Biographie du cuisinier Charles Durand
1766-1854
8eme édition, revue et augmentée par son petit fils C. Durand



Si le mérite intrinsèque des choses frappait plus notre imagination que les illusions où elle se complaît, tout ce qu'il y a de positif, de simple et de vrai, attirerait le talent des écrivains, et les charmes du style ne consisteraient que dans l'exposition la plus naïve des faits. Ainsi se montrent les sciences exactes; elles sont sans rhétorique ; ainsi doit être la cuisine, science exacte s'il en fut une ; aussi les brillants écrivains ont-ils dédaigné de consacrer leur plume à la description de cet art. La pensée veut errer, créer, transformer, se contredire même, et ici le champ, quoique vaste, est tellement compassé, que l'esprit, obligé d'en mesurer lentement tout l'espace, doit se contenter de la vérité toute nue.
Il est résulté, disons-nous, de cette exactitude obligée, un mépris universel pour l'art, et quoique chacun soit convaincu de son importance, on tient à honneur d'en ignorer jusqu'aux moindres éléments. Cette injustice ne peut durer. Aujourd'hui que les idées positives s'étendent et prennent à leur tour de l'empire comme les rêves de l'imagination, chaque chose appréciée à sa juste valeur va ramener sur l'art culinaire la portion qui lui est due.
Mais, dira-t-on, la poésie ne s'est-elle pas exercée sur la cuisine ? Il est vrai, on l'a chantée ; mais comment ? N'a-t-elle pas été plutôt un objet de dérision, le sujet d'une boutade poétique, le but d'un trait malin, que le vrai fond d'un écrit scientifique ? À peine si l'histoire s'est occupée d'elle; il est même à remarquer que tel écrivain qui recherche avec curiosité l'état de la cuisine chez les anciens, se fait un point d'honneur d'ignorer celle de son siècle, de son pays, de sa maison même.
Quoique les hommes n'en soient pas venus encore au point de considérer toutes les choses sous leur véritable jour ; quoique la faiblesse de l'esprit exige des images, des pensées, de l'éloquence ; quoique la vérité, même celle qui flatte le goût, ne puisse encore se faire admettre comme de bonne compagnie, allez dire à l'homme du monde qui vous a fêté, que sa table a été mal servie ; il rougira de dépit et de honte. Qu'un prince arrive, toutes les autorités seront aux genoux d'un cuisinier ! Qu'un vieil ami vous soit rendu, le moment de l'intimité, celui du plus doux épanchement, sera dû au cuisinier! Le cuisinier est l'homme nécessaire, indispensable, absolu ; pourquoi donc n'a-t-il pas obtenu jusqu'à présent la considération qu'il mérite ?
Nous avons deux cuisines en France: celle du Midi et celle du Nord. Les ouvrages qui ont été publiés jusqu'à ce jour ne traitent guère que de la seconde. Le Midi attend un ouvrage; il paraît enfin; mais, loin de se restreindre aux nécessités locales, il s'étend, au contraire, à celles des autres pays, de sorte que le Nord pourra également en profiter. Ce premier avantage est immense; il rend le livre européen.
Il ne s'agit point ici d'une collection de mets empruntés à divers cuisiniers qui jettent à la tête d'un lettré ignorant des renseignements vagues que celui-ci arrange comme il peut. Ici, l'homme lui-même dépose sur le papier le fruit de cinquante années d'expériences et d'observations, toutes dirigées vers le but d'une publicité vraiment patriotique; chaque article est le superlatif de cent essais que le goût le plus fin et le plus exercé a classés et fait éprouver par les friands. Tout a été fait avec cette conscience de perfectionnement qui seule peut faire arriver les produits de l'art à ce juste point, u cette précision pure, imperceptible, qui constitue le nec plus ultra du bien. Soyez donc d'une exactitude d'exécution absolument rigoureuse, vous qui voulez tirer parti de cet ouvrage ; l'ordre dans lequel une recette est écrite, est aussi l'ordre qui doit en assurer le meilleur résultat.
Il ne s'agit point ici non plus de ces apprêts qui flattent le goût aux dépens de la santé ; tout y est calculé d e façon à satisfaire la sensualité la plus exquise et à renforcer le tempérament le plus délicat.
Parmi les défauts du livre, celui du style, sans doute, est le plus frappant ; mais nous n'avons pas cru devoir sacrifier aux Grâces dans un ouvrage où la précision, le poids et la mesure font tout : plus de dignité eût peut-être encore fait rire les uns, et aurait fait perdre aux autres le fil qui peut les conduire. Ce livre ne sera guère lu tout d'une haleine ; ce n'est point l'écrivain que l'on consultera, mais le cuisinier ; or, plus le premier a sacrifié au second, plus le livre, croyons-nous, sera vraiment utile.
Il a été conçu dans l'ordre le plus simple et qui doit, ce nous semble, entraîner le moins de confusion. Une série de numéros court du premier article au dernier. Les potages, les sauces-mères, les farces, les cuissons, les viandes, les gibiers, la pâtisserie, les douceurs, le poisson et le jardinage forment des chapitres principaux, et chaque fois qu'une répétition devrait avoir lieu pour l'apprêt du moment, le simple numéro des recettes nécessaires se trouve exprimé dans l'article. Si, par cas même, une nouvelle combinaison qui doit avoir lieu ressemble ü une combinaison connue, le numéro de cette dernière est aussi rappelé, afin que l'analogie de l'une serve de guide pour l'autre. Que l'on ne s'effraie donc point si, au sujet d'une recette désignée, on trouve un numéro qui se rapporte à un article autrement inutile ; on doit faire, sans s'inquiéter de cette apparente différence.
Des articles supplémentaires ont été ajoutés à la fin et entièrement hors de leur place naturelle; c'était un inconvénient presque inévitable dans la composition d'un ouvrage qui, n'étant calqué sur aucun autre, et sortant tout entier d'une seule tête, a dît nécessairement éprouver quelques oublis ; l'empressement de nos concitoyens, acharnés à réclamer cette publication tant promise, et qui en a un peu précipité la confection, est encore une cause des petites irrégularités que l'on pourra trouver.
Quelques lignes de dictionnaire nous ont paru d'une nécessité absolue : tout le monde ne connaît pas les termes de cuisine, et tous les cuisiniers ne possèdent pas entièrement le français.
Une table alphabétique, à la fin de l'ouvrage, permettra de trouver immédiatement, sans feuilleter le volume, la recette que l'on veut consulter.
Sans doute l'ouvrage pourrait être bien plus complet; mais ce n'est point tout le talent de l'auteur qu'on publie ici, c'est la collection des mets qui doivent suffire à d'excellentes tables, comme à des tables bourgeoises. L'échelle parcourue, et qui s'étend depuis l'eau bouillie et les escargots jusqu'aux mets les plus délicats, est assez vaste quoique incomplète pour suffire à tous les besoins. Le charlatanisme, qui se mêle de tout, aurait pu être employé avec succès dans ce livre, et donner une importance excessive a des bagatelles; mais ce ne sont point là les principes de Durand : tout ce qui est nécessaire, sauf quelques oublis, se trouve contenu dans ce livre. Quant aux métamorphoses, elles sont infinies et toutes du goût de l'ouvrier : un nom ne fait pas un ragoût ; une disposition nouvelle n'en change pas le mérite, elle ne fait que le déguiser. Ainsi donc, les petites observations qui se trouvent à la fin de beaucoup de recettes doivent être prises en considération ; elles donnent la clef de bien des transformations qui, au fait, ne sont pas des apprêts ; mais ces observations surtout doivent être lues, parce qu'elles indiquent souvent la manière la plus économique d'opérer le même résultat. Attentif à toutes les fortunes, l'auteur a su dire à propos si le consommé, le jus, le bouil­lon ou la simple eau bouillante pouvaient suffire à l'apprêt; l'économie, ce véritable, ce premier bien de nos jours, a été sévèrement consultée dans tout ce qu'il a écrit, et le cuisinier qui saura le remarquer dans les recettes qu'il va lire, trouvera une grande diminution dans ses dépenses au bout de l'année.
Qu'il nous soit permis maintenant de dire quel­ques mots sur l'auteur des recettes que nous offrons au public.
Durand, né à Alais (Gard), en 1766, se sentit de si bonne heure des dispositions pour l'art culinaire que, dès sa jeune raison, il se livra avec passion à l'exercice de cet art ; aussi, à l'âge de dix ans, il s'empressa de se charger seul de l'ordinaire de sa maison, et suivit avec persévérance toutes les inspirations de son génie.
Dans sa treizième année, il entra au service de l'évêque d'Alais, où un excellent chef de cuisine, a nommé Barry, lui donna l'essor et le plaça ensuite chez M. le marquis de Cassagnoles. Notre jeune enthousiaste ne trouvant pas d'assez grands travaux dans cette maison, la quitta malgré les efforts de son maître pour le retenir, et vint à Nîmes, où il entra dans la cuisine de l'évêque, M. de Ballore. Ce prélat lui témoigna beaucoup d'intérêt, et lui facilita les moyens de travailler, lors des États de Languedoc, dans les meilleures maisons de Montpellier. La première année, 1784, il fut employé à la cuisine de l'intendance ; en 1785, au gouvernement, chez M. le comte de Périgord ; en 1786, chez Monseigneur l'archevêque de Narbonne, et en 1787, chez M. de Joubert, trésorier des États. Les hommes les plus renommés dans la cuisine se rendaient à cette époque de Paris à Montpellier, et le jeune Durand les étonnait tous par ses heureuses dispositions et l'amour extrême de son art.
Dans les longs intervalles de liberté que lui laissaient les voyages de M. de Ballore à Paris; voyages pendant lesquels Durand demeurait investi de la confiance entière de son maître, il quitta Nîmes et fut servir chez le fameux bailli de Suffren, amiral de France, à l'époque où ce seigneur mariait son neveu à Mlle la vicomtesse d'Alais. Là, le désir de s'embarquer lui vint à l'esprit, et il crut devoir se rendre à Marseille, où deux traiteurs renommés alors, Fille et Simon, l'engagèrent à les seconder jusqu'au moment il s'embarquerait.
L'hôtel Bauveau s'ouvrit, et Durand y fut le premier chef de cuisine ; vers le même temps, le nommé Nicolas Rodeiron, l'un des meilleurs chefs de la cuisine provençale, eut, avec deux autres hommes de talent, l'entreprise de plusieurs grands repas que M. Albert de Rilhon donnait, à Toulon, pour la fête de la Saint-Louis: notre auteur fut appelé par eux et alla se signaler dans cette ville.
Toujours désireux de s'embarquer, et craignant que M. de Rilhon, par attachement pour lui, n'usât de son crédit pour l'empêcher de se mettre à bord, Durand quitta Toulon pour revenir à Marseille ; là, il reçut du marquis de Montmoirac, d'Alais, des lettres où ce seigneur lui faisait des offres si engageantes, qu'il ne put se refuser à aller servir dans cette maison ; il retourna donc dans les Cévennes, et entra à l'office du marquis, de qui la table acquit alors la plus haute réputation.
Mais le désir de s'embarquer poursuivait toujours notre cuisinier, et une lettre de son ami Rodeiron, qui lui offrait d'aller travailler avec lui dans les cuisines du Grand-Maître de Malte, vint encore augmenter ce désir ; d'un autre côté, il fut vivement pressé pour aller, de compte à demi avec un homme recommandable, diriger les cuisines du roi d'Espagne. Il flottait indécis sur le choix qu'il devait faire, lorsque le marquis de Montmoirac, instruit de ses projets et de ses hésitations, fit tous ses efforts pour le retenir, et lui promit, entre autres avantages, une pension à vie qu'il devait lui assurer par testament.
Le désir d'expatriation fut éteint, et Durand demeura chez son maître jusqu'en 1790, époque où il exerça à Alais comme restaurateur : ce fut alors que les offres les plus avantageuses lui arrivèrent de Marseille, de Lyon, de plusieurs autres grandes villes, et même de Paris. De cette capitale surtout, lui furent proposés les bénéfices les plus positifs : dans une association considérable, on ne lui demandait que l’œuvre de son talent, lui garantissant une forte portion dans les bénéfices, et le mettant à l'abri de toutes les pertes. Deux ou trois années d'établissement, en garçon, à Paris, devaient lui assurer une carrière brillante et lucrative ; il donna parole, mais au moment de partir, ses amis, ses parents, sa femme et ses enfants, car il s'était marié, s'opposèrent à sa résolution. Aimé, admiré dans sa province, assuré d'y acquérir de la fortune, que voulait-il aller faire à Paris ? Il céda, et le fameux Audibal, son compatriote, établi alors à Nîmes, lui avant proposé de lui remettre son fonds, il se décida pour ce dernier parti, et vint dans cette ville pour remplacer un homme dont la réputation était colossale.
Les accords de cession n'étant pas déterminés d'une manière absolument incontestable. Audibal, qui avait promis de rester inactif, se remit cependant au travail, et les deux amis devinrent deux rivaux. Il serait impossible de détailler tout ce que cette lutte développa de talents dans chacun d'eux. Durand produisit alors sa Pâte-Durand, (feuilletée) qui fit crouler la pâtisserie d'Audibal. Ce dernier, moins entendu dans la direction générale d'un repas que dans l'apprêt particulier de chaque mets, ne put rivaliser avec lui pour le goût que celui-ci possédait au plus haut degré, et qui s'étendait depuis l'apprêt jusqu'au moindre détail du coup d’œil. Audibal fut contraint de se retirer à Alais, et Durand, resté seul à Nîmes, fit oublier, par un talent toujours brillant, toujours nouveau, le mérite de son prédécesseur.
À l'époque où le maréchal Mortier se rendit à Nîmes, Durand fut chargé de sa cuisine, qui devait fournir, tous les jours, à une table de soixante-dix couverts.
Lorsque le comte d'Artois, devenu depuis S. M. Charles X, vint à Nîmes, Durand fut également chargé de sa cuisine, et la satisfaction du prince ne fut point équivoque.
Enfin, le passage à Nîmes de Leurs Majestés Siciliennes lui fournit encore le moyen de se distinguer. Les éloges que le Roi lui fit adresser par l'organe du Préfet furent comme le complément de satisfaction que son rare talent devait obtenir.
Le nom de Durand est si répandu aujourd'hui, que, dans la cession qu'il a faite du restaurant qu'il avait établi à Nîmes dans l'hôtel du Midi, l'autorisation de laisser ce nom sur la porte d'entrée de l'hôtel a été regardée comme la plus sûre garantie de réussite.
On voit, par le rapide exposé qu'on vient de lire, combien l'homme dont nous publions l'ouvrage a été constamment appliqué au perfectionnement de son art. Ses désirs d'amélioration s'étendaient jusqu'aux scrupules les plus consciencieux. Dès son plus bas âge, il se priva de tout ce qui pouvait altérer en lui la finesse du goût ; jamais liqueurs fortes ni vins capiteux n'approchèrent de ses lèvres ; jamais le tabac ne put le tenter. Persuadé que l'art culinaire exige la délicatesse d'un palais toujours neuf, il s'est privé même des produits de sa propre cuisine ; les mets les plus simples ont été sa constante nourriture : par là, il s'est constitué juste appréciateur de ses produits, et auteur sans préventions.
Mais cette pureté d'exécution n'a point nui à son éducation directrice ; jamais tête n'a mieux connu à la fois et les ensembles et les détails ; jamais homme n'a mieux entendu l'ordonnance et le service. Tandis que tous les friands de Nîmes rendent journellement justice à son double talent, Lyon, Bordeaux, Marseille, Paris, Amsterdam, Londres, Constantinople même, l'accablent de demandes, et sa pâtisserie est devenue européenne,
Si Durand peut, par la publication de cet ouvrage, faciliter à ses concitoyens et à ses compatriotes l'entente et l'exercice d'un art qui, depuis la Révolution, semble ne plus avoir cet aliment que lui procuraient les grandes maisons ; s'il peut appeler sur ses collègues une considération si justement due et encore si peu acquise ; s'il peut procurer à peu de frais aux jeunes gens l'instruction qui leur est nécessaire, et faire naître en eux cet enthousiasme qui seul amène des résultats remarquables, il s'estimera heureux, et verra s'accomplir vers la fin de sa carrière le plus ardent de ses vœux.

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Extrait de "Auberges et Logis d'Autrefois à Nîmes", par Jules Igolin

....Nous ne pouvons terminer ce chapitre sur les logis de Nîmes au XVIlle siècle sans signaler le Restaurant Durand, dont le créateur, Durand, né à Alès en 1766, entra, à l'âge de quinze ans, au service de l'évêque d'Alès et vint peu après à Nîmes au service de Mgr de Ballore. En 1790, M. Durand s'établit restaurateur à Alès, puis il vint à Nîmes créer l'établissement qui porte son nom et qui depuis n'a cessé d'être tenu par son fils, son petit-fils et actuellement par ses arrières-petit-fils. 
Le Restaurant Durand fut créé dans la maison occupée aujourd'hui par le Bar-Palace ; à l'époque des diligences, il était établi place de la Salamandre ; puis il déménagea rue Notre-Dame, là même où se trouve l'Hôtel du Midi ; de là il s'installa rue Guizot, en face de la Caisse d'Épargne ; puis il alla occuper l'ancien Café Peloux (
Établissements Bloch actuel), se fixa enfin là où il est actuellement, boulevard des Arènes, au-dessus du Café de la Bourse. Le Restaurant Durand a cessé d'exister depuis quelques années seulement.... (1)

NDLR (1) Texte datant de 1938



Recettes de Charles Durand


Menu du 2 octobre 1897 - Collection Philippe Ritter

Bouil-Abaïsse à la nîmoise

Mettez au fond d'une casserole un morceau de beurre bien frais, et rangez au-dessus plusieurs espèces de poissons, comme rougets, anguilles cuites à moitié (les rougets ne doivent se mettre que lorsque les autres poissons sont presque cuits), soles, pageaux, dorades, queues de langoustes, le tout coupé à morceaux ; assaisonnez et ajoutez des fines herbes bien hachées; mouillez jusqu'à la surface avec de l'excellent bouillon de poisson (1), et un verre de vin blanc sec ou de Madère ; faites cuire alors à grand feu pour précipiter la réduction du mouillement.
Ayez un foie de baudroie, que vous aurez fait cuire dans le mouillement de votre poisson ; pilez-le parfaitement; mêlez-y trois jaunes d’œufs, et délayez le tout avec un demi-verre d'huile d'olive ; dressez ensuite votre poisson sur le plat ; remettez son fond de cuisson sur le feu, et liez-le avec le foie de baudroie préparé comme il vient d'être indiqué ; passez cette sauce au tamis en la faisant tomber sur le poisson, et entourez le plat de croûtons frits au beurre.
(1) Bouillon de poisson - Mettez dans une casserole toutes sortes de poissons. Les meilleurs sont : la Rascasse, la Moraine, le Saint-Pierre, le Pagel, le Loup,et le Merlan. Faites bouillir en les couvrant d'eau, et assaisonnez avec un ognon, une carotte coupée en tranches, du céleri, un coeur de laitue, du cerfeuil, du persil, une demi-feuille de laurier, deux clous de girofle, un peu d'huile d'olive ou du beurre, du sel, et un ail. Après une bonne cuisson, passez au tamis ; ce bouillon sert pour vos potages et vos sauces blanches de poissons.
Observation : On peut faire ce bouillon d'une manière économique avec des têtes et les arêtes seulement.


La Pâte Feuilletée (pâte Durand)

NDLR : Le cuisinier Durand est l'inventeur de la pâte feuilletée. Il a développé, avec cette pâte, de nombreuses recettes salées et sucrées.
Mettez sur le tour à pâte une livre de farine bien tamisée ; ramassez-la en tas bien arrondi, et pratiquez au milieu un vide pour contenir le liquide qu'elle doit absorber; vous y mettrez d'abord deux gros et demi de sel, deux jaunes d'œufs, une once de beurre (30,594 gr) et un verre et demi d'eau fraîche ; vous remuerez bien ce mélange avec le bout des doigts que vous tiendrez écartés ; vous mêlerez d'abord le beurre à l’œuf, et vous prendrez ensuite la farine qui, peu à peu, doit faire corps avec tous les objets désignés ; lorsqu'elle sera transformée en pâte, vous la ramasserez et la manipulerez convenablement, en appuyant la main sur le tour; observez bien qu'après trois minutes de travail, elle doit être moelleuse et bien lisse ; que surtout il faut éviter également de la rendre trop ferme ou trop molle, les deux excès nuiraient au mélange que vous avez encore â faire pour la feuilleter; laissez-la reposer un moment sous une cloche ou sous un linge double, et maniez, durant cet intervalle, une livre de beurre ; si, par cas, il était trop ferme et que la chaleur des mains ne put l'attendrir, vous le pilerez dans un mortier ; abattez avec le rouleau la pâte d'un demi-pouce d'épaisseur ; vous masquerez bien également toute sa surface avec du beurre, de façon à en laisser gros comme un œuf, relevez alors les bords de la pâte, à l'effet d'en bien envelopper le beurre, et vous l'abaisserez de nouveau aussi mince que possible; vous la plierez ensuite comme une serviette, et la laisserez reposer cinq minutes ; ce temps écoulé, il faut, sur nouveau frais, l'abaisser avec le rouleau, manier le beurre que vous avez réservé, et le diviser en petits morceaux que vous allongez avec le pouce sur toute la surface de la pâte ; enfin, vous la pliez encore, et vous lui donnez un troisième et dernier tour ; en ayant soin de jeter légèrement dessus et dessous une pincée de farine, qui la préservera de s'attacher au tour; la pâte, ainsi confectionnée, s'emploie pour toutes sortes de pâtisseries, vole-au-vent, tourtes, petits pâtés, etc.

Brandade de Morue.
Faites tremper la morue deux jours ; dans cet intervalle, changez-la d'eau quatre ou cinq fois ; quand vous voudrez la préparer, vous la ferez blanchir dans une casserole ; l'eau doit la couvrir en entier; lorsque vous verrez qu'elle est près de bouillonner, vous y jetterez un verre d'eau fraîche ; vous la retirerez du feu, et la couvrirez ; faites ensuite égoutter la morue ; ôtez-en les arêtes et le bout de la tête, qui sont toujours mauvaise, après quoi vous la mettrez dans une casserole avec un jus de citron ; vous donnerez à la casserole un mouvement de rotation continuel, pendant qu'une autre personne versera, goutte à goutte, l'huile qui doit lier la morue ; quand celle-ci sera liée et épaissie, au point de s'attacher à la casserole quoique vous continuiez à la remuer fortement, vous y verserez doucement un demi-verre de lait ou d'eau fraîche ; en remuant toujours la casserole à deux mains, la morue s'en détachera d'elle-même ; vous continuerez alors d'y faire tomber de l'huile, et quand enfin elle sera bien liée et fera la crème, vous y mêlerez des tranches de truffes (1), du persil, un peu d'orange de sauce ; ces deux derniers objets doivent être hachés, et le tout passé deux minutes sur le feu avec de la bonne huile ; on peut ajouter un peu d'ail à cette préparation, si on ne le craint pas ; il n'est pas de rigueur.
Nota. - La morue, qu'il est indispensable de tenir bien chaude pour être préparée en brandade, ne doit néanmoins jamais bouillir.
 
(1) NDLR : la truffe n'est pas indispensable à cette recette.
NDLR : La morue très répandue dans le Gard, était jusqu'au début du XXe siècle le plat du pauvre. Dans les familles chacun y allait de sa recette, en particulier la purée de morue à l'huile d'olive et au lait. C'est le cuisinier Durand, qui au tout début du XIXe siècle, l'enrichira avec de la truffe et la mettra au menu, sous le nom de Brandade .
Selon certains récits dus à la tradition orale, l'abondance de morue salée dans la région serait le fait du troc des morutiers, qui venaient charger du sel aux salins du Peccais appartenant à l'abbaye de Psalmody, cette dernière ayant un privilège sur la Gabelle donné par Charlemagne.

Le Petit Pâté de Nîmes
un peu d'histoire

NDLR : "Ci-dessous une série de recettes de Petits Pâtés « Durand » qui préfigurent le « Petit Pâté de Nîmes ».
Durand avait tout inventé, (la première édition de son livre date de 1830) et pensé à toutes les façons de le garnir… il y a de cela 180 ans ! Pour preuve ce texte à la fin de ses 4 recettes de base de petits pâtés : « Nota Durand : On peut employer toutes sortes de farces à la confection des petits pâtés dont je donne la recette. »
Dans la série de ses farces, il y a l’incontournable Brandade de Morue aux truffes. "
 
Petits Pâtés au Jus.
Foncez des petits moules de fer avec de la pâte â feuilletage ; mettez au fond de la farce à gratin, et couvrez avec un rond de la même pâte dont vous aurez marqué le milieu avec un vide-pomme ; dorez les pâtés et mettez-les au four, quand ils seront cuits, vous enlèverez la partie marquée, et vous mettrez dans chacun d'eux une cuillerée de bon jus
 
Petits Pâtés au salpicon.
Foncez des moules comme ci-dessus ; remplissez-le de pain à potage que vous avez fait d’abord tremper dans l'eau, que vous avez ensuite pressé dans un linge, et que vous avez enfin mêlé à de la graisse de bœuf bien hachée ; cela fait, passez avec une plume un peu de beurre fondu sur la pâte, et couvrez les petits pâtés à l’ordinaire ; il faut les dorer et les mettre au four chaud ; dés qu’ils seront au point, vous en ôterez le couvert, vous enlèverez ce qu'ils contiennent, et vous le remplacerez par une farte faite avec un peu de quenelle coupée à petits dés, des truffes, des rognons de coqs, et des champignons que vous avez fait bouillir ensemble, et que vous avez mouillés avec du velouté ou de l’espagnole ; les pâtés étant remplis, posez les couverts et servez-les bien chauds.
 
Petits Pâtés à la béchamelle.
Procédez absolument comme ci-dessus, et quand après la cuisson vous ôterez ce que contiennent vos petits pâtés, remplissez-les d'un salpicon fait avec du blanc de volaille rôti et des truffes cuites, le tout coupé à petits dès, et que vous avez mouillé avec une béchamelle. On peut faire ces pâtés avec toutes sortes de volailles ou gibiers coupés et préparés comme j'ai dit, ou même avec leur purée.
 
Petits Pâtés feuilletés.
Le feuilletage destiné à la Confection de ces pâtés, doit être abaissé à deux lignes d'épaisseur ; il faut le couper avec un coupe-pâte de sept pouces de circonférence ; posez chaque rond sur une fouille légèrement, saupoudrée de farine, et mettez sur chacun d'eux, gros comme une noisette, de farce à quenelles ; épongez-les bien doucement avec de l'eau, couvrez-les d'une abaisse de même dimension, et après l’avoir fixée en imprimant les doigts par dessus, mettez-les au tour.
 
Nota Durand. On peut employer toutes sortes de farces, à la confection des petits pâtés dont je donne la recette.
 

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> Version originale du livre de recettes de Charles Durand

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