux pluviales qui ne peuvent se rendre dans le canal par les gargouilles, qui sont aujourd'hui plus élevées que le niveau des quais. Les murs de soutènement, si cet état de choses dure encore longtemps, finiront par s'écrouler, et les arbres qui les bordent, dont plusieurs sont déjà très maltraités, périront infailliblement par le choc continuel des charrettes qui y passent. D'un autre côté, le pont sur le canal construit vis-à-vis le jardin Grailhe supporte le passage de toutes ces voitures chargées souvent de quatre-vingts quintaux; et ce pont n'ayant été fait dans le principe que pour le passage des gens à pied, n'a pas été construit avec la solidité qu'exige la destination qu'on lui a donnée et ne peut tenir longtemps contre les secousses journalières qu'il éprouve.
 
La commune de Nîmes, qui est très intéressée à la conservation de cette promenade, dont l'entretien est entièrement à sa charge, devrait rétablir les bornes qui empêchaient le passage des voitures et des chevaux sur les quais de la Fontaine, et les forcer, par ce moyen, d'aller prendre la route du faubourg de Sauve, qui leur a servi constamment d'issue pour aller aux grandes routes de Sauve ou d'Alais.
 
Le rétablissement de ces bornes dans leur ancien emplacement gênerait le service de la manufacture du citoyen Verdier, dont l'entrée se trouve en dedans de ces piliers, mais pour concilier autant que possible l'intérêt général et particulier et encourager d'ailleurs l'industrie d'un citoyen qui occupe utilement une grande quantité de bras, on pourrait reculer les piliers au-delà de la porte d'entrée de la manufacture, et l'objet que nous proposons serait également rempli.
 
L'ingénieur en chef recommande cette observation particulière à toute la sollicitude du préfet et l'invite à donner des ordres les plus prompts à la commune de Nîmes, pour le rétablissement de ces bornes, qui conserveront longtemps encore cette promenade et éloigneront, autant que possible, les dégradations journalières qui s'y commettent. Ce rétablissement peut être fait aujourd'hui avec d'autant plus de facilité que l'ouverture faite entre la nouvelle salle des spectacles et les Récollets donne un nouveau dégagement à la rue de Sauve et facilite l'entrée des boulevards pour toutes les voitures qui arrivent de ce côté, pour se distribuer dans les divers quartiers de la ville.
 
Nîmes, le 7 nivôse an 9 de la République.
(27 décembre 1800)
GRANGENT.
 
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