ORIGINE DES PLANTATIONS DE VIGNES
DANS LES SABLES D'AIGUESMORTES

Situation et étendue du vignoble

Extrait du "LE PROGRES AGRICOLE & VITICOLE"
N° 10 - le 9 mars 1890


  • Tout le vignoble se trouvant dans la région bornée au sud et à l'ouest par la mer, à l'est par le petit Rhône, au nord par les marais de Vauvert et de Saint-Laurent-d'Aigouze, les terres de Marsillargues et l'étang de Mauguio, porte le nom de vignoble d'Aigues-mortes, parce que la ville est à peu près au centre de cette contrée dont une partie est dans les communes des Saintes-Maries, de Vauvert, de Saint-Laurent, etc. M. Bayle estime qu'il n'y a qu'environ 7000 hectares de sable cultivable dans cette grande étendue, parce que les étangs, les marais et les terrains salés en occupent plus des 4/5e.
    Sur ces 7000 hectares, 1300 à 1400 seulement étaient cultivés avant le phylloxera, 700 environ boisés en pin pignon et 500 étaient en friches, plus ou moins boisés, couverts de broussailles, de dunes et de mauvais pâturages.
     
    Historique du vignoble
     
    En 1873, sur les 1400 hectares cultivés, à peu prés 500 étaient en vignes qui n'avaient pas été plantées en vue de la résistance au phylloxéra. Les 900 hectares de terres cultivées non plantés en vignes se composaient en très grande partie des meilleures terres du pays dans lesquelles on récoltait depuis quelques années de la garance, qui avait donné de très belles récoltes, mais qu’il était temps d'abandonner, puisque ses produits tombaient à vil prix à cause de l'alizarine artificielle qui les remplaçait pour teindre les étoffes bien meilleur marché.
    « Le pays, nous dit M. Bayle, avait donc grand besoin de donner de l'extension à la culture de la vigne, mais les habitants n'osaient pas se lancer encore dans les grandes plantations, ne sachant pas que les vignes résisteraient au phylloxera dans le sable. Ils voyaient bien qu'elles n'étaient pas encore malades chez eux, tandis que celles des pays voisins étaient mortes ou mourantes, mais ne comprenant pas que cela venait du sable, ils I'attribuaient à l’isolement des vignes d'Aiguesmortes, séparées des autres vignes, (qui mouraient en terre forte) par une zone de marais ayant quelques Kilomètres de largeur. S'attendant à voir la maladie franchir bientôt cette zone marécageuse, ils n'avaient pas le courage de planter la totalité de leurs terres cultivées et risquaient encore moins d'oser entreprendre le nivellement des dunes et le défrichement des bois pour planter les 5000 hectares qui ne produisaient presque rien.
     
    Il est juste de reconnaître pourtant que M. Rédarès entreprit de niveler des dunes et de planter des vignes dans son domaine de Terre-Neuve situé au bord de la mer, en 1874 et même en 1873, sans se rendre compte, je crois, que le phylloxera ne tuerait pas les vignes dans le sable.
    Dès son arrivée à Aiguesmortes, en 1873, M, Bayle rassura, donc les propriétaires de vignes et entreprit une propagande active en faveur des plantations dans les sables.
     
    Il fut d'abord déçu dans les espérances qu'il avait de voir tous ces sables environ sur lesquels 5000 sont en production, 900 à la veille de produire et 3 à 400 que l’on a planté en 1888.
     
    Les vignes plantées dans les anciennes terres cultivées sont en général d'une beauté régulière, et ont peu coûté à créer, les terrains étant nivelés et le plus souvent défoncés par l'extraction de la garance qu'on y avait récoltée.
     
    Les vignes plantées sur défrichement, quoique très belles dans l'ensemble, ont toujours des parties faibles à côté de partie très fortes.
     
    La dépense à faire pour la création de ces vignes varie avec le nombre et la hauteur des dunes à niveler. La dépense moyenne pour créer des vignes sur défrichement a été d'environ 1200 francs la première année, 1450 francs à la fin de la deuxième et, après la récolte de la troisième, de 1800 francs, ainsi répartis :
     
    Première année :
     Préparation du sol, défrichement, nivellement, et défoncement : 900 f.
    Enjoncage en trois fois : 80 f.
    Plants : 25 f.
    Plantation : 25 f.
    Premier la bour après plantation et binage répété dans l'été : 170f
    TOTAL : 1200 fr.
     
    Deuxième année :
     Taille : 25 f.
    Labours et binage : 85 f.
    Enjoncage : 60 f.
    Soufrages : 40 f.
    Tuteurs aux ceps qui produisent : 40 f.
    TOTAL : 250/1450 fr.
     
    Troisième année :
     Taille : 40 f.
    Labours et binages : 80 f.
    Tuteurs : 30 f.
    Enjoncage : 60 f.
    Soufrages : 40 f.
    Vendange et vinification : 100 f.
    TOTAL : 350/1800 fr.
     
    avant de retirer la récolte de la troisième feuille en ne faisant figurer ni engrais, ni intérêt des dépenses, ni rente ou achat de terrain, ni construction, ni achat de foudres.
    Cette première récolte doit être d'environ 50 hectolitres si le sable est assez fertile et la vigne bien soignée.
    La production moyenne pour les autres années est d'environ 80 hectolitres à l'hectare, pour l'ensemble, mais, dans les parties moyennement fertiles, on est sûr d'avoir une moyenne de 100 hectolitres en soignant bien et en dépensant 300 francs d'engrais par hectare. Il y a même des vignobles qui produisent beaucoup plus. Ainsi la Compagnie des Salins a récolté en 1887 de 125 à 130 hectolitres sur une étendue de 230 hectares, et M. Paul Castelnau récolte depuis 2 ou 3 ans près de Mourgues 150 hectolitres sur une étendue d'environ 20 hectares.
    Perraud Joseph
    Ecole nationale d’agriculture de Montpellier.

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