Mystère autour d'une image
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Les personnes en
mesure d'apporter un témoignage en rapport avec l'immeuble du 20 boulevard
Amiral-Courbet (occupé aujourd'hui par une banque) entre 1923 et 1950, la
présence de cette photo à Nîmes et/ou les régiments et militaires présents sur
le document peuvent s'adresser directement à pierre.rivas@orange.fr
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La photographie ci-dessus a été
trouvée en 1998 dans les combles d’un immeuble 20, boulevard Amiral-Courbet à
Nîmes. Comment y est-elle arrivée ? C’est bien la dernière question à
laquelle il reste à répondre à ce jour puisque, grâce à un extraordinaire
concours de circonstances et de patientes recherches, elle perdit pratiquement
tous ses secrets en quelques mois.
Pour pouvoir y répondre, il y a
nécessité de faire appel à la mémoire des Nîmois. Ceux dont des parents
occupèrent cet immeuble à une époque ou bien ceux dont des ascendants ont été
incorporés dans le régiment que l’on voit présenter un drapeau. C’est l’objet
de cette communication.
Pourquoi vouloir percer cet ultime
mystère ? Parce que, on le verra, cette photo n’a rien de banal malgré les
apparences. On peut même dire qu’elle est très lourde de signification
historique.
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L’immeuble abrite les bureaux du
quotidien Midi Libre peu de temps après la Libération (1). C’est précisément
lorsqu’il est question de quitter ces lieux pour rejoindre (en 2000), l’avenue Jean-Jaurès, qu’une
visite, de fond en comble, est organisée pour un potentiel acheteur.
Lors du passage dans les combles, la
présence de cette photo n’échappe pas au journaliste qui guide le visiteur.
D’abord parce que, contrairement à une autre image épinglée comme elle, contre
le mur, à quelques mètres, dans un débarras encombré d’objets hétéroclites
et bien empoussiérés, il s’agit d’une
authentique photographie argentique et non d’un document découpé dans quelque
publication.
En haut de l’image, juste à côté d’un
mystérieux « 26 » écrit au
crayon, le tampon à l’encre rouge où l’on peut encore lire, malgré la
moisissure qui recouvre une partie de l’image : « LE JOURNAL Service photographique). »
Il s’agit donc, bel et bien, d’une
photo de presse.
Il apparaît assez rapidement que les
personnages saluant le drapeau, à gauche, ne sont pas des inconnus. Avec ses
cheveux blanchis et sa moustache noire, c’est Albert Lebrun. Ce gradé, face au
drapeau, dont la main cache le visage, c’est le maréchal Pétain. Le nombre
d’étoiles sur la manche et les rangs de feuilles de chêne sur le képi ne
laissent planer aucun doute.
Des recherches plus approfondies
montreront ultérieurement que le petit homme à barbiche blanche à droite (sur l’image) de Lebrun, c’est Raymond
Poincaré. L’homme, grand, de dos avec sa
canne et ses guêtres, c’est André Maginot. Derrière Lebrun, un militaire dont
la poitrine est barrée d’une écharpe, le général De Castelnau. L’homme qui
regarde le photographe est probablement le chef du protocole contrôlant la
presse saisissant cet instant.
Les drapeaux sont en berne et dans
l’angle du drapeau qui s’incline (légèrement
bombé par le mouvement), le numéro du régiment : 69.
Au mal que l’on a à retirer cette
photo avec beaucoup de minutie pour ne pas l’abîmer, on devine qu’elle séjourne
en ce lieu depuis bien longtemps. Elle a été punaisée très proprement contre le
mur à hauteur d’homme (2).
Nettoyée, replongée dans le fixateur,
cette photo sera publiée dans Midi Libre quelques jours plus tard avec un appel
à la mémoire des Nîmois. Plus d’une vingtaine de personnes se manifesteront
donnant chacune sa version « nîmoise »
ou « languedocienne », voir
« marseillaise » de l’événement
photographié.
Un allié inconnu va faire
considérablement progresser l’enquête. Depuis le bureau de recrutement de
l’Armée de terre à Nîmes, la page sera faxée au Service historique de l’Armée
de terre (SHAT) (Aujourd’hui Service historique de la Défense) à Vincennes. Lequel
contactera Midi Libre pour recevoir la photographie et essayer de définir de quel
événement il s’agit. Car, au SHAT, on détient en archives les mouvements de
tous les régiments français. Avec un numéro de régiment en référence et la
présence de ces autorités dans une cérémonie d’importance, on doit pouvoir
remonter le temps.
Quelques jours plus tard, en
restituant l’image à son inventeur, le SHAT livrera sa réponse. Il évoque trois
hypothèses pour définir à quel moment le régiment d’infanterie (RI) a présenté les honneurs au maréchal
Pétain. Mais une seule peut être retenue compte tenu de la présence au même
moment au même endroit de ces personnages « historiques » et politiques : « En juin 1923, le 26e RI assiste à une cérémonie en l’honneur du
maréchal Pétain à Mayence. » Et le lieutenant colonel de Gislain de
Bontin qui signe le rapport du SHAT d’expliquer, confirmant la présence des
autorités nommées plus haut : « Le régiment présent sur la
photographie est le 26e régiment d’infanterie qui garda les traditions (ndlr : le drapeau) du 69e RI de
1923 à 1936. Ce régiment était stationné à Nancy de 1919 (ndlr : date de la dissolution du 69e) à 1939, à l’exception de
diverses manœuvres soit en Lorraine, soit en Allemagne. »
ooo
On a le mois et l’année de
l’événement, mais pas le jour. Avec la complicité d’une chercheuse au CNRS
ayant opéré des fouilles dans le Gard, qui ira plonger dans les archives de la
Bibliothèque de France à Paris, on obtiendra la Une du Journal où apparaît l’article
relatif à cette visite de Pétain à Mayence. Mais pas la photo, « probablement censurée », dit Mme Jonsson,
notre chercheuse. C’est le Journal du 15 dans lequel, entre trois autres échos
relatifs à la présence des troupes françaises dans la Ruhr après guerre, on
peut lire :
« Mayence,
14 juin. Le maréchal, continuant sa tournée d’inspection en territoires
occupés, est arrivé ce matin, à 10 h 15, à Mayence. Le maréchal s’est rendu au
quartier qui porte son nom, où il a inspecté le 6e Cuirassiers, le 5e Spahis et
le 39e Tirailleurs. Il alla ensuite à l’hôpital militaire. L’après-midi, le
maréchal Pétain prit place dans son automobile et se rendit avec toute sa suite
à Grisenheim où est faite l’instruction
des jeunes recrues du 30e corps d’armée. (Journal) »
La signature en fin de texte indique
bien que la source est un journaliste du Journal qui a fait le déplacement. Et
qui a probablement réalisé la photographie, laquelle a pu être transmise à
distance par « bélinographe ».
Pas d’indication de la présence du 26e RI. Un oubli ? Pourtant, sur la
photo, le 26e est bien identifié puisque le numéro du régiment a été rajouté au
crayon…
Pas de photo… On ne parle que de
Pétain et rien sur la « suite »
qui ne comprend pas moins que le président du Conseil (Poincaré), le ministre des Pensions et de la guerre (Maginot), le sénateur et président du
conseil général Lorrain de Meurthe-et-Moselle (Lebrun) et un général (originaire
de Saint-Affrique) qui s’est illustré dans la défense de Nancy pendant la
guerre en commandant précisément le 69e RI…
ooo
Que nous dit finalement cette image
qui n’a, finalement, aucun rapport avec Nîmes ?
Depuis janvier 1923, à la demande de
Poincaré, les troupes françaises occupent la Ruhr pour mettre la pression sur
l’Allemagne qui, dans une situation économique désastreuse, refuse de payer la
dette de guerre. En bloquant ainsi le poumon économique du territoire allemand,
la France s’attire les inimitiés de ses alliés comme de la Papauté, mais aussi
et surtout des Allemands qui multiplient les attentats contre ses troupes. Dans
la nuit des 9 et 10 juin 1923, deux adjudants ont été assassinés à Dortmund.
Les obsèques en territoires
germaniques ont lieu très précisément le jour et à l’heure où Pétain salut le
drapeau du 69e RI à Mayence. La plus grande partie des quotidiens parisiens (pas L’Humanité) datés du 15 juin 1923 évoquent
ces assassinats et ces obsèques. Pas la visite de Pétain « et sa suite » à Mayence (l’un d’entre eux a pourtant parlé de la
visite de Pétain à Coblence la veille). Le Journal évoque donc la visite de
Pétain à Mayence… Mais pas les obsèques des deux soldats. Choix
journalistique ? Impossibilité d’être à deux endroits en même temps ?
Dans tous les journaux, les « événements de la Ruhr » paraissent
sous forme d’échos. Censure ? La photo renvoie à une solennité, certes,
mais aussi à un deuil qui succède à une période déjà très endeuillée.
Censurée parce que trop morbide ?
Tout se passe, dans la presse comme si
la situation diplomatique était embarrassante.
Les années 20, c’est la Belle époque…
Qui va se terminer par le Krach boursier de 1929.
Le 9 novembre 1923, un certain Adolf
Hitler, chef d’un Parti nazi, tente de prendre le contrôle de la Bavière,
marche pied vers les sommets du Reich, avec le « putsch de la Brasserie ». Arrêté, il va passer 14 mois en
prison, temps qu’il mettra à profit pour rédiger Mein Kampf.
Dans ces années qui suivent la
Première Guerre mondiale, Winston Churchill soutient qu’il « n’y aura pas de conflit mondial dans les
cinq ou dix prochaines années ». Ce qui est une manière de prévenir
qu’il y en aura un autre forcément plus tard.
La présence française dans la Ruhr
est, au fond, l’image d’un échec et les premiers rouages d’un engrenage
terrible qui propulsera quinze ans plus tard les nations dans une nouvelle
conflagration.
Cette photographie est donc le maillon
mémoriel d’une histoire qui se lit de l’amont à l’aval (on pourrait même dire Laval…). Alors, comment a-t-elle échoué dans
les mains de celui ou celle qui est allée la cacher au fond de combles
abandonnées comme si, décidément, elle illustre toute la fausseté et la
futilité d’un univers en péril. La présence sublimée de Pétain qui fera tomber
et enfermer, en 1940, Albert Lebrun président de République, est déjà
révélatrice d’une nostalgie qui fera s’enfoncer la France dans la
Collaboration. Quant à l’image de Maginot qu’on voit de dos, elle prend une
dimension délicieusement symbolique et porterait presque à sourire si le drame
ne se cachait pas derrière ce visage absent d’un ministre résolument destiné à
être « contourné ».
ooo
Quel hasard a donc fait que cette
photo relatant un événement situé à Mayence, patrie de Gutenberg, s’est posée
dans la mémoire cachée d’un immeuble appelé à abriter les bureaux d’un
journal ? Il faut parfois franchir les limites du rêve (ou de la poésie) pour trouver au moins
une réponse, sinon une justification, à sa quête.
Le Journal avait un correspondant pour
le Gard. Probablement lorsque, dans les années de Guerre (1942-1943) il émigra un temps à Marseille avant de finir sa vie à
Lyon. Il s’appelait Henri Capion. Ce journaliste qui sera aussi correspondant
de l’AFP après guerre, était le père de Jacqueline Capion (décédée en 2010) qui sera pendant de nombreuses années, secrétaire
à l’agence Midi Libre de Nîmes. Mais Henri Capion, de mémoire de photographe (3),
n’a jamais mis les pieds dans les locaux du 20, boulevard Amiral-Courbet. Et
l’on n’imagine pas Jacqueline, secrétaire modèle, d’une grande humanité et
d’une extrême rigueur, aller planquer dans les combles une photo que son père
aurait récupéré, on ne sait comment, du fonds photographique du Journal.
Sauf à établir, grâce à la mémoire de
Nîmois (4), un autre lien plus tangible entre la ville et l’image, cette
dernière gardera donc cette part de mystère qui fait le charme sensuel et douloureux
des certitudes que l’on n’a pas le droit d’avoir.
Pierre
Rivas, novembre 2013
(1) D’abord
installé boulevard Victor-Hugo dans un immeuble où réside aujourd’hui la banque
Chaix à la fin de l’été 1944, le premier bureau de Midi Libre dirigé par Jean
Conillière se déplace ensuite au 19 du boulevard Courbet avant de prendre pied
dans l’immeuble du 20 à une date qu’il n’a pas été possible pour l’heure de
retrouver, les archives nîmoises de Midi Libre ayant été détruites lors de
l’inondation de 1988.
(2) Dans un autre local, on trouvera, comme figés dans le
temps, divers jouets d’enfants que l’on semble avoir quittés tels que disposés
après utilisation. Un peu comme si les enfants s’étaient soudain volatilisés.
(3) Jean Volpillière, qui fut le premier photographe de
l’agence Midi Libre de Nîmes sous l’autorité de Jean Conillière.
(4) Un grand merci à Georges Mathon, avec qui nous
partageons la même passion de la quête du savoir, pour héberger cette histoire
sur son site dont on ne peut que recommander la visite tant il est un véritable
miroir de la mémoire nîmoise.
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