ENLUMINURE DE FERDINAND PERTUS

XXII

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Jardin des Récollets à Nîmes, rencontre Villars, Cavalier

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Défaite de Cavalier.

 

VERSION 1 - Dom Vaissette – Histoire Générale du Languedoc, 1730. »

 

(1704). Le maréchal du roi, Montrevel en proie à une passion violente, ne reçut qu’avec preuve l’ordre de revenir à la cour. Il sentit que sa conduite serait blâmée s’il laissait à son successeur le soin de terminer cette guerre, et il voulut, par un coup d’éclat, ôter à Villars, qui venait le remplacer, l’honneur de vaincre les rebelles.

 

Pendant ce temps Cavalier continuait ses expéditions.

 

Suivant le maréchal de Villars, Cavalier écrivit à Montrevel qui était à Aiguières, qu’il y attendait avec impatience, et qu’il y demeurerait encore trois jours pour y donner la cène à ses frères de ce canton. Il alla le 25 à Vergèze, d’où il partit deux jours après, arrêtant et pillant les marchands, massacrant les travailleurs, et répandant partout l’effroi. Peu de temps après il se porta sur Boucoiran, gros bourg situé entre Nîmes et Alais, et il s’en empara. Mais la garnison du château de ce lieu, avantageusement situé, résista aux attaques, et le chef camisard du se contenter et de la destruction des fortifications (du bourg), et des provisions qu’il prit chez les habitants. Il fut de là à Saint Geniès, gros bourg situé à deux lieux de Nîmes, et à la même distance de Boucoiran. Il le fit investir par sa cavalerie, et après avoir mis des postes et des sentinelles à toutes les avenues, il fit enfoncer l’une des portes par son infanterie. La garnison, composée d’environ cent miquelets, se retira dans une maison, où elle se défendit avec tant de vigueur, qu’elle ne put y être forcée. L’église fut incendiée. Le surlendemain, Cavalier établit son quartier général à Caveirac, à une lieue de Nîmes.

 

C’était pour commencer quelques expéditions qu’il méditait sur la Vaunage, et que devait faciliter le prochain départ de Montrevel, fixé, disait-on au 16 avril. Il avait même déclaré publiquement qu’il partirait le 17 de grand matin enfin d’arriver de bonne heure à Montpellier. Mais tout cela n’était qu’un piège. Le maréchal ne voulant laisser que peu de chose à faire à son successeur, et prouver qu’il était une victime de la calomnie, et confondre ses ennemis. Il savait que Cavalier était instruit de tout ce qui se passait au quartier général. Et il faisait en public, les apprêts de son départ, en indiquant même l’heure où il se mettrait en chemin. Il espérait, par-là qu’il tromperait Cavalier, impatient de parcourir la Vaunage en vainqueur. Le chef camisard fut la dupe de Montrevel. Attiré à Caveirac, il ne s’apercevait point qu’il allait être enveloppé de toute parts. Le 17 il sortit du bourg tambour battant et enseignes déployées. A quarante pas de là, il fit faire plusieurs évolutions à sa troupe. Jamais dit Court de Gébelin, elle n’avait été plus brillante, ni plus nombreuse. Mais un état si florissant devait être de courte durée ! A l’instant où Cavalier rêvait de nouveaux succès l’ennemi s’approchait de toutes parts, et ses soldats allaient être bientôt enveloppés par une ligne de fer et de feu.

 

Le maréchal s’était porté rapidement sur Sommières. Il avait ordonné à Grandval, commandant à Lunel, de partir le lendemain à la pointe du jour, à la tête du régiment de Charolais, et de cinq campagnes de dragons de Firmacon et de Saint Sernin, et d’aller prendre position sur les hauteurs de Boissières. Sandicourt, gouverneur de Nîmes, devait remettre à Courten le commandement d’une colonne composée de Suisses et de Dragons qui, marchant toute la nuit, irait se poster vers Saint Côme et Clarensac. Montrevel, lui-même, prévenu que Cavalier, sorti de Caveirac, s’avançait du côté de Nages, partit de Sommières à la tête de six compagnies de Dragons de Firmacon, d’une compagnie d’Irlandais, de trois cents hommes du de Hainaut, et de trois compagnies de Soissonais, de Charolais et de Menou. Il suivit la ligne des hauteurs de la Vaunage, et se replia tout à coup vers Langlade.

 

Le combat allait commencer. La troupe de Cavalier, fatiguée par les marches continuelles, s’était arrêtée dans un enfoncement entre Boissières et le moulin de Langlade. On n’avait point placé de grand gardes, et Cavalier lui-même s’était endormi. Bientôt il est éveillé par les coups de fusil des sentinelles, et par les cris des soldats qu’on égorge. C’était les Dragons de Grandval qui, en faisant une reconnaissance, avaient découvert les rebelles, et qui les chargeaient avec impétuosité. On courut aux armes. Le feu de l’infanterie arrêta les Dragons, qui furent repoussés vivement et poursuivis par la cavalerie huguenote. Celle-ci ne s’aperçut qu’on lui avait tendu une embuscade, qu’alors qu’étant parvenue entre Boissières et Vergèze, elle reconnut à cent pas de distance, le régiment de Charolais, derrière lequel, les dragons furent de nouveau former leurs rangs. Il y eut d’abord un mouvement d’hésitation, et bientôt, le feu étant ouvert par le régiment Cavalier, qui s’était imprudemment attaché à la poursuite des Dragons, du tourner bride, et se hâter de rejoindre son infanterie…

 

« VERSION 2 - Histoire des révolutions des villes de Nismes et d’Uzès, par Adolphe de Pontécoulant, 1820. »

 

(1704). On n’entendait plus parler dans le pays que d’incendies et de meurtres exercés par les Camisards dans la Vaunage, sous la conduite de Cavalier. Il n’y eut rien de si cruel que les forfaits qu’ils commirent dans les villages d’Aubais et de Saturargues, deux villages de cette contrée-là, situés, le premier dans le diocèse de Nîmes, et le dernier dans celui de Montpellier.

 

Ils furent à Aubais, le 27 de ce mois de septembre 1703, à l’entrée de la nuit. Là, ils allèrent forcer la maison d’un notaire du lieu, nommé Chrétien, bon catholique, qui s’était réfugié à Sommières avec sa famille, n’ayant laissé à Aubais qu’une jeune fille tout aimable, de trois ans, que quelques-uns de ses parents lui avaient demandée. Ils saisirent cette enfant, lui coupèrent les pieds et les mains à coup de hache, et lui percèrent le dos avec une pique, au bout de laquelle ils la promenèrent dans les rues du lieu ; après quoi ils allumèrent un grand feu dans lequel ils la tinrent suspendue, et la firent brûler de tous les côtés jusqu’à ce qu’elle eût expiré. Ils jetèrent ensuite son corps dans le brasier ; De là ils allèrent passer le Vidourle au roches d’Aubais, et se rendirent à Saturargues sur les dix heures du soir ; ils y éventrèrent plusieurs femmes enceintes, en arrachèrent les enfants, et, après avoir aussi éventré leurs maris, ils mirent ces enfants dans leur ventre.

 

Ils jetèrent le mari, la femme et trois de leurs enfants sur un même lit, les percèrent de coups de poignard, et répandirent de l’huile bouillante sur leurs blessures. Ayant trouvé une femme qui était en travail d’enfant, leur exterminateur lui fendit le ventre avec un coutelas, en tira l’enfant et le mis sur le cou. Ils embrochèrent de jeunes enfants, et les firent aussitôt rôtir à de grands feux qu’ils avaient allumés en divers endroits du lieu. On y vit le fils du meunier du moulin de Saint-Christol, âgé seulement de quatorze ans, faire ses coups d’essai dans les meurtres par les actions les plus inhumaines. Après avoir poignardé cinq à six personnes, il prit un petit enfant de quinze mois, et, le tenant par les pieds, il lui écrasa la tête contre les murs ; enfin, on compte que, dans ce lieu seul, ils égorgèrent quatre-vingts personnes, et qu’ils brûlèrent presque toutes les maisons.

 

Ils allèrent ensuite à Gallargues, dont ils brêlèrent l’église et la maison curiale, mais ils n’y commirent point de meurtres ; crièrent seulement dans les rues, « Montrevel brûle les Cévennes, et nous brûlons la pleine. » De là, ils vinrent aux environs de Nîmes, où ils brûlèrent la métairie des Dominicains de cette ville, celle de Postoly, et celle du conseiller Maillan, située toutes trois dans la pleine qui aboutit vers Saint-Gilles. Ils brûlèrent dans ce quartier l’église champêtre de Cieures, avec deux métairies qui en dépendaient, et de plus, la métairie de Signan qui appartenait au chapitre de Nîmes, et qui est à trois quarts de lieue de la ville. Ils firent ce dernier incendie à trois heures après midi ; ils égorgèrent en même temps le garde-chasse de Signan.

 

Ils allèrent encore, dans ce mois de septembre 1703, à la Vernède, métairie qui appartenait à l’ordre de Malte, sur les bords du Rhône. Le commandant de Castelane, âgé de quatre-vingt-dix ans, s’y trouvait alors ; il leur livra d’abord deux cents pistoles pour avoir la vie, et les fit boire et manger. Ils le firent sortir et le mirent à cheval, afin qu’il se retira en quelques lieu de sûreté. Mais à peine eut-il fait cent pas de la maison, qu’ils le forcèrent à y revenir. Là, ils l’éventrèrent et l’écorchèrent à demi ; puis ils brûlèrent la métairie d’un bout à l’autre. Ils en brûlèrent aussi une quantité d’autres qui sont sur la même ligne, le long du Rhône, et qui appartenaient, pour la plupart, à l’ordre de Malte. Quand ils faisaient un incendie en un endroit, ils allaient en faire d’autres ailleurs par des détachements de dix ou douze hommes qu’ils envoyaient en même temps.

 

« VERSION 3 -  Histoire et description de Nîmes  par D. Nisard, 1842. »

 

(1704). Sous l’épiscopat de l évêque Esprit Fléchier, Nîmes présente uniformément le spectacle d’une ville pacifiée, mais qui n’a pas le repos, où la réconciliation est dans les rues et la haine dans les cœurs.

 

Condamnés à demeurer les bras croisés, en face les uns des autres, dans ces murs où les bruits du dehors avaient d’ordinaire tant de retentissement, catholiques protestants, oppresseurs et opprimés, assistaient au drame sanglant de la guerre des Camisards. Le menu peuple des deux partis, ce lion enchaîné, comme disent les historiens de Nîmes, était consigné dans ses ateliers. Il ne descendait sur la place publique qu’aux jours des exécutions, pour voir mourir les bandits déguenillés des Cévennes, qui avaient tenu en échec les armées royales. Ces jours-là, les seuls jours fériés de la ville embastillée, Nîmes s’animait un peu. Les catholiques battaient des mains au passage des condamnés, les protestants allaient baiser pieusement les hardes du camisard roué ou pendu. Quand le fameux Cavalier vint à Nîmes, avec son lieutenant Catinat et son grand prophète Daniel Billard, pour traiter de pair à pair avec le maréchal de Villars, tout Nîmes fut sur pied, « il y eut, dit l’honnête Maucomble, des femmes idiotes qui vinrent baiser les pans de son habit. » En somme, des vœux ardents pour le triomphe de leurs héros, Rolland, Catinat, Ravanel, Cavalier, des joies secrètes quand l’armée royale est battue, des canonisations moins l’approbation du pape, c’était là toute la résistance permise aux protestants, c’était la seule que le clergé catholique et les gens du roi ne pussent atteindre, parce qu’elle était refoulée au fond des cœurs. Tel fut, jusqu’à la mort de Louis XIV, le sort de la minorité protestante. Elle put croire un instant au triomphe des derniers enfants d’Israël sur ceux qu’elle appelait les enfants de Bélial, elle vit plus d’une fois, du haut des remparts de Nîmes, les beaux régiments du roi battus et poussés l’épée dans les reins jusque dans les faubourgs par les paysans des Cévennes, et alors elle rêva de sanglantes représailles, mais quand ses derniers et incorruptibles martyrs, Ravanel et Catinat, attachés au même poteau et mourant sur le même bûcher, eurent emporté avec eux ses dernières espérances, elle se résigna et attendit de la tolérance universelle un peu de relâche à ses misères.

 

« VERSION 4 - Histoire d’Uzès et de son Arrondissement de Gustave Téraube, 1879 »

 

(1704). Le commencement du XVIIIe Siècle fut marqué par la guerre des Camisards dont une partie de l’arrondissement d’Uzès eu à souffrir. Jean Cavalier, le principal chef des camisards, parut l’année 1702. Ménard l’historien de Nîmes, trace ainsi son portrait. :« Jean Cavalier était un petit homme, qui avait la tête grosse et enfoncée dans les épaules, les yeux grands et vifs, les cheveux longs et blonds, le visage large et rougeâtre, une mine basse, mais l’aspect fin et délié, avec beaucoup de prudence, d’adresse et de fermeté. Il était prédicant et prophète, et en faisait les fonctions dans la plus part des assemblées, même après qu’on lui eut déféré le commandement des troupes, ce qui lui donna un relief considérable parmi les camisards. »

 

Né en 1679, au village de Ribaute, près d’Anduze, le grand chef camisards fut d’abord garçon boulanger. Se sentant inspiré, il devint tout à coup prédicant. Après avoir passé deux années à Genève, il vint soulever les protestants des Cévennes. A la tête d’une multitude d’enthousiastes il résista longtemps aux troupes de Louis XIV.

 

Une armée composée de catholiques se forma pour combattre les camisards. Ces soldats prirent le nom de camisards blancs ou cadets de la croix, ils portaient tous une cocarde blanche à leur chapeau.

 

Le maréchal de Villars vint en Languedoc et lança ses dragons contre les bandes de Cavalier. Le maréchal avait établi son quartier général à Nîmes, où il eut une entrevue avec le chef des Camisards. Villars traita avec Cavalier et lui fit déposer les armes en lui assurant une pension et un brevet de colonel, Jean Cavalier passa en Angleterre, où il mourut.

 

« VERSION 5 - La Dame Blanche des Cévennes, 1895 »

 

(1704). L’hiver était arrivé, précoce et très dur sur le massif de l’Aigoual. Les hostilités se poursuivirent dans le pays plat. Le 17 décembre 1703, Cavalier écrasa le comte de Fimarcon aux Roches d’Aubais. C’est là, que brilla Lucrèce la Vivaraise. M. de Fimarcon fut poursuivi jusqu’au château de Sommières où il eut juste le temps de se réfugier. Montrevel ne bougea plus de l’hiver. Au printemps suivant, à la reprise des hostilités, le 15 mars 1704, Cavalier battit, aux environs de Saint Chaptes, La Jonquière, un des principaux lieutenants du Maréchal.

 

Le marquis de Villars reçut de Versailles l’ordre d’aller immédiatement remplacer l’incapable Montrevel. Sa victoire de Saint-Chaptes porta au comble l’orgueil déjà démesuré du jeune Cavalier. Il se vit maître du Languedoc et chef de la réforme en France. Monté sur le magnifique cheval blanc qu’il avait pris à M. de la Jonquière, il caracolait devant ses troupes, passait des revues, présidait à des carrousels. Il avait organisé une musique, et ce fut au son des fifres et des tambourins qu’il entra dans Vauvert, le 12 avril. Il dîna au Castélas, et il eut grande sérénade sur la place du Jeu de Ballon.

 

Des hauteurs de l’Aigoual, Roland suivait avec inquiétude les mouvements de son premier lieutenant. Sa nouvelle méthode lui paraissait des plus dangereuses. On comprenait de rapides incursions dans la Vaunage et les Costières, suivies de retraites plus rapides encore. Mais se risquer ainsi dans la pays plat avec toutes ses forces, sortait du programme général débattu et accepté par les chefs de l’insurrection. En quelques heures, des masses considérables de dragons et de suisses pouvaient arriver de Nîmes et de Montpellier. Que ferait Cavalier devant une concentration subite des royalistes ? Et en cas d’échec, si loin de la montagne et de ses amis, où trouverait-il un refuge ?

 

Ce que voyait Roland, M. de Montrevel n’était pas sans le voir aussi. L’échec de Valleraugue et de Saint Chaptes lui pesait. Avant son départ pour Versailles, il voulut prendre sa revanche.

 

Cavalier avait quitté Vauvert en triomphateur, le 15 avril. Le soir, il arrive à Caveirac, dans la Vaunage, avec ses douze cents hommes. Il s’y repose la nuit, et le lendemain il prend plaisir à passer en revue sa petite armée et à lui commander des évolutions. Le curé de Montpezat, qui avait à sa solde des espions vigilants et fidèles, avait averti dans la nuit M. de Montrevel, alors à Sommières. Le Maréchal dépêcha immédiatement des aides de camp à Nîmes, à Lunel et à Montpellier avec ordre d’amener toutes les forces disponibles. Dragons, suisses, miquelets et fusiliers se hâtent vers Caveirac. Le 16 au matin, Cavalier se trouvant en reconnaissance dans les environs du village, est surpris par deux dragons qu’un bouquet d’oliviers l’avait empêché d’apercevoir. Il tue les dragons de deux coups de pistolet et vient retrouver les siens. La bataille s’engage aussitôt contre un premier corps d’armée, commandé par le brigadier Granval. Les Camisards l’emportèrent, et pendant une heure on pourchassa les fuyards. Près de Nage, Cavalier se heurte à des troupes fraîches sous les ordres du général Menon. Elles menacent de lui couper la retraite et interceptent déjà ses communications avec son infanterie. Harassé de fatigue, Cavalier recommence le lutte. Les Camisards résistaient de leur mieux quand, au bruit de la fusillade, accourt un troisième corps d’armée commandé par M. de Montrevel en personne.

 

Ce fut une débandade générale. « Trahison ! » crient les Camisards. Cavalier rassemble ceux qui tiennent encore. « Enfants, leurs dit-il, nous sommes pris et roués vifs, si nous manquons de cœur. Nous n’avons plus qu’un seul moyen : nous faire jour et passer sur le ventre à ces gens là. Serrez les rangs et suivez moi ! » Cavalier parvint à forcer le passage ; mais son armée était anéantie.

 

Le 15 mai 1704, Cavalier eut dans Nîmes une entrevue avec le maréchal de Villars. Celui-ci répondit évasivement à ses demandes sur la liberté de conscience et la mise en liberté des Pasteurs. M. de Basville, qui assistait à l’entretien, ne put même contenir son indignation : « Ne parlons pas de religion, dit-il tout à coup au jeune Partisan ; le roi daigne vous pardonner ; vous devez le remercier à genoux, et il n’y a ni condition à faire, ni article à discuter »

 

Cavalier courba la tête. M. de Villars lui envoya quelques jours après un brevet de colonel des armées du Roi, avec une pension de douze cents livres.

 

Le maréchal, avec son coup d’œil et son expérience des hommes, voyait bien que rien n’était terminé tant que Roland, l’âme de la révolte, le chef incontesté du protestantisme militant, n’était pas gagné. Il dépêcha donc vers lui Cavalier pour l’engager à faire sa soumission aux même conditions : Un brevet de colonel et une pension de douze cents livres.

 

Les deux troupes camisardes s’abordèrent le 24 mai à Mialet, pays natal de Roland, non loin d’Anduze.

 

Roland laissa le commandement des siens à Castanet, Cavalier à Ravanel ; puis les deux chefs s’avancèrent l’un vers l’autre.

 

Après que Cavalier eut exposé au généralissime des forces cévenoles pourquoi il avait cru devoir négocier, Roland lui demanda s’il était en possession d’un instrument diplomatique : « Avez-vous échangé des signatures avec le Maréchal et M. de Basville ? Quelles sont les grandes lignes du traité conclu avec eux ? »

 

Cavalier du convenir qu’il n’avait que des promesses.

 

Au moins ces promesses-là, continua Roland, ont-elles reçu quelques sanctions, par exemple un commencement d’exécution ? A-t-on rouvert des temples ?

 

Des Pasteurs, des frères dans les fers ont-ils été mis en liberté ? Non, non ! Frère Cavalier, nous connaissons le langage que vous a tenu M. de Basville, à Nîmes. Vous n’avez traité que pour vous seul ! Vous seul avez obtenu des avantages réels, mais peu enviables. Certes, les Calvinistes en armes, ne s’étaient jamais doutés qu’ils luttaient pour en arriver à ce résultat : Un jeune homme d’Anduze colonel des troupes papistes ! Qui donc vous a donné mandat de parler au nom des Camisards ? Battu comme vous l’avez été à Caveirac, sans armée, était-ce à vous à vous mettre en avant ? Un vaincu est peu fait pour s’ériger en arbitre et dicter des conditions.

 

Ne pouvant donner de bonnes raisons, Cavalier s’emporta jusqu’aux menaces. Roland alors lui répondit fièrement qu’il oubliait qu’il parlait à son ancien et à son chef, et qu’il n’appartenait pas à celui qui venait de trahir la cause du Protestantisme de le prendre de si haut avec ceux qui étaient décidés à la défendre tant qu’il leur resterait un souffle de vie.

 

Cavalier, furieux, porta la main à son pistolet. Castanet intervint et sépara les adversaires.

 

Cavalier alla rejoindre sa troupe : « Nous n’avons plus rien à faire ici, dit-il à ses soldats. Partons ! » Personne ne bougea. Avez-vous entendu mon commandement, frère Ravanel ? Ravanel détourna la tête. Qui donc est maître ici ? Demanda Cavalier avec colère. Ravanel se redressa : « Moi ! » Comment ? Toi ! Moi ! Te dis-je, depuis que tu nous a trahis. Va, retourne vers ceux qui t’envoient. Dis-leur qu’il n’y aura jamais ni paix, ni accommodement entre nous, tant que l’on ne nous aura pas rendu nos temples et nos Pasteurs. Cavalier resta comme étourdi. Il essaya de réagir une dernière fois ! « Qui m’aime me suive ! » Dit-il d’une voie étranglée par l’émotion. A peine une quinzaine d’hommes sortirent des rangs.

 

« VERSION 6 - 2000 ans d’histoire – Ville de Nîmes, 1980. »

 

(1704). Ecrasé par les impôts spéciaux conçus pour ruiner les huguenots, subissant les dragonnades, enfermés par villages entiers dans des camps de concentration, pendus ou menés aux galères au moindre signe de ferveur huguenote, les paysans cévenols finirent par se révolter. Fanatisés par les enfants prophètes, commandés par des meneurs villageois dont Jean Cavalier, ils conduisirent une guerre d’embuscades, d’abord victorieuse. Deux généraux du roy y laissèrent leur charge. Louis XIV nomma alors le maréchal de Villars, vainqueur des armées des nations ennemies. Le combat devint massacre. Le 16 mai 1704, Jean Cavalier comprit l’inutilité de la lutte et accepta de rencontrer discrètement Villars hors les remparts de Nîmes, au jardin des Récollets - situé entre l’actuelle église Saint-Paul et le canal de la Fontaine - Une Armistice fut esquissée. Mais ensuite, Jean Cavalier ne rencontra que méfiance auprès de ses compagnons et le massacre des Camisards se poursuivit impitoyablement.

« VERSION 7 -  Entrevue de Cavalier avec M. le Maréchal de Villars à Nîmes & la mort de Rolland. »
Extrait de « Souvenirs du Marquis de Valfons, 1710-1786 », publiés par son petit neveu en1860, le Marquis de Valfons, Camille Régis Mathéi (1837-1907). pages 26 à 30.


Je passai l'hiver à réparer les pertes continuelles que je faisais à ma compagnie. On avait fini après le siège de Philipsbourg le régiment de Piémont à Spire, où malheureusement était l'hôpital de l'armée.
Le mauvais air saisit tous nos jeunes soldats qui y périrent. Je perdis de ma seule compagnie vingt-sept hommes. Chaque lettre que je recevais me mettait dans la plus grande affliction, à laquelle s'ajoutaient la cherté et la difficulté de remplacer tant de pertes en si peu de temps. La bonté de ma mère et sa générosité y pourvurent; je lui cachais mon chagrin pour ne pas augmenter les siens ; mais sa tendresse l'éclaira, et, devinant ma gène, elle n'hésita pas à envoyer secrètement sa toilette d'argent chez un orfèvre ; elle en eut mille écus, qu'elle me donna avec plus de plaisir que je n'en eus à les recevoir.

Elle était encore belle comme le jour, et sa physionomie reflétait l'image de son âme ; elle aimait uniquement ses enfants ; pour eux rien ne lui a jamais coûté, au point qu'un jour M. de La Fare, son ami, commandant en Languedoc, la voyant avec une mise fort simple à une fête qu'il donnait, lui dit «
Madame, vous vous en rapportez à votre jolie mine. - Non, monsieur, mais la .parure de mes enfants me tient lieu de diamants. »
Nous l'entourions alors et étions très bien mis. Elle plaisait à tous par les grâces de sa beauté et surtout par son désir de rendre service, et fut très utile à l'époque où les maréchaux de Montrevel et de Villars, commandant en Languedoc, les troubles qu'occasionnaient les camisards avaient mis la province en combustion. Elle eut un jour la récompense de sa vertu compatissante. Allant d'une terre de son père à celle de son mari et traversant un chemin détourné entre des montagnes dans une chaise à deux, avec sa femme de chambre et un seul laquais, elle fut arrêtée par plusieurs hommes embusqués qui, le fusil haut, ordonnèrent au postillon de descendre. Un d'eux s'approcha de la portière, et la regardant avec surprise : « Ah ! madame, à quoi vous exposez-vous ? que je suis heureux d'être ici pour vous saurer l'honneur et la vie, vous devant moi-même l'un et l'autre : regardez devant vous ! »

C'étaient cent cinquante camisards armés couvrant une grande assemblée de huguenots qui se faisait tout près de là. Ma mère reconnut dans ce libérateur
un de ses anciens porteurs qu'on avait arrêté faisant la contrebande, et qui eût été pendu sans la protection du maréchal de Villars, obtenue par elle. Cet homme l'escorta jusque dans la plaine, près de son château, en bénissant mille fois son étoile de l'avoir mis à même de lui prouver si utilement. sa reconnaissance. Et la quitta en la priant de n'être plus si imprudente. Elle nous racontait souvent ces détails pour nous former le caractère et nous montrer qu'on gagne toujours à être humain et à secourir les malheureux.
Ce fut chez elle, dans un cabinet de son appartement à Nîmes, que se fit l'entrevue du maréchal de Villars et de Cavalier, qui, simple fils d'un boulanger, était à dix-huit ans à la tête des protestants révoltés. Il avait tant de crédit sur les siens, que la cour eut la complaisance de traiter avec lui pour que tous les camisards rentrassent dans le devoir, et lui accorda un brevet de colonel ; il ne parvint pas à amener une soumission complète, mais du moins sa capitulation désorganisa le parti. Sa troupe ayant refusé de le suivre, il déserta et prit du service en Hollande, d'où il conduisit un régiment en Espagne et prit part à la bataille d'Altnanza. Il a été employé ensuite dans l'armée anglaise et est mort major-général et gouverneur de l'île de Jersey. Il était de petite taille, frêle et blonde; mais son énergie et son fanatisme suppléaient à tout.

Après le départ de Cavalier, Rolland, le second chef dès camisards, homme violent et intraitable,
avait essayé de continuer la lutte contre l'autorité du roi ; M. de Villars, qui voulait en finir, mit à sa poursuite ses meilleurs officiers, avec deux compagnies de dragons. Rolland, réduit bientôt à un petit nombre de partisans, traqué de partout, fut trahi par un des siens, tandis qu'il s'oubliait à un rendez-vous galant au château de Castelnau. On essaya de le sauver en lui ouvrant une porte qui donnait sur la campagne. Mais toutes les issues étaient cernées, et comme les officiers voulaient le prendre vivant, il se défendit avec la fureur du désespoir, jusqu'à l'instant où un dragon l'abattit d'un coup de fusil. J'ai vu souvent, étant dans la propriété de mon père, proche de ce lieu, la chambre où couchait cet homme redouté et le gros arbre auquel il s'était adossé pour vendre chèrement sa vie.

Ce château de Castelnau est sur une colline de la rive gauche du Gardon, à mi-chemin en allant d'Alais à Nîmes. Il est fortifié et très bien conservé pour son âge, car la tradition du pays rapporte qu'il fut dévasté il y a de cela neuf cents ans par des seigneurs du voisinage ; et un gros mur en bosse dont on voit encore de bons restes, a fait juger qu'il avait dû être bâti en premier lieu du temps des Visigoths. Il est de la forme d'un carré inégal flanqué de quatre tours. Les corps de logis renferment une cour intérieure avec une seule poterne, qui est garantie par une herse et un mâchicoulis.


Il y avait dans le plus haut étage d'une des tours une sorte de moulin à vent dont la meule était mise en mouvement par une roue de forme particulière posée à plat dans l'intérieur de la tour : huit petites fenêtres percées de biais tout à l'entour du mur donnaient entrée au vent, de quelque côté qu'il lui plût de souffler, et ainsi la meule pouvait tourner et le moulin fonctionner par tous les vents, ce qui devait être utile pour n'aller point au dehors s'approvisionner de pain pendant les sièges.


Un puits très-profond creusé dans le roc à l'intérieur de la cour fournissait de l'eau très-pure à la garnison , qui avait ses logements dans trois galeries l'une sur l'autre. Les murs sont d'une bonne toise d'épaisseur, défendus en plusieurs endroits par des mâchicoulis et couronnés d'un chemin de ronde avec un parapet garni tout autour de merlons et de créneaux. Il n'est pas étonnant que ce château si bien fortifié ait été vivement disputé dans toutes les guerres du Midi. C'est du reste un lieu très-plaisant, avec de beaux sites, bien boisé, en fort bon air, et quand le ciel est pur, on voit de la terrasse jusqu'à soixante clochers et un grand nombre d'habitations. (1)

(1). Le château de Castelnau fut acquis en 1500 et est encore aujourd'hui possédé par la famille Boileau, qui remonte au célèbre Étienne Boileau, issu de race noble et prévôt de Paris en 1256. La révocation de l'édit de Nantes envoya en exil ou en captivité les seigneurs de Castelnau, alors zélés protestants. Pendant leur absence le château servit fréquemment de poste défensif et de refuge aux camisards, et il a échappé à la révolution, les habitants s'étant réunis pour le défendre, a ayant seulement bouché les interstices des créneaux qu'ils avaient ordre de détruire. Le marquis de Valfons actuel hérite de cette propriété par suite du mariage de son père avec une demoiselle de Boileau de Castelnau. (Note de l'éditeur de 1860)

 

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